La formation d’ingénieur autour de 1000 €/an, la formation Master 2 autour de 250€/an, sera-ce encore possible dans les années à venir ?
Avec l’explosion des dettes publiques, dont celle de la France, la question du financement des missions d’intérêt général revient sur le devant de la scène dans tous les pays d’Europe. En France, cette question est masquée pour encore quelques semaines par les campagnes électorales, présidentielle puis législatives. L’impossibilité d’accroître la pression fiscale condamne les pays à réduire les prestations et/ou à augmenter les tarifs de ces missions de service public, lorsque celles-ci sont tarifées.
Faire payer plus cher les études supérieures professionnalisantes, une politique de gauche ?
Ces pratiques font évidemment hurler les partis d’opposition des gouvernements au pouvoir, qu’ils soient de gauche ou de droite. Partis d’opposition de droite par nécessité politicienne, partis d’opposition de gauche, au nom d’une vision sociale des services publics.
Pourtant, s’il y a un domaine où gauche et droite devraient se retrouver dans une politique de tarifs orientés vers les coûts (et donc de hausse des « tarifs »), c’est bien celui de l’enseignement supérieur public professionnalisant.
Quelle alternative trouver ? : quand on connaît les salaires d’embauche des diplômés de l’enseignement supérieur professionnalisant (c’est-à-dire préparant à l’exercice d’un métier, tel qu’apprécié au travers d’enquêtes 1er emploi régulières portant à la fois sur l’employabilité à la sortie et sur les salaires afférents), même (surtout) lorsqu’on est de gauche, on ne peut que vouloir que ces diplômés, très correctement payés, renvoient aux établissements qui leur ont dispensé cette formation, une partie de leur salaire pour couvrir les coûts de cette formation.
Faire payer autrement les études supérieures professionnalisantes, une politique sociale et vertueuse ?
La mise en oeuvre d’une telle approche :
-imposerait aux parties prenantes de l’enseignement supérieur de se poser la question du caractère professionnalisant ou pas de chacune des formations supérieures et éclairerait d’un jour nouveau le débat permanent entre « droit à la connaissance » et « apprentissage d’un métier » dans les finalités de l’enseignement supérieur (dans sa dimension formative).
-serait socialement juste et je dirai même, sans provocation, militante « de gauche », quand on sait qu’un ingénieur diplômé ou un diplômé Master 2 gagne en moyenne plus de 33 k€/an brut (soit le double du SMIC annuel) et un diplômé BTS/DUT, plus de 26 k€/an brut (soit 60% de plus que le SMIC annuel)
-serait vertueuse si les tarifs pratiqués étaient, peu ou prou, en rapport avec les salaires réellement perçus par les diplômés, car encouragerait les établissements à se pencher plus encore sur l’employabilité de leurs diplômés.
Deux mécanismes pourraient être envisagés :
Le plus simple : L’augmentation des frais de scolarité, assortie de prêts à taux bonifiés. C’est la voie dans laquelle se sont engagées les écoles de management depuis de nombreuses années. On pourrait même imaginer un système un peu plus sophistiqué avec dispense ou différé de remboursement en cas de mauvaise employabilité (une espèce de « satisfait ou remboursé »).
Le plus juste : Un impôt spécial sur les salaires à la sortie, pendant une période de 5 à 10 ans. Cette deuxième option a été proposée il y a 1 an par Tom McKenzie, chercheur à la Cass Business School de Londres, et Dirk Sliwka, professeur à l’Université de Cologne, dans un rapport qui fît un peu de bruit à sa sortie (http://www.lesechos.fr/medias/2012/03/29/164253_0201379553512_print.pdf)
Dans tous les cas, bien sûr, le système comprendrait un dispositif renforcé de dispenses et même de bourses pour les étudiants issus de milieux modestes (bien plus équitable que la « quasi-gratuité » pour tous. Mais tout le monde sait bien cela)
Le contexte français n’a jamais été aussi favorable à la mise en place de l’un ou l’autre des dispositifs :
Le réalisme budgétaire qui va présider aux décisions du gouvernement de l’été 2012, qu’il soit de droite ou de gauche, va, je pense, créer les conditions d’une mise sur la table de ce dossier.
