Monthly Archives: septembre 2015

La charrue et les boeufs

imagesLes missions essentielles de l’université sont l’enseignement et la recherche. Pour fonctionner cela nécessite une administration au service de ces ambitions. Les systèmes d’information mis en œuvre viennent donc en appui à ces trois fonctions.

J’affirme qu’ils sont dépassés, en ce sens qu’ils ne sont pas pensés comme l’université fonctionne mais comme leurs concepteurs imaginent qu’elle devrait fonctionner. D’où une insatisfaction chronique des usagers qui les voient comme une contrainte et pas comme des outils qui les aident dans leur mission.

Commençons par la recherche où la situation est particulièrement complexe parce qu’elle est multicéphale. Son organisation, en France, dépend de plusieurs organismes indépendants, le CNRS, l’INSERM et l’université principalement, qui ont chacun leur propre système d’information. Depuis quelques années des efforts sont entrepris pour les rapprocher mais cela n’est pas simple compte-tenu du passé, du fait de choix technologiques non coordonnés, mais aussi parce que ces institutions sont organisées différemment, nationale pour le CNRS aves des délégations régionales, interne et indépendante pour chaque université. De grands progrès ont été faits, ces dernières années, pour mettre de la cohérence mais ce n’est pas évident. Les gestionnaires des laboratoires passent leur temps à jongler avec eux.

On pourrait penser que l’enseignement est plus cohérent car il est organisé localement et pourtant ce n’est pas vrai.

Prenons l’exemple flagrant des ENT (les Environnements Numériques de Travail, dans le jargon des universités sont des portails à identification proposant des services personnalisés). La scolarité devrait pouvoir fournir toutes les informations nécessaires à la construction du profil des étudiants pour pouvoir leur ouvrir des services personnalisés. En 2004, dans mon université, nous avions même engagé un ingénieur dans ce but et il nous proposa une structure capable de décrire toutes les activités, de l’inscription à une UE jusqu’au groupe de TP. Pourtant le projet n’a pas abouti car nous n’avions pas réalisé que le système de scolarité ne possédait qu’une partie de cette information et qu’elle ne reflétait pas, en temps réel, la réalité du vécu des classes. La raison en était simple, mais nous ne l’avions pas comprise : le système de l’administration était conçu pour gérer les inscriptions administratives et les diplômes, pas pour organiser un suivi pédagogique au jour le jour des étudiants. Le suivi, c’est à dire les aspects pédagogiques étaient, et sont toujours, à la charge des services d’enseignement qui s’organisent selon les lieux de façon fort différente, souvent à la débrouille. L’administration centrale les ignore parce que ce n’est pas de son ressort et ils ignorent l’administration centrale parce que le système n’a pas été conçu avec eux et pour eux.

Il faut reconnaître que le système d’information étudiant (SIE) est probablement le service le plus complexe à mettre en œuvre, infiniment plus qu’un service financier ou de ressources humaines. Tout DSI, affronté à ce problème en Europe ou aux Etats-Unis vous le confirmera. Deux universités françaises ont tenté d’adapter des systèmes américains à leur usage. Elles s’y sont cassées le nez parce que ceux-ci n’étaient pas adaptés à notre approche de l’enseignement et notre organisation et qu’il était au-dessus de leurs forces et de leurs moyens financiers de les transformer. L’AMUE y travaille depuis plusieurs années mais je doute que la solution soit disponible rapidement, vu les difficultés à résoudre pour gérer la complexité, variable avec les disciplines et la taille des universités. . On a renouvelé les systèmes financier et bientôt de ressources humaines mais on n’a pas mis la priorité maximale sur le système d’information étudiant qui est pourtant la clé pour mettre en place une véritable approche numérique de l’enseignement à l’université. Une mauvaise analyse des besoins d’un enseignement numérique moderne a fait croire qu’on pouvait proroger les vieux systèmes de scolarité. Sans un système moderne, pas de learning analytics valables, clé de la lutte contre l’échec, et un bricolage à tous les étages pour mettre en place les outils numériques pour l’enseignement.

Mais il y a plus grave encore. Comment justifier que les nouveaux systèmes soient tous conçus comme des entités indépendantes et pas centrés sur leurs usagers ?

Dans la plupart des cas ces services sont simplement greffés sur les ENT, c’est à dire qu’on y accède par quelques clics supplémentaires, sans que cela apporte la moindre information supplémentaire. Cela peut servir quelquefois aux nouveaux arrivants pour trouver leurs adresses mais bien vite on mémorise dans son navigateur les liens les plus utiles. L’ENT ne sert alors plus à rien. Quelques services vont un peu plus loin en remontant des messages d’alerte dans l’ENT mais ils sont souvent dispersés dans ses différentes pages et cette facilité ne suffit pas à engager la plupart des personnes à les employer. Ils voient dans ce dispositif une superstructure technico-administrative de peu d’intérêt.

