Docs en stock : dans les coulisses de la démocratie universitaire

Non classé

Nous avons besoin d’établissements universitaires à taille humaine, structurés en petites entités autonomes

Cette tribune est parue dans Le Monde, le 29 septembre 2020.

La rentrée à l’université prend des airs de cauchemar. Nous payons le fait qu’en dix ans l’ensemble des instances locales de délibération et de décision, qui auraient été les plus à même d’anticiper les problèmes, ont été privées de leurs capacités d’action au profit de strates bureaucratiques. Le pouvoir centralisé de celles-ci n’a d’égal que leur incapacité à gérer même les choses les plus simples, comme l’approvisionnement en gel hydroalcoolique et en lingettes. Le succès instantané du concept de « démerdentiel » est un désaveu cinglant pour ces manageurs qui ne savent que produire des communiqués erratiques jonglant entre rentrée en « présentiel » et en « distanciel ».

On sait pourtant à quelles conditions les universités, au lieu de devenir des foyers de contagion, auraient pu contribuer à endiguer la circulation du virus : des tests salivaires collectifs pour chaque groupe de travaux dirigés (TD), à l’instar de ce qui est mis en place à Urbana-Champaign, aux Etats-Unis; la mise à disposition de thermomètres frontaux; une amélioration des systèmes de ventilation de chaque salle et de chaque amphi, avec adjonction de filtres à air HEPA et de flashs UV si nécessaire; l’installation de capteurs de qualité de l’air dans chaque pièce, avec un seuil d’alerte; la réquisition de locaux vacants et le recrutement de personnel pour dédoubler cours et TD, partout où cela est requis.

Un budget insuffisant

Les grandes villes ne manquent pas d’immeubles sous-exploités, souvent issus du patrimoine de l’Etat, qui auraient pu être très vite transformés en annexes universitaires. De brillants titulaires d’un doctorat capables d’enseigner immédiatement à temps plein attendent, par milliers, un poste depuis des années. Tout était possible en l’espace de ces huit derniers mois, rien n’a été fait.

De prime abord, on serait tenté d’attribuer ce bilan au fait que la crise sanitaire, inédite, a pris de court les bureaucraties universitaires, très semblables à celles qui, depuis vingt ans, entendent piloter les hôpitaux avec le succès qu’on a vu. Mais une autre donnée vient éclairer cette rentrée : les universités accueillent 57 700 nouveaux étudiants, sans amphithéâtre ni salle supplémentaire, sans le moindre matériel, sans le plus petit recrutement d’universitaires et de personnel administratif et technique. Ces trois dernières années, le budget des universités a crû de 1,3 % par an, ce qui est inférieur à l’effet cumulé de l’inflation et de l’accroissement mécanique de la masse salariale.

Certains se prévaudront sans doute de l’ « effort sans commune mesure depuis 1945 » qu’est censée manifester la loi de programmation pluriannuelle de la recherche en discussion au Parlement. Las : le projet de budget du gouvernement ne prévoit qu’un accroissement, pour les universités, de 1,1 % en 2021… Du reste, les 8,2 milliards d’euros d’abondement sur dix ans du budget de l’université proviennent des 11,6 milliards d’euros qui seront prélevés dans les salaires bruts des universitaires, en application de la réforme des retraites.

Réquisitions et réaménagements

Il y a quinze ans, les statistiques prévisionnelles de l’Etat annonçaient que la population étudiante allait croître de 30 % entre 2010 et 2025 (soit 400 000 étudiants en plus), pour des raisons démographiques et grâce à l’allongement de la durée des études. On aurait donc largement pu anticiper ces 57 700 nouveaux étudiants. Mais rien n’a été fait là non plus, hormis annoncer des « créations de places » qui n’ont jamais été converties en moyens. Le pic démographique n’est pas derrière nous; nos étudiants sont là pour plusieurs années, et les gestes barrières pourraient devoir être maintenus durablement. Le ministère ne peut pas persévérer comme si de rien n’était, voire arguer qu’il est déjà trop tard.

Face à cette situation désastreuse, nous demandons une vaste campagne de recrutement de personnels titulaires dans tous les corps de métiers, tout en amorçant les réquisitions et réaménagements de locaux, afin d’aborder la rentrée 2021 dans des conditions acceptables. Parallèlement, si nous ne voulons pas être en permanence en retard d’une crise, un saut qualitatif est nécessaire. Nous demandons donc, outre un plan d’urgence pour 2021, la création rapide de trois universités expérimentales de taille moyenne (20 000 étudiants), correspondant à ce qui aurait dû être fait pour accueillir 57 700 étudiants dans de bonnes conditions. Cela requiert le recrutement sous statut de 4 200 universitaires et 3 400 personnels d’appui et de soutien supplémentaires, soit un budget de 500 millions d’euros par an.

