La Conférence des Présidents d’Université a décidé de consacrer son colloque annuel 2011 à la question de la licence. Il faut se féliciter ce ce choix. Déjà en 2007, lors de son colloque de Metz (qui se déroulait en février, juste au début de la campagne électorale pour les élections présidentielles), intitulé L’université, Une chance pour la France et dont le texte de synthèse a fixé bon nombre de stratégies poursuivies depuis par la CPU, la conférence insistait sur l’importance du premier cycle. La première des 20 propositions de réforme de l’université française était d’ailleurs ainsi formulée :
“Faire du cycle licence, à l’encadrement renforcé, le vecteur premier de la réussite à l’université”.
En ce qui me concerne, je déclarais lors de mon intervention, alors en tant que vice-président de la CPU :
“En 2006, la crise du CPE a révélé l’angoisse des Français devant le blocage de l’ascenseur social (…). Dans ce contexte, nous [les présidents d’université] demandons que le cycle de licence devienne la référence du post-bac et nous appelons à sa transformation. L’université a vocation et possède les compétences pour former la plupart des jeunes, qu’ils aspirent à préparer les concours, à suivre des études longues ou des cycles courts.” (Actes du colloque de Metz de la CPU, p. 36. http://www.cpu.fr/Actes_de_colloque.260.0.html?&no_cache=1&L=kqsxhlsxbzemlwbe&annee=2008)
Fin 2010, je ne retire rien de cette affirmation, car je me demande si nous avons vraiment progressé, depuis 3 ans, alors même que des évolutions considérables ont été sans conteste enclenchées en matière d’organisation du système d’enseignement supérieur et de recherche? A l’évidence, le plan licence lancé par la Ministre Valérie Pécresse, largement à la demande des présidents d’université, fut une action positive et a permis des initiatives. Mais le récent rapport de l’IGAENR, publié fin octobre, vient nous rappeler, à juste raison, que rien n’est acquis, loin de là. Derrière le constat que les investissements dans les actions spécifiques du plan licence sont restés en-deçà de ce qui était attendu, le travail précis et documenté de l’inspection pointe du doigt des difficultés structurelles et “culturelles”. En vérité, la licence n’est pas encore assez au centre de nos préoccupations et les universitaires eux-mêmes ne s’engagent pas suffisamment dans sa refonte. Bref le problème reste majeur.
Pour autant, faut-il se contenter de ne rien faire, ou se réfugier dans des actions cosmétiques comme nous y excellons? Faut-il accepter que le cycle LMD soit fragilisé par la faiblesse de son premier niveau, alors que partout ailleurs celui-ci fonde la qualité d’ensemble du dispositif d’enseignement supérieur? Je ne le pense pas. La question de la licence reste un sujet d’intérêt général majeur ; car il s’agit de définir le rôle qu’on souhaite voir jouer (dans un grand pays comme le nôtre, aux besoins de formation considérables) au premier cycle des études supérieures. Il faut donc l’aborder sans réduire a priori le champ de l’analyse et des propositions et en refusant d’accepter comme pérennes et incontestables les actuels découpages du post-bac. L’objectif doit être de réfléchir globalement à ce que l’on doit attendre du niveau licence, en matière de savoirs et de compétences transmises, afin d’engager la mutation nécessaire.
Cela implique qu’on définisse les différents types de parcours légitimes et l’organisation spécifique de ceux-ci, au sein d’un premier cycle mis en cohérence. Ainsi, il est clair que la préparation à l’entrée dans les écoles doit rester une modalité importante de formation. Celle-ci impose sans doute une sélection à l’entrée et une procédure de sortie très particulière. Mais cela ne signifie pas que cet enseignement ne puisse pas doublement évoluer : i. dans sa conception même (et d’ailleurs les travaux actuels autour des changements des concours d’entrée aux écoles, ainsi que les réflexions et les expérimentations menées, de plus en plus nombreuses, autour des cycles préparatoires intégrés montrent que d’ores et déjà les choses changent) ; ii. dans sa relation aux universités.
