L’affichage des noms de deux professeurs sur les murs de l’IEP de Grenoble, marque une nouvelle étape < voir : https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/03/08/sciences-po-grenoble-enquete-ouverte-apres-les-accusations-d-islamophobie-contre-deux-professeurs_6072295_3224.html
L’enjeu des accusations de fascisme, de l’exigence de démission, de la proclamation que « l’islamophobie tue », dépasse la qualification d’ « injure à un particulier » pour laquelle une enquête est ouverte
D’abord il y a là une trop réelle menace pour la sécurité de ces deux collègues, ainsi nommément désignés. Le récent assassinat de Samuel Paty ne peut malheureusement laisser aucun doute à ce sujet.
Ensuite, la volonté d’intimider se veut exemplaire et situe au-delà de la question de la liberté d’expression. Il ne s’agit donc pas simplement d’avoir à « établir la responsabilité de chacun » comme l’évoque le communiqué de la ministre.
Il se trouve que ce type d’accusation n’a besoin ni de faits ni de preuves. Que l’accusatrice de Samuel Paty vienne précisément de reconnaître le mensonge par lequel tout le malheur est arrivé, en témoignerait avec force s’il en était besoin. Le redoutable danger de telles annonces réside dans l’effet d’entrainement qu’elles possèdent désormais alors que la circulation de l’infaux vaut pour sa véracité. C’est devenu le propre de la diffusion sur les réseaux sociaux sur lesquels ont, précisément, circulé très vite des photos des affiches incriminant les enseignants de Sciences-Po Grenoble.
La « culture du débat » devient impossible à assurer dès qu’elle est soumise à la disqualification de l’autre. On ne discute plus des idées, on proclame l’anathème. Tel qui tient des propos a priori réprouvés est disqualifié, il n’a plus droit à la parole, est exclu du débat, devient frappé d’interdit. Voilà un point de vigilance majeur !
La pratique de l’excluions n’est pas neuve. Pour s’en tenir au XXème siècle, on peut citer l’Allemagne nationale-socialiste et sa loi de 1933 (Berufsbeamtengesetz) qui fondait les disqualifications massives de secteurs entiers de la population ou la révolution culturelle chinoise et ses gardes rouges qui avaient, notamment, promulgué la lutte contre les « quatre vieilleries » et les « cinq catégories noires ».
Dans les deux cas (et de façon explicite en Chine) il s’agissait d’une lutte entre « cultures », d’un combat pour assurer une hégémonie. La différence majeure avec les disqualifications proclamées aujourd’hui tient à ce que tandis que les unes étaient animées avec le soutien du pouvoir en place et adossées à des lois (fussent-elles scélérates), les autres constituent des infractions caractérisées aux lois en vigueur, à la pratique de la démocratie et au respect des opinions de chacun (essentiel dans nos démocraties, au point, par exemple, que le souci de l’intérêt général puisse reculer face aux fortes hésitations devant l’obligation de vaccination).
Ainsi, aux Etats-Unis l’abrogation de la loi de Lynch, pourtant pratique de justice expéditive relevant de « tribunaux » irréguliers, a nécessité l’adoption de toute une batterie de lois …. et une évolution culturelle majeure, encore loin d’être acquise par tous.
Il faudra bien qu’en France, dans les pays démocratiques, soient inventés des moyens et des pratiques permettant de protéger les citoyens et les institutions, de dénoncer les infaux, de rendre impossibles toutes les disqualifications a priori. La tâche est, d’autant plus complexe qu’elle réactive les conflits historiques individus/société d’une part, foi personnelle et pratiques sociales de l’autres. C’est pourtant ce défi que nos sociétés vont devoir affronter, ce qui exige d’abord de nommer les choses, première, et déjà conflictuelle, étape.
One Response to Islamophobie(2) : les procès en disqualification