Une université, c’est comme une chaine haute fidélité : elle vaut ce que vaut son maillon le plus faible. En d’autres mots toute évolution, toute transformation de ses missions et de ses activités ne peut réussir que si tous les acteurs y concourent. Que l’un faillisse et c’est toute l’action qui en souffre. Comment transformer la pédagogie, faire évoluer les missions et basculer vers un enseignement novateur, avec le numérique, lorsque certains maillons sont défaillants ?
Les étudiants ont pour mission d’acquérir des connaissances et des compétences et de réussir leurs examens afin d’obtenir leurs diplômes. Ils ont un engagement moral de réussite parce que la nation fait de gros efforts pour subventionner leurs études et former les citoyens et les cadres de demain. Lorsqu’on compare le coût des études à celui des Etats-Unis la différence est vertigineuse : qui se pose la question, en France et plus généralement en Europe, de la rentabilité de son investissement financier en comparaison des gains dans sa vie professionnelle comme le font beaucoup de leurs camarades outre-Atlantique ?
Le second maillon est celui de ceux qui produisent : les enseignants-chercheurs, les chercheurs et le personnel d’appui qui les accompagne, ingénieurs, secrétaires, techniciens… Je me refuse à séparer ces personnes car elles sont toutes indispensables aux missions fondamentales de l’université que sont l’enseignement, la recherche et la diffusion des connaissances. Les chercheurs enseignent peu ; normalement ils n’interviennent qu’aux derniers niveaux, master 2 et doctorat. Cependant sans ces chercheurs à temps plein les enseignants chercheurs ne pourraient pas trouver la dynamique pour avancer à grand pas. Ils ne pourraient pas faire passer à leurs étudiants l’esprit de la connaissance et les concepts les plus innovants. Réciproquement le recrutement des jeunes doctorants, source d’inspiration pour la recherche et les chercheurs serait tari. Enfin, sans les personnels d’appui, souvent trop dans l’ombre, les deux catégories précédentes ne pourraient tout simplement pas exister. De plus il n’y a souvent pas grande différence entre un chercheur et un ingénieur de recherche de haut niveau, sinon que ce dernier est responsable de tâches quotidiennes. Lorsque je voyage dans d’autres universités en Europe, je constate souvent qu’on me présente avec le titre de professeur (ce titre est beaucoup plus employé à l’étranger qu’en France) des personnes qui ne le seraient pas en France alors qu’elles assument beaucoup de responsabilités dans la conduite de la recherche et de l’enseignement.
Le troisième maillon est celui des services centraux et de l’administration. Ils sont souvent ressentis comme un frein, un boulet, par les deux premiers et ils ont une mission difficile et délicate à remplir, dans un contexte politique et administratif extrêmement pesant, qu’ils subissent également : faire tourner la baraque !
On les voit moins, bien qu’on les ressente lourdement, et les autres catégories de personnes les ignorent souvent n’imaginant pas les contraintes dans lesquelles ils se débattent. Répondre aux nombreuses lois, aux contraintes du Ministère, de Bercy et à la Cour des Comptes n’est certainement pas une sinécure et ne conduit pas automatiquement à la gestion la plus efficace de l’institution. Il est vrai également que les administratifs relèvent d’une autre culture qui ne leur apprend guère à communiquer. Ils ont la plus grande difficulté à rencontrer ceux qui appartiennent aux autres maillons et à imaginer leur façon de travailler. Ils sont la courroie de transmission d’obligations qui contribuent souvent fort mal au bon fonctionnement de l’université. Leur éducation, leur culture les obligent à y répondre le mieux qu’ils le peuvent alors que pour les deux autres catégories ces règlements sont souvent une contrainte insupportable pour mener à bien leur mission. Bref, ils ne se comprennent pas et réalisent souvent mal qu’ils sont embarqués sur le même radeau.
Comment combler ce fossé ? Déjà, vers la fin des années 80 la secrétaire générale de l’université Paris VII s’exprimait, lors du premier congrès international sur l’université numérique (on n’employait pas encore ce terme mais c’était bien cette signification), organisé par le CSIESR à Poitiers, et s’interrogeait sur la contradiction entre une administration des universités qui était très hiérarchique et une informatique décentralisée.
Mais revenons à l’université numérique.
L’emploi massif de cours en ligne devrait permettre d’envisager d’autres formes d’enseignement et pourrait bouleverser l’université. J’emploie le conditionnel car cette révolution nous est promise depuis le début du millénaire et peu de choses ont changé, du moins en apparence.
Lorsqu’on examine la situation, presque trente ans après le congrès de Poitiers, on ne peut qu’être perplexe. Les systèmes de scolarité ne sont pas des systèmes d’informations étudiants. L’administration a à cœur qu’ils remplissent les obligations légales, les enseignants s’en désintéressent car ils ne les aident guère dans leur mission et les étudiants n’y trouvent guère autre chose que des obligations. Ces derniers ne les emploient que pour remplir les formalités d’inscription, obtenir des attestations et constater leur réussite aux examens dont ils sont déjà au courant directement grâce aux secrétariats de leurs enseignements. Le plus souvent les secrétariats pédagogiques et les enseignants travaillent avec des feuilles de calcul Excel, voire avec les plateformes d’enseignement pour gérer localement tous les aspects de la vie étudiante. Les outils de communication les plus plébiscités sont les sites Web des composantes si ce n’est Facebook et autre plateforme extérieure. On va même jusqu’à afficher les résultats d’examen publiquement, ce qui est strictement interdit par la loi car il s’agit d’informations personnelles. Les plateformes d’enseignement sont appréciées pour la mise à disposition de documents, leurs outils de communication et d’annonce vers les étudiants plus que pour leurs possibilités pédagogiques et ont peu ou pas de liens avec le système de scolarité.
Bref nous disposons de systèmes incomplets qui n’ont pas été pensé, le plus souvent, pour les utilisateurs finaux. Alors on se débrouille comme on peut : on s’organise localement avec les moyens du bord, variable selon l’endroit, d’une discipline à l’autre et selon le degré de culture numérique de l’institution et l’on est dans l’impossibilité de construire en temps réel des indicateurs de suivi pédagogique.
C’est l’un des grands intérêts des MOOC : ils bousculent tout le monde. Les étudiants sont obligés de devenir les acteurs de leur formation, les enseignants doivent complètement repenser leurs cours et l’administration doit révolutionner sa fonction d’accompagnement. Encore faut-il pour cela que les acteurs se sentent concernés et que l’état réfléchisse sérieusement aux contraintes qu’il impose, à la définition des diplômes nationaux et jusqu’aux règles qu’il impose à l’administration.