Pour une orientation active à l’université. Réaction à un billet du Président UNEF
Dans les pages débats du journal le Monde du jeudi 17 septembre 2015 (cf PJ), en réponse à la question « Faut-il plus de sélection à l’université », William Martinet, président de l’UNEF, explique pourquoi « il faut refuser de creuser les inégalités entre les diplômes » (titre de son billet) et donc pourquoi il faut refuser la sélection à l’entrée du Master.
Les arguments développés dans ce billet me semblent suffisamment discutables et révélateurs de confusions que l’on retrouve trop régulièrement dans les prises de position des uns et des autres sur cette question de la sélection dans l’enseignement supérieur, pour que je me propose d’apporter ma contribution au débat et, qui sait, peut-être en clarifier les termes.
La première confusion, objet du présent billet, découle d’une ambiguïté sur le rôle assigné à l’enseignement supérieur. Est-il d’abord destiné à permettre à chacun d’entre nous de s’instruire, d’enrichir ses connaissances en vertu d’un droit à l’instruction pour tout citoyen ? Ou est-il destiné à préparer l’insertion dans la vie professionnelle ?
De mon point de vue, le fait que l’âge minimum de fin de scolarité obligatoire soit fixé, en France, à 16 ans, ainsi que le fait que le baccalauréat se passe généralement à vers 18 ans, âge auquel on acquiert la majorité d’ailleurs, me laissent penser que l’État, le citoyen, considèrent qu’au-delà de 18 ans, l’instruction nécessaire est terminée. Dans cette hypothèse, la mission première de l’enseignement supérieur est de préparer à l’entrée dans la « vie active » et doit donc répondre à des objectifs d’employabilité des diplômés qu’il forme.
Pour autant, il n’est pas du tout illégitime que le système d’enseignement supérieur ait également une mission d’instruction si tant est que l’on sache bien distinguer, formation par formation, niveau par niveau, ce qui relève de l’instruction (qui ne peut être selon moi, je le répète, l’objet premier de l’enseignement supérieur) et ce qui relève de la professionnalisation (préparation à l’insertion professionnelle).
Dans les conditions actuelles, je pense que la coexistence des 2 finalités (instruction, professionnalisation) et surtout l’absence de caractérisation de chaque formation d’enseignement supérieur au regard de ces 2 finalités créent une grande confusion, qui explique en partie la prise de position de M Martinet.
En effet, les critères d’évaluation de la pertinence d’une formation ne peuvent être les mêmes pour les deux finalités. Pour la 1ère (l’instruction), il faut et suffit d’évaluer l’acquisition effective par les étudiants des connaissances et compétences qui auront été définies au regard d’un objectif d’instruction (ce que W Martinet appelle la « certification »). Pour la seconde, l’évaluation de la formation passe principalement par la mesure de l’employabilité à court et moyen termes de ses diplômés.
C’est notamment parce qu’il y a confusion entre ces 2 finalités, que certains pensent que l’enseignement supérieur peut/doit emmener ses étudiants le plus loin possible dans les études de leur choix sans considération des débouchés.
Ainsi, William Martinet peut-il écrire dans son billet : « …avec la délivrance du diplôme national, la certification permet aux diplômés de revendiquer collectivement une reconnaissance de leurs qualifications sur le marché du travail».
Mais, si l’obtention d’un diplôme reconnait un niveau d’instruction, elle ne donne pas droit à un emploi,que le diplômé pourrait « revendiquer ». Et ce d’autant moins que tant que la formation considérée sera gérée, aux plans qualitatif et quantitatif, sans considération des débouchés. En effet, comme le dit si bien lui même W Martinet, il s’agit d’un « marché de l’emploi ». Les employeurs proposent des offres de recrutement auxquelles les diplômés candidatent. Dans ces conditions, on ne voit pas bien ce qu’un diplômé pourrait « revendiquer ».
Par contre, il est effectivement de la responsabilité du système d’enseignement supérieur de veiller à la meilleure adéquation possible entre les flux annuels de diplômés, spécialité par spécialité, niveau par niveau et les besoins du marché du travail, tout en prenant en considération les aspirations des étudiants à chaque moment-clé dans le système d’enseignement supérieur. Exercice difficile et aux résultats imparfaits, mais discipline indispensable !
La sélection est donc totalement inévitable et souhaitable dans un système efficace d’enseignement supérieur, du fait de (et à la hauteur de) sa vocation professionnalisante.
Ceci permettra d’éviter aussi bien la déception des diplômés ne trouvant pas de travail dans les domaines dans lesquels ils ont été formés, parfois avec de longues voire très longues études, que des dépenses inutiles pour le système d’enseignement supérieur, économies qui pourront y être opportunément réinjectées.
En résumé de tout cela et en guise de conseils pour tous ceux qui planchent sur les voies et moyens de former à la fois des citoyens instruits et de futurs actifs (plutôt que des chomeurs) :
–Définissons tout d’abord clairement où s’arrête le droit à l’instruction dans le système éducatif français
–Mettons en place rapidement des enquêtes d’employabilité pour toutes les formations du supérieur qui seront qualifiées de professionnalisantes et assurons une correcte information des éventuels candidats à ces formations
–Prenons en compte les résultats de ces enquêtes d’employabilité pour faire évoluer les formations dispensées tant sur leur contenu que sur leurs fluxDans un 2ème volet de réaction au billet de M Martinet, à paraître prochainement, j’aborderai le lien abusif qu’il fait entre sélection et discrimination sociale et démontrerai, je l’espère, que l’une (la sélection) peut aller sans l’autre (la discrimination).