Cela tombe bien car ce dossier semble mûr, j’en veux pour preuve que même le think-tank Terra-Nova, proche du PS, a proposé l’augmentation des frais de scolarité dans un rapport de l’été 2011.
Nous noterons également que la hausse de frais de scolarité figure explicitement dans les propositions de la Conférence des Grandes Ecoles aux candidats à l’élection présidentielle, traduisant ainsi la sensibilité de la très grande majorité des directeurs d’écoles d’ingénieur, notamment publiques. http://www.cge.asso.fr/presse/CGE_DOC-P-2012_BATofficiel.pdf (page 25, proposition B1)
Un mouvement concerté des plus grandes d’entre elles, au moment où l’Ecole Polytechnique, la plus prestigieuse, se prépare à durcir les conditions d’exemption du remboursement de la pantoufle, est possible. Je le sais pour en avoir discuté à plusieurs reprises avec mes homologues. (Au fait cette pantoufle n’est-elle pas une forme de remboursement différé des frais engagés par l’établissement durant la scolarité ?)
Alors, oui, pour les écoles d’ingénieurs au moins, le moment semble venu…
Un mécanisme complémentaire de celui de l’appel au don des diplômés :
Tous les établissements d’enseignement supérieur sont engagés, via des fondations, dans le développement de la collecte de dons, volontaires, auprès des entreprises et de leurs diplômés.
Tous savent que la collecte est difficile et qu’il faudra des années pour que s’installe en France, chez nos diplômés, l’habitude de soutenir les établissements qu’ils ont fréquentés, comme c’est assez habituel en Grande Bretagne ou aux Etats-Unis.
Installer l’habitude du retour à son établissement d’origine par des frais de scolarité plus proches des coûts ou par un « impôt » dans les premières années après la diplômation n’est pas contradictoire
avec la recherche du soutien volontaire auprès de l’ensemble des diplômés, au contraire. L’expérience montre en effet que, plus la conscience du coût de la formation est grande (et quelle meilleure façon de donner cette conscience que de faire payer le « juste prix »), plus leur propension à donner est importante.
En outre, l’expérience des démarches d’appel à don montre que les jeunes diplômés donnent assez peu spontanément à leurs établissements. Le don advient avec le recul de l’âge et l’expérience, lorsque le diplômé ressent le besoin de renvoyer à son école un peu de ce qu’elle lui a apporté, que son capital et ses revenus croissent .. et que les charges de famille commencent à baisser. Alors, oui, une telle approche nous paraît tout à fait complémentaire et même facilitante de celle de l’appel au soutien dans lequel tous nos établissements sont engagés.
bonjour
je m’étonne que vous disiez à la fois que la pression fiscale a atteint ses limites, mais qu’on peut augmenter les frais de scolarité. Donc, il y a de l’argent, mais il faudrait qu’il aille directement de l’utilisateur du « service » ou « fournisseur », sans passer par la caisse commune. N’est-ce pas désaisir les pouvoirs publics de manettes qu’ils tiennent légitimement ? On a toutes raisons de croire que ce sont des comités largement nommés qui finiront par décider des tarifs, des exemptions, de la progressivité, … les réformes récentes font dans le sens d’une confiscation du pouvoir par les « excellents » auto-proclamés en petit comité.
Vous savez, par ailleurs, que le rapport Terra Nova a été largement caricaturé et instrumentalisé par ceux qui
qui n’en veulent citer que quelques passages, sans les éléments sur les allocations. Terra Nova ne s’est d’ailleurs jamais expliqué sur les frais demandés aux doctorants, malgré de nombreuses demandes. Le bureau national du PS et tous les élus socialistes responsables de ce thème se sont clairement exprimés contre une augmentation des frais d’inscription.
Que les personnes qui ont les moyens paient pour l’enseignement supérieur, oui ! Qu’il y ait une question à traiter concernant la formation des étudiants étrangers, qui seraient formés à faible prix ne paieraient ensuite pas d’impôts en France, certainement. Mais autant je souscris à l’importance de la prise de conscience du coût de la scolarité par les étudiants, autant je crois, et avec moi une très grande majorité des socialistes que je connais, que la fiscalité ordinaire reste la voie la plus démocratique pour rétablir la justice.
Combien de tickets modérateurs pour « responsabiliser les patients » correspondent à des soins indispensables….