Le risque de la taylorisation du management

  

Le XXe siècle a été témoin d’un effort de productivité sans précédent. Le passage progressif de l’artisanat à l’industrie a généré d’immenses progrès dans l’ensemble de la sphère industrielle. Il s’est agi non seulement des nouvelles technologies mais également de tous les dispositifs organisationnels nouveaux, méthodes de travail, fonctionnement d’équipe, management etc.

Corrélativement le coût des produits manufacturés a baissé en valeur relative car les progrès de l’automatisation, la pression sur les coûts de main-d’œuvre, les délocalisations ont permis d’obtenir des réductions de coûts importantes.

 

Une fois ce travail fait dans les usines, notamment en Europe et aux États-Unis, les consultants et organisateurs se sont penchés sur l’autre poste des coûts salariaux, à savoir l’encadrement et les managers.

Il est apparu que les efforts de productivité avaient sans doute été moins élevés sur ces postes la que sur les postes purement industriels. Le potentiel de gain est apparu important, de l’ordre de 40 % de la masse salariale concernée, qui compte tenu des niveaux de salaires est importante.

 

Progressivement ceci a généré dans l’ensemble des entreprises une série de dispositifs destinés à améliorer la productivité organisationnelle. Ces nouveaux outils de productivité managériale sont issus pour la plupart du monde anglo-saxon et plus particulièrement des grandes business schools américaines et des écoles de psychosociologie.

Il faut savoir au départ que l’essentiel de la réflexion sur les questions d’organisation et de logistique ont été menée dans le cadre de l’armée américaine à l’occasion de la deuxième guerre mondiale. Un retour au pays nombre de soldats engagés pendant le conflit se sont vus proposer des formations managériales directement inspirées des innovations organisationnelles liées à l’effort de guerre.

L’utilisation de métrique de plus en plus sophistiquée a envahi tous les espaces et toutes les fonctions managériales qu’il s’agisse de la finance, du marketing, des ressources humaines. Ce qui ne se mesure pas ne s’améliore pas, disent les experts. Progressivement donc les approches qualitatives ont cédé le pas aux approches quantitatives. Ceci a influencé même les modalités de recherche dans les business Schools aux États-Unis. Les thèses doctorales américaines en management sont essentiellement des approches quantitatives sur le modèle des recherches scientifiques classiques.

 

Les outils ont suivi. Assessment, évaluation, définition des objectifs chiffrés, formalisation de la stratégie, approche par la qualité totale, six sigma, le management par projet, la bureautique, jusque et y compris le Balanced Score card. Muni de ces nouveaux outils les « râteaux » organisationnels se sont considérablement élargis. Là ou un manager encadrait six à sept personnes, il en encadre désormais le double ou le triple.

La productivité organisationnelle a donc fait un bond considérable soutenu en ce sens à l’évolution des nouvelles technologies. Qui désormais a une assistante ? Qui dans l’entreprise n’utilise pas aujourd’hui l’ensemble des procédures informatisées pour toutes les tâches d’administration ? Sans doute ceci est un bien mais ces pratiques ont considérablement changé les tâches quotidiennes des dirigeants et autres managers. Tâches ancillaires sans réelles valeur ajoutée, mais certainement dévoreuse de temps. Ils passent désormais de plus en plus de temps à compléter les procédures informatisées, et à évaluer leurs équipes. Parallèlement ils sont encore plus contraints à l’atteinte de leurs objectifs et de leurs performances.

 

Les tâches des managers ont changé, le temps disponible pour inventer et mettre au point les nouvelles activités produits ou services s’est considérablement réduit, et la dimension créative et innovante a été réduite à sa plus simple expression.

De plus en plus les décisions sont l’objet de réunions et de comités innombrables, car personne ne peut décider seul. Les mails et les messages vocaux s’accumulent, et le week-end devient le seul moment où cette surcharge peut se traiter, au détriment de la famille. Les 35 heures n’ont fait que rajouter à la tension.

La pression aidant nombre de managers ne retrouve pas l’intérêt dans leur travail. Ceci explique pour beaucoup les attitudes des nouvelles générations de diplômés face à leurs employeurs, et l’évolution de leur loyauté à l’entreprise. Il est vrai qu’ils ont vu leurs parents souvent mal récompensés de leur engagement.

 

Il importe donc de repenser en utilisant au mieux les nouvelles et technologies, les responsabilités du management et de redonner la part de liberté, d’innovation et de créativité que tout dirigeant doit avoir dans sa mission. En ce sens l’abus de coaching est un témoignage fort de l’absence de disponibilité et d’écoute du management vis-à-vis de ses troupes.

Le risque de l’incapacité de faire face aux attentes : from stress to distress

 

Comment arriver à maîtriser et à optimiser toutes ces attentes  sans savoir se manager soi-même et développer des relations saines, ressourçantes et vivifiantes avec ses proches.

 

Les cas de plus en plus fréquents de pathologies, voire de suicide de managers incapables de concilier ces multiples attentes doivent nous alerter, on est peut être parvenu à une limite et le rôle de la DRH est certainement de veiller à une meilleure hygiène du travail.

 

Le management de soi se cristallise fortement autour du management de son temps.

Tous les managers  se plaignent d’être surchargés, de devoir sacrifier beaucoup à leur métier de manager. 

