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Henri Audier

Les chiens de garde : l’IGAENR fait la chanson et la chante

Si les scientifiques n’ont eut que peu de place dans ces Assises de l’ES-R, et si en même temps ils n’ont pas utilisé au mieux celle qu’on leur laissait, on ne peut pas en dire autant de la ribambelle d’institutionnels souvent vent debout pour sauver les prétendues « réformes » de Pécresse, qu’ils avaient aidé à concevoir et/ou à mettre en place. C’est le cas du rapport de l’IGAENR, Inspection générale de l’administration, de l’Education nationale et de la Recherche.

http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid61479/allocation-des-moyens-aux-unites-de-recherche-par-les-organismes-de-recherche.html

Ce rapport intitulé « étude sur les mécanismes d’allocation des moyens humains et financiers aux unités de recherche par les organismes de recherche » est placé sous la responsabilité de Bernard Froment qui était, il n’y a pas si longtemps, chef du département partenariats et valorisation à la direction générale de la recherche et de l’innovation du ministère. Directement du producteur au consommateur : celui qui a fait fonctionner le système juge de sa gestion. Peut-on alors s’étonner que, sous couvert d’étudier comment les laboratoires s’adaptent au nouveau système, le rapport soit avant-tout une défense acharnée de l’ANR et de l’AERES ?

Empilement de sophismes, d’approximations, d’allusions, d’interprétations et de contre-vérités, ce rapport affirme : « Ce mécanisme [d’appel d’offre] permet aussi de donner aux unités de recherche une liberté qui est fonction de la provenance de ses financements, sachant que la mission considère que la création de l’ANR s’est traduite par davantage de liberté et de responsabilité données aux directeurs d’unité de recherche. La mission recommande de conserver la diversité actuelle des mécanismes d’allocation des moyens et de garantir ainsi l’adaptation du système à la diversité des situations des unités de recherche. »

Et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes : des chercheurs plus libres, des directeurs d’unité plus responsables, dont il est affirmé qu’ils adorent l’ANR : « une majorité de directeurs d’unité souhaitent la pérennisation des appels à projets de l’ANR. La mission estime que leur volonté de rééquilibrage ne correspond pas à une demande de réduction des moyens répartis par l’ANR. » Même les sondeurs sont tenus à un minimum de règles et d’éthique. Sur quelle base, sur quelle enquête (champ, méthode, résultats) s’appuie l’inspection pour annoncer cette opinion des directeurs. A moins qu’on ne leur ait demandé s’ils préféraient des crédits ANR que pas de crédits du tout !

Quel courage ! L’IGAENR qui n’avait pas manifesté un grand sens critique sous Pécresse, se rebiffe aujourd’hui contre les éventuels projets de la ministre. « La mission recommande une grande vigilance quant à l’impact sur l’évolution du taux de sélection des appels à projets de l’ANR des mesures de rééquilibrage entre dotations de base et moyens sur appels à projets. » Affirmation qui est appuyée par la phrase d’anthologie « Un transfert des crédits de l’ANR vers les organismes pour augmenter la part des dotations de base se traduirait par une difficulté plus grande de remporter des appels à projets. » Bref, plus on pédale moins fort, moins on avance plus vite.

Alors la démonstration « techno » arrive : « la part du financement public de la R&D dans le secteur académique sur projets varie de 5 % environ au Danemark (la France est dans une situation voisine) à plus de 80 % en Corée. L’Allemagne est à 10 % et la Suisse à 20 %. (…) le taux moyen de dotation de base français est l’un des plus élevés des grands pays de recherche ». La manipulation est grossière et est basée sur la confusion entre l’ANR et le concept de financement sur projets. Car ce qui est d’abord en cause, c’est d’abord l’ANR et non l’existence de financements sur projets, modulo une proportion raisonnable. Dans les propositions du Syndicat des chercheurs (SNCS-FSU), par exemple, figurent à la fois la disparition des lotos de l’ANR, mais l’existence de programmes inter-organismes, gérés par ceux-ci, fonctionnant sur projets, mais sur emplois statutaires. Quant aux comparaisons internationales, peut-on comparer l’ANR française, entièrement nommée, corsetée par les décisions du pouvoir (SNRI) et la DFG allemande ou pratiquement tout le monde est élu, y compris ceux qui décident des thèmes ?

Et puis, selon le rapport, pas de quoi se plaindre : « Depuis dix ans, les ressources globales affectées à la recherche n’ont cessé d’augmenter. La DIRDA et la DNDRA [les crédits publics aux opérateurs] ont augmenté de façon continue en euros courants. Cependant, le sentiment partagé par de nombreux chercheurs est que les crédits se sont raréfiés. ». L’IGAENR fait bien de préciser que « depuis dix ans, les [crédits globaux] n’ont cessé d’augmenter » …. Mais en « euros courants » précise le texte, ce que le lecteur pressé n’aura pas remarqué. Tant il est vrai qu’ils ont baissé en euros constants.

Pour terminer, le morceau de bravoure sur l’AERES. Pas plus que le rôle premier de l’enseignant est de noter les élève pour les classer avec précision, le rôle d’une instance d’évaluation est d’abord de noter les unités. Il est d’aider le laboratoire et ses tutelles à détecter assez tôt les problèmes et d’aider à leur trouver des solutions. Mais ravie de ce magnifique système technocratique mis en place, l’objectif de l’inspection est de l’améliorer et de « rendre l’évaluation des unités de recherche par l’AERES plus discriminante ». Elle précise que « toutes les unités d’un même champ disciplinaire pourraient être évaluées la même année, ce qui garantirait une meilleure homogénéité de traitement et permettrait la mise en place d’une notation de ces unités selon une échelle normée (par exemple A+ pour les 20 % meilleures unités et C pour les 10 % les moins bien notées). La mission recommande l’étude d’un dispositif d’évaluation des unités de recherche, réalisé non par vague contractuelle mais par grand champ disciplinaire. »

Finalement, par comparaison, j’ai été trop méchant pour l’Académie des sciences dont le rapport avait au moins l’avantage de parler science, de faire un constat vécu de la situation, même si les propositions dérapaient in fine.

Ce qui est frappant, navrant, pathétique, c’est ce corporatisme institutionnel : l’ANR, l’AERES, chaque « alliance », chaque verrue même de création récente a sa propre dynamique, ses intérêts à défendre, quand ce n’est pas les primes ou salaires des responsables, et même son cortège d’affidés, trop heureux d’avoir gagné à un loto. Il est temps de mettre fin à cette bureaucratie.

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Henri Audier

Serge Haroche : “Il y a une contradiction entre le temps des politiques et le temps de la recherche”

http://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/10/11/serge-haroche-il-y-a-une-contradiction-entre-le-temps-des-politiques-et-le-temps-de-la-recherche_1773818_1650684.html

Extraits :

« (…) Ce que je fais, c’est de la recherche fondamentale, donc a priori, elle ne sert à rien d’immédiat. Elle est fondée sur de la curiosité pure, il s’agit de comprendre le monde qui nous entoure, et par là-même, on acquiert les moyens de diagnostic, de mesure et d’action de plus en plus précises. Les applications viennent ensuite.

Très souvent, lorsqu’une recherche fondamentale est menée, on ne sait pas quelles sont les applications qui vont en résulter. Mais ce qui est sûr, c’est que si la recherche fondamentale n’a pas été faite en amont, le terreau nécessaire aux applications ne sera pas là.

(…) On a demandé à une certaine période de plus en plus aux chercheurs de motiver leurs recherches par des applications potentielles. Il ne faut pas pousser cette dérive trop loin, car cela se fait au détriment de l’esprit de la recherche fondamentale, qui doit être motivée par la curiosité intellectuelle pure. Il faut donc trouver un équilibre entre le support que l’on donne à la recherche fondamentale désintéressée et les crédits donnés à la recherche appliquée. Positionner le curseur entre ces deux aspects de la recherche est essentiel. Il faut toujours garder à l’esprit l’importance de la recherche fondamentale, qui constitue le socle sur lequel tout le reste est possible.

(…) En ce qui me concerne, j’ai eu la chance de travailler dans un milieu relativement protégé de cela à l’Ecole normale supérieure, où l’intérêt de la recherche fondamentale a toujours été bien compris. Néanmoins, on sent, lorsqu’on demande des crédits, en particulier aux agences européennes qui financent la recherche, la tentation qu’elles ont d’exiger, de façon que je trouve trop contraignante, ce qu’on appelle des projets définissant des étapes pour la recherche. La recherche conduit par définition à des découvertes imprévues, et demander aux chercheurs de trop la planifier est à mon avis un contresens.

(…) J’ai travaillé dans un laboratoire qui a toujours été bien traité par le CNRS et dans lequel la recherche fondamentale a été bien comprise. Ce qui est peut-être plus difficile pour des chercheurs en France, c’est la complexité des structures, le fait que les différentes agences qui financent la recherche sont imbriquées les unes dans les autres, l’existence côte à côte de structures parallèles qui viennent compliquer les démarches lorsqu’il s’agit de demander les crédits, qui rendent la bureaucratie un peu trop envahissante. »

Quelle belle introduction pour parler de la recherche lors des Assises !

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Henri Audier

L’Académie des sciences et les Assises de l’ES-R : l’ambivalence d’un rapport. 3- La regrettée Académie des Sciences soviétique pourrait-elle inspirer le modèle français ?

Si le rapport de l’Académie contient un constat que, sur bien des points, chacun peut partager, les solutions proposées sont souvent pires que la situation présente. Il en est ainsi du mode de détermination de la politique nationale et plus encore de l’évaluation des laboratoires, même si l’Académie se prononce clairement pour abroger l’AERES.

Un Haut Conseil de prestige, entièrement nommé et sans utilité

Il existe actuellement trois conseils donnant leur avis sur la recherche française : (i) Le Haut Conseil à la science et à la technologie, composés de scientifiques reconnus et nommés. (ii) Le CNESER, lieu où l’administration recueille les avis de tous les intéressés pour tout ce qui concerne l’enseignement supérieur. (iii) Le CSRT, instance de contact entre scientifiques, société et gouvernement, qui donne un avis sur le budget et tout nouveau texte officiel.

Au nom de la simplification administrative le rapport propose de « remplacer les trois conseils existants (Haut Conseil, CSRT et CNESER) par un seul « Haut Conseil de la recherche et de l’enseignement » (HCRES). « Ce nouveau conseil unique devrait être présidé par un scientifique de haut niveau entouré de personnalités scientifiques reconnues sur le plan international. » Au-delà de l’évaluation, « ce nouveau Conseil unique aurait également en charge les grands arbitrages entre les différentes disciplines, les universités et les organismes, tout en veillant à la simplification des procédures administratives. »

On remet donc les grands arbitrages entre les mains d’un conseil entièrement nommé. Ce Haut Conseil (HCRES) serait, historiquement, la troisième ou quatrième version de ces comités de prestige composés de scientifiques reconnus et qui n’ont jamais servi à rien, tant il est vrai qu’une compétence indiscutable dans un secteur donné ne donne pas pour autant l’aptitude à proposer, avec à-propos, une politique scientifique globale pour le pays.

Il est aussi significatif que deux conseils, composés notamment de représentants de la communauté scientifique ou de la société, disparaîtraient dans ces propositions. Rappelons que ces deux conseils ne constituent en rien des strates supplémentaires de gestion mais des instances de dialogue. Ceux des ministres qui avaient un sens minimum de la démocratie (il y en a eu peu) ont su les faire fonctionner avec profit.

Une évaluation sans élus

Concernant l’évaluation, le rapport note : « Tout d’abord, supprimer l’AERES » et réduire le rôle des «  comités nationaux (…) à l’évaluation des chercheurs. » (…) «  Le Haut Conseil (HCRES) aurait pour mission l’évaluation des grandes structures (universités, organismes, …) en établissant également des directives sur les procédures d’évaluation des laboratoires. »

Alors comment faire concrètement ? D’une façon assez étonnante, l’idée de base est qu’on n’évalue pas une valeur scientifique, mais que les gens qui donnent de l’argent ont des clients, que sont les laboratoires. C’est donc à ces gens qu’il devrait naturellement revenir de les évaluer ou de les faire évaluer :  « les méthodes d’évaluation d’un établissement ou d’un laboratoire dépendent du poids relatif entre le financement « crédits de base » et le financement sur projets. Lorsque le financement sur projets représente 80 à 90 % du budget d’un laboratoire, c’est l’évaluation par l’agence qui distribue les moyens qui devient pertinente. »

« Confier l’évaluation à ceux qui donnent les postes et les financements » a pour conséquence, d’après le rapport, que « les universités et les organismes auraient conjointement la responsabilité de constituer des comités d’évaluation indépendants pour les unités de recherche. »

Soit, mais cela existe déjà : cela s’appelle les Comités de visite et c’est très utile, notamment par leur ouverture internationale. Mais ces nouveaux « Comités d’évaluation indépendants » rapporteraient-ils devant une instance plus large permettant une évaluation comparative, collective et contradictoire ? Entre autres, comme le Comité national ?

Que nenni ! Parce que la nouvelle usine à gaz proposée pour l’évaluation des formations, usine nettement frappée d’une suspicion de localisme, a précisément pour but d’éviter toute instance où il y aurait une majorité d’élus (baptisés pour la cause de « représentation syndicale »), surtout si elle est nationale.

