Du bruit dans le Landernau

imagesUne étude récente de France Stratégie fait grand bruit dans le Landernau des MOOC. Si vous n’avez pas le temps ou le désir de le lire en détails ce même organisme y consacre une page fort bien faite. Plusieurs analyses intéressantes sont déjà parues dont celles de Educpros et de ma collègue Divina Frau-Meigs dans la Conversation.

A mon tour, si vous le voulez bien, de donner mon sentiment. Il serait trop long de répondre à tous les points dans un blog. Je me limiterai donc à l’essentiel. J’ai participé au mouvement des MOOC depuis le début, dès 2012 en Europe et aux Etats-Unis en participant aux congrès annuels Educause (le plus grand congrès consacré à l’université numérique), en dialoguant avec les responsables des plateformes les plus importantes (Coursera, EdX et Futurelearn) dans le cadre de mes responsabilités ainsi qu’à la création de FUN et en tant qu’acteur de la mise en place de quelques MOOC.

Pour commencer je trouve les auteurs un peu rudes avec FUN dans la comparaison des plateformes et des cours. Le nombre d’inscrits n’est pas celui que je connais. Il me semble avoir un an de retard et être, fin 2015, de l’ordre du double. D’autre part la comparaison des plateformes me semble biaisée par le fait de la spécificité de FUN : accueillir des MOOC en français. L’EPFL à Lausanne, qui est l’institution Européenne la plus avancée en ce domaine, a fait l’expérience de MOOC en français et en anglais. Le ratio du nombre d’inscrits était de l’ordre de10. Sans même prendre ce résultat au pied de la lettre, FUN n’est donc absolument pas ridicule lorsqu’on le compare à Futurelearn qui ne diffuse que des MOOC en anglais et s’adresse à tout le Commonwealth, en Asie et en Australie. Une autre comparaison peut être faite avec MiriadaX, en Espagne, dont le champ de diffusion est toute l’Amérique du Sud. L’état de développement de nombreux pays francophones n’ouvre pas un champ de recrutement équivalent, pour FUN, sauf dans le Maghreb.

Les établissements français les plus prestigieux n’ont pas fait beaucoup d’efforts envers FUN. C’est hélas vrai et le contre exemple de l’UPMC est malheureusement faux. L’UPMC s’est lourdement engagée, dans le cadre de Sorbonne-Universités, envers EdX et le MOOC qui est paru sur FUN fût une exception. L’UPMC et Sorbonne-Universités ne sont pas membres du GIP qui gère FUN aujourd’hui. Je le regrette profondément. Pour la plupart de nos institutions « les plus prestigieuses » les MOOC sont un vecteur de communication au niveau international. A dire vrai la situation n’est guère différente en Grande-Bretagne. Les universités « les plus prestigieuses » ne se sont guère impliquées dans Futurelearn non plus et s’intéressent plus aux grands diffuseurs américains.

FUN ne se développe donc pas si mal.

Les auteurs souhaitent une initiative Européenne ? Désolé mais cela est mort depuis … 2012 ! Je le réclamais également à cet époque dans les réunions auxquelles je participais à Bruxelles mais il était déjà clair qu’aucun décideur ne le voulait et seul un portail, OpenUpEd, a émergé. Il aurait fallu que nos dirigeants, au plus haut niveau politique, s’y impliquent. Et encore ! Je suis convaincu que cela n’aurait pas réussi. Les Britanniques, poussés par l’Open University, l’auraient certainement refusé, conscients de la portée politique de leur entreprise. Il en est de même en Espagne avec MiriadaX. Les seules initiatives qui ont été financées en Europe sont de petits groupements d’universités, d’abord conçues pour créer des MOOC en commun ou construire des portails d’affichage mais leur dimension n’a rien à voir avec une initiative nationale ou Européenne.

Les auteurs du rapport notent avec justesse que le modèle économique FUN est particulier, en ce sens qu’il est construit uniquement avec de l’argent public et qu’il faudrait le diversifier pour pérenniser la plateforme. J’en suis d’accord car les MOOC coûtent cher et il faut trouver des partenaires qui ne dévoient pas le projet, c’est à dire une plateforme où puissent se retrouver toutes les formes de MOOC et pas seulement les « utiles », c’est à dire ceux destinés à des formations immédiatement professionnalisantes. D’autres, comme OpenClassrooms le font très bien. Il est important que les MOOC de culture générale et les MOOC sur les fondamentaux, sans application professionnelle immédiate, trouvent leur place. FUN, OpenClassrooms et toutes les autres initiatives privées se complètent bien. Où sont les investisseurs privés prêts à parier sur le long terme comme c’est le cas pour Coursera, Futurelearn et MiriadaX. Et quand au modèle EdX, construit avec les fonds de quelques unes des universités les plus riches du monde, il est tout simplement impossible.

