Retour des US. Quelques réflexions

forteJ’étais aux Etats Unis, au début novembre avec quelques collègues, pour participer au gros congrès Educause et, comme nous le faisons depuis quelques années nous en avons profiter pour visiter quelques universités : cette année SUNY (State University New York) à Stony Brook près de New York, Princeton et Penn U. à Philadelphie où se tenait le congrès. Trois universités et trois modèles de fonctionnement et de stratégie complètement différents !

Ce que j’ai vu dans ces universités, ce que j’ai entendu durant ce congrès m’amène à vous livrer ces quelques réflexions sur le fonctionnement de notre système d’enseignement supérieur.

Si l’on voulait comparer les modèles français et américains, SUNY serait celui des universités et Princeton celui des grandes écoles. Avec cette différence de taille que Princeton suit le modèle d’organisation découpé en bachelor, master et PhD (licence, master et 3ème cycle) commun à toutes les universités américaines. Princeton qui ne dénombre que 5400 étudiants environ, tous cycles confondus, recrute à la sortie du lycée (high school) tout comme SUNY.

Et ceci m’amène à réfléchir sur cette première étrangeté du système français, difficile à expliquer aux étrangers, où les grandes écoles trouvent leur vivier au travers de ce dispositif bizarre appelé classes préparatoires qui ne relève, dans sa réalité, ni de l’enseignement secondaire ni de l’enseignement supérieur et pourtant appartient aux deux à la fois. Si les grandes écoles recrutaient après le baccalauréat le système français deviendrait très similaire à ce qui existe partout ailleurs. Cela amènerait d’ailleurs à réfléchir au processus de sélection et probablement à remplacer des concours qui sélectionnent des têtes bien pleines par un processus d’orientation mieux à même de découvrir des têtes bien faites. Mais je m’aventure sur un terrain glissant et je n’irai pas plus loin sur ce sujet.

La seconde réflexion m’est venue après la visite de SUNY. SUNY est en réalité un consortium de 64 campus.  Ils possèdent, pour la plupart, un grand degré d’autonomie qui les ferait considérer chacun, en France, comme une université à part entière. L’enseignement à distance pourrait même, dans cette structure, être considérée comme le 65ème campus. Ces campus partagent des services, à des degrés divers, collaborent, montent des projets en commun et se regroupent sous ce chapeau commun pour définir leur stratégie et leurs grandes orientations. Lorsqu’on voit les difficultés pour fusionner des universités et faire réellement vivre les COMUE en France, je pense qu’il y a là des modèles dont nous pourrions nous inspirer. SUNY n’est pas le seul exemple. Dans de nombreux états les universités publiques sont regroupées dans des entités communes qui semblent permettre d’harmoniser les aspirations locales avec une vision collective.

A la conférence deux points, en particulier, m’ont semblé d’intérêt pour nous. Le premier est le développement massif de l’enseignement en ligne. Il est directement inspiré de l’expérience des MOOC qui, contrairement à ce qu’un article du Monde voulait faire croire, il y a quelques semaines, n’ont absolument pas fait pschitt mais se sont transformés. Dans le contexte politique américain où il est improbable que les droits d’inscription puissent diminuer, l’enseignement en ligne est vu comme une façon de diminuer les coûts puisqu’on ne fournit pas « l’hôtellerie », c’est à dire les salles d’enseignement, le logement et l’environnement qui nous rend jaloux à chaque visite. Les départements d’enseignement à distance non seulement permettent d’accroitre les effectifs mais sont aussi des sources de financement pour le fonctionnement des campus. Cela pousse évidemment en avant les formations continues et particulièrement technologiques.  A une époque où l’argent se fait rare c’est là un domaine dans lequel nos universités devraient faire un effort. Mais cela a été dit de nombreuses fois.