C’est ce que dit sans ambages le rapport : « Ces comités d’évaluation par site et champ disciplinaire suivraient les recommandations (méthodes, procédures, règles d’éthique, …) qui leur seraient données par le Haut Conseil de la recherche et de l’enseignement supérieur, afin de ne pas réitérer les pratiques antérieures avec une représentation syndicale de 50%. »

Quelle idéologie soutient tout cela ? Peut-être ne le savez vous pas, mais : « Dans la recherche fondamentale, il existe des cercles de tailles différentes : celui des chercheurs ayant eu le prix Nobel ou nobélisables, suivi de celui des chercheurs connus par ce premier cercle restreint, puis un troisième cercle constitué par ceux connus par les membres du second cercle, et enfin les autres. Il est essentiel d’avoir le maximum de chercheurs dans les trois premiers cercles. »

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Henri Audier

L’Académie des sciences et les Assises de l’ES-R : l’ambivalence d’un rapport 2- Une utilisation totalement erronée des chiffres

D’un très long rapport (1) ambivalent, qui contient d’excellentes choses et d’autres abominables – nous y reviendrons – la presse a surtout extrait quelques chiffres erronés, voire grotesques. Si bien que, de ce rapport, les Echos (2) n’ont retenu que : « Au CNRS, la recherche étouffée par la bureaucratie ». Et Le Figaro (3) : « La recherche asphyxiée par sa masse salariale ». Et s’il n’y avait que ça …

Le poids de la masse salariale : une démonstration qui n’a aucun sens

Bien entendu, chaque chercheur sait que, depuis 2002, le montant des crédits de base des laboratoires en provenance des organismes et des universités diminue, et que la part du financement contractuel augmente. Il est donc évident que le ratio « masse salariale » (MS) du CNRS sur dotation de l’Etat (DE) augmente. Et que, bien sûr, le rôle scientifique du CNRS s’affaiblit en conséquence.

Mais alors, à quoi rime cette focalisation du rapport, non pas sur la nécessaire réhabilitation des crédits de base, mais sur la prétendue énormité de la masse salariale ? « En 1960, ce ratio MS/DE était de 47% au CNRS (…). En 1980, le ratio MS/DE du CNRS passe à 74% (…). En 2010, le ratio MS/DE du CNRS devient égal à 84%. ». En réalité, ces comparaisons n’ont aucun sens car, d’abord, en 1960 le CNRS n’était qu’un pourvoyeur de bourses de thèses et de crédits pour les labos universitaires, le statut chercheur temps plein datant de … 1959. Quant à la comparaison de la masse salariale entre 1980 et 2010, pour qu’elle ait un sens, il aurait notamment fallu prendre en compte le fait que les retraites n’étaient pas du tout comptabilisées dans cette masse en 1980, contre environ 80 % en 2010 … On se demande d’ailleurs pourquoi la masse salariale se serait accrue quand on sait qu’il n’y a pas plus de chercheurs qu’en 1990 et nettement moins de techniciens et d’administratifs (4) et, qu’à ce qu’on sache, les salaires n’ont pas explosé!

La seule raison de cette focalisation est sans doute l’obsession du rédacteur du rapport, Bernard Meunier, quant au poids excessif supposé des personnels administratifs, obsession qui était déjà la sienne quand il présidait le CA du CNRS (5). C’est vertement que le PDG du CNRS, Alain Fuchs, lui a répondu dans Les Echos (6) : « Non, le CNRS n’est pas un mammouth ! ». Alain Fuchs écrit à juste titre : « Oui, l’organisation de la recherche publique en France s’est complexifiée, les sources de financement se sont multipliées. Oui, il est devenu difficile de se retrouver dans la jungle des appels à projets et des procédures d’évaluation, dévoreuses de temps et d’énergie. Mais non, l’effectif des services centraux n’a pas augmenté deux fois plus vite que celui des chercheurs entre 1960 et 2012, comme le laissent penser les calculs hasardeux de l’Académie des sciences : il a progressé au même rythme que celui des chercheurs. »

Financement public de la recherche ou financement de la recherche publique ?

Beaucoup plus grave, mais non relevé par les médias, est l’affirmation suivante : « La part de la recherche publique en France est de 0,78% du PIB et celle de la recherche industrielle de 1,32% du PIB. Pour l’Allemagne, ces chiffres sont respectivement de 0,79% et 1,85%, pour la Grande Bretagne de 0,67% et 1,10%, pour les ÉtatsUnis de 0,76% et 2,01%, le Japon de 0,74% et 2,69%, pour la Finlande de 0,96% et 2,77% et pour la Suède de 0,97% et 2,78%2. Ces chiffres montrent que l’effort de la recherche publique de la France se situe au même niveau que celui des ÉtatsUnis, du Japon et de l’Allemagne, et au dessus de celui de la GrandeBretagne. »

Que l’Académie cautionne cette manipulation, que nous sert la droite depuis toujours, laisse pantois. En fait, répétons-le, il faut bien distinguer (7) :

le budget de la recherche qui finance, certes, la recherche des organismes et universités, mais aussi des aides au privé, de la recherche industrielle, notamment pour partie la recherche des grands programmes technologiques (nucléaire, spatial, aérospatial, etc.). Sans parler des recherches militaires (0,2 % du PIB à elles seules). Et cela fait effectivement 0,78 % du PIB.

le budget de la recherche publique civile qui s’élève à 0,55 % du PIB et qui lui finance ce qu’on appelle Recherche publique dans tous les autres pays, à savoir les organismes, les universités, voire les agences. En Allemagne, ce dernier budget représente 0,75 % du PIB. Et l’objectif européen est de 1 %. Pour le budget civil de la recherche publique, la France se situe … au trente-deuxième rang mondial.

Pourquoi une si grande différence entre ces deux chiffres et quid des autres pays ? Parce qu’il y a une exception française, liée au rôle historique (notamment sous le gaullisme) des entreprises et organismes publics, dont on garde de beaux restes. La plupart des autres pays n’ont pas de grands programmes technologiques et, quand c’est le cas, comme au Royaume-Uni, ils sont classés avec la recherche privée. De plus, seuls 4 ou 5 pays ont une recherche militaire importante. Enfin, l’aide directe de l’Etat à la recherche privée (donc hors Crédit Impôt Recherche) au travers du budget de la recherche est selon l’OCDE beaucoup plus forte en France que dans tous les autres pays sauf la Russie, .

Le rapport faisant semblant de considérer que l’investissement dans la recherche publique est à peu près le même partout, il ne comprend pas le « malaise » dans les labos français. « Pourtant le malaise de la recherche publique est fortement perceptible en France et les chercheurs français regardent, souvent de manière admirative, les conditions de travail des laboratoires des universités ou institutions allemandes ou nord-américaines comme étant des exemples à suivre. Le niveau d’équipement et les budgets de fonctionnement des laboratoires américains ou allemands présentent un très fort différentiel avec ceux des laboratoires français. »

Si l’on donne les vrais chiffres du financement public, alors tout se comprend pourtant très bien !

(1) http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/rads0912.pdf

(2)http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/grande-consommation/

actu/0202293325479-au-cnrs-la-recherche-etouffee-par-la-bureaucratie-366756.php

http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/grande-consommation/actu/0202293325479-au-cnrs-la-recherche-etouffee-par-la-bureaucratie-366756.php

(3)http://www.lefigaro.fr/sciences/2012/09/27/01008-20120927ARTFIG00562-la-recherche-asphyxiee-par-sa-masse-salariale.php

(4) Le ratio Masse salariale (titulaires et CDD) sur Budget total (subvention de l’Etat plus ressources propres des financements sur projet) est depuis 5 ans à peu près constant au CNRS : 66,4 (2007), 71 % (2008), 70 % (2009), 69,7 (2010), 70,6 (2011). Ce qui montre bien que le problème est le taux de financement sur projets et non la masse salariale.

(5) CA dont l’auteur était alors membre.

(6)http://www.lesechos.fr/opinions/points_vue/0202298821913-non-le-cnrs-n-est-pas-un-mammouth-367990.php

(7)http://blog.educpros.fr/henriaudier/2012/03/25/recherche-publique-civile-avons-nous-vraiment-gagne-15-places-en-un-an-au-classement-ocde-explications/

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Henri Audier

L’Académie des sciences et les Assises de l’ES-R : l’ambivalence d’un rapport 1- Quand l’Académie se découvre hostile aux « réformes » de Pécresse.

Comme contribution aux Assises, l’Académie des sciences vient de produire un rapport reflétant la diversité d’opinion en son sein, et dont le contenu est contradictoire. Pour ceux qui lisent vite ou par procuration, la contribution pour les Assises de l’Académie des sciences(http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/rads0912.pdf)peut apparaître comme une condamnation de la politique de la droite depuis des années, comme un brûlot anti-Pécresse. Il est du reste regrettable que l’Académie ne se soit pas exprimée ainsi plus tôt, quand cela eût été très utile.

La première phrase du rapport annonce la couleur : « La recherche publique française souffre ! Elle souffre de trop de complexité, de trop de papiers à remplir, de trop peu de temps à consacrer à la recherche elle‐même. »

« Simplifier la gestion et les structures de la recherche publique » : «  Faire simple au lieu de faire compliqué doit être le principe de base à respecter lors de la mise en place de toutes les modifications qui devront être apportées aux structures de la recherche publique en France. Dans une période de contraintes budgétaires, nous tenons à souligner que nos propositions de simplification et d’arrêt de la complication des procédures administratives sont une excellente manière de redéployer, à volume constant, des moyens financiers vers les laboratoires et les équipes de recherche. Il est nécessaire de faire confiance aux chercheurs. »

« L’AERES fait la quasi‐unanimité contre elle. » L’Académie n’hésite pas à tirer sur ce qui n’est aujourd’hui qu’une ambulance et propose sa suppression : « Cette structure d’évaluation ne délivre essentiellement que des labels A et A+ dans la plupart des disciplines en s’appuyant sur des visites de laboratoires et sites universitaires au‐delà du nécessaire (conduisant à des frais de fonctionnement très élevés) et des formulaires dont la longueur et l’absence de pertinence sont perçus comme inutiles et inadaptés aux yeux de la très grande majorité des chercheurs, notamment les plus actifs. »

A l’évidence, les avis des académiciens ne convergent pas sur tout. Ainsi, après un dithyrambe sur l’ANR, le texte critique non moins fermement ses conséquences sur « l’équilibre entre les crédits de base et les financements sur projets de l’ANR ». « La création de l’ANR a directement conduit à une réduction drastique des soutiens de base (hors salaires) donnés aux laboratoires par les organismes de recherche et les universités. Aujourd’hui, le soutien de base de la plupart des équipes de recherche françaises est très faible et a atteint un niveau déraisonnable. Dans un système où l’emploi scientifique est permanent et fonctionnarisé, et où la dépense principale est constituée par les salaires, il est incohérent de mettre le financement sur projets à un niveau trop élevé en laissant de nombreux chercheurs de qualité sans aucun crédit de fonctionnement. Par ailleurs, cette politique conduit à un appauvrissement des laboratoires et des Instituts. Il n’existe pratiquement plus de moyens pour le financement des équipements collectifs, des infrastructures et des plateformes que l’ANR ne prend pas en charge. La situation financière actuelle des grands organismes et des universités est extrêmement dangereuse et doit être traitée de façon urgente. (…) Une autre conséquence de cette préférence nette pour l’individu par rapport au collectif (équipe/laboratoire/institut) est la parcellisation croissante de notre recherche (masses critiques insuffisantes sur les projets de recherche) qui impacte négativement sa compétitivité. »

« Améliorer l’attractivité des métiers de la recherche »

Pour l’Académie, « Il faut assurer 1) une revalorisation des rémunérations des jeunes chercheurs rendant attractive l’embauche dans les universités et les organismes de recherche dans les dix‐ douze premières années de la carrière ; 2) obtenir la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives afin d’affirmer la spécificité d’une formation obtenue à bac + 8 ; 3) permettre l’accès aux grands corps de l’État aux titulaires d’un doctorat, ce qui renforcerait le prestige de ce grade universitaire et assurerait une meilleure diversité intellectuelle au plus haut niveau de l’administration française ».

Très bien, mais quid des précaires et des CDD ? Dans les principes rien à critiquer : « A l’issue de la thèse, pratiquement tous les jeunes docteurs passent aujourd’hui par une période d’embauche post‐doctorale, souvent à l’étranger. Cette période s’est allongée d’année en année avec un âge moyen de recrutement des enseignants‐chercheurs (maîtres de conférences) et des chercheurs (CR2) qui est actuellement proche des 32 ans, avec toutefois des variations selon les disciplines. La régulation de cette période de post‐doctorat s’impose, car le statut de chercheur provisoire possède de nombreux inconvénients (vie familiale, impossibilité de s’installer ‐ car où va-t-on être recruté ? impossibilité de contracter un prêt…). Il faudrait rendre l’entrée dans le métier de chercheur plus comparable à une carrière normale, proche par exemple de celle d’un ingénieur diplômé qui entre dans son métier autour de 23‐25 ans. » Mais le propos dérape très vite, puisque l’objectif « pourrait aller jusqu’au remplacement du statut de fonctionnaire des CR2 par un statut de CDI permettant une réorientation professionnelle avant 30 ans pour les chercheurs ne souhaitant pas poursuivre dans la recherche. » Ce qui revient à dire que c’est en fait un CDD.

Mais il y a beaucoup plus grave dans certaines propositions de l’Académie : voir le prochain article.

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Un budget pour l’Enseignement supérieur et la recherche sans nouveau recul, mais sans rattrapage.

