Je lisais, l’autre jour, l’interview de Michelle Weise dans Educpros qui digressait sur l’impact des MOOC sur le système universitaire aux Etats-Unis. Je m’interrogeais sur leur expérience et les différences qui existent entre leur système et le notre et, donc, sur les conclusions que nous pouvons en retirer.
J’ai longtemps vécu aux Etats-Unis, j’y ai travaillé et j’en suis revenu Européen et convaincu du fait qu’ils sont une autre culture et une civilisation différente. L’université, même publique, est conçue comme une entreprise. L’état contribue peu à son financement et sa participation a diminuée fortement ces vingt dernières années. Ce sont donc les clients, c’est à dire les étudiants (et j’emploie ce mot à dessein), qui ont vu les prix d’achat des produits (c’est à dire de l’enseignement) renchérir.
L’enseignement est donc un investissement et, comme tout bon investissement, doit être rentable. D’où la grande question : investir dans des études longues est-il rentable ?
Je doute qu’en France, et plus généralement en Europe, on se pose la question de l’intérêt de poursuivre des études supérieures de la même façon ! Certes, les droits d’inscription sont devenus assez élevés, voire très élevés dans certaines écoles d’ingénieurs et de commerce mais cela n’a rien à voir avec les Etats-Unis où ils dépassent 10 000$ par an dans les universités les plus modestes et où 30 000 $ par an n’est pas déraisonnable en première année des meilleures. D’ailleurs nombreux sont nos collègues de l’autre côté de l’Atlantique qui sont admiratifs de la façon dont nous en sortons avec aussi peu de ressources.
Laissons donc de coté les confortables campus que personne ne serait prêt à payer mais interrogeons nous néanmoins sur leur vision des MOOC pour diminuer le coût des études. Il ne faut pas se leurrer : ce que ne payent pas les étudiants, en France et en Europe, est payé par la nation. Outre les questions que l’on peut se poser sur les limites d’un système où la distribution de l’origine sociale des étudiants ne reflète que peu celle de ceux qui y contribuent, il est certain que l’Etat ne sera pas capable, dans les années à venir, de fournir tous les moyens dont les universités auraient besoin. Elles se doivent donc de rationaliser l’emploi de leur corps professoral. Ce n’est donc pas un gros mot que de se demander comment l’enseignement numérique pourrait permettre de faire mieux à moyens constants.
JC Pomerol, moi-même et Claire Thoury, dans le livre que nous avons écrit l’année dernière, avions estimé le coût moyen d’un MOOC de six semaines à 50 000 € pour la part du personnel. En appliquant un coefficient 2 pour tenir compte de tout le reste : hébergement, moyens de travail, etc, on arrive à 100 000 €. Pour une conférence récente, à Tunis, je me suis intéressé à comparer le coût de l’enseignement si on employait un MOOC ou un enseignement mixte (un SPOC) à la place d’un cours classique. Le diagramme (diapo 42) que j’ai pu établir montre qu’aux alentours de 400 étudiants un enseignement mixte, où l’on supprime le cours en amphithéâtre et où les étudiants rencontrent une semaine sur deux seulement leur enseignant, devient plus rentable. Il ne faut pas prendre cette valeur à la lettre parce que je ne sais pas évaluer le coût des infrastructures par étudiant : il faut évidemment moins de salles pour héberger les cours si on est moins souvent sur le campus. Le chiffre critique est donc un peu plus bas.
On peut néanmoins en déduire que, du point de vue économique, les universités pourraient faire mieux, à personnel et locaux constants, si elles disposaient des moyens pour investir dans les SPOC et plus généralement dans l’enseignement mixte, pour le premier cycle notamment. Cela est moins évident pour les masters où les effectifs ne sont pas suffisants.
Les irréductibles opposants à l’enseignement numérique argueront que je donne des arguments pour diminuer les personnels et réduire un recrutement déjà tarissant. Mais je veux voir la bouteille à moitié pleine et non à moitié vide : je prétends que, alors que l’université est submergée par des flots d’étudiants en licence, nous pourrions placer nos efforts autrement et déplacer des heures d’enseignement dans des échanges plus personnalisés qui nous permettraient de mieux les suivre. Mieux encore : il est prouvé aujourd’hui que les étudiants réussissent mieux avec un enseignement mixte. Tous les indicateurs semblent donc aller dans le même sens et un grand mouvement devrait donc s’engager.