Ceci étant dit, trouver un business model pour une plateforme de MOOC n’est pas une évidence. Aucune n’en a encore fait la preuve même avec les certifications. J’y reviendrai plus loin. Futurelearn a un gros déficit, Coursera est de moins en moins Open et, pour mémoire, l’un des pères fondateurs, Sebastian Thrun avec Udacity, a conclu qu’il n’y avait pas de business à faire avec les universités (« University is a lousy business ») et s’est tourné vers la formation permanente. La certification n’a pas encore prouvé qu’elle pouvait générer suffisamment de revenus, même dans le modèle financier des universités américaines, fort éloigné du notre. Pour ceux qui seraient intéressés j’ai écrit récemment, pour un livre, un chapitre sur les modèles financiers des MOOC dont je mets une copie en ligne. Il est en anglais.

L’axe 2 du rapport met en avant la certification comme méthode d’enseignement mixte. Cette section comporte quelques imprécisions. Ni Coursera ni EdX ne développent d’enseignement mixte. Ce sont des universités qui le font, en s’appuyant sur ces diffuseurs, et ceci pour une raison qui n’a pas le moindre sens en France : diminuer le coût des études parce que ce point est le problème politique et économique le plus explosif aux Etats-Unis. C’est l’une des principales raisons du succès de Bernie Sanders dans les primaires parce que la dette totale des étudiants atteint 1 200 000 000 000 $. Comptez bien le nombre de zéros ! Quand à la délivrance, en Europe, d’ECTS par Iversity (pourquoi ne pas citer Centrale Lille avec le MOOC GdP ?), ces ECTS sont, dans l’immédiat, de la monnaie de singe ou presque parce qu’il n’existe aucun mécanisme, à l’échelle Européenne, pour qu’un étudiant puisse intégrer ces ECTS dans son cursus. Ce sont les universités qui décident au cas par cas et il n’existe encore aucun accord global entre institutions.

Remédier à la faiblesse du taux de réussite demanderait d’abord de savoir pourquoi les apprenants ne finissent pas et il n’existe encore, à ma connaissance, aucune étude qui ait interrogé … ceux qui ne finissent pas. Leurs raisons sont certainement très diverses et probablement recoupent celles des étudiants qui abandonnent dans l’enseignement à distance. Personnaliser l’enseignement aiderait certainement. Cela s’appelle alors des SPOC car il est difficile de suivre une grande masse d’étudiants gratuitement. Le meilleur exemple est encore une fois un exemple proche de nous : OpenClassrooms a introduit une certification mais cela à un coût, de 90 € à 300 € par mois selon la personnalisation du suivi. Où trouver le financement, surtout lorsqu’on peut s’inscrire à l’université pour moins de 300 € par an ?

L’axe 3 me semble en dehors de la problématique des MOOC: l’adaptive learning ne relève pas des MOOC mais, comme la classe inversée, d’un enseignement mixte. Le big data et plus précisément les learning analytics sont aussi pensé dans le cadre de la transformation de l’université. Pour faire le point sur toutes les méthodes intéressantes qui sont citées, voyez le rapport de la délégation française à Educause 2015, le plus grand congrès sur l’université numérique, aux Etats Unis. Adaptive learning et Learning analytics sont encore plus un sujet de recherche qu’une méthode de travail généralisable.

Quand à l’axe 4, je pense l’avoir déjà commenté dans le début de ce blog.

La conclusion de ce rapport est très vraie. Les MOOC permettent enfin au numérique d’entrer dans l’Enseignement par la grande porte. Les pionniers ne s’y sont pas trompés qui y ont vu la manière de diffuser massivement une nouvelle approche qu’ils ne réussissaient pas à faire sortir de sa niche. Les Etats-Unis sont déjà à ce stade. Plus personne ne parle de MOOC. Dans le dernier congrès Educause 2015, sur plus de 500 conférences, deux seulement employaient ce mot. L’actualité est aujourd’hui faite de cours en ligne, intégrés à des degrés divers, dans l’enseignement des universités. Les MOOC ne sont plus qu’un sous-produit de ces cours, les universités rendant publique, à des degrés divers, nous l’avons vu, une sélection de leurs cours internes au travers de Coursera et EdX. Ces derniers deviennent les vecteurs de ces transformations menées à l’intérieur des universités. Ajoutons que Coursera vise très clairement la masse des petits collèges, en particulier les community colleges, qu’il verrait bien employer systématiquement les cours de son catalogue. C’est une réalité économique que je n’aimerais pas voir en France.

C’est pourquoi il faut appuyer FUN. La petite équipe, et les universitaires qui y contribuent, font beaucoup et c’est déjà un miracle qu’ils puissent jouer dans la cour des grands avec les moyens dont ils disposent.