Des premiers éléments dont l’auteur dispose, le budget de l’ES-R sera en faible croissance en 2013 : + 2,2 % pour une inflation prévue pour être de l’ordre de 1,6 %. Si ce budget est très probablement « sincère », notons que ce solde légèrement positif (515 millions €) suppose qu’il n’y ait pas de « décisions modificatives » et de « coupes » en 2013. Il est clair qu’il faudra attendre les documents budgétaires pour confirmer et affiner cette première analyse.

On peut porter deux appréciations globales non contradictoires.

(i) Dans le cadre d’un budget de l’Etat en diminution de 10 milliards et avec les priorités annoncées (éducation, justice, police et, de facto, santé) dont l’ES-R n’était pas, on peut considérer que le ministère a tiré notre épingle du jeu avec un faible solde positif en crédits et surtout en emplois.

(ii) Mais étant donné le retard considérable pris par la droite dans ces domaines depuis 10 ans, il y a aucun rattrapage de cette situation.

1- « Améliorer les conditions de vie des étudiants en sécurisant les bourses et en engageant le chantier du logement étudiant : (i) + 140 M€ en faveur des bourses sur critères sociaux [En particulier budgétisation en année pleine du 10ème mois de bourse] et (ii) + 20 M€ pour la création de 40 000 nouveaux logements étudiants d’ici à 5 ans »

Au total, la Vie étudiante progresserait de 7,4 %

2- L’enseignement supérieur

– « Investir dans la réussite en premier cycle, avec 1 000 emplois nouveaux dès 2013,

1000 emplois nouveaux dans les universités ». [Il reste à savoir si les mille postes, ou plus, gelés à la suite de la baisse des moyens des universités l’an passé, pourront être dégelés pour tout ou partie]

– « Accélérer les programmes immobiliers universitaires en cours : + 47 M€ pour l’immobilier et le contrat de projet Etat-Régions 2007-2013.

– Consolider la situation des universités, (…) Augmentation en 2013 des moyens alloués aux universités » [+ 1,7 %, au niveau de l’inflation prévue].

Au total l’Enseignement supérieur progresserait de 2 %

3- La recherche

– « La recherche publique voit ses moyens en personnels et en crédits préservés en 2013. Les 68 449 emplois affectés dans les organismes de recherche sont reconduits à ce niveau. Les moyens alloués aux laboratoires au titre de la masse salariale progressent de 54M€. »

[S’il n’y a pas de quoi pousser des cocoricos, il important de noter que ces dernières années, les départs en retraites dans les EPST étaient remplacés, mais non « les départs définitifs » (décès, mobilités, etc.).]

– « Baisse des moyens d’engagement et de paiement de l’ANR à 687 M€ en 2013 contre 760 M€ en LFI 2012 (pour 709 M€ effectivement attribués). Cette diminution permet à la fois de conserver un haut niveau d’appels à projets et de recentrer l’ANR sur un nombre limité de thématiques, en lien avec une réforme en cours de ses modalités de programmation » ;

– « Hausse de 60 M€ des crédits des organismes de recherche en 2013 au titre de leurs dotations récurrentes. Ils seront consolidés au cours des exercices suivants. Il y a rééquilibrage du financement de la recherche entre soutien récurrent et financement sur projets. »

[S’il est vrai que c’est un symbole fort, il est clair qu’il est totalement insuffisant. A l’évidence, le maintien à un aussi haut niveau de l’ANR montre que le choix n’est pas fait quant à sa place future. Même en prenant en compte le fait que l’ANR a la plus grosse part de ses crédits déjà engagés, le transfert de 100 à 150 millions supplémentaires vers les organismes eut été possible et nécessaire.]

– « Reconduction au niveau de 2012 des contributions françaises aux grandes organisations et aux grands programmes internationaux, hausse de 3,7% de la contribution française à l’Agence Spatiale Européenne. Cette contribution garantit à la fois la couverture des engagements souscrits et l’objectif d’apurement de la dette (…). Hausse de 58% de la participation française au projet ITER qui est portée dès 2013 à 100 M€ contre 62 M€ en 2012. Cette participation garantit la montée en puissance du programme ».

Au total, la recherche progresse de 1,2 %, soit moins que l’inflation prévue mais le budget des organismes s’accroît de 2 % soit un peu plus que celle-ci.

En conclusion, une campagne se développe pour affirmer que la France est bien placée quant au financement de sa recherche publique. Ainsi le compte-rendu des auditions sur les Assises s’étonne qu’avec 1 % pour la recherche publique (l’objectif européen), les labos ont l’impression d’être pauvres ! Reprenant des chiffres erronés d’un rapport de l’Académie des Sciences, Le Figaro (27/09/12) écrit : « la recherche publique française, qui a absorbé 0,78% du PIB en 2010, n’est pas moins bien lotie qu’à l’étranger : 0,79% en Allemagne, 0,67% en Grande-Bretagne, 0,76% aux États-Unis et 0,74% au Japon. » Rappelons qu’il ne faut pas confondre « le financement public de la recherche » (qui inclut la recherche militaire, l’aide directe au privé hors CIR, des activités classées dans le secteur industriel dans les autres pays comme l’espace ou le nucléaire) avec le « financement de la recherche publique » civile (universités, organismes, agences). Pour ce dernier, la France ne consacre que 0,55 % du PIB (Allemagne : 0,75 %). Pour atteindre 1 % du PIB dans … dix ans, il faudrait accroître le budget de l’ES-R de 1,3 milliard de plus chaque année, hors inflation.

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Henri Audier

Les problèmes suscités par l’organisation actuelle des Assises de l’ES-R 3- Que faire aujourd’hui ?

3- Que faire aujourd’hui ?

Pour les Assises régionales, les directives précédemment critiquées ont été rendues publiques. Malgré la proximité de ces assises, il serait néanmoins souhaitable que le ministère infléchisse fortement son schéma initial et fasse des recommandations pour favoriser une participation très large. Il serait non moins souhaitable que la communauté scientifique se mobilise pleinement.

La position de la plupart des syndicats

Dans la situation critique actuelle, deux options font l’objet de débats dans le milieu : boycotter ces « Assises officielles » ou forcer la porte de la participation. Parce que les absents ont toujours tort, alors que rien n’est encore joué, l’auteur approuve l’appel de la plupart des syndicats.

Cet appel (http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article5717), après avoir vertement tancé le gouvernement pour ne pas avoir pris immédiatement les mesures phares urgentes, et après avoir exprimé ses inquiétudes quant aux perspectives, poursuit : « Les organisations signataires appellent les personnels et les étudiants à s’exprimer sur toutes ces questions dans tous les sites de l’ESR – en tenant notamment des Assemblées Générales. Ils les appellent à interpeller les rapporteurs des Assises ainsi que les représentants locaux (parlementaires, élus municipaux ou régionaux, …) et gouvernementaux. Ils les appellent à faire connaître leurs revendications. »

Nombre d’organisations (Snesup-FSU, SNTRS-CGT, SNCS-FSU, SLR, SLU, l’UNEF, etc.) ont élaboré des propositions relatives à l’ES-R pris dans sa globalité, comme sur son rôle dans la société. Toutes leurs propositions sont à la disposition de chacun. Celles-ci n’oublient pas non plus que pour atteindre 1 % du PIB dans dix ans, il faudra accroître chaque année le budget de l’ES-R public civil de 1,3 milliard : http://blog.educpros.fr/henriaudier/2012/07/17/faire-de-l’es-r-une-priorite-pour-le-pays/ .

Le compte-rendu des auditions constitue aussi une bonne base pour des débats : il pose clairement les alternatives  : http://www.assises-esr.fr/var/assises/storage/fckeditor/File/actus/20120920-note-synthese-auditions-territoriales.pdf

Des aspects importants sur lesquels on peut avancer … ou reculer

Des déclarations ministérielles, comme des contributions récentes montrent que des avancées sont possibles. Ainsi, sauf à considérer que la ministre a changé de point de vue, ce que l’auteur exclut totalement, il est clair que ses déclarations, si elles étaient mise en œuvre, constitueraient un progrès certain :http://blog.educpros.fr/henriaudier/2012/09/21/keskeldi-fioraso-de-aa-z/et http://www.sncs.fr/article.php3?id_article=3216.

Toutefois, rien n’est joué comme en témoignent les premières contributions. Certes, sans surprise, les Comité national de la recherche scientifique (via le C3N) a eu une expression remarquable [cf. l’avis de l’auteur : http://blog.educpros.fr/henriaudier/2012/09/07/assises-de-l’es-r-une-contribution-remarquable/ ]. Moins attendues sont des contributions comme celle de l’INRIA en tant qu’organisme de recherche. Dans son texte, sans doute fruit d’un débat interne, on peut notamment lire le diagnostic et les propositions qui suivent : « L’attractivité des carrières dans la recherche publique s’est beaucoup dégradée ». « Le temps que les enseignants-chercheurs et les chercheurs permanents peuvent consacrer à des activités de recherche a beaucoup diminué ». « Les dispositifs   de   financement   et   d’évaluation   de   la   recherche   ont   souvent conduit à des normalisations   excessives   favorisant   des   projets   de   recherche   de   court terme et peu originaux ou risqués ». « Favoriser  l’embauche  de  docteurs  et  de  chercheurs  par  les  entreprises et faire  reconnaître  le  doctorat  dans  les  conventions  collectives ». « Recentrer   l’ANR   sur   des   programmes  thématiques  risqués  et  à  fort  impact  en  partenariat  avec  les  organismes ». « Focaliser les missions de l’AERES sur l’évaluation des établissements et sur la définition de bonnes pratiques pour l’évaluation des unités ».

Mais il est aussi des aspects importants sur lesquels, si on laisse le champ libre, il peut y avoir des reculs, comme l’illustre la contribution de l’Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie (ANCRE). A côté d’aspects intéressants quant à la stratégie industrielle ou la pluridisciplinarité, ce texte montre une incompréhension quant à la recherche liée au progrès des connaissances. Il propose de plus des solutions qui tablent sur l’ANR et les investissements d’avenir. Enfin l’ANCRE se positionne comme un super organisme : http://www.allianceenergie.fr/iso_album/assises-esr_contribution-ancre-complet-%5B2012-09-17%5D.pdf.

Que peut encore faire le ministère ?

S’il veut aller dans le sens des récentes déclarations de la ministre, il est de l’intérêt du MESR de s’appuyer sur une expression forte des scientifiques ne serait-ce que pour faire contrepoids au lobbying venant du patronat – grand et petit – mais aussi à celui des structures technocratiques qui gravitent autour des ministères ou des parlementaires (le lobbying en faveur du CIR en est un bel exemple).

Concernant les assises locales, il est souhaitable que le ministère recommande d’interpréter d’une manière large la notion « d’invitation ». En particulier que soient invités aux débats tous les acteurs de l’ES-R, public et privé. Il pourrait aussi demander que puissent s’exprimer, au cours des Assises régionales, les porte-paroles des diverses réunions « préparatoires » (dès lors qu’elles auraient réuni une participation significative). Il serait également utile que les organisations et associations les plus représentatives puissent donner leur avis sur le pré-rapport local. Enfin, il est capital de clarifier l’articulation entre les Assises et la loi : il doit être clairement annoncé que la préparation de la loi d’orientation, découlant des assises, fera l’objet d’une négociation.

Il est non moins évident que la réunion nationale doit être aussi un événement médiatique montrant aux journalistes et à l’opinion le bilan catastrophique de dix ans de droite et l’importance de l’ES-R pour le développement du pays dans toutes ses composantes. Et pour cela, il faut des assises locales réussies, qui recueillent un écho médiatique local, préparant une réunion nationale de mille participants et même nettement plus, si possible.

Si le ministère ne tenait aucun compte de ces suggestions, il prendrait le risque de voir la communauté scientifique prendre les initiatives nécessaires (auprès des instances scientifiques et universitaires, des chercheurs du secteur privé, des associations s’intéressant à la science, des élus, etc.) pour tenir ses propres Etats généraux, avant la discussion du projet de loi sur l’ES-R au Parlement, c’est-à-dire avant mars. Elle en a le temps et toutes les compétences.

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Les problèmes suscités par l’organisation actuelle des Assises de l’ES-R 2- L’erreur majeure : faire des assises « régionales » sur « invitations »

2- L’erreur majeure : faire des assises « régionales » sur « invitations »

A notre avis, pour la grande majorité des scientifiques, les erreurs relatives à l’organisation nationale auraient pu être dépassées si les gens avaient eu le sentiment que les assises territoriales étaient préparées près d’eux. Comme l’auteur le demandait dès leur mise en route, http://www.sncs.fr/IMG/pdf/VRS389.pdf (page huit) : « Les assises peuvent se dérouler alors en deux phases. La première, locale, sur des territoires liés aux sites de l’ESR (c’est-à-dire territoire, région, PRES ou autres), permettant à la fois une expression au plus près des acteurs de l’ESR sur les thèmes précités et un brassage des types d’établissements, des disciplines, ou des catégories (…). »

Un mode d’organisation qui dissuade

Placer les assises régionales sous la responsabilité du préfet, du recteur et de la région, constitue une double erreur.

Tout d’abord parce que le préfet et le recteur (merci d’avoir évité le commandant de gendarmerie) sont des fonctionnaires d’autorité, dont l’intérêt pour la recherche s’est avéré nul par le passé. Voilà donc bien une tutelle inadaptée à l’objet des Assises, et on se demande, par conséquent, sur quelles bases ils vont choisir les « invités » aux assises régionales.