En la matière, je le redis, il faut que ces cycles préparatoires s’universitarisent. Non parce qu’il s’agirait de régler des comptes ou de pomper des financements, mais parce qu’il est fondamental que les meilleurs élèves du secondaire connaissent dès le départ l’expérience universitaire, ce qu’ils font dans le monde entier, sans en souffrir. Et il est aussi essentiel que cette présence irrigue l’ensemble du système de formation, conformément d’ailleurs à l’idéal républicain de l’émulation. Je sais que cette affirmation hérisse le poil de certains des thuriféraires du système CPGE et de son caractère immuable. Mais, si l’on s’astreint à une véritable réflexion et si l’on ouvre celle-ci à la comparaison entre la France et les autres nations développées, on peine à trouver une justification au maintien du statu-quo actuel qui ne soit pas fondée sur une vision conservatrice et malthusienne de la formation supérieure, réduite alors à la promotion, assez fortement endogamique, des élites. C’est un choix de société qu’on peut assumer : ce n’est pas le mien, ne serait-ce que parce que j’ai une vision ouverte et dynamique de l’élite et de l’excellence.
On peut appliquer ce type de raisonnement à la plupart des filières post-bac (et bien sûr aux IUT, déjà intégrés dans les universités et aux premiers cycles de santé). Des questions se posent, qui concernent, par exemple, les formations en art et en musique, très spécifiques. Cela dit cette spécificité peut s’inscrire dans un cadre universitaire et d’ailleurs ces filières, sous tutelle du Ministère de la culture, ont déjà fait évoluer leur premier cycle dans un sens qui permet la convergence. En revanche, j’avoue que le cas des BTS me semble différent. Je crois qu’il importe plutôt de développer ce cursus, dont les effectifs vont augmenter à mesure que les effets de la généralisation du bac pro en 3 ans se feront sentir, en le maintenant arrimé aux lycées technologiques et professionnels. C’est une belle matière à discuter avec l’enseignement secondaire.
Bref, il faut oser la licence, au sens d’accepter de faire évoluer par ce choix le dispositif dans son entier. Lançons-donc la réflexion avec l’ensemble des acteurs et partenaires, et obtenons ainsi l’implication de tous et notamment des universitaires. Il ne faut pas voir dans cette démarche le résultat d’un fantasme de domination, mais celui d’une volonté d’améliorer la formation de chacun et du plus grand nombre. Cela exige un réel effort de comprendre les besoins et les apports de chaque type de cursus, de prévoir les passerelles entre ces différents types.
Cela exige aussi de dépasser le sempiternel modèle du “silo disciplinaire” — qui reste dominant, comme le note l’IGAENR. Il faut admettre que la licence constitue un niveau de formation générale et la concevoir de manière plus ouverte, quitte à réfléchir à nouveau à la notion de culture générale (comme l’avait fait en son temps Alain Renaut). Cela impose de concevoir une formation à partir de l’identification de compétences exigibles — fongibles et compensables pour certaines d’entre-elles, mais pas pour d’autres — et de leurs mises en valeur possibles tant en termes de poursuite d’étude que d’employabilité.
Cela conduit inévitablement à se poser les questions clefs des procédures de sélection et d’orientation — et en la matière il serait utile de ne pas avoir peur de son ombre. S’il n’est pas envisageable de revenir sur l’accès libre après le bac à des filières générales (encore qu’on devrait en profiter pour parler vraiment du bac et de sa valeur!), il n’est pas plus envisageable de renoncer à la sélection ou à l’orientation dirigée pour d’autres — pas plus qu’il n’est admissible de penser que l’entrée en cursus licence mènerait automatiquement et sans passages évaluatifs probants au diplôme, ce qui doit donner tout son sens à la thématique de la réorientation.
En fin de cursus aussi, la question de la sélection doit être posée et disons le tout net : autant je suis favorable à une entrée majoritairement non sélective en licence, autant je pense que l’accès au niveau master doit être, en règle générale, sélective — pour la formation initiale. Cette position me pousse d’ailleurs a souhaiter que le débat s’instaure vraiment, au sein même des universités, sur le lien organisationnel entre premier et second cycles. Faut-il encore croire au modèle des UFR qui intègre licence et master (et de moins en mois le doctorat, celui-ci désormais piloté par les Ecoles doctorales). Ou faut-il réfléchir à la constitution d’Instituts universitaires de premier cycle? La question est délicate, mais essentielle.
On pourrait multiplier les exemples de dossiers qu’il faudra ouvrir. Dans tous les cas, il sera nécessaire que l’Etat prenne ses responsabilités. L’on connait mon engagement pour l’autonomie des universités. Mais sur un problème qui engage rien de moins que l’avenir de notre pays, la formation de la jeunesse, on ne comprendrait pas que l’Etat fût muet. C’est à lui de donner le cap.