Nous avons besoin d’établissements à taille humaine, structurés en petites entités autonomes, mises en réseau confédéral, si besoin grâce au numérique; d’établissements qui offrent à notre jeunesse maltraitée des perspectives d’émancipation vis-à-vis du milieu d’origine et de la sclérose intellectuelle qui frappe le pays; d’établissements qui permettent une recherche autonome, collégiale et favorisant le temps long, ce qui nous a manqué dans l’anticipation et la prévention de la pandémie. Pour cela, nous préconisons l’installation de ces trois universités dans des villes moyennes, hors des métropoles, en prenant appui sur le patrimoine bâti abandonné par l’Etat et sur les biens sous-utilisés des collectivités. En effet, celles-ci possèdent d’anciens tribunaux, des garnisons, voire des bâtiments ecclésiastiques qui tombent aujourd’hui en déshérence.

Réinvesti par l’université, ce patrimoine retrouverait une utilité sociale. Sur la base des dépenses de l’ « opération Campus », la construction de ces pôles dotés de résidences étudiantes en nombre suffisant nécessiterait un milliard d’euros d’investissement, à quoi il faudrait ajouter cent millions d’euros de frais de maintenance et d’entretien. C’est le prix pour s’extraire du cauchemar. Le virus se nourrit de nos renoncements. Pour sortir les campus de l’ornière, nous devons retrouver l’ambition d’une université forte, exigeante, libre et ouverte.

Stéphane André, professeur en ingénierie à l’université de Lorraine ; Bruno Andreotti, professeur en physique à l’Université de Paris ; Pascale Dubus, maîtresse de conférences en histoire de l’art à l’Université Paris-I-Panthéon-Sorbonne ; Julien Gossa, maître de conférences en informatique à l’Université de Strasbourg ; Jacques Haiech, professeur honoraire de biotechnologie à l’Université de Strasbourg ; Pérola Milman, directrice de recherche en physique quantique au CNRS ; Pierre-Yves Modicom, maître de conférences en linguistique allemande à l’Université Bordeaux-Montaigne ; Johanna Siméant-Germanos, professeure en sciences politiques à l’Ecole normale supérieure

D’une LPPR à l’autre : 14 ans de promesses inchangées

En 2004, le gouvernement Jean-Pierre Raffarin de Jacques Chirac préparait la Loi programme pour la recherche (LPPR) de 2006, avec Luc Ferry pour ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche.

En 2020, le gouvernement Edouard Philipe d’Emmanuel Macron prépare la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) de 2021, avec Frédérique Vidal pour ministre lʼEnseignement supérieur, de la recherche et de lʼinnovation.

En 2004, « nous voulons tenir les objectifs de Lisbonne / Je crois que c’est possible ; les 3 % en 2010, il faut que ce soit possible ». En 2020, la LPPR « prévoit, avant toutes choses / d’aller vers l’objectif d’un effort national de recherche atteignant 3 % du PIB ».

En 2004, c’est « 70 milliards d’euros consacré à l’intelligence, Education et recherche. 70 milliards ! ». En 2020, c’est « un effort budgétaire supplémentaire de 25 milliards d’euros pendant les dix prochaines années, ce qui est sans précédent depuis plusieurs décennies ».

En 2006 « Le futur projet de loi prévoit une très forte augmentation des crédits de cette agence qui pourraient atteindre 1,5 Md€ en 2010 ». En 2018, l’ANR a consacré 518M€ aux appels à projets de recherche. En 2020, Il faut « Accroître de 1 Md€ les financements compétitifs de l’Agence nationale de la recherche (ANR) pour être au niveau des standards internationaux »… Pour atteindre donc 1,5 Md€.

En 2004, « il ne sert à rien d’opposer les différents types de recherche, notamment la recherche publique et la recherche privée ». En 2020, il y a « La nécessité de financer la recherche publique et de soutenir la recherche privée ».

En 2004, il faut « mettre en place un dispositif pour clarifier la responsabilité des différentes institutions publiques de recherche ». En 2020, il faut « clarifier et d’unifier la place de ces unités dans l’ensemble des établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche »

En 2004, il faut  « renforcer l’évaluation de leurs formations, de leur recherche ». En 2020, faut « une évaluation de façon harmonisée sur la totalité de leurs missions ».

