La grande majorité des fusions ne produisent pas les synergies escomptées. Ceci est avéré dans le domaine des entreprises par de multiples études, pourquoi en serait-il autrement dans les autres organisations ?
Les motivations économiques des dirigeants cachent souvent une problématique d’hubris, qui n’a souvent rien de rationnel. Etre plus grand n’est pas une stratégie. Etre meilleur peut en être une.
Certaines fusions réussissent et il est intéressant d’en comprendre les raisons. Le rapport FNEGE sur les fusions prenait en compte certains de ces composantes, même si sa tonalité était plutôt angélique.
Comment analyser les fusions.
Une institution, comme un être humain, est un ensemble cohérent constitué de plusieurs dimensions : limitons nous à 9.
- Un terroir, un environnement porteur, riche et attractif
- Une gouvernance qui régit les rapports entre le terroir et l’institution
- Une identité, une culture propre qui sous-tend l’affectio societatis
- Une stratégie différenciante constituée d’axes de développement
- Un projet institutionnel cohérent qui rassemble par une véritable convention d’effort partagé
- Une organisation basée sur des ressources et des acteurs engagés
- Des statuts de personnels adaptés à la profession
- Des programmes et des contenus de qualité en phase avec le projet
- Des moyens matériels appropriés financiers, locaux, Système d’information…
Comme dans un orchestre, il peut y avoir dans une fusion, des institutions de « pupitres » différents, mais il faut qu’il y ait globalement harmonie et cohérence de gamme, de rythme, de contenu, et que l’on suive la même partition. Pour que l’assemblage fonctionne il faut que chaque partie renforce l’autre.
Dans le monde viticole, tous les cépages ne s’assemblent pas harmonieusement, et vin rouge plus vin blanc ne font pas du rosé.
Une fusion n’est jamais une solution, mais c’est toujours une aventure. Un attelage mal conduit, mal équilibré ou qui ne s’accorde pas, mène à la déroute, à la cacophonie.
C’est bien sûr ce que l’on observe aujourd’hui sur certains de ces projets.
Pour étudier ces fusions, passons-les au crible de nos 9 dimensions. Précisons que les trois premières ont un poids double des suivantes, car elles sont plus longues et difficiles à faire évoluer rapidement. Notre analyse ne concerne pas que les Ecoles de Management. Les Ecoles d’Ingénieurs peuvent suivre la même démarche.
Sur chacune de ces dimensions nous pouvons juger de la cohérence/compatibilité du projet de fusion. En chiffrant de 0 à 5 ( 5 la note la plus favorable) on peut apprécier chaque fusion.
Etudions 8 cas que nous appellerons, A,B , C, D , E, F, G,H
A : 2 institutions proches géographiquement plus portés sur l’Executive Education
B : 2 institutions, une publique, une privée dans le même environnement
C : 2 institutions de statut consulaire de classement identique
D : 2 institutions dans le même terroir dépendant de la même tutelle
E : 2 institutions dont une fortement consulaire éloignées géographiquement
F : plusieurs institutions consulaires éloignées géographiquement et de niveau différent
G : 2 institutions consulaires éloignées géographiquement proches dans leur classement
H : Une école de management et une école d’ingénieur dans le même environnement
Un exercice d’évaluation quantitative rapide, sans aucune prétention scientifique ni objective, montre que seuls :
2 projets dépassent nettement la moyenne, H et D,
1 est très honnêtement noté : B
2 sont à la moyenne, A et C
2 sont en dessous de la moyenne E, et G
1 est clairement disqualifié F
L’absence d’un terroir commun (critère 1) est particulièrement sensible, comme d’ailleurs le manque de cohérence, l’instabilité ou la bi ou tri-polarité dans la gouvernance (critère 2).
Ces remarques valent aussi pour d’autres institutions qui souffrent de ne pouvoir stabiliser leur direction générale.
L’intérêt d’une telle approche est qu’elle permet d’identifier les problèmes a priori, et qu’elle donne des objectifs aux parties prenantes. Par la suite cela offre également la possibilité de traiter les points faibles. Certains, comme l’absence de terroir commun doivent appeler à une plus grande créativité pour imaginer de nouveaux terroirs communs (la région parisienne, l’étranger, le digital…), mais cela nécessite un investissement important, en temps et en argent.
Comment ne pas réussir sa fusion ?
Le plus fréquemment, les décisions de fusion sont prises par les tutelles ou les Directions générales sur des analyses rapides et des hypothèses de synergies rarement explicitées. L’approche est « top down ». Elle néglige bien sûr l’analyse fine des 9 dimensions évoquées plus haut. Cette démarche a l’avantage d’avancer vite, mais ne règle pas les problèmes et crée beaucoup de tensions et frustrations. Le résultat est finalement coûteux tant sur le plan financier que pour les personnels. L’échec n’est pas toujours au rendez-vous, mais le résultat n’est pas là.
Les institutions ne sont pas des entreprises et les critères économiques ne sont pas dominants. Les institutions sont des organisations particulières qui, d’une certaine manière appartiennent aux parties prenantes : élèves et anciens élèves, corps professoral, personnel administratif entre autres, sans oublier leur environnement, les collectivités et la tutelle propre. Décider sans l’avis de certains est dangereux.
Sans doute, élèves, diplômés, entreprise et professeurs sont parmi ceux qu’il faut associer à la manœuvre, car ils sont le cœur de l’institution.
Comment faire alors ?
Il faut donc mettre en place une approche par groupe projets « bottom up » en privilégiant le travail coopératif et en concourrance sur une demi-douzaine de sujets importants : gouvernance, axes de recherche et corps professoral, programmes, relations entreprises, relations internationales, en y associant sous forme de chantiers en parallèle : professeurs, diplômés, entreprise, encadrants, tutelle…
On ne règle pas tous les problèmes mais au moins on les explicite. Cette démarche a été utilisée dans un des chantiers plus haut avec succès. Certes elle prend du temps (18 mois), mais c’est autant de gagné pour la suite.
Fusionner des institutions c’est un peu comme fusionner des abbayes appartenant à des ordres monastiques différents. Même si le projet final est en gros le même, les chemins pour y parvenir sont vécus comme différents, les règles monastiques différentes, et chaque moine est en soi un univers qui a son propre cheminement. Chacune de ces individualités doit accepter de coopérer au projet en contribuant de sa démarche. Sans cette convention d’effort, inutile d’accélérer le processus.
Mais on ne vend pas une convention d’effort à une collectivité. Il faut la construire, individu par individu, projet par projet, en respectant les traditions, l’histoire, les croyances de chacun. Certes l’innovation est nécessaire mais elle doit prendre racine dans la tradition.
Bien souvent la notion de respect fait défaut dans ces démarches de fusion. Qu’il s’agisse de respect des hommes, de l’environnement, de l’histoire des institutions. La suite on la connait.
Mais les conseils ne servent qu’ ceux qui les donnent, ou qui les vendent !