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Les MOOC, leurs données et moi

tableau de bordL’un des intérêts, que je trouve aux MOOC et à tout le mouvement qu’ils portent, est d’obliger tous ceux qui voulaient l’ignorer à réfléchir sur tous ses aspects de l’impact du numérique à l’université.

Pour moi, comme pour tous ceux qui ont été pionniers en la matière et qui éprouvaient la plus grande difficulté à sortir de leur niche, cela est fort réjouissant.

Aujourd’hui je voudrais aborder le problème des données que nous accumulons sur les étudiants : le big data ou dit autrement le sujet chaud des learning analytics.

Toutes les plateformes, que j’ai employées, possèdent des outils statistiques qui nous permettent de dresser des profils individuels des usages. Mais je n’ai vraiment vu que les médecins les employer systématiquement, pour la formation permanente où les responsables des DU sont dans l’obligation légale de certifier la participation des inscrits. Pour l’anecdote, un jour un professeur a débarqué dans mon bureau, très ennuyé : il avait posté dans la plateforme le corrigé de l’examen, une demie heure avant son début mais il avait oublié de définir l’heure à laquelle ce document serait visible, après la fin de la session, bien évidemment ! Cela a servi : nous avons retrouvé quatre étudiants qui avaient triché et consulté ce corrigé avec leur smartphone. C’était il y a trois ans et le BYOD fonctionnait déjà !

En dehors de ces cas nous ne savions pas très bien quoi faire. Des collègues m’engueulaient vertement lorsque, dans les formations, je leur présentais cet outil en me disant qu’ils n’étaient pas là pour moucharder les étudiants. Moi-même, bien qu’informant les miens sur les statistiques dont je disposais, je me sentais mal à l’aise à l’idée de leur faire remarquer leur peu d’apparition dans cet environnement. En particulier je me suis toujours demandé si le fait de ne pas avoir consulté les documents de cours avait une vraie signification. Je me souviens trop bien, au tout début des années 2000, lorsque je plaçais mon cours, sur le web, au format HTML, de les avoir vu arriver en séance avec des piles de papier qui correspondaient à l’impression de toutes les pages, y compris les liens que j’avais pu y ajouter ! L’un d’eux, et ils me l’annonçaient fièrement, avait mis en œuvre une « pompe à Web », avait aspiré toutes les pages et les avait imprimé pour la collectivité. Que pouvait donc me donner mon pauvre serveur comme indication valable ?

Au passage j’ai fini par ne plus créer mes cours à ce format : les étudiants me le reprochaient car ils veulent avant tout en disposer à un format imprimable. De plus je me suis aperçu, au travers des mouchards que j’avais mis en place, qu’ils n’allaient jamais consulter les liens annexes, se limitant au corps des documents. C’est connu, on ne s’écarte jamais de plus d’un clic ½. Dans mon cas c’était plus proche de zéro !

Pour revenir aux statistiques dont je disposais je n’ai donc jamais su vraiment quoi en faire. Je crois qu’elles manquaient d’un statut officiel.

J’ai été également été, plusieurs années de suite, tuteur d’un groupe de 16 étudiants de première année. L’université a mis en place ce système, fort intelligent, avec des enseignants qui n’ont rien à voir avec le cursus suivi. Mon rôle n’était pas de contrôler leur travail mais, au travers de rendez-vous, d’analyser leur réussite, de voir s’ils ne rencontraient pas des difficultés et ne perdaient pas pied. Je devais les conseiller et les renvoyer, le cas échéant vers les personnes qui pourraient les aider. C’est là que des informations sur leur activité, dans la plateforme d’enseignement ainsi que les autres services numériques, m’auraient aidé car il était difficile souvent de faire reconnaître à ces jeunes gens que tout ne va pas pour le mieux. Muni de quelques indicateurs j’aurais pu appuyer sur certains points.

Le ministère a bien tenté, il y a quelques années, de mettre en place des outils pour réunir les informations accumulées dans les différents services, plateforme pédagogique bien sûr mais également les ENT et les systèmes de scolarité. Cela n’a pas donné grand chose, à ma connaissance. L’obsolescence et les insuffisances de nombreux services ne permettent pas, le plus souvent, de réunir des informations pertinentes.

Tout cela est bien dommage. Je suis personnellement persuadé que pour lutter contre l’échec, en première année particulièrement, mettre à disposition des étudiants et de leurs enseignants des indicateurs et construire un système d’alerte en temps réel, permettrait souvent de sauver des étudiants qui perdent pied et serait l’apport le plus positif de l’apprentissage mixte. Certaines universités américaines ont déjà commencé à le faire et les résultats sont plutôt encourageants. Elles constatent que, alors que l’enseignement mixte améliore les résultats mais ne change pas notablement le taux de réussite, qu’un dispositif d’alertes efficace fait bouger la barre.

Bien sûr, c’est plus évident à dire qu’à faire. Outre les logiciels qu’il faut entièrement revoir ou même changer pour obtenir des données intéressantes, il faudra mettre en place des tuteurs qui auront la légitimité pour discuter de ces informations personnelles avec les étudiants. Cela pose de nombreuses questions éthiques et juridiques. Il faudra convaincre les étudiants du bien fondé de la démarche. Mettre toutes leurs données à leur disposition est fondamental mais ne suffira pas à les convaincre. Il faudra leur expliquer les détails du circuit de mise à disposition et qui a droit de voir quoi. Il serait même légitime de tenir compte de cette activité dans la délivrance des grades qui sont censés, je le rappelle, justifier non seulement des connaissances mais également des compétences. Mais n’y verront-ils pas un jugement sur leur comportement, une note de gueule ?

