Cracking the management code

Profs stars dans les business schools, quelles stratégies ?

Un sujet « interpellant »

Il y a quelques mois, j’ai eu l’opportunité de participer à un débat organisé par Newstank Higher  Ed and Research dans le cadre de leurs journées de rencontre Think 2019 sur le thème : « Rémunération des chercheurs « stars » ou des « talents » : La fin d’un tabou » (Think 2019) ».

Un compte rendu a été fait de cette « table ronde » de ces échanges. Il est en ligne au lien suivant :

https://education.newstank.fr/fr/article/view/140985/remuneration-chercheurs-stars-talents-fin-tabou-think-2019.html

 

Des convergences rendant peu compte du cas des business schools

Je souhaite revenir sur ce qui a été dit, non pas dans l’esprit d’une mise en cause mais avec l’idée de mettre un focus sur la question des business schools, car à vouloir poser la question de façon trop large, le risque a été pris de désarticuler le sujet. En effet, les personnes invitées à cette table ronde sont tous des acteurs extrêmement légitimes de l’enseignement supérieur, mais évoluant dans des contextes très éloignés, gérant des zones de contraintes et d’opportunités très différents, et par là-même porteurs de visions divergentes. On peut également mentionner l’appartenance à des champs disciplinaires ayant des enjeux, des méthodes, des pratiques positionnés aux extrêmes du spectre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Enfin, les statuts et les métiers très divers des participant au débat ajoutaient encore à la fragmentation des témoignages.

Le dénominateur commun est, dans ces conditions, difficiles à identifier. Et, s’il y a eu des convergences, comme tente de le montrer le compte rendu, il me semble qu’elles n’ont pas rendu justice à la discipline du management, ni aux Business Schools qui sont très interpellées par cette problématique, avec des enjeux, des visions et des pratiques qui leur sont propres.

Il est d’ailleurs intéressant de voir l’évolution du titre de la table-ronde à celui du compte rendu puisqu’il y a été ajouté le mot « talent » qui n’y figurait pas au départ …

Une vision universitaire avec ses présupposés

Je vais reprendre le fil des questions posées et m’éloigner de la vision universitaire qui était largement majoritaire dans le débat, et donc porteuse de présupposés forts mais implicites qu’il est important de mettre au jour. Je les résumerai en quelques points, issus du débat et de mes 25 ans passés à l’Université :

1/ La monde scientifique est égalitaire et méritocratique.

2/ Le chercheur est, par définition, pleinement » engagé » dans sa mission.

3/ Le monde de la connaissance a une relation complexe avec l’argent qui est perçu sous le terme de « subventions » ou de « financements », destinés avant tout aux « projets de recherche », la rémunération des chercheurs étant accessoire.

4/ L’objectif du chercheur est la légitimité que donne la « reconnaissance par les pairs » et se mesure en publications.

On comprend alors que la notion de « starification » ne peut être reprise à son compte par le monde scientifique. Il a d’ailleurs été très vite écarté par les débatteurs au profit du mot « talents ». Au-delà du mot, c’est bien le sujet même qui était écarté.

Qu’est-ce qu’un professeur star ?

Les « professeurs stars » existent et ils sont un enjeu pour l’enseignement supérieur à l’échelle internationale, si on accepte qu’il y a une véritable compétition dans le domaine, comme l’attestent les très nombreux classements qui fleurissent chaque année.

Quand on tape ces deux mots clés en anglais ou en français sur nos moteurs de recherche, deux dimensions peuvent être retenues : le niveau de publications et le niveau de salaire.