En 2004, il faut « pouvoir mener des politiques qui leur soient propres, avec leurs partenaires territoriaux ». En 2020, il faut « renforcer les politiques de site de l’ESRI et l’ancrage de chaque site dans son territoire ».

En 2004, on discute de « La création d’un contrat de mission, intermédiaire entre contrat à durée indéterminée (CDI) et déterminée (CDD) ». En 2020, il faut un « un contrat à durée indéterminée de mission scientifique sera créé qui permettra d’allonger les contrats actuels ».

En 2004, on voit « le pays douter de la recherche, ou douter des capacités qu’a la société à résoudre les problèmes qui lui sont actuellement posés ». En 2020, « la société française est traversée par des courants d’irrationalité et de doutes sur les progrès et les connaissances ».

En 2004, « ce qui est préoccupant dans le développement de la Chine, c’est le développement des centres de recherche qui s’y développent ». Mais « Entre 2000 et 2016, la Chine, la Corée du Sud, l’Espagne, l’Allemagne, les Etats-Unis, l’UE-28 et le Royaume-Uni ont augmenté leur DIRDA significativement plus que la France ». En 2020, donc, « il est évident que, sur de nombreux sujets, c’est uniquement à l’échelle de l’Europe que nous pouvons espérer rivaliser avec les géants de la recherche que sont les Etats-Unis et la Chine ».

En 2004, Bernard Larrouturou était PDG du CNRS. En 2020, l’auteur du rapport annexe de la LPPR est « blarrout ».

En 2004, le gouvernement était « dans l’impasse des retraites ». En 2020 aussi.

En 2004, le gouvernement annonçait « des réformes qui, dès cet été, seront en place pour les 20 ans qui viennent ».

En 2020, « Une loi de programmation est nécessaire » car « La dernière loi de programmation de la recherche est la loi n° 2006-450 du 18 avril 2006. L’absence de loi de programmation de la recherche depuis cette date est sans doute un des facteurs ayant conduit à l’état des lieux détaillé ci-dessus. »

En 2004, peut-être pouvait-on y croire. En 2020, le peut-on encore ?

Références

LPPR 2006

LPPR 2020

Les formidables opportunités de la loi de transformation de la fonction publique

La loi de transformation de la fonction publique va être très rapidement être adoptée en procédure accélérée. Il faut s’en féliciter, car elle représente de formidables opportunités pour les universités… et surtout leurs présidents, qui vont enfin pouvoir devenir pleinement de « vrais managers, de vrais chefs d’entreprise » !

Le titre II du projet de loi vise à développer les leviers managériaux pour une action publique plus efficace.

Il permet aux responsables publics d’exercer pleinement leurs missions d’encadrement. Il prévoit ainsi de nouveaux leviers permettant de répondre aux évolutions et transformations du service public en facilitant le recrutement des compétences nécessaires, en valorisant l’engagement professionnel des équipes et en accordant plus d’autonomie dans la procédure disciplinaire.

Des leviers agiles pour restructurer les collaborateurs

Bien sûr, il viendra tout de suite à l’idée ces (nombreux) collègues qui (il faut bien l’avouer) ne font pas correctement leur travail en usant de leur garantie de l’emploi, voire même à ces enseignants-chercheurs qui parfois usent de leur liberté et de leur indépendance pour n’en faire qu’à leur tête. Cette loi va (enfin) permettre de les pousser vers la sortie.

L’article 27 crée un « dispositif global d’accompagnement des agents dont l’emploi est supprimé dans le cadre de la restructuration d’un service ou d’un corps« . Néanmoins, il s’agit là d’un levier à large assiette (une masse d’arme), qui ne sera utile que pour organiser des plans de sauvegarde massif de l’emploi.

On lui préférera l’article 28, qui « entend doter l’administration d’un dispositif d’accompagnement des changements de périmètre des services publics qui s’opèrent notamment en confiant à une personne morale de droit privé tout ou partie des activités qui était assurée directement par l’administration« . Le service scolarité coûte cher dans votre établissement ? Pourquoi ne pas la confier à une personne morale de droit privé, qui s’en chargera bien mieux que votre administration ? Il faut espérer que cette disposition puisse être appliquée aux composantes, qui seraient ainsi enfin mise face à leurs responsabilités dans l’exercice (souvent dispendieux) de l’enseignement.