Autre point d’intérêt de la conférence : les learning analytics. Ce qui est mis en avant n’est pas la construction de cours dynamiques à partir des traces laissées dans une plateforme d’enseignement mais une analyse de l’activité des étudiants sur le campus, de leurs résultats antérieurs (voire de leur lycée d’origine) et des notes du semestre en cours. Le déclenchement d’alertes permet aux étudiants de prendre conscience de leurs difficultés, à l’institution de leur apporter une attention et une aide particulières et aussi de leur proposer, pour la suite de leurs études, des parcours à la carte adaptés à leurs capacités. Bien qu’elles recrutent les étudiants en contrôlant leurs connaissances et en se limitant à leur capacité d’accueil, les universités américaines souffrent, comme les nôtres, d’un taux d’échec assez élevé.  Elles espèrent améliorer ainsi le taux de réussite en introduisant ce qui se rapproche le plus d’un tutorat individuel. Bien sûr, les universités les plus riches, comme Princeton, s’intéressent peu à ces technologies car elles disposent d’un environnement humain qui leur permet de mettre en place un suivi individuel et de personnaliser complètement les études.

Et cela m’amène à m’exprimer sur la maladie de l’université française. APB aura eu la grande qualité de mettre en évidence le fait qu’un algorithme ne peut pas résoudre un problème qui n’a pas de solution, à savoir des demandes des étudiants qui ne sont pas en adéquation ni avec les prérequis nécessaires pour suivre la filière de leur choix ni avec les capacités de formation des universités. Pour répondre à la demande, essentiellement en première année, il faudrait organiser des recrutements massifs d’enseignants dans certaines filières et construire de nouvelles salles de classes alors que l’on sait qu’un nombre important d’étudiants sera en échec à la fin de l’année. Outre le coût de cette solution et l’impossibilité de trouver le nombre d’enseignants nécessaires dans toutes les filières, est-ce bien raisonnable lorsque les demandes sont déconnectées de la réalité de l’emploi ? Certes les études ont pour but de former des citoyens et de permettre à chacun d’apprendre et de devenir des individus complets mais elles ont aussi pour but de préparer aux métiers d’aujourd’hui et demain. En ce sens les projets gouvernementaux me semblent une voie d’avenir. Proposer des parcours individualisés avec des modules supplémentaires obligatoires, éventuellement, donc avec des cursus  qui pourraient se faire en plus de trois ans pour la licence, selon les compétences des étudiants est la seule façon honnête d’envisager des chances de réussite et de diminuer le taux d’échec.

Et cela m’amène à une conclusion assez iconoclaste. Si l’on reconnaît aux étudiants le droit d’entreprendre les études de leur choix pourquoi la charge de la construction de ces parcours est-elle supportée par les seules universités ? Les classes préparatoires aux grandes écoles et les grandes écoles elles-mêmes pourraient prendre leur part en proposant des parcours complémentaires aux étudiants qui voudraient se diriger vers leurs formations. Il en est de même pour l’enseignement professionnel et les IUT en particulier.

Les autres ordres d’enseignement supérieur se défaussent sur les universités, avec beaucoup de lâcheté, de l’obligation morale de former notre jeunesse en lui laissant seule la charge et les difficultés. Si celle-ci disposait du même privilège je puis vous garantir que l’enseignement universitaire n’aurait pas à rougir de la qualité de ses formations par rapport aux autres ordres d’enseignement.

Il n’y a strictement aucune raison de lui faire supporter seule le devoir de régler ce problème collectif.

2 Comments

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2 Responses to Retour des US. Quelques réflexions

  1. Thierse

    Merci Yves pour ce retour. Pourrez-vous nous détailler tous les avantages de ce groupement de 65+1 campus. J’en connais un en France qui regroupe une trentaine de campus, bien-sûr de tailles plus modestes. Avec 2 ou 3 campus numériques.
    Il s’est mis en grand établissement pour arriver à organiser cet ensemble. Il est « opendata » avec son territoire, pour faciliter son intégration et sa vie étudiante.
    Il a un SI, ce que nos médias confondent souvent avec l’IT, et qui est du coup; bien dommageable pour les Architectes-Urbanistes de SI.
    Il n’a pas de moyen, mais il a des idées.

    • Yves Epelboin

      Merci.Les campus disposent d’une assez grande autonomie, en interne, même regroupés sous un seul nom. Par exemple tout l’enseignement à distance apparaît sous le nom SUNY online. Je suis d’ailleurs étonné de voir la capacité de mutualisation des universités d’état, à l’intérieur de leurs états respectifs, tout en restant dans le modèle d’entreprise américain. Leur réflexion, leurs capacités varient grandement d’un endroit à l’autre.
      Nous donnerons plus de détails en janvier lors de la présentation du rapport du groupe qui a participé à Educause.

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