Ainsi, en 2015,  Educpros 2015  définit une liste de professeurs star en économie-gestion sur la base du critère de publications https://www.letudiant.fr/educpros/enquetes/a-la-rencontre-des-profs-stars-en-ecole-de-commerce.html

C’est la rémunération qui est retenue comme critère par le Figaro en 2012 https://etudiant.lefigaro.fr/les-news/actu/detail/article/ces-profs-superstars-remuneres-a-prix-d-or-364/

Si on s’en réfère au salaire, le hit parade 2018 des professeurs les mieux payés aux USA dresse une échelle de salaire qui va de 4,33 millions de dollars pour le premier (David N. Silvers, Clinical Professor of Dermatology and Pathology and Director of the Dermatopathology Laboratory at Columbia University)  à 433 000 dollars pour le 10ème (Graeme Rankine, Associate Professor of Accounting, et Academic Director of the LG Electronics Executive MBA (Korea) Program, at Thunderbird School of Global Management.). Le premier professeur dans une Ecole de management est le Dean Takahashi (Adjunct Professor in the Practice of Finance at the Yale School of Management, and Senior Director of Investments at Yale University )avec 2,6 millions de dollars. https://thebestschools.org/magazine/highest-paid-college-professors-america/

A noter que 7 sur les 10 relèvent des disciplines économie et gestion et sont professeurs dans des Business Schools ou des départements d’Université dans ce domaine.  Ce qui valide bien la présence des Business Schools sur ce sujet.

Les business schools et leurs profs stars

On peut affirmer que les Business Schools sont particulièrement concernées par le sujet. A cela 3 raisons :

1/ Elles sont dans une compétition internationale non seulement au niveau de la recherche mais aussi et surtout dans leur capacité à attirer des étudiants, et ce « tout au long de la vie »,

2/ elles ont des enjeux économico-financiers puisqu’en règle générale, elles vivent des frais de scolarité de leurs étudiants,

3/ par leur champs disciplinaire (le management, la gestion), elles ont une très forte proximité avec le monde économique et ses attentes, l’argent n’est pas tabou,

4/ si la recherche reste importante dans leur légitimité, la pédagogie est un enjeu majeur pour leur pérennité et leur attractivité,

5/ la gestion, le management sont des disciplines profondément immatérielles dont les impacts sont difficilement mesurables. L’incarnation est donc essentielle : ce sont bien des hommes et des femmes qui sont la preuve et la mesure de la qualité d’un établissement.

Toutes ces raisons convergent pour faire de cette question des profs stars au sein des business schools un sujet en soi.

 

Quelle analyse peut-on faire de la question ?

En considérant le contexte de compétition internationale comme un des enjeux premiers des business schools, il est pertinent de mobiliser la célèbre grille de Porter pour analyser la situation en considérant la question des barrières à l’entrée.

Porter identifie une dizaine de barrières à l’entrée : l’économie d’échelle ; le besoin en capitaux ; l’avance technologique ; les emplacements commerciaux ; la supériorité en termes d’image et de notoriété ; la difficulté à changer de fournisseurs ; la maitrise des coûts de distribution ; les stratégies de représailles (la réaction d’entreprises implantées) ; la réglementation ; les barrières à la sortie (dissuasion des clients de passer à la concurrence) et la mesure des risques.

On peut observer au passage que les écoles de commerce mobilisent beaucoup de ces barrières. Il est aussi facile de rapprocher la question des profs star de la barrière qui concerne l’image et la notoriété. Plus les professeurs sont connus et reconnus, plus l’école bénéficie de leur aura. Tout ce qui va matérialiser cette notoriété profitera à l’école. Ouvrages signés du prof star, passages dans les media, MOOC … sont autant de support « tête de gondole » pour une école.

 

Une catégorisation des profs stars

Une analyse par la marque s’impose : dans un monde où chacun est lourdement poussé à promouvoir sa marque personnelle, l’alliance d’une école avec un ou des profs stars relevant du co-branding, c’est-à-dire de l’alliance de deux marques puissantes pour créer de la valeur dans le produit ou le service qu’elles proposent comme dans la représentation que cette alliance véhicule.

Il peut bien sûr s’agir d’une rencontre fortuite et réussie, mais le projet, pour être porteur de valeur, doit être aligné avec la vision stratégique globale de l’établissement, pour être pérenne et créateur de valeur.

