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Les GAFA et nous

imagesLe Monde annonçait, il y a quelques jours, un accord entre le ministère de l’Education Nationale encourageant l’usage de Google et autres GAFA. Les réactions vives à cet accord mettaient en avant, à juste titre, le risque de fuite des données personnelles des élèves et prônaient l’usage de solutions libres.

De fait le problème n’est pas nouveau et ne nous est pas particulier. Je l’avais déjà évoqué dans un vieux billet où j’expliquais que les universités françaises auraient un intérêt certain à confier la messagerie étudiante (je précise bien uniquement la messagerie étudiante) à ces mêmes GAFA, Google, Microsoft… Ma justification était que ces messageries ne contenaient pas grand chose de bien confidentiel et que ce serait autant de travail que les services informatiques pourraient consacrer à des activités plus innovantes.

J’ai donné, par le passé, toutes les preuves de mon attachement au logiciel libre. Pourtant je m’étais attiré un monceau de protestation, certainement le billet qui a entrainé le plus de réactions. Il est temps d’y revenir.

L’année dernière, à l’occasion du congrès Educause à Los Angeles, nous sommes retournés, mes camarades et moi, à l’UCLA que nous avions visitée deux ans plus tôt. Entre temps les scandales de la NSA avaient été mis en plein jour et nos collègues américains, qui faisaient auparavant assez confiance aux entreprises privées qui leur procurent des outils logiciels à bon compte, étaient devenus beaucoup plus méfiants. S’ils avaient, pour la plupart, toujours pris soin de laisser les données de recherche dans un cloud privé, ils étaient souvent assez laxistes en ce qui concerne les étudiants. Fin 2016 la vision avait changé mais ce n’était pas simple pour autant.

Recourir systématiquement à des outils libres n’était pas envisagé pour plusieurs raisons, la première étant qu’il n’existe pas toujours de solutions aussi satisfaisantes que celles proposées par les industriels. En particulier la disposition d’interfaces amicales pour l’usager n’est pas forcément le point fort du logiciel libre ni son intégration dans les plateformes Windows et MacOS qui représentent l’écrasante majorité des machines individuelles. On peut le regretter mais c’est un fait qui n’est pas niable. La deuxième raison est que libre ne veut pas dire gratuit et que la mise en place et la maintenance de ces solutions demandent des ressources humaines importantes. Ce peut être un choix en France où, hélas, l’argent est rare. C’est beaucoup moins vrai dans des pays comme les Etats Unis où l’ingénieur est rare, surtout dans la Bay area ! Berkeley a ainsi renoncé à une plateforme d’enseignement qu’ils appréciaient beaucoup car ils ne trouvaient pas de support externe satisfaisant et ne voulaient pas y consacrer le personnel nécessaire. UCLA a donc choisi un mixte en négociant l’achat de services privés et en veillant à la propriété des données et des métadonnées. Mais là aussi une difficulté est apparue et la recherche d’une solution de travail coopératif est un bon exemple des difficultés d’aujourd’hui.

UCLA avait donc fait le choix d’une solution après discussion et construction collective d’un cahier des charges avec ses usagers. Ils avaient retenu un fournisseur pour la qualité de sa solution, son ergonomie et ses possibilités d’intégration dans leur système d’information. Jusque là tout allait bien mais la discussion a bloqué sur la propriété des métadonnées, c’est à dire des profils des usagers. Et c’est là que les responsables de l’université ont été coincés. Les discussions trainaient et ils se sont faits doubler par leurs usagers. Ce constructeur mettait son service à disposition gratuitement pour un usage personnel, comme cela se fait beaucoup aujourd’hui, avec une limitation quant aux facilités et espace disponibles. L’UCLA se trouva donc dans la position intenable de négocier la confidentialité des données avec ce fournisseur alors que de nombreuses personnes de l’université, enseignants, administratifs et étudiants, avaient déjà recours à cette solution ! Que faire alors ? Impossible de bloquer l’accès à ce service, cela aurait déclenché des protestations extrêmement vives et aurait même encouragé la recherche de méthodes de contournement et amplifié la fuite de données. Je ne sais pas quelle a été la décision finale mais nos collègues américains étaient clairement conscients qu’ils ne pourraient pas tenir leur position initiale.

Et cela m’amène à la raison de ce billet. Imaginer que l’on peut écarter les propositions des GAFA du monde académique est une pure utopie et vouloir les ignorer officiellement de la pure hypocrisie. Ils doivent certes respecter la loi, et nous avec, et le contrôle de la CNIL est obligatoire mais on n’évitera pas une négociation sur l’appropriation de données personnelles par ces industriels tout simplement parce que si on l’interdit dans nos établissements, les usagers iront chercher ces services à l’extérieur à titre privé. Je souhaite bien du courage à ceux qui voudront interdire l’usage de FaceBook, des outils Google ou autres dans leur université ou autre établissement. Cela se fera alors sans eux et sans aucune possibilité de modérer ce qui se passe. Mieux vaut offrir des services de qualité au travers de nos ENT et autres systèmes d’information, négocier avec ces fournisseurs extérieurs quelles données ils récupèrent, sous quelle forme et où elles sont stockées et, en même temps, former nos étudiants et professeurs au bon usage d’outils de qualité appréciés par l’immense majorité.

Au fait, vous ai-je dit que la prestigieuse université de Berkeley, après une étude attentive, a conclu qu’ils étaient incapables de fournir une messagerie mieux sécurisée que celle de Google et a négocié avec eux le transfert de ce service. Vous ai-je dit aussi que leurs collègues de Stanford, de l’autre coté de la baie, sauvegardent, pour la même raison, toutes leurs données de calcul scientifique chez Google également ? Vous trouverez tous les détails dans le rapport de la délégation française à Educause 2016.

Le ministère n’est pas vendu. Il est simplement réaliste.

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