Gaffe au syndrome du lavabo !
Le syndrome du lavabo : c’est avoir le sentiment que son monde n’a aucun horizon, qu’il est uniformément blanc, se limite à des parois lisses, tellement lisses qu’on ne peut les gravir pour en sortir. Et que finalement la seule sortie possible est par le bas, dans la bonde, emporté par un flux qu’on ne maitrise pas.
C’est le sentiment que m’ont décrit des étudiants, chacun à leur façon ces dernières semaines.
Le sentiment pour certains d’être complètement oubliés. Pour d’autres, de ne plus supporter les discours positifs des directions de leurs formations, qui semblent pratiquer la pensée magique !
« On n’a plus le droit de s’amuser, les enfants ne connaissent pas ce que la génération précédente comme la mienne a pu connaître. S’amuser avec ses amis, rigoler, jouer à des jeux d’enfants, s’approcher, s’enlacer, se faire la bise, se mettre à côté de ses amis en classe,…tout ça ils n’ont pas pu en profiter. Les ados et même les étudiants dans mon cas ne peuvent pas profiter de cela. J’ai bientôt 20 ans et sans vouloir me plaindre, je trouve que ce n’est pas une vie de jeunes. »
« Ras le bol des grands discours sur la résilience ! Ras le bol des leçons de morale ! Ras le bol des investissements bidons sur les cours en ligne ! »
Une perte d’identité étudiante
On connait le « syndrome du glissement » pour les personnes très âgées qui rejoignent des EHPAD, quelque chose de semblable est actuellement à l’œuvre chez les étudiants.
Globalement, on sait que la perception de la durée n’est pas la même en fonction de l’âge. Les mois qui passent comptent double ou triple proportionnellement quand on a 20 ans plutôt que 60. Mais ce n’est pas que du « ressenti ». Objectivement, ces jeunes adultes sont privés de tout ce qui fait ou devrait faire leur vie d’étudiant-e.
« Je vois beaucoup de commentaires qui expliquent qu’il faut relativiser, ne pas se laisser aller, que des situations bien pires existent dans le monde et c’est bien vrai. Mais cette peur décrite est réelle parce qu’elle a un réel impact dans nos vies. »
Au-delà de l’ennui, de la frustration, du sentiment de ne pas avoir la possibilité d’acquérir les compétences attendues, c’est leur identité d’étudiant qui est mise à mal.
Quels sont les attributs d’une vie d’étudiant ? Les cours bien sûr mais aussi (et surtout) tous les moments off qui tissent la communauté : le café à la pause, les bavardages, les clashes …La vie associative, les fêtes, les évènements, les remises de diplômes, les séjours à l’étranger, les stages, les jobs étudiants, l’alternance, le sport ….
Tout cela a disparu !
« Je sais bien que nous ne sommes pas la pire des situations mais malgré tout on commence petit à petit à dépérir. »
Des inquiétudes mais aussi des problèmes réels
Les problèmes financiers sont réels : les frais de scolarités à payer alors qu’on a perdu son job étudiant ou que ses parents sont en difficulté, renoncer au logement étudiant pour économiser le loyer …
Les inquiétudes sont réelles sur la valeur du diplôme. Quelle sont les garanties que porte un diplôme ?
- Un bagage de connaissances, alors les cours sont vécus comme insuffisants ou frustrants avec d’énormes écarts selon les institutions et les enseignants.
- Une expérience professionnelle : comment l’acquérir avec l’absence de stages, le chômage partiel pendant les contrats d’alternance ou pas d’alternance du tout ?
- Une expérience interculturelle : qui est soit supprimée, soit vécue en ligne de chez soi.
- Une vie d’adulte indépendant : bien mise à mal avec les retours chez les parents.
Les mois passent, les promesses fleurissent, mais la morosité gagne du terrain avec cet horrible sentiment de se heurter à une paroi de …lavabo.
« Je suis étudiante et vraiment je ne trouve aucun stage ce qui m’angoisse littéralement. Les entreprises refusent toujours pour la même raison : la Covid-19. «
Sanctuariser des moments d’échanges et d’écoute
Ils ont besoin d’être écoutés, d’être entendus, et qu’on leur apporte aussi des solutions.
Les mêmes inquiétudes existent en entreprises et le management est particulièrement sollicité pour être au plus près de leurs équipes.
Une piste est de faire de l’expérience étudiant le critère n°1 cette année. On parle beaucoup et depuis longtemps d’expérience étudiant. Elle est mise à l’épreuve de cette grande crise que nous traversons.
Plutôt que de dupliquer des enseignements en ligne, plutôt que de continuer à mettre la pression sur la publication, ne devrait-on pas sanctuariser une partie du temps des enseignants pour créer des rituels de rencontre et d’échanges essentiels dans ces grands moments d’incertitude, où tous les repères sont chamboulés ? Afin que chaque étudiant puisse bénéficier d’une écoute personnalisée.
Ainsi, une lecture d’articles peut remplacer un cours. Une heure au téléphone ou en skype à échanger sur les difficultés mais surtout sur les possibles, n’est pas substituable.
« Lorsque l’on est parents d’un jeune adulte majeur dans cette situation et loin de la maison on ne peut qu’assister impuissants à sa désespérance en maintenant coûte que coûte avec l’énergie de l’amour le lien familial en espérant qu’il ne soit pas insuffisant. »
Faire du bien-être étudiant le critère N°1 des classements des formations 20-21
Et si, pour une fois : les fameux classements des formations (business schools, écoles d’ingénieurs, IAE, MBA …) , si importants quoiqu’on en dise, mettaient ce critère de l’expérience étudiante en premier ? Avec une pondération complètement insensée ?
Ce serait une belle reconnaissance pour nos étudiants, et une façon très concrète de stimuler les écoles et les institutions d’enseignements dans la lutte contre ce syndrome du lavabo.
Mettre de côté des critères comme : le nombre d’étudiants étrangers, les salaires à la sortie, le nombre de création d’entreprises, les étoiles des publications, le nombre d’alumni dans le Who’Who, les doubles diplômes etc etc … tous critères démonétisés cette année, pour aller vers le seul qui compte vraiment : le bien-être de nos étudiants !
Et sur un tel sujet, on peut compter sur l’éthique des dirigeants, des coachs en classement et des classeurs !
PS : Les verbatims sont des commentaires publics sur ma page LINKEDIN
Bonjour,
Je partage tout à fait votre analyse du mal-être des étudiants.
Qu’est-ce qui est à mettre en place comme solutions d’échange et d’écoute?