Les choses auraient été différentes si les ENT avaient été le point d’entrée unique de tous ces services et si ceux-ci avaient été conçus pour remonter les alertes les plus importantes dans une page unique. Pourquoi cela ne s’est-il pas fait alors que les ENT existent depuis 2004 et que la plupart des universités se sont ralliées à une même solution ESUP-uPortal ? Parce que les décideurs ne se sont jamais souciés vraiment des usagers ordinaires. Résultat : la plupart des personnes ont voté avec leurs doigts en utilisant ces services à minimum, voire en les ignorant.

Aujourd’hui les portails captifs sont dépassés et ce désintérêt des décideurs devient encore plus catastrophique. Nous sommes à l’heure des réseaux sociaux et on prétend mettre l’usager au cœur du dispositif.

Qu’on soit étudiant, personnel d’appui ou enseignant-chercheur, avec qui échange-t-on le plus souvent, auprès de qui va-t-on chercher des informations et discuter de ses préoccupations professionnelles ? D’abord dans un cercle personnel qui n’est pas exactement l’organisation de l’institution : collègues des bureaux voisins, amis, cercle qu’on se construit personnellement. Ce n’est rien d’autre que « l’Espace Numérique Personnel » décrit à la page 99 du rapport de la StraNES. Le premier service que doit apporter le système d’information de l’institution est de faciliter cette construction.

Les autres services, obligatoires, comme l’accès au service financier pour ceux qui en ont le droit, à leurs cours dans la plateforme d’enseignement pour les étudiants… doivent se placer en périphérie de cet espace. Le rôle du SI est d’inscrire automatiquement les usagers dans les espaces auxquels ils doivent appartenir et de leur en proposer d’autres de façon optionnelle. Les points d’accès aux différents services administratifs, d’enseignement et de recherche doivent être pensé comme les pages d’information d’autres espaces liés au premier, de façon analogue aux pages des groupes dans LinkedIn ou Facebook. Libre aux usagers de se construire des espaces supplémentaires selon leur gout et leurs activités.

Pour pouvoir réaliser cette construction, encore aurait-il fallu penser différemment les interfaces des systèmes nouveaux ou, du moins, prévoir le principe de ces interfaces. Si cela avait été fait pour les ENT la plus grande partie des difficultés aurait disparue. On a hélas, encore une fois, mis la charrue avant les bœufs en ne réfléchissant pas à la cohérence du SI du point de vue des usagers!

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L’éducation a un coût !

imagesL’enseignement a un coût qui est complètement masqué dans le système universitaire français. Seules les écoles privées et, dans une certaine mesure, les écoles d’ingénieur le font apparaître. Mais ce n’est pas parce qu’il n’est pas affiché qu’il n’existe pas et les universités sont durement touchées, elles qui doivent accueillir tous les étudiants, avec un budget contraint qui rend difficile toute innovation. Ce n’est pas nouveau : au début des années 2000, lorsque je négociais des licences pour des outils numériques (vidéo, plateforme d’enseignement, …) avec des compagnies américaines nous avions le plus grand mal à nous entendre car mes interlocuteurs raisonnaient en coût par étudiant à temps plein, c’est à dire en fonction de droits d’inscription qui couvrent le coût réel des études, selon la matière et la durée du module. Leurs représentants croyaient que nous pouvions décider du niveau des droits en fonction des services offerts pour pouvoir offrir des services innovants. Effectivement 2$ par étudiant, pour une plateforme d’enseignement, n’était pas délirant mais certainement pas dans mon budget. Je devais leur expliquer qu’en France les moyens disponibles variaient peu en fonction du nombre d’étudiants et ne se modulaient pas !

C’est ainsi que les droits d’inscription ont augmenté de façon vertigineuse aux Etats-Unis, chaque université, et particulièrement les plus connues, voulant offrir le meilleur à ses étudiants. Coincées dans cette logique elles recherchent aujourd’hui des solutions pour maitriser leurs coûts et l’enseignement à distance, dont les MOOC, sont un élément de la solution puisque cela permet, dans certains cas et notamment pour la première année de collège, de réduire non seulement les coûts d’enseignement mais également ceux d’infrastructure puisque de nouvelles catégories d’étudiants ne sont plus sur le campus. Deux exemples significatifs sont ceux de la première année de collège de ASU (Arizona State University, le consortium des universités publiques de cet Etat) et du iMBA d’Urbana Champaign University qui se déroulent entièrement à distance avec des MOOC conçus par eux et distribués par Coursera.

