Cohortes

“Le choc avait été très rude. Les tribuns
Et les centurions, ralliant les cohortes,
Humaient encore dans l’air où vibraient leurs voix fortes…”

legionsdéclamait José-Maria de Hérédia en 1893 dans les Trophées. Aujourd’hui, pour faire suite à mon billet de la semaine dernière sur l’interview de Daphné Koller je voudrais évoquer les cohortes d’apprenants dans les MOOC[1].

J’aime bien ce mot pour évoquer ces milliers d’étudiants avançant ensemble, inexorablement, semaine après semaine, dans la découverte du sujet qu’ils ont décidé d’étudier et triomphant de tous les obstacles qui se dressent devant eux dans leur acquisition de la connaissance. Certains voudraient aller plus vite, d’autres plus lentement, bref le rythme unique imposé par la révélation des contenus, semaine après semaine, n’est qu’un rythme moyen qui ne convient pas à tous mais il peut être difficile de constituer ces cohortes et de laisser un MOOC ouvert de longues semaines.

Expliquons nous !

Il est nécessaire d’imposer un rythme ; l’expérience de l’université de San Jose et la pratique de tout enseignant le montrent bien : si un rythme n’est pas donné, les étudiants se précipitent en fin de cours pour étudier ce qu’ils auraient du apprendre progressivement. Les résultats s’en ressentent et l’acquisition des connaissances est décevante.

La dispersion des niveaux des étudiants rend souvent difficile l’avancée à un rythme unique. Il est donc normal qu’on retrouve cette difficulté dans les MOOC. Elle est même amplifiée pour deux raisons toutes les deux importantes : il n’y a pas, par principe de contrôle des niveaux à l’inscription et tout le monde ne peut pas, pour diverses raisons, fournir la même quantité de travail chaque semaine. Bref rien de nouveau.

L’une des solutions, déjà mise en œuvre par certains, est de constituer des groupes ou cohortes (j’y viens enfin !) qui avancent à un rythme différent au travers d’un parcours pédagogique commun. Certains parcourront le même MOOC en trois semaines, d’autres en 5 voire même en 7 semaines. Certaines agences de MOOC imaginent même des cours ouverts en permanence : on y entre quand on veut, on en sort, au terme du parcours quand on le décide également. Sans aller jusqu’au cours ouvert en permanence Daphné Koller imagine des MOOC ouverts à tout moment, à la demande d’une entreprise et la constitution de cohortes pour permettre à chacun de progresser à son rythme.

Est-ce toujours possible ?

Le rôle de la cohorte est de réunir un nombre suffisant de personnes pour échanger sur des sujets d’intérêt commun, en l’occurrence le contenu de chaque semaine d’un MOOC. Encore faut-il que les participants soient assez nombreux pour que le dialogue s’installe. N’oublions pas que, dans les forums, les observateurs sont beaucoup plus nombreux que les actifs. La question est donc de savoir à partir de combien de personnes peut-on réellement constituer une cohorte qui échangera au travers des outils sociaux du MOOC. Dans sa vidéo sur l’avenir de l’enseignement, edu@2025, Richard Katz, ancien VP recherche d’Educause, imagine même des MOOC Google peuplés d’avatars artificiels pour donner le sentiment aux participants humains qu’ils ne sont pas isolés.

En ce qui concerne la formation continue il est indéniable que l’ouverture à la demande de MOOC payants, donc de SPOC, et de cohortes sera la solution pour répondre aux demandes de grandes entreprises, capables d’inscrire un nombre suffisant de participants. Pour les plus petites, elles passeront par des intermédiaires qui leur vendront des participations, réservées préalablement en masse auprès d’agences de MOOC. Elles pourront leur mettre à disposition des catalogues avec prestations d’accompagnement variées, comme les agences de voyage avec les compagnies d’aviation et les hôtels. Comme pour les voyages organisés, l’inscription ne pourra être confirmée que si un nombre suffisant de participants est inscrit. Ceci bouleversera le modèle économique de la formation continue en France. De nombreuses petites sociétés disparaitront ou devront se regrouper en réseau, clientes de grandes agences de SPOC. L’analogie avec les agences de voyage est tout à fait pertinente : la myriade d’entreprises privées de formation se battra   sur les prestations supplémentaires. Quid de la formation continue des universités ? Leur chance unique sera d’être à la fois fournisseur et distributeur. Mais sauront-elles la saisir ?

En ce qui concerne les MOOC gratuits, le futur est plus obscur, surtout pour les agences de MOOC en France et plus généralement en Europe, sauf pour les anglophones. Rappelons l’expérience de l’EPFL à Lausanne : un MOOC francophone attire dix fois moins d’étudiants qu’un MOOC anglophone. Constituer des cohortes ne peut fonctionner que si les participants sont assez nombreux. Pour ceux qui attirent des dizaines de milliers de participants, pas de difficulté, mais pour ceux, moins généralistes qui n’ont que quelques milliers d’inscrits, leurs cohortes risquent d’être bien maigres et surtout bien silencieuses, perdant la dimension sociale fondamentale des MOOC.

Enfin n’oublions pas que derrière un MOOC il y a des enseignants qui bien que, trop peu nombreux pour établir des interactions personnelles, n’en sont pas moins un élément essentiel des échanges. Ouvrir un MOOC sur une longue période nécessite plus de présence et fera bondir le coût. Cela rendra encore plus fragile un modèle économique qui l’est déjà. Les agences, non subventionnées, ne pourront pas longtemps maintenir la qualité et l’ouverture. Et les enseignants volontaires pourront-ils être mobilisés de longues semaines, à moins que l’enseignement ouvert des MOOC devienne intégralement partie de leur mission et soit prise en compte dans leur emploi du temps.

Les MOOC n’en sont qu’à leur début dans leur démarche pédagogique et l’emploi des outils qui les accompagnent. Ils ne pourront se sophistiquer que dans le cadre d’un principe de réalité qui fera que toute bonne idée ne conduira pas à sa mise en œuvre, faute de moyens humains disponibles. En dehors de quelques pionniers, volontaristes et qui ne comptent pas leurs heures, il faudra rationnaliser leur mise en œuvre et trouver un compromis entre sophistication et coût. En France et plus généralement en Europe, sans de fortes aides de l’Etat, les MOOC auront du mal à progresser rapidement sans une forte implication de l’Etat.

Daphné Koller en est bien consciente, elle, qui évoquait des MOOC avec des centaines de milliers de participants pour former ses cohortes et une marchandisation massive et bon marché, tournée vers les petits collèges et la formation continue.

[1] Une collègue me faisait remarquer qu’en français les acronymes ne se mettent pas au pluriel. Autant pour moi ! Je ne mettrai plus de s aux MOOC.

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