L’autre erreur est d’avoir imposé systématiquement le cadre régional. Non parce que la région n’aurait aucun rôle à jouer dans l’ES-R, non plus du fait que les scientifiques ne seraient pas conscients que les régions ont financièrement suppléé aux scandaleuses carences de l’Etat, mais parce que une telle procédure anticipe la solution à un choix complexe, et qui reste à faire, quant à la nature et au degré d’implication des régions dans la politique scientifique du pays. Ce d’autant que les déclarations d’un certain nombre de Présidents de région (précisons : pas tous), souhaitant avoir sous leur coupe « de grandes universités régionales » ont jeté la suspicion sur leur impartialité dans le débat. Et aussi parce que certains d’entre eux, comme quelques maires, ont soutenu sans réserve les Idex, se prêtant à un processus de compétition désastreux, alors que la coopération est la seule solution durable.

Comprendre le besoin d’expression de la communauté scientifique

Ces choix d’organisation sont ressentis par la communauté scientifique comme le signe d’une incompréhension de la situation réelle de l’ES-R. Pendant dix ans, la droite a piétiné les scientifiques, elle leur a fait ingurgiter de force de prétendues réformes dont ils ne voulaient pas. Figure de proue de la médiocrité communiquante, Valérie Pécresse les a ridiculisés en faisant croire à la population, via des médias serviles ou fainéants, que des milliards pleuvaient sur l’ES-R. Les scientifiques attendent d’être respectés, ils veulent s’exprimer et, si possible, être entendus.

Le souhait de trouver une voie commune

Il est probable que le mode d’organisation, limitant le nombre de participants sous couvert « d’invitations », a été choisi en fonction des délais et pour éviter de longs affrontements locaux. C’est une erreur. Lors des Etats généraux de 2004, l’auteur avait la responsabilité, au sein du Comité d’organisation (« CIP »), de créer des Comités locaux d’organisation des Etats généraux. Il n’a de fait rien eu à créer, il n’a eu besoin ni de préfet, ni de recteur. Il lui a suffi de vérifier que la démocratie et la pluralité étaient bien respectées dans les comités qui se sont créés partout spontanément, y compris aux Antilles.

Après dix ans de compétitions stériles opposant les établissements, les laboratoires et les individus, la communauté scientifique est fatiguée. Au-delà de quelques irréductibles, indûment bénéficiaires du système, les scientifiques comprennent aujourd’hui l’impasse dans laquelle on les a jetés. Après les nombreuses tentatives pour démolir notre système d’ES-R, après la création d’une multitude de structures nouvelles imposées d’en haut, ils aspirent à se retrouver, à définir ensemble un projet d’avenir, dans la diversité des types de recherche, des disciplines ou des établissements. Ils aspirent à recréer les conditions d’une attractivité.

Les compromis qu’il y aura à faire ne seront pas simples et ne contenteront pas tout le monde. Mais le ministère doit bien comprendre que ce que chacun est prêt à accepter après un débat démocratique avec ses collègues, il ne l’acceptera pas si, à tort ou à raison, il pense que les résultats des Assises ne sont que les choix préexistants du ministère et qu’ils ont été surdéterminés par ses « invités ».

La nécessité pour l’ES-R d’être dans la société

Les Assises de Chevènement de 1982 ont placé la science dans la société : ni au-dessus d’elle, ni à sa remorque. Le fait, par exemple, que des chercheurs du public débattent avec des chercheurs du privé leur a fait percevoir qu’ils avaient un même métier et un même devoir par rapport à l’humanité. Ce fut la fin d’une période où la recherche fondamentale s’était recluse dans sa tour d’ivoire ; nouer des coopérations avec le privé, dans le respect de ses propres missions, n’était plus un gros mot.

Le mouvement de 2004 et les Etats généraux qui l’ont suivi ont attiré l’attention de l’opinion publique sur l’ES-R et ont obligé la droite à temporiser près de deux ans, avant de reprendre ses attaques. Le fait que l’organisation était très décloisonnée entre recherche publique et privée ou entre établissements a eu un effet durable sur le positionnement des syndicats de l’ES-R. La plupart sont sortis d’un corporatisme par trop étroit pour se positionner beaucoup plus largement, permettant ainsi des fronts intersyndicaux larges.

Aujourd’hui, ce serait louper une partie de la cible que d’organiser des réunions riquiqui par régions suivies d’une réunion nationale famélique. Le ministère doit réaliser combien seraient positives pour l’ES-R (et les arbitrages budgétaires) des réunions de cent ou deux cents personnes dans les villes, en région, et une réunion nationale de mille personnes, voire nettement plus. Cela créerait une dynamique formidable !

On peut encore changer la donne, comme il le sera montré dans le prochain article.

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Les problèmes suscités par l’organisation actuelle des Assises de l’ES-R 1- La structure nationale et les « auditions »

1- La structure nationale et les « auditions »

Le MESR, ou plutôt les ministères qui organisent les Assises auraient été bien inspirés de prendre en compte les propositions d’organisation faites, notamment, par deux syndicats représentatifs de l’ES-R : le SNCS et le SNESUP http://www.sncs.fr/IMG/pdf/VRS389.pdf (page 8).

Dans ce texte, nous avions précisé les objectifs : « Remplacer le Pacte de la recherche et la LRU (donc l’ANR, l’AERES, les Idex…) suppose une tout autre conception du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche : accroissement du niveau de culture, des connaissances, des qualifications, démocratisation sociale, retombées économiques et sociales de la recherche, débouchés des étudiants et des docteurs. Ces enjeux concernent, bien sûr, la communauté scientifique et universitaire, mais au-delà tout le pays, avec ses diverses composantes, qu’il nous faut associer au dialogue. » Sur ce point, il semble qu’il y ait accord possible. Encore faut-il y parvenir, et c’est en cela que l’organisation des Assises est importante.

Notre texte proposait « de créer un comité d’organisation indépendant, où seraient représentés non seulement les organisations de l’ESR public, les étudiants, la recherche privée, mais aussi tous ceux qui sont intéressés par les retombées des formations supérieures et de la recherche (…). Il appartiendra à une conférence nationale, en présence des forces représentatives, de discuter la composition du Comité d’organisation ainsi que les principes de déroulement des assises. » A l’évidence, contrairement aux Etats généraux de 2004, le choix, qui aurait dû faire une place significative aux porteurs de la contestation et de propositions de changement ces dernières années, n’a pas été retenu, comme cela transparaît dans la liste des membres du Comité de pilotage.

Cela a-t-il à voir avec les choix effectués par le Comité pour les auditions ? Car la liste des auditionnés est stupéfiante. En effet, sur 85 entités, on compte près d’une vingtaine de ministères ou directions de ministères, une quinzaine d’organismes représentés par leur direction, mais pas par leur Conseils Scientifiques, une bonne dizaine d’organisations folkloriques qui n’ont jamais exprimé la moindre idée sur l’ES-R, ainsi que quelques « comités de suivi », créatures pécressiennes, enfin et surtout les directions d’entités créées dans le but de démolir les structures de l’ES-R, comme l’ANR, l’AERES et les « alliances ». Qui peut imaginer que les petites mains des incendiaires viendront éteindre l’incendie ? Le pape aurait-il eu l’idée de convoquer l’industrie du porno pour discuter de la contraception ?

Peut-être était-ce là un passage obligé, mais du coup les quelques organisations réellement représentatives des scientifiques sont noyées dans ce fatras, et n’ont eu qu’un temps ridicule pour s’exprimer. Par exemple, le Snesup-FSU et le SNCS-FSU, syndicats les plus représentatifs de l’ES-R n’ont disposé que d’une demi-heure à eux deux pour exposer leurs propositions de réforme de l’ES-R, pourtant mûrement élaborées par leurs instances. Quant à SLR, sa délégation est repartie sans s’être exprimée, le Comité lui ayant refusé que son audition soit enregistrée !

Il est temps de changer de conception, d’autant que le document de synthèse des auditions est de qualité, même si nous serons amenés à en critiquer quelques aspects, et reste largement ouvert quant aux conclusions. Il peut servir de base à un large débat dans les assises régionales. Encore faut-il qu’elles soient ouvertes !!! On n’a jamais vu se construire un débat, encore moins un consensus, à partir de « sessions sur invitation » !

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Keskeldi ? Fioraso de Aà Z.

Au-delà des difficultés budgétaires, que veux le ministère ? Y a-t-il « une parfaite continuité » avec le précédent comme certains le prétendent ? Pour en avoir le cœur net, nous avons fait un petit exercice : éplucher la douzaine d’entretiens accordés à la presse par Geneviève Fioraso et les classer alphabétiquement par thèmes, sans aucun commentaire :

http://www.sncs.fr/article.php3?id_article=3216

Des affirmations en rupture avec le passé

Donnons-en quelques unes :

-« Mon premier rôle, c’est de remettre l’Enseignement supérieur et la Recherche au cœur de notre projet de société. Parce que la science, l’accès à la connaissance, l’élévation du niveau de formation, la Recherche sont des leviers essentiels de progrès et de croissance ».

-. « Pour résoudre les difficultés économiques, il n’y a pas que les politiques de traitement social de l’emploi (…). L’investissement dans la recherche est aussi une partie de la solution. »

-« La nouvelle organisation reposera sur des universités autonomes, ancrées dans leur territoire, lieux d’élaboration de la politique de formation et de recherche. Elle réaffirmera la place des unités mixtes de recherche comme structures de base. Les organismes de recherche doivent avoir un rôle national de programmation et d’opérateur de recherche. »

– « Plus qu’une réforme en profondeur, c’est une loi d’orientation qui remplacera la LRU. Elle sera déposée au Parlement début 2013 après une concertation de toute la communauté universitaire.»

-« Il va falloir redéployer effectivement les crédits de l’ANR vers les crédits récurrents des laboratoires. Il faut protéger nos laboratoires, en particulier dans la recherche fondamentale, et ne pas embêter les chercheurs en permanence par des courses permanentes aux crédits. »

– « Nous allons remettre à plat les Idex. Nous ne léserons aucun bon projet. Ce qui compte, c’est d’avoir une stratégie de sites et de voir si elle doit être aidée. Cette stratégie s’inscrira sous un nom que l’on définira ensemble. Il y aura une vision modifiée et rééquilibrée sur le territoire. Comment expliquer que le Nord, l’Ouest et Rhône-Alpes, deuxième région universitaire de recherche, aient été oubliés ? »

Si l’on veut bien lire tout ou partie des citations du lien ci-dessus, on se rend compte qu’il y a clairement une pensée et une orientation qui, si elles étaient mises en œuvre, changeraient considérablement les choses. Même si, et c’est le cas de l’auteur, on peut avoir des divergences sur plusieurs aspects.

Des affirmations qui laissent beaucoup de gens sceptiques

Alors pourquoi ces affirmations laissent-elles beaucoup de gens sceptiques ? Passons sur ceux qui ne les ont pas lues et/ou qui sont allergiques au PS. Pour les autres, il y a cette ambiguïté, qui fut plus encore présente dans la campagne de Hollande, de savoir s’il faut « réformer », « améliorer » voire « démocratiser » les structures mises en place par la droite ou s’il faut les remplacer, voire les dissoudre. L’auteur a maintes fois exprimé que, pour reconstruire ES-R français, il convient de nous débarrasser simultanément de ces tas de détritus (ANR, AERES, etc.) qui encombrent la voie publique.

Portant, il y a un net progrès depuis la campagne de Hollande, qui restait floue sur cette problématique : c’est la première fois qu’il est dit sans contorsions, dans un texte d’inspiration PS : « la LRU sera remplacée par une autre loi », ou « Les organismes de recherche doivent avoir un rôle national de programmation et d’opérateur de recherche », ou encore, « Nous allons remettre à plat les Idex ».

Source majeure de mécontentements justifiés, le CIR. Les lobbys patronaux sont arrivés, pour l’instant, à pérenniser une poule aux œufs d’or pour les grands groupes, alors que dans le même temps l’austérité budgétaire touchera l’ES-R. A l’évidence on n’a pas voulu comprendre à Bercy et/ou chez le Premier Ministre qu’il faut « remettre l’Enseignement supérieur et la Recherche au cœur de notre projet de société. Parce que la science, l’accès à la connaissance, l’élévation du niveau de formation, la Recherche sont des leviers essentiels de progrès et de croissance », comme le dit si bien la ministre.

Mais la goutte qui fait déborder le vase, c’est le mode d’organisation – sur « invitation » – des Assises de l’ES-R, ce qui écartera de facto le débat avec (et entre) les scientifiques. Il est encore temps de revenir sur la machine absurde mise en place.

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Henri Audier

Assises de l’ES-R : une contribution remarquable

En vue de la préparation des Assises de l’ES-R, le C3N, Coordination des instances du Comité national de la recherche scientifique du CNRS (Conseil scientifique, Conseils scientifiques d’Instituts, Présidents de sections) ont élaboré une note qui constitue une contribution remarquable.