L’innovation n’est pas, selon moi, dans le principe d’un cours à distance, mais dans l’emploi d’un MOOC gratuit ouvert à tous. Les étudiants doivent obtenir leur certification pour un ensemble précis de cours selon les règles payantes définies par Coursera (verified certificate, specializations…). L’innovation est qu’ils peuvent alors transformer leurs acquis en un vrai diplôme universitaire en soumettant leurs résultats à ces universités et en leur payant une inscription à prix réduit, moins de 6000 $ pour une première année à ASU, 20 000 $ pour Urbana. Ces sommes peuvent sembler astronomiques à des Français mais on est loin de celles déboursées aujourd’hui dans une bonne université américaine, 10 000 $ à 20 000 $ pour le collège, 60 000 $ pour un MBA, sans compter les frais pour vivre sur le campus qui n’existent pas lorsqu’on travaille à distance.

Ces universités ont établi le niveau de leurs droits d’inscription en estimant le nombre de nouveaux étudiants nécessaire pour couvrir le coût de développement de leurs cours. Elles visent, bien évidemment le monde entier, l’Afrique et l’Asie en particulier. La grande astuce est que les étudiants ne courent aucun risque financier puisqu’ils ne paient qu’en cas de succès.

Il n’est pas certain cependant que ce modèle suffise à régler les difficultés de l’Enseignement Supérieur américain. Rappelons qu’Hillary Clinton, candidate à la Présidence, annonce un programme de 350 Milliards de $ pour rendre accessible le collège à tous !

OpenClassrooms, en France, a imaginé un modèle un peu similaire : pour le coût modique d’une inscription Premium, il est possible de s’inscrire à un diplôme reconnu par l’Etat. Si on ne va pas au bout, la perte financière est faible car il est toujours possible d’annuler son inscription.

Oublions le cas des Etats-Unis et retenons seulement la possibilité de payer une inscription à un coût raisonnable (selon le pays) uniquement si l’on va jusqu’au bout de ses études. C’est là une réponse intelligente au reproche fait aux MOOC du faible taux de réussite, entre 6% et 15% dans la majorité d’entre eux. Très bientôt un certain nombre d’acteurs vont être capables d’offrir de vrais diplômes à des coûts intéressants, sans risque financier pour ceux qui les suivront.

Ces nouvelles possibilités d’étudier ne devraient pas venir en concurrence avec les enseignements sur les campus pour les primo-apprenants. Je reste convaincu que la possibilité de rencontrer ses pairs et les professeurs en face à face restera privilégiée chaque fois que cela sera possible à un coût raisonnable. Certaines écoles payantes ont cependant du souci à se faire : les étudiants et leurs familles vont peser le rapport coût-enseignement en fonction de la réputation de l’institution. Que vaudra un eMBA d’une bonne université américaine, entrepris depuis la France, avec l’ajoût éventuel de petits cours locaux payants, comme cela se fait pour la PACES (première année de médecine) ?

La formation continue sera plus sûrement bouleversée par ce modèle : « Obtenez un vrai diplôme reconnu par l’Etat et ne payez que si vous réussissez ! » est certain un slogan très attractif.

Nos universités pourraient être tentées d’y trouver une solution pour accueillir leurs étudiants lorsque leurs effectifs dépassent leurs capacités mais pour cela il serait nécessaire qu’elles soient capables de se fédérer pour assumer les coûts de développement des cours. Je les mets cependant en garde car, en France, l’enseignement supérieur est un droit et le coût réel des études ignoré. Il est intéressant, à ce propos, de voir les critiques et la déception des étudiants au Sénégal, admis à l’université, mais qui ne disposent en réalité que d’un accès à distance. Certes leurs conditions de travail sont bien moins bonnes que celles dont disposeraient des étudiants en France, du fait du faible niveau des infrastructures, mais je retiens leur reproche d’un enseignement anonyme dépersonnalisé.

Si nous voulons garder le principe d’un enseignement supérieur de qualité gratuit, élément essentiel de notre conception républicaine, les universités n’ont pas d’autre choix que d’adapter leurs enseignements à leurs capacités. Cela signifie que l’Etat devra fortement augmenter leur dotation, ce qui me semble irréaliste, soit il faudra leur permettre de ne retenir que les étudiants motivés qui ont les prérequis pour suivre leur cursus. Imaginer augmenter les capacités d’accueil n’est qu’une illusion dans notre modèle. Cela peut fonctionner, peut-être, dans le modèle de la société américaine où l’université est une entreprise, mais pas dans le notre. Copier ce modèle ne serait que mettre une emplâtre sur nos difficultés.

 

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