Haut les cœurs ! It is a very slow tsunami

katsushika_hokusai_-_thirty-six_views_of_mount_fuji-_the_great_wave_off_the_coast_of_kanagawa_-_google_art_projectJ’ai emprunté la deuxième moitié du titre de cet article à Jonathan Tapson qui, dans son blog de Pandodaily du 13 septembre 2013, expliquait que les MOOC ne disparaissaient pas mais avançaient très lentement sur la courbe bien connue du cycle du Gartner et étaient encore loin d’atteindre son sommet. J’ai déjà expliqué en quoi je pensais que les MOOC n’obéissaient pas à cette courbe parce qu’ils étaient avant tout de la pédagogie employant des technologies éprouvées mais je voudrais répondre aux impatients et déçus qui n’ont pas vu venir le grand jour.

En bref la vague n’est pas arrivée mais je suis convaincu qu’elle grossit : elle avance très lentement. Ce pourrait être ma réponse à mon camarade, Mathieu Cisel, qui, le 22 avril dernier, dans son blog de ce même Educpros, semblait bien désillusionné. La réalité me semble plus complexe.

La pédagogie, la façon d’enseigner et d’apprendre sont le reflet de comportements fondamentaux de l’homme qui est un animal social. Sommes nous vraiment si loin de Platon et du lycée athénien d’il y a 25 siècles ? La vraie nouveauté, mise en avant par les MOOC, est d’apprendre et d’enseigner à distance, certes avec une certaine interactivité mais sans se trouver en présence, sans se voir ni échanger par le regard. Vous me répondrez que cela est déjà le cas dans l’amphithéâtre. Je m’inscris en faux : certes on ne voit pas tout le monde mais j’ai toujours fait mes cours en suivant du regard un certain nombre d’étudiants en face de moi, en lisant dans leurs yeux et leur expression leur approbation, leur compréhension et éventuellement leur ennui et je cadençais mon cours au travers de ses échanges. La meilleure preuve en est que lorsque, à l’occasion d’une mission, je me faisais remplacer par une vidéo, j’enregistrais en une heure l’équivalent d’une heure ½ de cours : l’échange avait disparu et le rythme de mon discours s’en trouvait bouleversé.

L’enseignement, l’apprentissage à distance sont donc une révolution et les MOOC lui ont donné une impulsion forte. Plus personne n’ose douter de la nécessité de cette nouvelle forme pour apprendre et j’ai vu un revirement total de ses opposants les plus acharnés. Ils n’en sont pas aux MOOC mais sont déjà arrivés aux SPOC. La vague avance.

Les façons d’enseigner et d’apprendre ne sont pas non plus indépendantes de l’état de la société. D’une certaine manière, en bien comme en mal elles en sont le reflet. La notion de contrat d’apprentissage qu’évoque Mathieu n’était pas nécessaire lorsque l’enseignement universitaire était réservé à une élite sociale. Le contrat allait de soi. D’ailleurs cela est encore le cas pour les grandes écoles : le contrat est implicite : tu vas en baver pendant deux ou trois ans mais, à l’issue, si tu as respecté ce contrat, tu accéderas au paradis. Ta voie sera toute tracée en une carrière honorable, honorée dans la crème de la nation. Et je n’évoque même pas l’élite de l’élite, Polytechnique, Normale ou l’ENA !

L’enseignement est devenu un enseignement de masse qui prétend s’adresser à toutes les classes de la société. Et là le contrat n’est plus évident : en France, on a dévalorisé l’université en en faisant, pour la plupart des étudiants, le choix par défaut, celui de jeunes qui rêvaient d’autre chose même si cela n’était pas dans leurs capacités. Nous avons introduit à l’UPMC un suivi individualisé et j’ai ainsi, pendant plusieurs années, échangé avec de petits groupes d’étudiants, jamais plus de 16, soit individuellement soit collectivement. Et cela me faisait mal de voir, dans leurs propos hésitants, leur désillusion alors qu’ils avaient à peine vingt ans. Que voulaient-ils faire ? Quels étaient les domaines qui les intéressaient et quel était le métier de leur choix ? Les réponses étaient souvent balbutiantes, irréalistes compte-tenu de leurs acquis : l’un rêvait d’astronomie mais avait horreur des maths et s’était lancé dans ces études malgré des avis contraires, tel autre considérait son arrivée en faculté des sciences comme un purgatoire, après deux ans en faculté de médecine, et l’intention très ferme d’y retourner l’année suivante en dépit de deux échecs extrêmement cuisants. Je n’ai pas dit que j’approuvais les formes de sélection en PACES mais cette réponse était complètement irréaliste dans le contexte d’aujourd’hui. C’est pourquoi je pense que la notion de contrat doit être aujourd’hui très encadrée pour cette masse d’étudiants qui sont, dès leur arrivée dans l’enseignement supérieur, très indéterminés et ne peuvent pas construire seuls leur chemin. C’est aussi une raison essentielle pour que la notion de diplôme reste fondamentale, par rapport à celle de certification apparue avec les MOOC. J’ai déjà dit, et j’insiste sur e point, qu’une accumulation de connaissances disparates ne constitue pas le socle sur lequel construire sa vie professionnelle.