Tout en laissant la discussion démocratique faire des propositions concrètes, ce texte souligne qu’il faut en préalable, si on veut que les Assises aboutissent, remettre à plat de TOUTES les structures mises en place par la droite depuis 10 ans (ANR, AERES, Idex, CIR, etc.) dans la recherche publique. Nous donnons ci-dessous le résumé, le texte complet pouvant être lu sur : http://www.sncs.fr/article.php3?id_article=3204

« Les représentants des instances du Comité national de la recherche scientifique (C3N) estiment qu’il faut rompre avec l’empilement des structures de pilotage et de mise en compétition des personnels de la recherche qui ont été mises en place ces dernières années, ainsi qu’avec le déséquilibre très fort qui a été institué entre financement sur projet, individualisé et à court terme, et financement des équipes de recherche dans la durée. L’AERES doit être profondément réformée, sinon supprimée : l’évaluation des unités doit être réalisée par les instances nationales associées aux divers types d’établissements, sur la base des valeurs d’indépendance, de compétence, de collégialité, de pérennité, de représentativité et de transparence. La baisse des budgets attribués à la recherche doit être stoppée et cesser d’être masquée par les financements attribués aux entreprises via le CIR. Le CIR doit lui être orienté en priorité vers les PME et faire l’objet d’une évaluation qui garantisse le caractère innovant des projets financés. Il doit être conditionné à l’embauche de docteurs en particulier. L’ANR doit perdre de son importance, sinon disparaître. Les financements qu’elle distribue doivent venir abonder la masse salariale des EPST et soutenir l’emploi scientifique pérenne, ainsi que leurs crédits de fonctionnement, lesquels seront attribués aux UMR en fonction de l’évaluation de leur activité et de la politique scientifique de leurs établissements de tutelle. Le CNRS et les organismes publics de recherche doivent constituer les opérateurs centraux de recherche, en collaboration étroite avec les universités, et cette collaboration doit passer d’abord et avant tout par les UMR. Les IDEX doivent disparaître et d’autres manières d’élaborer les politiques de site et de les mettre en cohérence au plan national doivent être mises en place. »

Bien entendu, le C3N ne s’est prononcé que sur les problèmes sur lesquels sa compétence et sa représentativité sont totalement incontournables. Ne serait-ce que par la taille du CNRS et du nombre des UMR dans lesquelles il est impliqué, ce texte est largement représentatif des personnels du CNRS, comme d’une part majeure de la recherche universitaire puisque le Comité national regroupe à parité les élus des chercheurs et des enseignants-chercheurs, les ITA y étant aussi représentés. Il est à noter que, dans un passé récent, les instances des autres EPST ont souvent fait des propositions similaires.

Bien entendu, les membres du C3N sont, eux aussi, sensibles à d’autres problèmes de l’enseignement supérieur : démocratisation, succès en premier cycle, formation des docteurs, instances universitaires, coordinations territoriales, etc. Il appartiendra à d’autres instances (CNESER, CPCNU, etc.) et aux organisations de soumettre des propositions sur ces divers sujets, ou sur d’autres comme la recherche industrielle ou les recherches ayant des implications sociétales.

Mais ce texte du C3N pose clairement les conditions minimales pour reconstruire la recherche publique.

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Question pour le PS à La Rochelle : comment réussir le changement dans l’ES-R ? Et c’est pour quand ?

Chers amis socialistes,

Je m’adresse à ceux d’entre vous qui pendant dix ans se sont opposé à la politique de la droite, dans les syndicats et associations, comme élus ou comme manifestants. Vous qui êtes pour quelque chose dans la défaite de Sarkozy, je vous suggère de poser une question lors de l’Ecole d’été du PS à La Rochelle : « Comment réussir le changement dans l’Enseignement supérieur et la recherche. Et c’est pour quand ? ». Certes il y a eu l’abrogation de l’ignoble circulaire Guéant, la suspension de l’inapplicable décret sur l’évaluation des EC, une avancée sur le pré-recrutement des enseignants et une modeste ouverture récente sur la précarité. Mais c’est loin, très loin des attentes et des espérances.

Pourtant, après les premières déclarations de la ministre et de son directeur de cabinet, les choses semblaient bien parties. Mais l’optimisme a été de courte durée et mieux vaut en analyser les raisons afin d’aller de l’avant dans le changement, plutôt que d’utiliser les erreurs ou les crainte pour torpiller le gouvernement. La première déception vint de la composition du cabinet et de la nomination de conseillers, pratiquement tous sont issus du groupe « Marc Bloch » , réseau d’influence de hauts fonctionnaires et de Présidents d’universités (1). Leur inertie au changement est illustré par des déclarations et écrits passés (sur les structures de l’ES-R notamment) de certains membres du groupe qui viennent d’être rediffusés dans les réseaux sociaux de ES-R (2). Ce n’est donc peut-être pas un hasard si aucune mesure d’urgence touchant les structures de la recherche n’a été prise à ce jour : pas de transfert de crédits ANR vers les organismes, aucun geste sur l’AERES, silence sur le Grand emprunt.

Sur le Grand emprunt, certains élus du PS ont beaucoup à se faire pardonner. Car enfin, il aurait suffit que les Présidents de région affirment l’évidence, à savoir qu’il est bête, méchant, stupide, idiot, insensé, débile, crétin d’opposer Marseille et Montpellier, Strasbourg et Lyon, Bordeaux et Grenoble, pour qu’il n’y ait jamais eu d’Idex. Mais à quelques exceptions près (IdF, Toulouse, etc.), chaque région ou ville est entrée dans ce jeu pervers. A croire qu’ils sont tous convaincu de la sentence de Philippe Aghion, : « la concurrence pousse à l’excellence ». Ce monsieur, qui fut membre du jury des Idex et conseiller de Valérie Pécresse (à qui il a fourni un rapport) laisse entendre dans Médiapart qu’il, « conseille désormais, sans statut officiel, Geneviève Fioraso ». Le fait que le démenti ministériel n’ait toujours pas été publié à ce jour par Médiapart, contribue à la confusion actuelle.

Autre crainte : technocrates et « régionalistes » convergent souvent dans la volonté de minimiser le rôle des grands organismes de recherche. Grosso modo, des membres influents de ces courants seraient favorables à de grosses université régionales utilisant les organismes comme agences de moyens, mettant emplois et crédits à leur disposition. Dans cette optique, l’ANR et l’AERES devraient simplement s’adapter à cette nouvelles donne. Soyons très clair, ne pas redonner leur place aux organismes, c’est s’inscrire dans le processus, enclenché par la droite, d’effacement de la recherche française (et par là même de son enseignement supérieur) dans tous les grands secteurs où le front de la science se situe au niveau international. Corrélativement, si, quantitativement, le flux des jeunes scientifiques français s’expatriant n’a rien d’alarmant, c’est qualitativement dans les disciplines et le profils les plus recherchés que le mouvement s’accélère. Il faut redonner espoir et perspectives aux jeunes que nous formons, il faut redonner le goût des sciences à des générations qui l’ont perdu.

Voilà pour les impatiences justifiées. Que faire maintenant ? Faire que les scientifiques s’expriment. Nous ne rentrerons pas ici dans le débat : « Quelle assises de l’ES-R ? ». Quelles que soient la (ou les) forme(s) qu’elles prendront, c’est le contenu qui est déterminant.

1- Assises ou pas, il convient d’abord de se tourner vers les citoyens, les élus, les parlementaires. Nous devons expliquer qu’il ne peut y avoir de réparation des dégâts de 10 ans de droite sans un redressement financier et structurel de l’ES-R. Une large fraction de l’opinion croit toujours aux milliards déversés par Pécresse sur l’ES-R et aux bienfaits des réformes qu’elle a effectué. C’est un bilan sans complaisance qui doit être dressé, et il faut se donner les moyens de le faire savoir et de l’expliquer.

Il est significatif que, si François Hollande a été le seul candidat (ce n’est pas le cas des partis) à avoir parlé de l’ES-R devant un public large pendant les présidentielle, la recherche n’est pourtant pas une priorité du gouvernement. Or, il ne peut y avoir de réindustrialisation, comme de réponse aux besoins sociétaux (santé, environnement, etc.) sans un effort soutenu de formation, de recherche et d’innovation. Par exemple, alors que nous ne formons que 10 000 docteurs (Royaume-Uni : 15000, Allemagne : 25 000) c’est un fantastique effort, pour former plus de scientifiques et pour attirer les meilleurs étudiants vers les carrières d’ES-R, qu’il convient de faire. Et pour cela il faut envoyer des signaux clairs. Toute année perdue pour cette relance est une année perdue pour le redressement.

2- Le deuxième objectif est de remplacer le Pacte pour la recherche et la LRU. Il ne suffira pas lors de Assises de faire un concours de la plus longue liste des abrogations-annulations-suppressions à effectuer. ­Il ne doit pas plus s’agir d’un simple retour à la situation de 2002 mais de répondre à un certain nombre des questions suivantes (l’auteur s’en tient à ce qu’il connaît bien : la recherche). Comment mieux faire coopérer les organismes sur le plan national et les établissements d’ES sur le plan territorial ? Quels partenariats équilibrés entre universités et organismes ? Comment favoriser la pluridisciplinarité ? De quelle façon rétablir de la « transversalité » au CNRS ? Faut-il des programmes et de quel type ? Quelles coopérations public-privé ? Comment élaborer la prospective ? Quelle politique de l’emploi scientifique ? Quel rôle de l’Etat ?

3- Ces thèmes doivent s’accompagner d’un débat en profondeur dans le milieu tant il est vrai que ceux qui ont gagné aux différents lotos gérés par l’ANR etc. se sentent un peu plus excellents que les autres ; quant aux plus jeunes, il n’ont jamais connu que des organismes sans moyens et la course aux contrats comme nécessité. C’est ce qu’explicite Etienne Bustaret, président sortant de la CPCN (3) : « Au sein des laboratoires, il ne faudrait pas sous-estimer le progrès de l’individualisme parmi les chercheurs et les équipes incités ces dernières années à démontrer sans relâche leur « excellence ». Face à cet esprit de compétition effrénée, il paraît donc essentiel de réhabiliter les synergies locales, les complémentarités nationales, ainsi que la valeur ajoutée par les compétences et réflexions collectives ». Il serait positif que, ensemble ou séparément, les organisations syndicales et les associations réellement représentatives apportent leurs contributions au débat.

4- Une des conditions pour avancer est que le ministère mette de côté sa frilosité. On peut comprendre qu’il ait hésité à annoncer des mesures immédiates qui pourraient apparaître comme devançant les Assises, mais c’est une erreur. S’il doit attendre les résultats des Assises pour proposer une nouvelle loi, il doit clairement affirmer qu’on ne reconstruit pas ES-R français sans avoir déblayé le terrain de toutes les structures pécressiennes créées pour démolir les précédentes structures.

5- Les besoins financiers sont considérables et à la hauteur du retard accumulé ( et camouflé) par la droite depuis 10 ans. Atteindre 3% du PIB pour la seule recherche (dont 1 % pour la recherche publique civile) DANS 10 ANS nécessite d’augmenter au minimum de 1,3 milliards le budget de l’ES-R CHAQUE ANNEE (sans compter les besoins financiers pour la vie et de la réussite étudiante).

Nous avons montré (4) que cet objectif peut être, en grande partie, atteint par la remise en cause de la gabegie organisée par la droite via l’ANR, l’AERES et, bien sûr le Grand emprunt. Raison de plus pour que le gouvernement remette clairement en cause ces structures qui, en plus de leur effet délétère, coûtent fort cher.

6- Encore faut-il aussi que soit admise la vérité sur le crédit d’impôt recherche (CIR). Le tout récent rapport sur ce sujet du sénateur Michel Berson est intéressant dans la mesure où il prend en compte tous les effets pervers et truandages du CIR (grands groupes, banques, filiales, etc.). Par contre, il considère comme une évidence que le CIR est incitatif pour l’investissement des entreprises et propose, contrairement à tous les rapports parlementaires précédents, que son montant (qui va vers les 6 milliards/an) soit maintenu. Disons-le, répétons-le, martelons-le, le CIR version-Sarkozy n’a jamais accru d’un iota l’effort d’investissement des entreprises, bien au contraire cette aide de l’Etat s’y est substitué. De 2006 à aujourd’hui, les dépenses des entreprises françaises ont stagné versus le PIB alors qu’elles ont cru dans de nombreux pays, qui nous devançaient déjà et où le CIR est faible ou nul. 6 milliards, c’est le budget de tous les EPST (CNRS+INSERM+INRA+IRD+INRIA+ etc.) salaires compris, plus le budget recherche des établissements d’ES, hors salaire. Aucune politique de la recherche ne sera crédible pour les scientifiques tant que le CIR servira de vache à lait aux actionnaires des grands groupes qui en bénéficient.

Voilà chers amis socialistes, quelques propositions modestes qui commenceraient à remettre notre ES-R sur les rails. Elles correspondent aux propositions que nous avons faites pendant 10 ans. Restons en cohérence avec nous-mêmes.

(1) « Marc Bloch : charge héroïque ou résistance de la vingt-cinquième heure ? » : http://blog.educpros.fr/henriaudier/2011/07/11/le-groupe-%C2%AB-marc-bloch-%C2%BB-charge-heroique-ou-resistance-de-la-25eme-heure-par-spartakus/

(2) Le problème est que beaucoup des membres de ce groupe hétérogène ont soit subi avec un grand stoïcisme silencieux la politique de Valérie Pécresse, soit ils l’ont justifié, voire ont participé à sa conception

(3) http://www.sncs.fr/IMG/pdf/VRS389.pdf

(4)http://blog.educpros.fr/henriaudier/2011/07/11/le-groupe-%C2%AB-marc-bloch-%C2%BB-charge-heroique-ou-resistance-de-la-25eme-heure-par-spartakus/

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Henri Audier

Faire de l’ES-R une priorité pour le pays.

L’enseignement supérieur et la recherche (ES-R) doivent être l’une des priorités du gouvernement. En le réaffirmant avec force, nous ne faisons que répéter l’engagement de François Hollande avant son élection.