Comment les managers affectent-ils leur précieux temps ,à quelles tâches donnent-ils la priorité ? Comment répondent-ils à une demande de rendez vous, en fonction de la qualité du demandeur, de l’importance du problème ? Qui gère leur agenda ?

Lorsqu’on leur demande de comparer l’affectation de leur temps aux priorités qu’ils se fixent, à l’évidence une part conséquente de leur temps est affecté à des taches qui ne sont pas jugées prioritaires. Dans nombre de cas c’est la pression qui gère l’agenda, les managers n’en sont plus maîtres

Comment équilibrent-ils leur vie professionnelle, et familiale, le temps consacré aux amis, à la société, le temps pour se cultiver?

Là encore la conclusion s’impose, la vie professionnelle a pris le dessus sur la plupart des autres relations, paradoxalement avec les RTT c’est pire. Certes il y a plus de congés mais au prix d’une pression forte pendant les périodes d’activité.

Même si nous sommes inégaux devant notre patrimoine originel et original de santé physiologique et mentale, il nous appartient de le maintenir sinon de le construire.

Avec l’âge et l’expérience nous savons ce qui nous fait du bien et nous ressource et ce qui nous fatigue. Nous connaissons le coût des expédients et des abus. Chacun gère ses priorités à sa façon et a une représentation personnelle du temps et de la durée.

 

Certains d’entre nous ont plus ou moins besoin de sommeil, résistent plus ou moins au stress, véritable maladie de type immunodépresseur, et connaissent les configurations meurtrières de stress, fatigue, absence de repos et mauvaise alimentation.

 

Certes les gratifications narcissiques sont là pour aider les managers  à supporter la partie sombre de leurs responsabilités. Mais elles sont autant d’artifices, et sont créatrices de dépendance. Rien de tel que de perdre un poste de haut niveau pour en comprendre l’impact et découvrir le sevrage, la frustration ou le deuil.

 

Comprendre ses croyances, ses désirs profonds, ses états d’esprit, avec leur angoisses et incertitudes,  les tempérer, maîtriser ses projections, savoir servir plutôt que se servir, sont autant de signes de la tradition du manager humaniste de notre culture.

 

Chacun doit connaître son mode de ressourcement, et les exercices de recueillement qui lui conviennent. Qu’est ce que j’aime faire , ou ne pas faire, qu’est ce qui me procure de la joie,  de la peine, comment puis je le mieux aider les autres, quel est mon projet de vie, professionnelle, personnelle, que suis-je prêt à sacrifier, quelle est ma relation au pouvoir, à l’argent, à l’amour, à l’autorité, au temps et à l’espace, à l’environnement, autant de sujet de réflexion qu’un manager doit pouvoir renseigner ?

 

Suis-je un dirigeant séducteur, un leader naturel, ou un manipulateur, ai-je envie de diriger, avec toutes les conséquences de ce choix ou suis je plutôt sur le registre de la contribution par mon expertise ?

 

Reste encore à explorer quelque chose d’aussi intime qui est le registre de la relation avec les proches. Quelle place je leur accorde, et si je ne peux leur donner tout ce qu’ils souhaitent, quelle forme de compensation de qualité puis- je leur apporter ?

 

Car, la vie professionnelle est de plus en plus exigeante et son coût sur les personnes de plus en plus élevé. Les postures héroïques sont admirables, certes, mais elles sont psychiquement coûteuses, et appellent des compensations. Qui, ou quoi procure ces compensations, et dans quelles conditions ?

 

Nous avons désormais dessiné la vie professionnelle comme une compétition de haut niveau, qui se déroule en continu. Les exigences sont croissantes. Sommes nous prêts à les assumer et pendant combien de temps ? Comment pouvons-nous récupérer de ces efforts, autrement que par des subterfuges ? Il serait sain de prendre en compte les évolutions des besoins individuels et s’arrêter de penser que tout le monde veut diriger le plus longtemps possible et même au delà des limites raisonnables. La vie nous apprend que l’on fait avec plaisir certaines choses à certaines époques et d’autres choses à d’autres époques. « A chaque âge son plaisir » devrait pouvoir s’appliquer aussi au type de fonction managériale que l’on souhaite exercer.

 

 

En conclusion, il apparaît que les managers doivent par des réflexes d’anticipation, se préparer à la gestion de touts ces rôles.

Dans des économies dynamiques et complexes les états d’équilibre sont transitoires et éphémères.

Seule une vision prospective anticipatrice, prenant en compte l’intérêt de l’organisation et des partenaires, y compris le décideur lui-même peut parvenir à une optimisation partielle. Il ne s’agit pas forcément d’être excellent, il est surtout question d’arbitrage et de cohérence entre les ressources et les projets, entre les moyens et l’organisation, entre les clients et les fournisseurs. Comme un jongleur le manager doit lancer son action, la conserver autant qu’il est nécessaire et savoir la terminer sans casser les entités qu’il a mises en mouvement. Chaque dimension supplémentaire de la complexité à gérer, génère un niveau d’attention et de soin proportionnellement plus important car il entre en combinatoire avec d’autres déjà en mouvement.

 

tiré de l’Ouvrage le DRH Stratège: Réale Dufour 2eme édition 2009 Eyrolles

 

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