Mais la disposition la plus utile sera sans doute la rupture conventionnelle, instaurée par l’article 26. C’est un véritable scalpel permettant de retirer les cellules malignes du corps administratif. Combinée avec l’article 13, qui souligne l’importance « du critère de l’engagement professionnel et du mérite » dans « la détermination de la rémunération de tous les agents publics« , avec l’article 15, qui précise « les modalités d’abaissement d’échelon et de rétrogradation« , et avec l’article 3, qui supprime les CHSCT, mais aussi des disposition comme la suppression des 192h, il ne sera pas bien difficile de rendre la porte plus attirante que la chaise pour les collaborateurs indésirables.

Mais ces bâtons ne seraient rien sans une carotte.

Vers un financement moderne de la recherche

On ne compte déjà plus les collaborateurs dont les recherches ne sont plus financées. Ce sont généralement les recherches auxquelles on ne comprend rien et dont la valorisation est loin d’être évidente. L’efficacité du financement par appel à projet n’est donc plus à prouver, mais ce projet de loi présente une formidable opportunité pour réellement organiser la compétition entre les chercheurs. En effet, sans compétition pas de gagnants, et tout le monde aime les gagnants (alors que les perdants, pas trop, pour ceux-là, voir les levier agiles présentés précédemment).

Actuellement, les financements ont des durées longues, parfois jusqu’à 5 (cinq) ans ! Même si c’est généralement beaucoup moins, de telles durées sont incompatibles avec le monde moderne ! De plus, avec la concentration disciplinaire des financements, de très nombreux chercheurs travaillent exactement sur le même sujet. Lorsque plusieurs équipes sont ainsi en compétition, quelques mois suffisent à savoir qui va gagner. Le end-game s’éternise donc et représente un gâchis d’argent public.

L’article 8 « crée un nouveau type de contrat à durée déterminée au sein de la fonction publique, le contrat de projet« . Ce contrat de projet est formidable, car il prend fin « lorsque le projet ou l’opération se termine de manière anticipée ». La perspective d’une véritable agilité dans le financement de la recherche ?

Appels Nationaux à Projets Excellents (ANPE).

Dans les ANPE, une dizaine d’équipes sont mises en compétition sur un seul et unique sujet. Tous les six mois, une revue d’avancement permet de trier les projets par ordre de valorisation. La moitié des projets la moins bien évaluée est immédiatement arrêté, et les contrats de projet se concluent quasi-automatiquement.

On évite ainsi d’inutiles dépenses, dans une saine compétition entre les chercheurs, qui permet l’émergence naturelle des seuls Excellents !

Bien malheureusement, les syndicats (qui décidément ne comprennent rien à la modernité) ont obtenu que le contrat de projet ait une durée minimale d’un an. Il faudra donc attendre un temps encore bien trop long avant de trier les Excellents des autres, là où quelques semaines suffisent parfois (on ne va pas se le cacher, bien souvent on connait les Excellents avant même la rédaction de l’appel à projet).

Le chemin vers l’agilité est long et semé de disruptions, mais rien ne semble pouvoir ralentir la modernisation des Universités.

Bon premier avril à tout le monde. Ou pas.

Parcoursup : Comment créer des places à l’Université (d’un coup de baguette magique) ?

On a pu lire, ici ou , la création de 19000 places à l’Université. Par « places », on imagine tous très bien une chaise dans une salle avec un enseignant. 19000 places, c’est énorme : l’équivalent d’une nouvelle université. De quoi résoudre une bonne partie des problèmes rencontrés par l’enseignement supérieur.

En approche budgétaire, une année universitaire coûte en moyenne 11000€, ce qui reviendrait à un financement total de 209M€. Pourtant, l’annonce la plus spectaculaire est de 500M€ sur 5 ans, soit 100M€ par an, c’est-à-dire moins de la moitié. Ces 500M€ ne sont de toutes façons pas consacrés à l’augmentation des places, mais à la mise en oeuvre des mesures d’accompagnement.

D’où viennent donc ces 19000 places supplémentaires ?

Tout d’abord, il faut savoir que la notion de « places » n’existe pas à l’Université. Ce n’est pas comme un cinéma, où il suffit de compter le nombre de fauteuils. Dans une universités, il y a des salles de types différents, des cours différents, des enseignants différents, des mutualisations et des effets de seuil… Bref, personne ne sait « compter les places » ni même définir ce que ça veut dire. Alors, en soi, déclarer un nombre de places supplémentaires n’a pas vraiment de sens.

