Les missions essentielles de l’université sont l’enseignement et la recherche. Pour fonctionner cela nécessite une administration au service de ces ambitions. Les systèmes d’information mis en œuvre viennent donc en appui à ces trois fonctions.
J’affirme qu’ils sont dépassés, en ce sens qu’ils ne sont pas pensés comme l’université fonctionne mais comme leurs concepteurs imaginent qu’elle devrait fonctionner. D’où une insatisfaction chronique des usagers qui les voient comme une contrainte et pas comme des outils qui les aident dans leur mission.
Commençons par la recherche où la situation est particulièrement complexe parce qu’elle est multicéphale. Son organisation, en France, dépend de plusieurs organismes indépendants, le CNRS, l’INSERM et l’université principalement, qui ont chacun leur propre système d’information. Depuis quelques années des efforts sont entrepris pour les rapprocher mais cela n’est pas simple compte-tenu du passé, du fait de choix technologiques non coordonnés, mais aussi parce que ces institutions sont organisées différemment, nationale pour le CNRS aves des délégations régionales, interne et indépendante pour chaque université. De grands progrès ont été faits, ces dernières années, pour mettre de la cohérence mais ce n’est pas évident. Les gestionnaires des laboratoires passent leur temps à jongler avec eux.
On pourrait penser que l’enseignement est plus cohérent car il est organisé localement et pourtant ce n’est pas vrai.
Prenons l’exemple flagrant des ENT (les Environnements Numériques de Travail, dans le jargon des universités sont des portails à identification proposant des services personnalisés). La scolarité devrait pouvoir fournir toutes les informations nécessaires à la construction du profil des étudiants pour pouvoir leur ouvrir des services personnalisés. En 2004, dans mon université, nous avions même engagé un ingénieur dans ce but et il nous proposa une structure capable de décrire toutes les activités, de l’inscription à une UE jusqu’au groupe de TP. Pourtant le projet n’a pas abouti car nous n’avions pas réalisé que le système de scolarité ne possédait qu’une partie de cette information et qu’elle ne reflétait pas, en temps réel, la réalité du vécu des classes. La raison en était simple, mais nous ne l’avions pas comprise : le système de l’administration était conçu pour gérer les inscriptions administratives et les diplômes, pas pour organiser un suivi pédagogique au jour le jour des étudiants. Le suivi, c’est à dire les aspects pédagogiques étaient, et sont toujours, à la charge des services d’enseignement qui s’organisent selon les lieux de façon fort différente, souvent à la débrouille. L’administration centrale les ignore parce que ce n’est pas de son ressort et ils ignorent l’administration centrale parce que le système n’a pas été conçu avec eux et pour eux.
Il faut reconnaître que le système d’information étudiant (SIE) est probablement le service le plus complexe à mettre en œuvre, infiniment plus qu’un service financier ou de ressources humaines. Tout DSI, affronté à ce problème en Europe ou aux Etats-Unis vous le confirmera. Deux universités françaises ont tenté d’adapter des systèmes américains à leur usage. Elles s’y sont cassées le nez parce que ceux-ci n’étaient pas adaptés à notre approche de l’enseignement et notre organisation et qu’il était au-dessus de leurs forces et de leurs moyens financiers de les transformer. L’AMUE y travaille depuis plusieurs années mais je doute que la solution soit disponible rapidement, vu les difficultés à résoudre pour gérer la complexité, variable avec les disciplines et la taille des universités. . On a renouvelé les systèmes financier et bientôt de ressources humaines mais on n’a pas mis la priorité maximale sur le système d’information étudiant qui est pourtant la clé pour mettre en place une véritable approche numérique de l’enseignement à l’université. Une mauvaise analyse des besoins d’un enseignement numérique moderne a fait croire qu’on pouvait proroger les vieux systèmes de scolarité. Sans un système moderne, pas de learning analytics valables, clé de la lutte contre l’échec, et un bricolage à tous les étages pour mettre en place les outils numériques pour l’enseignement.
Mais il y a plus grave encore. Comment justifier que les nouveaux systèmes soient tous conçus comme des entités indépendantes et pas centrés sur leurs usagers ?
Dans la plupart des cas ces services sont simplement greffés sur les ENT, c’est à dire qu’on y accède par quelques clics supplémentaires, sans que cela apporte la moindre information supplémentaire. Cela peut servir quelquefois aux nouveaux arrivants pour trouver leurs adresses mais bien vite on mémorise dans son navigateur les liens les plus utiles. L’ENT ne sert alors plus à rien. Quelques services vont un peu plus loin en remontant des messages d’alerte dans l’ENT mais ils sont souvent dispersés dans ses différentes pages et cette facilité ne suffit pas à engager la plupart des personnes à les employer. Ils voient dans ce dispositif une superstructure technico-administrative de peu d’intérêt.
Les choses auraient été différentes si les ENT avaient été le point d’entrée unique de tous ces services et si ceux-ci avaient été conçus pour remonter les alertes les plus importantes dans une page unique. Pourquoi cela ne s’est-il pas fait alors que les ENT existent depuis 2004 et que la plupart des universités se sont ralliées à une même solution ESUP-uPortal ? Parce que les décideurs ne se sont jamais souciés vraiment des usagers ordinaires. Résultat : la plupart des personnes ont voté avec leurs doigts en utilisant ces services à minimum, voire en les ignorant.
Aujourd’hui les portails captifs sont dépassés et ce désintérêt des décideurs devient encore plus catastrophique. Nous sommes à l’heure des réseaux sociaux et on prétend mettre l’usager au cœur du dispositif.
Qu’on soit étudiant, personnel d’appui ou enseignant-chercheur, avec qui échange-t-on le plus souvent, auprès de qui va-t-on chercher des informations et discuter de ses préoccupations professionnelles ? D’abord dans un cercle personnel qui n’est pas exactement l’organisation de l’institution : collègues des bureaux voisins, amis, cercle qu’on se construit personnellement. Ce n’est rien d’autre que « l’Espace Numérique Personnel » décrit à la page 99 du rapport de la StraNES. Le premier service que doit apporter le système d’information de l’institution est de faciliter cette construction.
Les autres services, obligatoires, comme l’accès au service financier pour ceux qui en ont le droit, à leurs cours dans la plateforme d’enseignement pour les étudiants… doivent se placer en périphérie de cet espace. Le rôle du SI est d’inscrire automatiquement les usagers dans les espaces auxquels ils doivent appartenir et de leur en proposer d’autres de façon optionnelle. Les points d’accès aux différents services administratifs, d’enseignement et de recherche doivent être pensé comme les pages d’information d’autres espaces liés au premier, de façon analogue aux pages des groupes dans LinkedIn ou Facebook. Libre aux usagers de se construire des espaces supplémentaires selon leur gout et leurs activités.
Pour pouvoir réaliser cette construction, encore aurait-il fallu penser différemment les interfaces des systèmes nouveaux ou, du moins, prévoir le principe de ces interfaces. Si cela avait été fait pour les ENT la plus grande partie des difficultés aurait disparue. On a hélas, encore une fois, mis la charrue avant les bœufs en ne réfléchissant pas à la cohérence du SI du point de vue des usagers!