Mais soyons réalistes : la première difficulté est que les universités, aujourd’hui, ont des capacités d’investissement ridicules et aucune n’est capable de fournir ni l’engagement financier ni les moyens humains pour répondre rapidement à un tel projet. En ce qui concerne les finances, seul l’Etat peut apporter les ressources nécessaires à cette transformation. En ce qui concerne les enseignants, seule une mutualisation peut permettre de créer les cours.
Cela est le plus facile ; la seconde difficulté est d’imaginer enseigner autrement en sachant, à la fois, conserver la diversité des approches dans les cours, et employer les mêmes MOOC (ou des SPOC, c’est la même chose du point de vue des contenus) dans toutes les universités. Les MOOC seront à l’enseignement de demain ce que sont les livres aujourd’hui et les cours s’y réfèreront de la même façon.
Le plus compliqué encore sera de convaincre la majorité des enseignants et les étudiants de la validité pédagogique de cette approche et de les persuader qu’il ne s’agit pas d’un enseignement au rabais : après tout la très riche EPFL y a recours abondamment. En ce qui concerne les enseignants, ils devront s’adapter à une approche très différente de la transmission du savoir, à trouver comment se placer par rapport à des séquences d’apprentissage hors de leur présence et à y retrouver leur individualité et la façon de transmettre leurs connaissances à des plus jeunes, valeurs fondamentales de tout enseignement qui n’ont pas de prix. En ce qui concerne les étudiants ils devront être convaincus eux aussi que cette approche est la meilleure pour eux ; il faudra améliorer les structures pour se socialiser et pouvoir travailler entre eux (bibliothèques, learning centers…). Ils devront également apprendre à devenir plus responsables de leurs études et travailler différemment, pas comme ils le font souvent (et nous l’avons fait avant eux) juste avant l’examen mais de façon continue et soutenue.
Quand aux responsables politiques, il faut qu’ils sachent que si, comme je l’ai écrit plus haut, l’enseignement mixte améliore les résultats des étudiants, il a jusqu’à présent montré que ceux qui réussissaient réussissaient mieux mais n’a pas fait varier sensiblement le taux de réussite. Pour ce dernier point la solution est dans une nouvelle approche de l’entrée à l’université et les technologies ne peuvent pas tout. Ce qu’elles apportent est déjà un énorme progrès.
Bravo pour ce billet dont je retiens 2 points que je trouve éclairants :
– votre calcul de coûts comparatifs entre le présentiel (avec amphi) et la formation massive en ligne
– l’idée que les établissements d’enseignement vont envoyer des étudiants dans des MOOC / SPOC extérieurs à leur propre production, où ils croiseront d’ailleurs des étudiants d’autres universités. Aujourd’hui il est normal qu’un enseignant donne une bibliographie en début de cours, cette bibliographie est payante ; dans quelques années, la participation à un MOOC / SPOC, avec certification payante des compétences, s’ajoutera-t-elle à ce type de guidage ?
Je n’ai pas dit sous quelle forme administrative les cours se dérouleront. On peut prendre l’exemple de l’université virtuelle de Bavière qui fournit des cours en ligne à toutes universités de Bavière, pour les domaines où elles n’ont pas de cours présentiels. Ceux-ci sont intégrés dans le cursus normal, les examens se passent classiquement dans leurs locaux et le prix est inclus dans les inscriptions à l’université. Les certificats ne sont donc pas nécessaires.
Bravo, bravo, très bon article, complet. Merci pour cette approche d’un grand pragmatisme. Un bon mariage entre nos deux continents.
Article intéressant. De par mon expérience avec SimTrade (MOOC de 2e génération en finance qui allie théorie et pratique), je pense qu’il est optimal de combiner présentiel et distanciel.
Il ne faut pas aussi oublier les coûts de maintenance. Selon le sujet abordé, la durée de vie d’un MOOC peut être courte. Il faut alors le réactualiser.
Dans mes évaluations je considère 20% de modification chaque fois et il est rejoué trois fois. Nous sommes donc d’accord.