Certes, le gouvernement a raison quand il dénonce la situation financière catastrophique dans laquelle la droite laisse le pays : une dette record, qui s’est accrue de 600 milliards depuis 2007, notamment du fait des somptueux cadeaux fiscaux, ce qui limite aujourd’hui les marges de manœuvres. La situation de l’ES-R est pire encore. En dix ans, le retard en matière de recherche (publique ET privée) par rapport à des pays qui nous devançaient déjà, s’est accru de l’ordre de 30 %. Hors inflation et changements de périmètres, nous n’avons rien vu, ou presque, du 1,8 milliard de plus par an promis par Sarkozy pour l’ES-R. A ce bilan global calamiteux s’ajoutent les cadavres dans le placard, soit plus de deux milliards pour le seul MESR : actions non budgétisées, retards de paiements, Plan campus non commencé, dettes énormes auprès des organismes internationaux ….

On ne redressera pas la situation financière, économique et sociale, le niveau de culture et de qualification, la formation d’enseignants de tous niveaux, celle d’ingénieurs et de chercheurs pour le « redressement productif », sans viser à rattraper le retard colossal accumulé par la droite depuis 2002 en matière d’ES-R. S’il est très positif que le gouvernement ait fixé l’école comme sa priorité majeure, ce qui aura un impact concret à 10 ou 20 ans, c’est un effort similaire qu’il faut produire sur l’ES-R, avec un impact positif entre 3 et 10 ans.

Pour atteindre l’objectif – pourtant plus qu’insuffisant de l’avis de l’auteur – de 3 % du PIB (1) pour la recherche dans dix ans – dont 1 % pour la recherche publique (2), c’est 1,3 milliard de plus par an qu’il faudrait investir dans l’ES-R public : universités, organismes, voire agences (3). Soyons très clairs : s’il est indispensable de développer fortement la recherche industrielle, l’innovation, les programmes industriels, les recherches finalisées, ce serait un leurre de le faire sans un effort similaire sur les recherches de base. D’ailleurs, les pays les plus avancés en matière d’innovation sont aussi ceux qui investissent le plus dans le progrès et la transmission des connaissances.

Cet objectif conditionne le redressement économique, culturel et social du pays pour la décennie qui vient. C’est LA condition pour rétablir ce flux de jeunes s’orientant vers les métiers d’enseignement ou la recherche, pour mettre fin à la précarité, pour former beaucoup plus de docteurs et d’ingénieurs-docteurs, pour donner plus de temps aux E-C pour faire de la recherche et, in fine, pour disposer d’un potentiel de haut niveau pour remettre à niveau notre recherche, publique et privée (4).

1,3 milliard de plus par an, cela représente « en cumulé » près de 20 milliards de plus sur 5 ans (1,3 + 2 x 1,3 + 3 x 1,3 + …). C’est cette somme qu’il faut programmer, pas même pour rattraper notre retard, mais simplement pour ne pas l’accroître.

Comment, dans le contexte que l’on sait, réunir une telle somme ? Donnons des ordres de grandeur.

– D’abord en reconstruisant notre système sur la base de la coopération entre organismes et universités, en éliminant toutes les structures bureaucratiques dont on oublie trop souvent qu’elles sont aussi très onéreuses, tout en transférant progressivement 500 millions de l’ANR vers les établissements. Gain : de l’ordre de 3 milliards.

– Bien entendu, en remettant à plat la plupart des actions du « Grand emprunt », en supprimant les nouvelles gouvernances crées et en bannissant le concept de « périmètre d’excellence », en négociant avec chaque territoire un plan de développement à 10 ans, en faisant entrer progressivement ces procédures dans les processus budgétaires normaux. En utilisant sur 5 ans la moitié du capital prévu par l’emprunt pour l’ES-R public, gain : 8,5 milliards.

– En utilisant pour les constructions universitaires les intérêts des 5 milliards du « plan campus » non utilisés depuis 2008. Gain : 1,5 milliard.

– En transformant profondément le CIR : utilisation pour moitié pour les PME et les programmes de recherche industrielle, reversement progressif de l’autre moitié à la recherche publique. Gain sur 5 ans : environ 7 milliards.

Comme on le voit, la simple reconstruction de notre système lui donnerait les moyens de son redressement en éliminant l’extraordinaire gaspillage organisé par la droite pendant 10 ans. Mais il faudra davantage si on prend en compte la vie étudiante, la limitation des heures supplémentaires, l’amélioration de l’encadrement voire celle des carrières….

(1) L’objectif de 3 % du PIB pour la recherche dans dix ans est pourtant plus qu’insuffisant de l’avis de l’auteur : à cette date une dizaine de pays auront dépassé 4% voire 5 %.

(2) Incluant la recherche universitaire et 50 % des salaires, mais non la Vie étudiante et l’amélioration de l’encadrement.

(3) La France investit 0,55 % du PIB dans ces trois entités (Allemagne : 0,75 %) qui constituent la recherche publique dans les autres pays.

(4) Il conviendrait de créer 6000 emplois par an pendant 10 ans. Nous y reviendrons.

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IdEx : lettre aux résignés réalistes (Alain Trautmann)

Une fois n’est pas coutume : nous reproduisons ci-dessous un remarquable texte d’Alain Trautmann (directeur de Recherche, élu au conseil scientifique du CNRS) sur les IdEx. Bien entendu, ce sont tous les programmes qui relèvent du Grand emprunt qu’il faut remettre à plat car, sans quoi, il est totalement impossible de reconstruire l’ES-R. Ci-dessous le début du texte publié sur le site de Sauvons la recherche.

« La politique des Investissements d’Avenir devrait et pourrait aujourd’hui être remise en cause. Elle a été décidée par le gouvernement précédent, pour des motifs très discutables, qui seront explicités un peu plus bas, et elle fait courir des risques graves à notre système d’enseignement supérieur et de recherche (ESR), nous allons y revenir. Dans ces conditions, il serait logique et souhaitable que le nouveau gouvernement remette profondément en question cette politique. Or aucune révision majeure et précise sur ce sujet n’a été annoncée jusque là. Les semaines à venir permettront de voir ce qui l’emportera, des prises de position du PS hostiles à la politique de N. Sarkozy pour d’ESR, ou de la complaisance d’une partie de la CPU (Conférence des Présidents d’Université) par rapport à cette même politique.

Quant aux professionnels concernés (chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et administratifs), ils semblent pour la plupart résignés à la poursuite de cette politique. Largement par ignorance, car ni la structure des usines à gaz en train d’être élaborées, ni les conséquences de leur fonctionnement ne sont très évidentes à saisir [1]. Et puis par réalisme : la mise en place des multiples nouvelles structures, Labex, Idex etc… a demandé tellement d’énergie que beaucoup ne souhaitent pas remettre tout en cause, surtout s’ils peuvent en être bénéficiaires, ce qui pourrait être le cas d’une majorité des laboratoires situés en région parisienne. C’est ainsi qu’on se résigne, qu’on accepte un système dévorant toujours plus de temps pour le montage de projets et de leur évaluation permanente, au détriment de nos véritables métiers : l’enseignement et la recherche.

Mais revenons point par point sur les affirmations précédentes.

Retour sur les investissements d’avenir

La mise en place des Investissements d’Avenir a été motivée par des raisons masquées par le rideau de fumée de fausses évidences en forme de piège [2]. Les vraies raisons étaient celles d’un pouvoir politique qui voulait, mais sans le dire, remettre radicalement en cause le modèle français d’une université ouverte à tous, en la remplaçant par une université à deux vitesses, avec des universités d’excellence, très sélectives, pour la reproduction de l’élite, et des collèges universitaires pour le reste. Ce même pouvoir jugeait que la recherche doit d’abord servir à l’innovation, et que notre pays doit davantage innover sans trop investir . Dans cette logique, une recherche publique avant tout vouée à l’innovation doit être contrôlée par un pouvoir central, qui définira les principaux domaines de recherche, retirera l’excès de liberté de recherche aux structures trop autonomes (CNRS, universités), laissera aux trop nombreuses universités le soin de ne faire que de l’enseignement pour concentrer l’effort de recherche sur quelques sites (excluant les “nuls” de l’Ouest et du Nord de la France). Les sommes investies dans quelques sites choisis seront prises sur le budget général de l’ESR [3]. Ceci limitera l’effort budgétaire réel d’aujourd’hui, en reportant cet effort sur les années et les générations qui suivent (logique d’un emprunt, tout grand soit-il). »

Lire la suite : http://sauvonslarecherche.fr/spip.php?article3717

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Investissements d’avenir : la confession d’un Président d’université

Lors des auditions effectuées par l’Office parlementaire (1) sur le Programme des Investissements d’avenir (PIA), M. Farid Ouabdesselam, président de l’Université Joseph Fourier à Grenoble a précisé « ce qu’est la démarche d’un établissement universitaire dans le cadre du PIA, et plus spécifiquement dans le cadre des LabEx [Laboratoires d’excellence] ».

Un homme qui démontre la capacité d’adaptation et l’instinct de survie du milieu

Disons d’abord que l’homme qui témoigne connaît sa leçon et sait ce qu’il faut dire. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Peut-être même y croit-il et c’est là toute l’ambiguïté d’une large fraction de notre milieu. Je cite. « Il y avait incontestablement à Grenoble une très forte adhésion des communautés scientifiques aux principes du PIA. (…). Permettre une « accélération de la recherche », aller vers de « nouvelles frontières » dans ce domaine-là, prendre des « approches en totale rupture avec celles qui étaient pratiquées ».

Prenant l’exemple de son LabEx « LANEF » (Laboratoire d’alliances nanosciences-énergies du futur), l’orateur montre à quel point toutes les formes d’appels d’offres sont congruentes : le LANEF « traduit ce que j’ai appelé tout à l’heure le prolongement de l’opération Campus. En effet, tous ces laboratoires sont actuellement sur un site, le Polygone scientifique, où s’apprêtent à le rejoindre dans le cadre précisément de l’opération Campus, puisque nous avons prévu la construction de nouveaux bâtiments ». Pour le passé donc, mais aussi pour le futur : « Cela permet de construire des projets collectifs pour lesquels d’autres financements peuvent à ce moment-là être recherchés, en particulier au niveau européen, de façon très claire. Le LabEx LANEF n’existe que depuis 5 mois, et il a déjà déposé deux projets européens ».

En même temps, l’homme reste un scientifique, attaché au CNRS et aux UMR

« Ce laboratoire, c’est une coordination entre cinq laboratoires existants. Le souci a été de préserver les laboratoires existants. Ceux-ci sont déjà de grosse taille, et il ne s’agissait surtout pas que le LabEx constitue une espèce de ligne de fracture au sein de ces cinq laboratoires. Ils ont tous pour tutelle le CNRS et l’Université Joseph Fourier, et pour certains d’entre eux, le CEA, et pour d’autres enfin, Grenoble INP. »

Et d’expliquer que faute de postes statutaires et d’allocations de recherche, faute de crédits d’équipement venant des organismes, le LabEx était une façon de sauver les meubles : « Il nous permettait d’attirer des talents du monde entier, des jeunes talents, par exemple des doctorants, mais également des personnes confirmées dans leur secteur. Deuxièmement, il nous donnait la possibilité d’acquérir des équipements, qui actuellement nécessitent des investissements très lourds et que nous ne pouvons réaliser seuls, même avec nos partenaires des organismes. Et enfin, il nous donnait la forte résolution de nous attaquer à un ensemble de verrous technologiques, de façon à aider notre industrie, peut-être pas de manière immédiate, à être très compétitive sur le plan mondial. »

Des structures ayant ces fonctions existent au CNRS depuis 20 ans : ce sont les « Fédérations d’équipes » (ou les GdR régionaux). Un tel choix aurait demandé beaucoup moins de temps perdu en dossier et en évaluation, car les UMR étaient déjà connues du Comité national. Alors quels avantages ? Financiers ?

Malgré l’obtention du Labex, les ressources des labos impliqués sont en baisse

Certes, avantage financier par rapport aux perdants, mais apport nul dans l’absolu. Le président de l’UJF de Grenoble poursuit : « J’aimerais insister sur le fait que la dotation aux LabEx doit conserver son rôle premier, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas devenir un substitut aux dotations récurrentes des laboratoires. Or on peut avoir ce souci, puisqu’à l’heure actuelle, la dotation récurrente tend à baisser. Dans le cas de LANEF, la dotation baisse depuis deux ans d’environ 10%, c’est-à-dire environ 1 milllion € (la dotation des 5 laboratoires est d’environ 10 milllions €). Et la dotation correspondant à LANEF est de 850 000 €. Donc c’est juste ce que nous avons perdu. Il faut surtout faire attention à ne pas considérer que les établissements qui ont la chance d’être lauréats avec des LabEx peuvent se permettre de ne plus avoir de dotation récurrente.»

