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Michel Lussault

Classer/penser (?) 4 : abordable et/ou accessible.

Un rapport récent publié en octobre par le cabinet Higher Education Strategy Associates est à signaler. Son titre : Global Higher Education Ranking 2010 pourrait laisser penser qu’il s’agit d’un classement des établissements universitaires de plus. Mais le sous-titre : Affordability and Accessibility in Comparative Perspective indique que l’objectif poursuivi par les auteurs ((Alex Usher et Jon Medow) dépasse de loin l’élaboration d’un simple palmarès. Le document est consacré à l’analyse croisée de deux questions. En quoi un système d’enseignement supérieur national est-il “abordable” (Affordable)? Et en quoi est-il “accessible”  (AccessibIe)? Pour les auteurs du texte, qui fait suite à une première édition publiée en 2005, il importe en effet d’analyser mieux et plus précisément les questions d’accès à l’enseignement supérieur. Ils estiment que la plupart des analyses s’avèrent trop schématiques et pas suffisamment appuyées sur des données fiables. Ils tentent donc de comparer “l’abordabilité” (Affordability) et l’accessibilité (Accessibility) des études supérieures dans 15 pays membres de l’OCDE.

Le travail livré (disponible en téléchargement sur le site www.higheredstrategy.com) est particulièrement intéressant et mérite (et impose) une lecture soutenue. Il se fonde sur une problématique claire et comporte un exposé des motifs et une présentation des méthodes très rigoureux. L’idée principale est que le seul examen du caractère économiquement abordable d’un système d’enseignement supérieur ne suffit pas à qualifier celui-ci. Il faut en effet y adjoindre un examen de l’accessibilité sociale du système en question. Et le lien entre les deux aspects est loin d’être linéaire : il n’existe pas un rapport direct entre abordabilité et accessibilité.

La chose peut sembler évidente, mais l’intérêt de ce document est d’apporter des éléments de preuve. Ceux-ci sont bien sûr discutables et les auteurs, très explicitement, mettent en avant des aspects de fragilité de leur analyse, qui tient souvent aux difficultés à construire et à maîtriser des indicateurs fiables de phénomènes, agrégés à l’échelle nationale, qui soient de surcroit comparables entre pays — ce qui explique que, par exemple, un pays comme la Turquie ne figure pas dans cette livraison. Mais dans l’ensemble, je recommande la lecture de ce rapport très stimulant.

Pour mesurer en quoi un système d’enseignement supérieur est abordable, les auteurs privilégient une approche en termes de capacité pour un étudiant à payer (Ability to Pay) les frais inhérents aux études. Il ne s’agit donc pas seulement d’évaluer des coûts (directs et indirects), mais aussi des ressources et d’en déduire un solde. Plus celui-ci est faible, plus le système est abordable. Du côté des coûts, le rapport approche notamment les frais de scolarité et d’étude, les frais de vie (dont le logement), les taxes et charges ; du côté des ressources, sont mis en avant les revenus médians par pays, les bourses et aides, les prêts. Manière de dire que cette question ne se limite pas à celle des frais d’inscription, comme on a trop souvent tendance à le penser en France.

En ce qui concerne l’accessibilité, sont présentés des indicateurs cernant la part d’une classe d’âge inscrite dans l’enseignement supérieur, le taux de réussite aux études, le rapport hommes/femmes, choses assez classiques au demeurant, mais aussi un index d’équité (EEI). Celui-ci, construit par les auteurs, met en exergue la surreprésentation relative dans les diplômés du supérieur des individus issus des milieux sociaux supérieurs (”students from high socio-economics backgrounds“).

Au bout du compte, le classement global des 15 pays en termes d’abordabilité diffère sensiblement de celui de l’accessibilité. Plus exactement, certains pays obtiennent des positions très différentes dans l’un et l’autre. Les systèmes les plus abordables sont ceux des pays scandinaves avec dans l’ordre : Finlande, Suède, Norvège, Danemark ; les moins abordables, de la 11e à la 14e places, sont les Etats-Unis, L’Australie, le Japon, le Mexique. L’Allemagne et la France se situent respectivement à la 6e et à la 8e place. La France n’est donc pas si bien classée que cela car, si les coûts directs sont faibles (mais supérieurs à ceux des pays scandinaves), les coûts indirects sont élevés, notamment ceux du logement, par rapport aux revenus, et les aides minimes.

En matière d’accessibilité, on retrouve aux 4 premières places la Finlande, les Pays-Bas, la Norvège, et… les USA. On constate donc que les Etats-Unis possèdent un enseignement supérieur peu abordable mais, paradoxalement, très accessible, du fait de l’importance des aides aux étudiants et des actions de discrimination positive qui assurent une bonne ouverture sociale. Les dernière places du classement sont occupées dans l’ordre par : La France, l’Allemagne, le Portugal, l’Estonie, le Mexique (ce pays étant à la fois très coûteux et peu équitable).

Le rapport, dans un style sobre quoique impitoyable, décrit en ces mots la situation des pays comme la France et l’Allemagne (où l’enseignement supérieur est moyennement couteux et l’accessibilité médiocre), groupe auquel il faudrait ajouter la Suède, très mal placée en matière d’accessibilité :

“[these countrys] all have relatively mature systems of higher education, but tend to have very weak performance both in terms of participation and in terms of EEI (index d’équité). In effect, they all have smaller, more elite systems of higher education, and their scores reflect that“.

On ne saurait mieux dire. On pourrait toutefois être plus cruel et penser que l’enseignement supérieur français est à la fois pas si bon marché et peu équitable, ce qui constitue une sorte de double peine. A l’inverse, en tête du classement d’accessibilité on trouve des pays comme la Finlande (où le système d’enseignement supérieur est le seul à être à la fois vraiment peu coûteux et réellement très accessible) ou les Pays Bas et la Norvège, qui possèdent un très haut niveau d’index d’équité, donc assurent une très grande ouverture sociale des études. Suivent, après les Etats-Unis les pays du Commonwealth : Australie, Nouvelle Zélande, Canada, Royaume Uni qui, eux aussi, compensent leur abordabilité médiocre par une accessibilité réelle.

Je trouve que ces conclusions doivent nous inciter à réfléchir et à sortir des routines de pensées. Je ne me résous pas à ce que notre enseignement supérieur souffre à ce point de son manque d’ouverture sociale, que d’aucuns continuent de vouloir reconnaître et à camoufler derrière des discours sur l’élitisme républicain et sa grandeur (comme si d’ailleurs la justice sociale ne pouvait se conjuguer à l’excellence). Sauf à adhérer au conservatisme (de droite comme de gauche) qui tend à neutraliser notre capacité collective de débattre de ces questions et des politiques que nous devons construire, il faudra bien que nous nous confrontions à ce type de questions. Et que nous montrions qu’il est possible de concevoir un enseignement supérieur qui concilie équité, qualité et créativité.

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