Il y a cependant deux notions approchantes :

  • les effectifs : c’est le nombre d’étudiants inscrits dans une filière. Il ne correspond jamais au nombre d’étudiants présents : les effectifs sont toujours supérieurs, voire très supérieurs, ne serait-ce que sous l’effet des abandons de début d’année.
  • Les capacités d’accueil : c’est le nombre maximum de bacheliers qui seront admis en L1, et qui a dû être déclaré par toutes les filières pour la première fois cette année.

Une augmentation du nombre de « places » ne peut être déduit ni des effectifs (puisqu’on ne connait pas ceux de l’an prochain), ni des capacités d’accueil (qui n’existaient pas l’an dernier). En sacrifiant de la rigueur, il peut éventuellement être déduit de la différence entre les effectifs de l’an dernier et les capacités d’accueil de l’an prochain. Cependant :

  • il est bien peu rigoureux de soustraire deux valeurs de types différents (« des patates et des carottes ») ;
  • les effectifs ne représentent pas le nombre de places (entre les chaises vides et les salles trop pleines) ;
  • ce calcul est totalement dépendant de la façon dont ont été définies les capacités d’accueil.

Comment ont été définies les capacités d’accueil ?

Il est impossible de le savoir au niveau national. Cependant, je peux expliquer comment cela s’est passé au niveau local.

Comme il fallait être prêts pour la loi pas encore votée, il a été demandé à toutes les équipes pédagogiques de réfléchir à leurs capacités d’accueil, mais avec l’objectif d’ajouter 10% aux effectifs de l’an dernier. Les filières qui ne pouvaient ou ne souhaitaient pas appliquer mécaniquement ces 10% devaient se rapprocher de la Vice-Présidence Formation pour une négociation à huis-clos.

Ensuite, les capacités d’accueil ont été remontées pour vote à la CFVU… Mais dans le même temps, le calendrier étant contraint, ces capacités d’accueil ont été redescendues par le rectorat. Selon la loi, c’est en effet le rectorat qui fixe les capacités d’accueil, et pas le président de l’université. Les capacités d’accueil n’ont donc pas été approuvées par la CFVU.

Les capacités d’accueil ont ensuite été soumises au CA, qui les a votées sans en discuter les détails.

Au final, les capacités d’accueil locales sont donc les effectifs de l’an dernier auxquels on a ajouté +10%, à quelques négociations près.

Jusqu’ici ça va… C’est après qu’il y a des problèmes

S’il faut fixer des capacités d’accueil, il aurait mieux valu prendre le temps de réellement faire un état des lieux et compter le nombre de « places »… Mais puisqu’il faut aller vite, ajouter 10% aux effectifs de l’an dernier, pourquoi pas… Là où ça devient grave, c’est lorsqu’on découvre dans la presse : « À l’Université de Strasbourg, le nombre de places en première année passera de 12 255 à 13 475 (+ 10,2 %) » dans une article intitulé « 1490 places supplémentaires dans le Grand Est à la rentrée 2018 » (mais aussi celui-ci et celui-là).

Non, il n’y a pas « 10,2% de places en plus à l’Université de Strasbourg« , mais « les capacités d’accueil de l’Université de Strasbourg ont été fixées à 10,2% au dessus de ses effectifs de l’an dernier« , ceci sans rapport avec un quelconque financement, ni considération pour le nombre de salles, de chaises ou d’enseignants.

Est particulièrement trompeuse la manœuvre consistant à recalculer les 10,2% à partir des capacités d’accueil et des effectifs de l’an dernier, alors que ces capacités d’accueil sont calculées à partir des effectifs de l’an dernier auxquels on a jouté 10%.

Donc si les « 19 000 places supplémentaires », également évoquées dans ces articles, proviennent du même calcul, elles n’ont pas plus de rapport avec un quelconque financement, ni considération pour le nombre de salles, de chaises ou d’enseignants. Elles relèvent également d’une manœuvre particulièrement trompeuse.

A vot’ bon cœur

La loi de Goodhart indique que « lorsqu’une mesure devient une cible, elle cesse d’être une bonne mesure« . Le « nombre de places » est par nature une mesure. On voit ici ce que cela donne lorsqu’on la considère comme une cible.

Il faudra attendre l’an prochain pour pouvoir mesurer les choses proprement, à savoir mesurer séparément les évolutions des effectifs et des capacités d’accueil. Ce tour de passe-passe sera alors beaucoup plus difficile à faire, et on réalisera peut-être la supercherie… Trop tard ?