Les questions qui se posent sont alors : l’identification des cibles, les objectifs assignés, et l’horizon du projet. Ces critères nous permettent une petite catégorisation des « profs stars » (figure ci-dessous)..

  • Les cibles peuvent être internes ou externes : internes, ce sont alors les étudiants (ou apprenants), les équipes enseignantes, de chercheurs et administratives. Les cibles externes sont les entreprises, les partenaires plus institutionnels, les medias. Evidemment, qui peut le plus peut le moins mais il est difficile d’exceller en tout.
  • Les cibles impliquent également des profils différents : si on privilégie les étudiants, c’est la capacité à exceller en pédagogie qui primera, si on cible les pairs, ce sera plutôt la recherche qui sera attendue.
  • L’horizon est aussi un critère important. Si on vise le court terme (1 à 2 ans), c’est l’impact qui compte avant tout. L’alliance peut alors être contre-intuitive ou inattendue. L’objectif sera de créer du buzz positif. S’il est incontournable de respecter une certaine congruence entre les profils et/ou les valeurs des parties respectives, on peut aussi chercher le contre-pied, et supposer que le prof star sera déjà reconnu car il faut faire vite et présentera donc un (très) gros investissement.

Pour une politique sur le long-terme, (5 à 10 ans), il est essentiel de vérifier que les affinités entre les deux marques en présence sont réelles, et que leur alliance a du sens. On peut alors parier sur des talents, des potentiels encore en développement.

Je propose de résumer l’analyse avec le schéma ci-dessous :

 

Ce schéma ne valorise pas une position plus qu’une autre, tous les choix sont légitimes à condition d’être au service de la stratégie de l’établissement.

  • La position sur le court terme amène à une stratégie de co-branding avec une « vedette » ayant une marque personnelle très forte, elle peut être alignée ou pas avec celle de l’établissement, en fonction des attentes.
  • Les positions intermédiaires requiert de très bons enseignants-chercheurs, plus le terme est long, plus l’expertise recherche est attendue.
  • La position sur le long terme implique plutôt de parier sur des talents avec un engagement mutuel qui demande aussi au professeur « star » (ou bientôt star) d’avoir des compétences pour entraîner les équipes dans le développement attendu.

On perçoit aussi la dimension individualiste/collective qui s’imprime de gauche à droite : plus le terme est court et la cible externe moins l’enjeu portera sur la capacité à mener des équipes.

 

Investissement et attractivité

Avoir des profs stars n’est pas une obligation, mais cela peut apporter beaucoup à un établissement, même si la mise de fonds peut être très conséquente. Et le ROI est assez difficile à mesurer : citations dans les médias, nombre de publication, hausse des candidatures étudiantes, dotation de fonds des entreprises … sont quelques pistes de mesure.

On revient à la question du débat qui portait essentiellement sur nos capacités d’attractivité en France. Le prestige et la qualité de la recherche française ont été mis en avant, j’y crois ! La qualité de vie aussi ! Je suis plus dubitative sur l’attractivité des salaires évoqués : celui d’un professeur d’université première classe soit 5000 euros nets par mois, quand on compare aux standards de rémunérations internationales, même s’ils sont encore éloignés de notre hit-parade cité un peu plus haut !

Il est clair que la mise de départ doit être très motivante, comme les conditions de travail. Et là, l’Université française n’est pas encore « au top », comme le montrait le contexte de cette table ronde qui se tenait dans une des universités françaises les plus pretigieuses. Nous étions alignés, assis dans des fauteuils Strafor des années 60 avec des micros filaires qui entonnaient régulièrement leur petit effet Larsen, dans une salle qui aurait bien eu besoin d’un bon coup de neuf !

Le prof star, connu et reconnu, engagé sur le long terme, et ne demandant pas un gros salaire existe aussi. J’ai ainsi pu côtoyer les prix Nobel de l’Université de Strasbourg. Mais ces exemples restent … des exemples….

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