Les EX : un gaspillage considérable en temps et argent

Reprenant sa casquette de Président d’université, l’orateur affirme que pour 7 Labex déposés , « l’investissement de l’Université Joseph Fourier atteint 750 000 €, parce qu’on a eu un ingénieur à temps plein pendant six mois, on a eu recours à un cabinet d’ingénierie de projets qui nous a coûté 100 000 €, et 14 professeurs ont été les coordinateurs et contributeurs scientifiques pendant six mois pour constituer les dossiers. »

Et d’enchaîner : « Il faut que nous arrivions tous à être en coûts complets. Cela signifie que l’Etat devra admettre le fait qu’avoir des LabEx, avoir des EquipEx, ça coûte aux établissements qui ont monté ces projets, et donc, ce n’est pas 4% qu’il faut leur permettre de prélever, mais bien plus. En cela, le séminaire de la CURIF (Conférence des universités en recherche intensive de France) qui a eu lieu le 16 novembre 2011, a permis de montrer, à travers plusieurs illustrations danoises et allemandes, ce qu’était la situation dans ces pays. Il y avait même une expérience nord-américaine montrant que les coûts complets amènent à devoir reconnaître que les frais supplémentaires sont entre 30 et 45%. » Et ce, sans parler du coût induit par la structure du Grand emprunt lui-même (organisation des appels d’offre, jurys, suivi, etc.)

En d’autres termes, non seulement les gagnants aux LabEx (ne parlons pas des perdants …) n’ont souvent pas vu leurs crédits totaux (UMR + LabEx) augmenter, mais le fait de gagner des labEx est extrêmement coûteux pour l’établissement qui les héberge. C’est encore bien pire que les RTRA, que l’orateur voue, à juste titre, aux gémonies (2).

Transformer les LabEx en Fédérations d’équipes ou en Gdr

Il est clair qu’il faut remettre à plat le Grand emprunt. Si les IdEx focalisent à juste titre l’attention, des structures comme les LabEx peuvent se révéler à terme tout aussi toxiques car participant à la multiplication des structures parallèles. Ils devraient être transformés, dans les meilleurs délais, en Fédérations d’équipes ou en GdR mixtes universités-organismes après évaluation d’une instance scientifique nationale (Comité national) et des Conseils scientifiques d’universités etc…, et soumis de ce fait à renouvellement.

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Les cadavres dans le placard en héritage. 2- Le Plan Campus

D’entrée : 1,3 milliards perdus, mais pas pour tout le monde

Dès 2008, le Plan Campus a fait la une. Pensez donc, 5 milliards d’actions EDF vendues pour les constructions nécessaires à l’enseignement supérieur, quel symbole ! Mais ça commence mal : ayant mis le même jour pour 5 milliards d’actions en vente, le cours a chuté et l’Etat n’en a tiré que 3,7 milliards. Ce 1,3 milliard perdu (pas été perdu pour tout le monde), a été remis dans la corbeille par le Grand emprunt, ce qui donne l’impression qu’on a fait vraiment beaucoup pour les étudiants.

Comment le plan campus a contribué à alimenter des cadeaux fiscaux

Ces 3,7 milliards, qui ont été placés (du moins on le suppose), rapportent des intérêts : environ 150 millions par an, soit 750 millions en 5 ans. Mais cela fait longtemps que nous montrons, sur la base de la Cour des comptes, qu’hormis quelques broutilles dépensées pour des maquettes – que Sarkozy a parcourues devant toutes les télés – rien n’a été dépensé. C’est ce que vient de confirmer au Monde Geneviève Fioraso : « Aucune convention n’a été signée, pas un centime d’euro de l’Etat n’a été versé à part les frais d’ingénierie. Les seules qui ont débloqué l’argent, ce sont les collectivités territoriales ».

Alors où sont passés ces 750 millions (qui représentent le coût annuel de 10 à 12000 postes ou encore sur 5 ans de 2500 à 3000 postes) ? Ont-ils servi à diminuer un peu la dette créée notamment par les cadeaux fiscaux depuis 2007 ? Ce sera à la gauche de les financer. Mais que de temps et d’énergie perdus !

Un montage financier se prêtant à la folie publicitaire de Mme Pécresse

Le principe du Plan Campus sorti des cartons de Mme Pecresse : les constructions universitaires sélectionnées doivent être réalisées par des « partenariats public-privée » (PPP), le principe consistant à affecter les intérêts des 5 (3,7) milliards (qui, eux, sont non consommables c’est-à-dire qu’on ne peut pas les dépenser) au remboursement des partenaires/maîtres d’œuvre privés qui financent l’investissement, avec pour contrepartie un contrat de très long terme incluant, outre un loyer, l’attribution de marchés pour des prestations, de la logistique etc…. D’un autre côté ce remboursement annuel est censé être compensé par les intérêts des 5 milliards (3,7 en fait) des actions EDF, environ 150 millions/an.

A supposer que des opérations aient été financées, tout individu, même modérément malhonnête, décompterait pour chacune d’elles soit le revenu touché provenant des intérêts des actions EDF, soit le remboursement du leasing. Eh bien non ! Dans les diaporamas de ses conférences de presse budgétaires annuelles, la sinistre Mme Pécresse décomptait 150 millions DE PLUS chaque année pour les intérêts EDF et 200 millions DE PLUS comme autorisation à signer des PPP. S’il y avait eu 350 million de plus chaque année, sur 4 ans et en « cumulé » cela aurait fait (350 + 2 x 350 + 3 x 350 + 4 x 350) = 3,5 milliards. Chiffre qui a été bénis par les médias et que la plupart des parlementaires ont sans doute cru. Très fort pour un bilan nul !!!

Monthubert : “Pourquoi je suspends le plan Campus”

« On peut dire qu’il a frappé fort d’entrée. À peine élu, à l’unanimité, le tout nouveau président de l’Université des Sciences de Paul-Sabatier, Bertrand Monthubert, a jeté son pavé dans la mare en demandant la suspension de la procédure de partenariat public privé (PPP) du plan Campus. Une procédure qui commande le financement d’une dizaine d’opérations de rénovation et de construction sur le campus de Rangueil, avec à la clé 527 M€ pour les universités de Toulouse », rapporte La Dépêche, (24/05/12)

A la question : Pourquoi avoir fait ce choix ? Bertrand Monthubert répond : « Les PPP (partenariat public privé) sont des opérations très lourdes qui demandent un temps énorme. Le plan Campus a été lancé au niveau national en 2008, la fin des travaux n’est prévue que fin 2017, dans cinq ans et demi. En outre, ça coûte très cher. En fait, c’est du leasing et tout le monde sait que ça coûte bien plus cher qu’un crédit traditionnel : on n’achète pas sa maison ou sa voiture en location-vente, sauf dans des conditions bien particulières. Au tout début, on nous avait dit que la vente de la participation de l’État dans EDF couvrirait les loyers payés au privé pour ces travaux. En fait, ils n’en couvriront qu’une partie. L’UPS devrait payer 600 000 € par an en frais de maintenance à un partenaire privé. Notre budget maintenance actuel, déjà insuffisant pour couvrir nos besoins n’est que de 500 000 €. La situation budgétaire de l’université est préoccupante. Et le PPP ne concerne que 17 % du patrimoine d’UPS. » Et d’ajouter : « C’est plus du double qu’un crédit normal selon moi »

La position du ministère

D’après le Compte-rendu du Conseil scientifique du CNRS, la ministre G. Fioraso a sévèrement critiqué les PPP, qualifiés de souvent « absurdes et incohérents » : sur les 5 milliards consacrés aux PPP, seuls 2.2 vont effectivement aux projets. Il sera nécessaire « de regarder de près ces PPP, de les amender, certainement pas de les amplifier ». Ces PPP sont une mauvaise solution d’un point de vue économique, ils ne respectent pas les générations suivantes sur lesquelles la dette de ces PPP est reportée.

Dans un entretien récent donné au Monde, elle précise : « Il y a un problème ! Nous rencontrons actuellement tous les acteurs du plan Campus pour faire un bilan, pour savoir où on en est. Il n’est pas question de ne pas tenir compte du travail de qualité réalisé. On me dit que les PPP sont plus efficaces, mais je constate, quatre ans après leur démarrage, que pas un bâtiment n’est sorti de terre. Ils coûtent cher et ne profitent qu’aux grands majors du BTP. Nous devons envisager d’autres montages juridiques et financiers moins complexes, avec l’appui de la Caisse des dépôts où l’université conserverait la conduite de l’opération. »

« Nous sommes très attachés à la remise en état dans des délais rapides des bâtiments universitaires, mais nous voulons voir si les PPP (partenariats public-privé) sont les seuls montages possibles. C’est pourquoi nous allons mettre sur pied un comité d’audit chargé d’examiner les PPP en voie de signature », a indiqué à AEF l’entourage de Geneviève Fioraso.

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Les cadavres dans le placard en héritage. 1- Les crédits

La ministre de l’ES-R était tout juste nommée que les mouches du coche se déchaînaient. Sous couvert de prendre la tête de l’opposition au nouveau gouvernement, en fait pour affaiblir des syndicats les plus représentatifs, un politiste, fier de sa compétence et de son orthographe écrivait :

« Au moins contre Pécresse-Wauquiez on se battait contre la droite… et tous les ectoplasmes de centre gauche applaudissaient joyeusement en nous regardant, de loin, monter à l’assaut… tout en attendant leurs bénéfices électoraux. Maintenant que ce sont eux qui feront la même politique que Pécresse-Wauquiez : lorsque nous tiendront (sic) le même discours, ils nous traiterons (sic) de “salles gauchistes irresponsables”… freinerons (sic) toutes les mobilisations comme ils ont commencé à le faire au “Snesup-CFDT” (la moitié droite du Snesup + le CA groupusculaire de SLR-PS)… et nous poignarderons (sic) dans le dos au moment des négociations confinées avec le ministère, surtout si il (sic) ne sentent pas dans la partie gauche de leur dos cette petite piqure caractéristique d’une baïonnette qui le menace de voir disparaître leurs adhérents, leurs électeurs et de leur voire perdre leur pouvoir (CNU, Présidences d’Universités, etc) à échéance de quelques années. »

Nous confirmons tout ce que nous avons demandé et écrit par le passé, mais, alors que les législatives sont loin d’être gagnées d’avance, il faut rendre à César ce qui est à César. En héritage, la droite laisse tout à la fois une dette colossale (+ 600 milliards en 5 ans), un retard considérable en matière d’ES-R, un appareil productif terriblement affaibli comme en témoignent, notamment, les cinquante plans de licenciement qui avaient été mis sous le tapis pendant la présidentielle.

Un audit des finances

Dans un entretien donné au Monde (02/06/12), Geneviève Fioraso déclarait : « Nous attendons l’audit de la Cour des comptes. Nous ferons un bilan complet la troisième semaine de juin. A partir de là, nous connaîtrons nos marges de manœuvre et le calendrier possible. Il y aura un collectif budgétaire. J uel] n’a pas été budgété. D’autres dépenses, que je ne peux révéler pour l’instant, qui ont été annoncées et largement valorisées auprès des médias et de la communauté ne le sont pas non plus. »

Mais à quand d’autres bilans ?

Nous ne reviendrons pas ici sur tous les truandages de présentations budgétaires effectués pendant des années par Valérie Pécresse. Il faut que, officiellement, le ministère fasse un bilan de l’évolution réelle des crédits et emplois de l’ES-R depuis 2007 et même depuis 2002, c’est-à-dire en tenant compte non seulement des changements de périmètres du budget, mais aussi de tous les gels et suppressions intervenus en cours d’années. La ministre a besoin de ce bilan pour défendre son budget : durant la campagne, l’actuel ministre des finances n’a pas su argumenter dans un débat face à Valérie Pécresse sur les prétendus milliards qui nous auraient inondés !

De même la lutte contre la précarité étant l’un des 60 engagements du Président de la République, il faut créer une commission administrations-syndicats pour lancer un vrai recensement des précaires, sans parler d’un geste fort et immédiat en leur faveur.

Une baisse des moyens de laboratoires amplifiée par le dépeçage des crédits ANR

Si, comme promis, il doit y avoir « rééquilibrage des crédits récurrents et des crédits sur projet », donc transfert de crédits ANR vers les organismes, le dépeçage récent des crédits de l’ANR a entrainé une amplification de la baisse des moyens des labos.

Si la ministre a trouvé un dixième mois de bourses étudiantes non financé, la Cour des comptes (cf. l’analyse de l’exécution du budget de l’État en 2011) a découvert comment la fin de l’année 2011 a été financée : «  Le versement en 2011 de l’intégralité du dixième mois de bourse  a notamment conduit à prélever 41,5 millions d’euros sur les crédits prévus pour l’ANR ». La Cour ajoute que ce transfert fait suite à deux annulations de crédits pour un montant cumulé de 17 millions d’euros, par les lois de finances rectificatives du 29 juillet et du 19 septembre 2011. Or la dotation de l’ANR avait déjà été « ajustée de 68 millions d’euros pour tenir compte du financement de projets par les programmes d’investissements d’avenir dans le domaine de la biologie, de la santé, des écosystèmes, du développement durable et de l’environnement ».

C’est ainsi qu’à la forte baisse des crédits budgétaires de base des laboratoires, dans les budgets 2011 et 2012 notamment, s’ajoute la disparition de 120 millions de crédits ANR.

« La dette auprès de l’Agence spatiale européenne culmine à 441 millions d’euros »

A cette situation, il faut rajouter les dettes camouflées pour le profane. Ainsi le même rapport de la Cour des comptes affirme : « La contribution française à l’Agence spatiale européenne retient depuis plusieurs années l’attention (…). La dotation que le CNES (Centre national d’études spatiales) reçoit chaque année à cet effet a été pendant la dernière décennie tendanciellement inférieure aux appels de contributions françaises de l’ESA. (…). Il en résulte une dette de contribution de la France qui culmine à 441,3 millions d’euros en 2011, en hausse de 80 millions d’euros par rapport au point haut déjà atteint en 2010. (…) Entre 2008 et 2010, la contribution française à l’ESA est restée inchangée (685 millions d’euros) et la dette française envers l’institution n’a cessé de croître. L’effort budgétaire a été repoussé à 2011 et aux années suivantes ». Merci pour l’héritage à payer (cela représente rien moins que l’équivalent de 7000 emplois annuels !!) qui, de plus, diminue d’autant la marge de manœuvre. Mais les PDG, les traders, les banquiers, les rentiers, les trafiquants, eux en ont profité.

