En regardant ailleurs

un homme regardeUne délégation française s’est rendue, en octobre à Philadelphie, au congrès Educause 2017. Educause est une énorme association américaine qui réunit ceux qui s’intéressent au numérique dans les universités aux Etats Unis et au-delà. Il y avait plus de 6000 personnes et une exposition commerciale avec plus de 300 sociétés présentes. C’est peu de dire que c’est le lieu idéal pour voir les tendances dans l’Enseignement Supérieur. J’en ai déjà rendu compte les années passées mais j’y reviens parce qu’il s’y passe toujours quelque chose.

A l’heure où le gouvernement introduit une transformation majeure dans le recrutement des universités en France et où le numérique est à l’honneur, voici quelques impressions sur ce qui se passe là-bas. Loin de moi de vouloir prendre les Etats-Unis comme modèle, ils sont pratiquement aux antipodes de notre conception des études supérieures, mais la confrontation des idées est toujours enrichissante.

Pour ceux qui voudraient avoir une vue complète du congrès,  la délégation, dans son entier, présentera ses impressions lors d’une réunion à l’amphithéâtre Jean-Baptise Say, au CNAM, 292 rue Saint Martin à Paris le 25 janvier prochain à 10h. Pour les autres un rapport sera disponible très bientôt.

L’Enseignement Supérieur est en crise aux Etats Unis. Les droits d’inscription ont atteint un niveau tel que les américains se demandent si cela est un investissement rentable : s’endetter lourdement vaut-il les gains de salaire que peut rapporter un meilleur diplôme ? Si certains, sous l’administration Obama, ont regardé les modèles Européens et ont envisagé de faire supporter par l’Etat la plus grande partie des études au niveau du collège (la licence), cela n’étonnera personne d’apprendre que ce projet a été complètement abandonné sous l’administration Trump. Et, une fois encore, le numérique est mis en avant pour résoudre le problème persistant des coûts et pour éviter de remettre en question une organisation que personne ne peut imaginer différente.

Une université ne peut exister sans un campus de qualité et sans la vie sociale qui s’y déroule. Les étudiants et leurs familles veillent sur ce point tout autant que sur la qualité de l’enseignement. Cela coûte donc fort cher. Alors pour diminuer les droits d’inscription pour ceux qui n’en ont pas les moyens, on voit se dessiner deux voies.

La première est d’offrir des études à la carte, où l’on découpe les cours en micro cours et les diplômes en micro grades. Les étudiants choisissent ainsi dans un menu les éléments d’enseignement qui correspondent le mieux à leurs objectifs professionnels. Comme l’exprime Jim Hundrieser, associate managing principal pour la stratégie institutionnelle de l’Association of Governing Boards, « cela revient à mettre fin à l’obligation d’acheter un CD de musique entier lorsqu’on est intéressé uniquement par une ou deux chansons ». Le numérique est appelé à la rescousse pour composer ces projets. On guide les étudiants, dès leur entrée à l’université, en fonction de leur cursus antérieur et de leur origine sociale ; pendant toutes leurs études le système, avec l’aide de l’intelligence artificielle, va les suivre et réadapter, à chaque semestre le cursus à venir. De nombreuses universités sont déjà équipées de systèmes intelligents, sans qu’on en sache trop sur cette intelligence. Mieux encore des indicateurs permettent de savoir, en temps réel, qui sont les étudiants en danger et cela peut même aller jusqu’à déclencher un mentorat en ligne.  Le taux d’échec est un peu diminué, les étudiants devraient pouvoir effectuer leur parcours en un minimum de semestres. Le coût des études est donc optimisé. C’est là l’usage essentiel des learning analytics. Tout cela est donc bénéfique et aller dans le bon sens. On peut cependant craindre que les matières dites fondamentales, les plus généralistes dont l’application à un métier est la moins évidente, vont se trouver en danger.  On ne « rentabilise » pas une culture générale, c’est un investissement à long terme qui dépasse le seul champ de l’utilité. Les américains, pour qui traditionnellement, l’université a toujours été essentiellement considérée comme une formation professionnelle, semblent l’accepter dans leur majorité.

La seconde façon d’envisager l’université est de découpler l’enseignement de la dimension sociale du campus et d’acheter le premier sans la seconde : d’où le développement fulgurant de l’enseignement en ligne. Pratiquement toutes les universités ont lourdement investi dans ce domaine, créant pour cela des départements autonomes qui cherchent à se financer seuls. Et là aussi le numérique avec toutes ses technologies est la clé de voute du nouveau système qui se met en place. N’y échappent que les universités qui mettent d’abord en avant la dimension sociale de l’appartenance à leur communauté. Nous l’avons encore ressenti cette année en visitant Princeton comme nous l’avions constaté, les années précédentes à Berkeley ou au MIT. Ce sont aussi celles qui tiennent le plus à conserver des cursus classiques.

Bien sûr, on peut mixer les deux approches en proposant aussi des cours en ligne aux étudiants sur le campus. Cela se développe de plus en plus, toujours dans la vision d’optimiser son parcours universitaire.

Plus personne ne parle de MOOC, bien qu’on en fasse mais pour des raisons de prestige. La vision d’un enseignement accessible à tous gratuitement sur toute la planète n’existe plus. D’ailleurs le terme a disparu : lorsqu’on fouille l’énorme programme de la conférence on ne retrouve plus jamais ce mot clé. Les learning analytics aidés de l’intelligence artificielle sont la solution espérée pour résoudre les difficultés, pour attirer de nouveaux étudiants : les universités voient leurs effectifs décliner, et ceci ne s’explique pas uniquement par la fuite des étudiants étrangers. Le numérique est l’espoir d’attirer de nouveaux clients.

Qu’y-a-t-il à retenir pour l’Europe et pour la France ? A chacun d’y répondre. Alors qu’on parle de réforme de l’Enseignement Supérieur, plus que jamais, et où certains tentent de plaquer ce modèle sans vraiment en comprendre les motivations, il est temps de réfléchir. Pour ma part, partisan convaincu de l’intérêt du numérique et des nouvelles technologies dans tous les champs d’activité de l’université et de l’enseignement en particulier, on peut y trouver beaucoup d’inspiration sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Mais il faut savoir s’inspirer de ces usages en y appliquant notre vision, les adapter, même les rejeter le cas échéant lorsqu’ils ne correspondent pas à notre éthique du rôle de l’université et à notre modèle social. Les décalquer brutalement conduirait à l’échec, on en accuserait l’usage des technologies alors qu’elles n’auraient été que l’outil et le prétexte pour plaquer un modèle qui n’est pas le nôtre.

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One Response to En regardant ailleurs

  1. Thierse

    Merci pour cette synthèse qui appelle à l’échange, sans précipiter des choix dans une vue à court terme.

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