Alors quelle réponse aux problèmes apparus avec l’enseignement de masse. Je n’ai ni la compétence ni la place pour développer tout ce qu’il serait urgent de faire mais les SPOC en sont un élément intéressant : bien encadrés lors des sessions en face à face en petits groupes, responsables de l’acquisition de leurs connaissances puisque le contrat (tiens donc) est qu’il faut avoir travaillé auparavant, alors il a quelques chances de faire avancer certains étudiants. Ce n’est pas la panacée : je rappelle que les premiers résultats de l’enseignement mixte montrent que les étudiants qui réussissent réussissent mieux mais que le taux d’échec change peu.

Alors, puisqu’on parle de contrat et de responsabilité, évoquons le suivi des étudiants et l’analyse des données d’enseignement, les learning analytics. Le numérique permet aujourd’hui de suivre l’activité d’un étudiant en temps réel : se rend-il à la bibliothèque ? Quelle est son assiduité ? Consulte-t-il les documents en ligne … ? Cela va bien au-delà des statistiques d’une plateforme d’enseignement. Dans le suivi d’étudiants que j’évoquais plus haut, j’étais très handicapé : j’avais ou je n’avais pas leurs notes de devoirs mais au-delà rien ! Avec ces nouveaux éléments, je suis convaincu que j’aurais pu engager le dialogue de façon différente et que j’aurais pu aider certains à se relever. Si de plus, certains cours se déroulaient en enseignement mixte, alors ma panoplie d’indicateurs aurait été encore plus riche.

Cette idée, dont je crois qu’elle est un outil fondamental pour accompagner et orienter les étudiants, nous la devons au numérique.

Et les MOOC dans tout cela ? J’ai essentiellement évoqué les SPOC et l’enseignement mixte. Et bien employons les pour ce qui manifestement marche bien : solution pour un enseignement de masse dans les pays qui n’ont pas la chance de disposer, comme nous, de tout un réseau d’établissements d’enseignement supérieur, formation tout au long de la vie puisque la majorité des participants semble avoir ce profil, diffusion des connaissances à tous les citoyens intéressés, de la philosophie qui fût un grand succès de FUN à la pèche à la ligne ou le bricolage, qui restent encore à faire. Il y a place pour des MOOC dans tous les domaines d’activité.

J’ai déjà dit ma conviction que l’introduction massive d’un enseignement mixte ne pourrait se faire qu’avec une mutualisation des cours en ligne. Que fait d’autre une plateforme de MOOC  puisque le même cours peut être joué des deux façons, SPOC ou MOOC. Si les universités ne parviennent pas à le faire à travers une plateforme publique comme FUN , alors d’autres le feront. Un signal vient d’être donné en France avec OpenClassrooms, dont je salue les créateurs, pour la formation des demandeurs d’emploi. Aux Etats-Unis Arizona State University, l’un des plus grands ensembles d’enseignement supérieur de ce pays, vient de passer un accord avec edX, des plus intéressants : les étudiants qui suivent un choix précis de MOOC peuvent obtenir des crédits, recouvrant la première année d’université, dans des conditions financières très intéressantes. Là n’est pas la nouveauté mais dans le fait qu’ils n’ont à prendre la décision, donc à payer, qu’au terme de leur parcours lorsqu’ils ont réussi. Ce n’est pas la solution à nos problèmes en France mais si cela n’est pas un contrat, cela y ressemble fort.

Alors, pas de révolution avec les MOOC ? Le grand jour n’est effectivement pas arrivé et cela n’est même probablement pas souhaitable. Je préfère une transformation lente mais continue plutôt qu’un déferlement qui pourrait tout emporter, le meilleur comme le pire. Mais la vague est là, qui monte, qui monte.

Alors Mathieu, courage. Le combat n’est pas vain, les pionniers seront oubliés mais cela en vaut la peine. Les MOOC sont en marche.

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