L’analyse des données d’enseignement ouvre un champ immense aux chercheurs en Sciences de l’Education. On peut en espérer des plateformes plus intelligentes, un vrai « adaptive learning » qui permettra demain de créer des parcours adaptés à chacun, en fonction de ses connaissances comme de ses façons d’apprendre.

Mais il faudra également savoir se servir des tableaux de bord qui en découleront et tous, enseignants comme étudiants, ont tout à apprendre dans ce domaine.

Décidément, j’aime bien les MOOC, les SPOC et tous leurs avatars. Ils nous amènent à réfléchir à l’université de demain bien au-delà de la simple mise en œuvre d’outils numériques. C’est en ce sens qu’ils peuvent être une vraie révolution.

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Dessous l’arc-en-ciel de ta paix…

indexEn 1945 Léopold Sedar Senghor termine ainsi le poème “Prière de Paix” où il exprime sa conviction que le contact de la négritude et de la culture française peut être enrichissant pour tous.

Quelle meilleure introduction pour parler du vaste problème de l’enseignement en Afrique et en Asie, et, plus modestement, de l’enseignement supérieur et de l’usage qui peut être fait des MOOC dans ce contexte ?

J’ai eu la chance, ces derniers temps, d’être invité au Maroc, en Tunisie et de travailler avec des Égyptiens qui, tous, sont conscients du challenge immense qui se dresse devant eux. Nous pouvons les aider. L’UNESCO estime qu’il faudrait ouvrir une université par jour pour répondre au challenge de la formation des jeunes  en Afrique et en Asie !

Construire l’infrastructure est déjà irréaliste même dans un système politique idéal mais que dire de la formation des enseignants et du personnel d’appui de haut niveau nécessaires ? C’est tout simplement inimaginable !

Alors, comment faire au mieux  ? Faut-il renoncer et condamner ces nations et leur nouvelle génération ?

Les MOOC, sous une forme adaptée, pourraient apporter une partie de la réponse. Sans dispenser ces nations de la mise en place d’universités classiques, comme dans les autres pays, on pourrait imaginer d’y ajouter des universités virtuelles. Le modèle n’est pas nouveau : il a commencé avec l’Open University britannique dans les années 1970. Certes, on commence à savoir que le meilleur modèle pédagogique est l’enseignement mixte, en partie en présence, en partie à distance mais une approche qui privilégierait plus la distance permettrait de décupler les capacités de formation.

L’explosion des nouvelles technologies, même dans les pays les plus pauvres est une opportunité : les réseaux téléphoniques à haut débit s’étendent rapidement partout, les smartphones et surtout les phablettes se multiplient. Puisqu’il n’est pas possible d’amener les étudiants sur le campus, projetons celui-ci chez eux de façon qu’ils puissent étudier sans devoir quitter leur domicile, ce qui économiserait déjà les frais de résidence, la construction d’amphithéâtres et de cités universitaires.  Mieux encore, des infrastructures locales, choisies parmi celles qui existent déjà et que l’on mettrait à leur disposition dans les villes à proximité de leur domicile, permettraient aux étudiants de se retrouver et de travailler en groupes. Un cybercafé, une école ou n’importe quelle  salles communale feraient parfaitement l’affaire.

Les étudiants seraient inscrits, comme les autres, dans leurs cursus, c’est à dire admis à suivre des modules de cours en fonction du curriculum choisi et de leur réussite aux examens. Ces cours ne seraient plus ouverts puisque le niveau de connaissances des étudiants serait contrôlé, ils resteraient massifs puisque le nombre d’étudiants inscrits pourrait être grand : ce seraient des MOC (Massive Online Courses) s’il faut un acronyme !

Premier obstacle franchi : les inscriptions ne seraient plus limitées par la capacité des amphithéâtres et il serait donc possible d’accueillir un beaucoup plus grand nombre d’étudiants.

Pour les accompagner il faudrait, certes, des enseignants, mais en moins grand nombre qu’en face à face, même s’il n’est pas négligeable. Des professeurs itinérants se rendraient de ville en ville pour rencontrer régulièrement les étudiants dans leurs lieux d’accueil, là où ces jeunes se retrouveraient régulièrement pour travailler ensemble. Il est ainsi possible d’augmenter   les promotions d’étudiants pour un même nombre d’enseignants.

Le contrôle des connaissances resterait conventionnel. Les étudiants passeraient leurs examens, localement, avec une surveillance classique. Le MOOC GdP de Rémy Bachelet a déjà organisé des examens, sur ce modèle, en Afrique, avec l’aide de l’AUF.

Il reste, et ce n’est pas le moins important, à disposer de contenus dans toutes les matières et pour tous les niveaux.

Toutes les universités devraient mettre tous leurs MOOC à disposition de nos collègues de la Francophonie. L’idéal serait évidemment que les cours soient développés dans le contexte des cultures locales : on n’enseigne pas de la même façon aux Etats-Unis, en France ou en Allemagne ni au Sénégal… Pourquoi cela serait-il différent en Afrique et en Asie mais, dans un premier temps, fournir nos cours aux pays francophones et en développer pour eux, serait déjà un grand progrès. Mieux encore on devrait demander à des enseignants des pays concernés de participer et d’adapter les contenus que nous pourrions leur offrir. L’UNESCO le fait déjà au travers de son Institut pour les Technologies de l’Information dans l’Education. Rejoignons les ! Offrir nos cours aux pays du Sud et d’Asie, c’est bien, mais les aider à développer les leurs est encore mieux. L’AUF a déjà commencé en finançant des MOOC avec le support de FUN. Continuons !

Pour ceux qui seraient intéressés à lire une version plus complète de ce plaidoyer, que j’ai écrite en anglais pour l’Association Euro-Méditerrannée pour le Développement Durable en Egypte AEMDDE, suivez ce lien.

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