Les écrits de l’avant dernier bac avant la réforme se sont déroulés dans une sérénité qui n’aura pas été troublée par les appels à la grève des surveillances. Tant mieux pour les candidats.
Ce n’est pourtant pas une raison suffisante pour négliger les réactions suscitées par la réforme du baccalauréat, ni surtout pour ne pas s’interroger, dès maintenant, sur la portée et la signification de cette évolution, voire de demander, dès maintenant, qu’elle soit ré-orientée.
Pourquoi ?
Sans doute d’abord parce que cette réforme n’est pas une « simple » évolution de l’examen qu’est le baccalauréat.
Diverses présentations, notamment sous forme de vidéos, ont été mises en place pour informer et convaincre les usagers, futurs bacheliers et parents. J’en retiendrai deux qui me paraissent particulièrement représentatives.
La première https://www.youtube.com/watch?v=zwKkQVJzAEA affiche le slogan ministériel « l’école de la confiance » et le logo du ministère ; sinon officielle, la communication est, du moins, labellisée. Les intervenants ne le sont pas moins puisque cette vidéo réunit, par ordre d’apparition à l’image, la présidente de la conférence des doyens de droit et science politique, le président de Science Po Lille et rédacteur du rapport pour la réforme du lycée, le vice-président de la Conférence des Grandes Ecoles, le président de l’université de Cergy-Pontoise.
La question n’est pourtant pas tant celle de l’identité des éminences qui s’expriment, que celle du contenu d’un message porté par des institutionnels ès qualité et non des représentants des disciplines, singulièrement scientifiques.
Le propos, modulé à mesure que se succèdent les intervenants, répète en fait un message unique : « ne vous inquiétez pas », « prenez des spécialités qui vous plaisent », « évitez les choix utilitaristes » (comprendre qui faciliteraient l’accès à telle ou telle filière d’études supérieures), « choisissez en fonction de vos passions », avec peut-être une nuance s’agissant des universités dont il semble acquis que leur public n’est pas le même, n’a pas les mêmes attentes, les mêmes besoins, elles assurent donc que « nous (les universités) saurons vous accompagner ».
Globalement, nous voilà chez Rabelais : « fais ce que voudras » (implicite), chez Montaigne : « nous cherchons des têtes bien faites » (explicite), en un mot chez les humanistes. Il s’agissait alors de permettre de comprendre et de juger par soi-même, de rompre avec le poids des commentaires et de la rhétorique du Moyen-Age. Les enjeux étaient importants, les humanistes permirent la Renaissance et l’Europe des Lumières.
Ce beau et vaste programme semble oublier que l’utopie de l’abbaye de Thélème, cette affirmation d’une liberté de suivre ses choix, se nourrissait d’une estimation de la nature de l’homme comme foncièrement bonne, et se mettait en place sous l’égide de la thélèma (dont l’abbaye tirait son nom et que le Nouveau testament définissait comme l’expression de la volonté divine manifestée en l’homme, sans que sa raison intervienne). Plus décisif encore, et plus en prise avec les réalités d’aujourd’hui, la population de l’abbaye a fait l’objet d’une sélection.
Laisser croire aux futurs candidats-bacheliers que la positive attitude est celle du libre abandon à leur passion, n’est pas une raffarinade déplacée, c’est une duperie. C’est aussi un instrument de reconstruction d’une élite implicite et un obstacle de plus au déploiement de l’égalitarisme républicain (quoi que l’on puisse en penser, il reste central dans le discours).
J’en viens à la seconde vidéo évoquée plus haut: https://www.youtube.com/watch?v=h21szw0kACs Cette fois il n’est pas question d’onction ministérielle. On s’y réclame des « conseils des Bons Profs » (pour y accéder ne pas hésiter à suivre le premier conseil consistant à « ignorer l’annonce qui ouvre la vidéo »). En mode complice (ainsi l’usage du tutoiement), la présentation annonce « il n’y aura plus de mathématiques obligatoires en première ». Les différentes spécialités sont ensuite déclinées selon « ce que tu veux faire » … et sont « naturellement » organisées autour d’un inventaire des types de « prépa », pour conclure sur une invitation à choisir « ta » spécialité en fonction de « ton » projet post-bac, à défaut de choisir « en fonction de tes goûts » …
Ce re-looking du bac (pour user de la lingua franca d’aujourd’hui) présente trois traits essentiels guère évoqués, qui devraient pourtant très vite justifier que ses errances soient condamnées :
1- le message « de fond », « faites ce que vous voulez » montre, sans plus aucun masque, le fait que les enjeux de l’enseignement supérieur et des voies pour y accéder sont posés par une règle que je nommerai des 3 « A », Ailleurs, Avant, Autrement,
2- pas plus que les précédents, ce « nouveau » bac ne prend en compte la question de l’échec massif en premier cycle dans des universités de plus en plus destinées à celles et ceux que les tamis précédents n’auront pas retenus (et que les universiés « sauront aider »),
3- comme le pointent déjà à leur façon les deux items précédents, le dispositif renforce la double et dommageable fracture de l’enseignement en France, d’un côté, tout au long du parcours éducatif, la double offre public vs privé (instrument de reproduction des fractures socio-économico-culturelles), de l’autre universités/écoles (et les différences dans l’approche de la formation qui les caractérisent depuis l’origine) ; il se « contente » de prolonger la dévalorisation des connaissances et des méthodes donnant accès à la pensée scientifique.
Alors que les infox rayonnent, personne ne s’aviserait du danger d’un éloignement grandissant des moyens de s’en délivrer ? Vraiment ?
Le danger est pourtant bien réel ! S’il était besoin d’une confirmation, parmi bien d’autres articles de presse sur le même sujet, on consultera celui que publie le journal Le Monde qui annonce les résultats d’une enquête mondiale (sondage portant sur 140 000 personnes de plus de 15 ans, dans 144 pays). : https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/06/19/les-francais-sont-les-plus-sceptiques-face-aux-vaccins-selon-une-enquete-mondiale_5478259_3224.html)
Le titre l’annonce : les Français sont les plus sceptiques face aux vaccins, le corps de l’article prolonge la description de l’inquiétante exception française : « la France est aussi le seul pays où une majorité des gens interrogés (55 %) se dit persuadée que la science et les technologies vont mener à des suppressions d’emplois dans leur région ».