Oui à de nouvelles sources de financement mais à la condition de ne pas perdre son âme. Les universités n’ont pas les moyens ni humains ni financiers pour développer une offre massive et elles doivent être aidées.

Oui à la certification mais les universités devront se mettre d’accord pour reconnaître les ECTS ainsi acquises. Et attention à rester toujours cohérent avec notre modèle d’enseignement gratuit.

Oui à la promotion des MOOC dans le cadre de la formation continue mais cela ne réussira pas sans que le problème général de cette formation ne soit sérieusement abordé dans nos institutions. Il conviendrait également de travailler en harmonie avec les acteurs privés qui s’y sont déjà investi.

Oui à tous les efforts vers la francophonie mais pour cela il faudra que tous les acteurs, y compris « les plus prestigieux » jouent le même jeu. Et cela n’aura de valeur que dans le cadre d’une co-construction. La façon d’enseigner, la façon d’apprendre, sont profondément liées à la culture et il faut les respecter. FUN avec l’AUF s’y emploient déjà.

Ce rapport est l’occasion de relancer le débat et il est le bienvenu en ce sens. Mais j’aurais aimé une présentation plus positive de ce qui a été accompli.

3 Comments

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3 Responses to Du bruit dans le Landernau

  1. Merci Yves !

    Comme d’habitude, tes billets soulèvent de nombreux débats, en voici rapidement un « il n’existe encore, à ma connaissance, aucune étude qui ait interrogé … ceux qui ne finissent pas.  »

    => j’ai fait une étude lors de diverses sessions du GdP en contactant tous les décrocheurs… j’ai 2300 réponses environ (de janvier 2014 à novembre 2015).

    Les questions étaient
    – soit du choix multiple « Si vous avez abandonné le MOOC ou pris du retard, précisez-en la raison »
    – soit du texte libre « Si vous le souhaitez, dites-nous en plus sur les raisons pour lesquelles vous avez eu des difficultés à suivre ce MOOC ».

    J’ai publié une synthèse dans un billet « Savez-vous que la plupart des inscrits à un MOOC ne vont pas jusqu’au bout ? » http://goo.gl/90YjYo.. mais si tu connais quelqu’un qui peut faire un travail de fond pour analyser tout cela, je suis preneur !

    • Yves Epelboin

      Merci Rémy. Je vais lire plus attentivement ton étude. Je suis tout à fait d’accord avec le fait que les taux d’abandon cités le plus souvent n’ont pas la moindre signification. Ils sont employé le plus souvent par les opposants aux MOOC qui n’ont, en réalité, pas de vrais arguments. C’est ce que fait, par exemple, le groupe Jean-Pierre Vernant qui use et abuse de ces chiffres très bas pour dénoncer les MOOC comme une opération pour brader et privatiser l’enseignement supérieur.
      Tes études apportent un début de réponse. Mais il faudrait pouvoir analyser le profil de ceux qui répondent. Le biais de toute enquête en ligne est, à mon avis,que certaines catégories de personnes qui ont quitté le MOOC avant la fin (je n’emploie pas le mot abandon) ne sont plus joignables par ce moyen. Il faudrait trouver des moyens pour les contacter. J’ai le sentiment que des catégories de personnes ne se manifestent tout simplement pas. Lesquelles, comment et pourquoi ?
      Ce que je recherche donc serait une enquête « plus sociologique » qui arriverait à interroger ceux qui ne répondent pas. C’est facile à dire mais je n’ai pas la moindre idée sur la façon de procéder.
      Tu apportes un excellent début de réponse et, s’il faut donner des chiffres, les tiens sont infiniment plus signifiants. Il serait intéressant de standardiser ce genre de questionnaire pur pouvoir comparer les taux de réussite des MOOC entre eux.
      Amitiés

      • oui sur les abandons, c’est mieux d’avoir des chiffres que rien, mais le sujet en lui-même est très difficile à aborder puisque l’on cherche à étudier … des absents.

        Parmi les autres facteurs d’abandon, outre le manque de temps, il a la concurrence accrue (et bienvenue) liée à l’élargissement de l’offre de MOOC.

        Pour répondre au groupe que tu cites et qui ne connait visiblement pas le sujet : sur les 6 premières sessions du MOOC, les heures validées dans les parcours classique et avancés du GdP correspondent à 15581 ECTS.

        Il ne s’agit là que des apprenants qui vont jusqu’au bout en passant l’examen final et les deux modules de spécialisation. C’est donc une estimation basse, on pourrait refaire le calcul en prenant en compte les heures de cours regardées. Ou estimer la valeur créée à partir du coût moyen de l’année d’étude (ou de l’heure de formation continue puisque l’on touche avant tout des professionnels).

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