Un dépassement de 575 millions du CIR

Enfin, le rapport déjà cité de la Cour souligne la difficulté de prévoir le coût du CIR, coût qui à l’évidence a été minimisé (ce sont les entreprises qui déclarent ex-post) : « En 2001, l’exécution [du CIR] fait apparaître un dépassement de plus de 575 millions d’euros par rapport au cadrage du PLF, cadrage pourtant reproduit presqu’à l’identique dans le PLF 2012 ».

575 millions, c’est la moitié de ce qu’il faudrait pour résorber la précarité tout en encadrant mieux les premiers cycles, tout en donnant de l’oxygène à nos laboratoires. Espérons que le CIR ne sera pas reconduit en l’état et à ce niveau.

Prochains articles :

Les cadavres dans le placard en héritage. 2- Le Plan campus

Les cadavres dans le placard en héritage. 3- Le Grand emprunt

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Et maintenant ? 3- Les Assises

Alors que les organisations et associations représentatives sont, à juste titre, focalisées sur les mesures immédiates, des forces nettement moins représentatives sont à la manœuvre pour prendre la tête des Assises, sur une base ultra corporatiste. Dans cet article, l’auteur ne vise pas à se substituer aux organisations représentatives, adhérant lui-même au SNCS-FSU et à SLR. Sur la base de son expérience des Assises de 2004, dont il était responsable de la structuration locale, il veut seulement proposer ici quelques principes.

Les buts des Assises

Il est évident que les Assises doivent préparer une loi d’orientation pour reconstruire l’ES-R. De ce point de vue, la discussion doit d’abord porter sur ce qui remplacera le Pacte de la recherche et la LRU, donc l’ANR, l’AERES, les Alliances, les Idex, etc.

En même temps, l’ES-R, de par ses enjeux, concerne tout le pays : niveau de culture, de connaissance, de qualification, démocratisation sociale de l’ES, retombées économiques et sociales de la recherche, débouchés des étudiants et des docteurs. C’est bien au pays qu’il faut nous adresser, et c’est avec ses diverses composantes qu’il nous faut dialoguer. C’est parce que nous n’avons pas pu, pas su, ou parfois pas voulu le faire que Pécresse a pu imposer sa politique.

Le cadre des assises

Les Assises doivent-elles être auto-gérées par le milieu ? Au-delà des difficultés matérielles, du risque de noyautage ou de représentativité contestable, il est certain que le gouvernement ne se sentirait en rien engagé par les conclusions issues d’une telle configuration. Une telle solution rendrait aussi très compliqué le dialogue pourtant indispensable entre les scientifiques et le pays.

A l’inverse, des Assises pourraient-elles être directement pilotées par le gouvernement, laissant planer le soupçon d’une apparence de démocratie alors que des décisions seraient déjà prises ou déjà préparées ? Ce n’est pas lire dans le marc de café que d’affirmer qu’un tel choix conduirait au boycott des organisations représentatives et, par là même, de nombre d’instances scientifiques.

La seule solution est donc de créer un Comité d’organisation indépendant, où seraient représentés non seulement les organisations de l’ES-R publics, les étudiants, la recherche privée, mais aussi tous ceux qui sont intéressés par les retombées de la recherche : entreprises, régions, confédérations syndicales, associations, etc. De notre point de vue, après les consultations des organisations par le ministère, il appartiendra à une Conférence nationale, en présence des forces représentatives, de discuter la composition du Comité d’organisation ainsi que les principes de déroulement des Assises.

Le déroulement des Assises

Encore moins dans ce paragraphe que dans les précédents, l’auteur n’entend entrer dans le détail. Pour s’en tenir aux principes, deux aspects nous semblent importants :

– Tout d’abord, il faudrait que les Assises se déroulent en deux phases. La première, locale (région ou territoire plus large), très ouverte à tous les membres de l’ES-R. L’autre, nationale, qui discuterait le rapport proposé par un Comité de rédaction, composé du Comité d’organisation élargi à un ou deux représentants par Assises locales.

– Sans empêcher quiconque de traiter d’autres sujets (notamment en rapport avec la structuration locale), il serait bien, notamment pour faciliter la synthèse, que la discussion soit centrée sur une dizaine de thèmes larges. Ces thèmes, qui pourraient être proposés par le Comité d’organisation, devraient aussi inclurent les demandes du gouvernement, en particulier sur les thèmes qui figurent dans ses priorités (par exemple la priorité à la réussite en premier cycle).

La durée des Assises

De l’avis personnel de l’auteur, il serait souhaitable que la nouvelle loi d’orientation soit votée à la fin de l’année de façon de pas pérenniser (et donc ancrer dans la réalité) les structures mises en place par la droite. Ceci supposerait que les Assises se tiennent en un mois et demi, entre le premier septembre et le 15 octobre par exemple. Cette option est jouable si l’organisation est bouclée en juillet.

Malheureusement, il semble que calendrier législatif prévu donne la priorité à d’autres lois, celle de décentralisation notamment. Dans cette hypothèse, les Assises pourraient se tenir jusqu’en décembre. Mais il faudra alors que la loi vienne très tôt en 2013, et qu’entre temps le gouvernement donne des garanties quant à sa volonté de remplacer les structures, les modes de financement et les finalités de l’ES-R.

La question du rythme de rattrapage des financements de l’ES-R est une autre question qui n’a pas été traitée ici faute de savoir l’ampleur du désastre financier et de connaître les résultats de l’audit des finances publiques, ainsi que celui sur les Initiatives d’excellence. Mais il est clair que la patience du milieu scientifique sera fonction de la nature et de l’ampleur des premières mesures, notamment du redéploiement de crédits ANR ou du CIR pour financer les établissements ou commencer à résorber la précarité d’emploi qui sévit de façon insupportable.

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Et maintenant ? 2- Les mesures immédiates indispensables

Il est indispensable que le gouvernement prenne, dans les meilleurs délais mais après concertation, un certain nombre de mesures visant à répondre aux urgences et à symboliser sa détermination à reconstruire l’ES-R. C’est pourquoi nos propositions sont classées par grands enjeux politiques.

Les mesures proposées ici, incluant un collectif budgétaire, s’inspirent largement de ce que demandent plusieurs syndicats. Elles sont en accord avec le programme de François Hollande, comme avec ceux de partis politiques de gauche. Elles ne nécessitent pas de lois nouvelles et ne devancent pas les conclusions des Assises dont la discussion sur leur organisation fera l’objet du prochain article.

Remettre à plat des initiatives d’excellence

– Décréter un moratoire de trois mois sur les conventions récemment signées, afin de faire un bilan du « Grand emprunt » (degré de réalité des milliards annoncés, déséquilibres dans l’aménagement du territoire, dénis de démocratie),

– Pour aider à la discussion lors des Assises locales, entamer avec chaque territoire un dialogue pour un plan de développement à 4 ans, pouvant inclure les dossiers élaborés pour les initiatives d’excellence et le retard pris par les plans Etat-Régions, mais excluant de nouvelles « gouvernances » et des « périmètres d’excellence ».

Lancer une première étape pour le premier cycle

– Demander aux universités leurs projets pour diminuer l’échec en premier cycle, en vue du prochain budget,

– Sur ces bases lever le gel sur les crédits universitaires, ce qui libèrerait immédiatement 1000 emplois gelés.

Donner aux organismes leur rôle de structuration de la recherche

– Affirmer le rôle des organismes de recherche dans la structuration nationale de la recherche,

– Compenser la baisse de leurs crédits de fonctionnement par un collectif budgétaire,

– Commencer à remplacer des actions finalisées de l’ANR par des programmes inter-organismes, négociés et gérés par ceux-ci.

Transférer l’évaluation des unités

Il faut redonner l’évaluation des unités de recherche, comme le permet d’ailleurs la loi actuelle, au Comité national de la recherche scientifique (pour le CNRS et les universités), et aux instances d’évaluation des autres établissements de recherche (Inserm, IRD, INRIA, etc.).

Connaître et commencer à résorber la précarité

Lancer une grande enquête, après négociation sur son contenu, pour connaître l’ampleur de la précarité dans sa diversité,

– Prendre dès maintenant les mesures possibles pour la résorber ; par exemple la transformation de crédits universitaires en postes budgétaires quand ils correspondent à des emplois permanents,

– Réaffirmer la nécessité d’un fonctionnement sur emplois de titulaires et encadrer strictement la possibilité de recruter des CDD,

– Entamer une négociation avec les syndicats sur le contenu d’un plan pluriannuel de l’emploi scientifique.

Si la loi sur la décentralisation précédait la loi d’orientation sur l’ES-R, il conviendrait qu’une commission, impliquant les syndicats, s’assure que la loi sur la décentralisation ne devance pas – directement ou indirectement – les conclusions des Assises pour tout ce qui touche l’ES-R.

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Et maintenant ? 1- Chronologie des urgences pour l’ES-R

Quelle place de l’ES-R dans le futur gouvernement ?

Chronologiquement, la première question qui va se poser est celle de la place de l’ES-R dans le gouvernement. Alors, commençons par l’évidence : il doit être exclu que l’enseignement supérieur et la recherche soient séparés. Le mieux serait un ministère de plein exercice allant jusqu’à l’innovation, secteur qui devrait être géré en rapport avec le ministère de l’Industrie. Un ministère délégué de l’ES-R auprès d’un grand ministère de l’EN serait aussi envisageable.

Il serait également souhaitable que ce ministre soit connu pour avoir suivi depuis longtemps les problèmes de l’ES-R, qu’il soit un scientifique ou pas. Cela pour dire que ce ministère ne doit pas être un lot de consolation pour baron ou premier-ministrable déçu, pas plus qu’un des éléments d’équilibre entre courants et partis.

Les mesures immédiates ou transitoires

Le changement consisterait en ce que le nouveau ministre prenne un peu de temps pour entendre et comprendre les propositions des organisations syndicales et associatives, ainsi que les instances élues, qu’elles soient représentatives du milieu de l’ES-R ou qu’elles soient concernées par le sujet du fait de leur implications dans la politique du pays (confédérations syndicales, régions, etc.).

L’objectif devrait être de faire de l’ES-R un élément capital pour une autre politique pour le pays (et pour l’Europe). En ce sens, des mesures immédiates devraient être prises afin de montrer clairement que le nouveau gouvernement veut rompre avec la politique de démolition menée par la droite, tout en indiquant symboliquement dans quel sens il veut agir. Les organisations de l’ES-R ont fait des propositions constructives, l’auteur en fera dans un deuxième article de cette série.

La préparation des Assises

Des mesures immédiates significatives créeraient des conditions favorables pour rétablir la confiance entre le gouvernement et le milieu. Elles placeraient sous des auspices favorables les premières consultations mentionnées supra, qui devraient aussi porter sur les propositions pour la tenue des Assises et dégager un certain nombre de thématiques fortes. Il est certain que nul n’a intérêt à ce que le gouvernement décide seul du contenu et du déroulé de ces Assises pour lesquelles un certain nombre de questions importantes se posent :

Les Assises doivent-elles concerner uniquement le milieu de l’ES-R ou également tous ceux dans le pays qui sont concernés par la recherche ?

Les Assises doivent-elles reprendre à zéro tout le débat sur la place, les structures et le financement de l’ES-R, ou doivent-elles se focaliser sur une dizaine de questions-clefs conditionnant le contenu de la future loi d’orientation ?

Les Assises doivent-elles être auto-gérées par le milieu ? Directement pilotées par le gouvernement ? Sous la responsabilité d’un comité d’organisation ? Et avec quelle composition ?

Les Assises seront-elles seulement nationales ou comporteront-elles aussi des réunions territoriales préparatoires ?

En raison de cette complexité, il faudrait qu’après la première phase de consultation, le gouvernement soumette à la discussion vers la fin du mois de juin un projet, lors d’une conférence nationale, en présence de toutes les organisations ou instances intéressées. Nous tenterons de répondre aux questions que nous avons posées dans notre troisième article.

Le collectif budgétaire et le budget

Enfin, le plus important : le budget et l’emploi. Soyons clair, notre but n’est pas de « charger la barque » et de mettre en accusation le futur gouvernement. Comme citoyen, l’auteur comprend très bien la prudence de François Hollande en matière budgétaire, vu la dette en héritage. Mais comme scientifique, il ne peut pas ne pas rappeler que l’effort français de recherche versus le PIB est aujourd’hui le même qu’il y a dix ans. Qu’on n’a jamais vu le début du commencement du « 1,8 milliards de plus par an » promis par Sarkozy pour l’ES-R. Et que les engagements de François Hollande pour sauver le premier cycle comme en matière de recherche, ou ceux concernant la résorption de la précarité des jeunes docteurs ne sauraient se concrétiser sans un gros effort budgétaire, sur l’emploi scientifique notamment.

Nous avons chiffré à 1,3 milliards de plus par an la croissance des budgets de l’ES-R pour, par exemple, atteindre 3% du PIB dans seulement 10 ans ! Pour relancer l’attractivité de nos métiers, quantitativement et qualitativement, il faut afficher un plan pluriannuel de l’emploi scientifique. Nous y reviendrons .