Cracking the management code

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Faire du bien-être étudiant le critère N°1 des classements 20-21 !

Gaffe au syndrome du lavabo !

Le syndrome du lavabo : c’est avoir le sentiment que son monde n’a aucun horizon, qu’il est uniformément blanc, se limite à des parois lisses, tellement lisses qu’on ne peut les gravir pour en sortir. Et que finalement la seule sortie possible est par le bas, dans la bonde, emporté par un flux qu’on ne maitrise pas.

C’est le sentiment que m’ont décrit des étudiants, chacun à leur façon ces dernières semaines.

Le sentiment pour certains d’être complètement oubliés. Pour d’autres, de ne plus supporter les discours positifs des directions de leurs formations, qui semblent pratiquer la pensée magique !

« On n’a plus le droit de s’amuser, les enfants ne connaissent pas ce que la génération précédente comme la mienne a pu connaître. S’amuser avec ses amis, rigoler, jouer à des jeux d’enfants, s’approcher, s’enlacer, se faire la bise, se mettre à côté de ses amis en classe,…tout ça ils n’ont pas pu en profiter. Les ados et même les étudiants dans mon cas ne peuvent pas profiter de cela. J’ai bientôt 20 ans et sans vouloir me plaindre, je trouve que ce n’est pas une vie de jeunes. »

« Ras le bol des grands discours sur la résilience ! Ras le bol des leçons de morale ! Ras le bol des investissements bidons sur les cours en ligne ! »

Une perte d’identité étudiante

On connait le « syndrome du glissement » pour les personnes très âgées qui rejoignent des  EHPAD, quelque chose de semblable est actuellement à l’œuvre chez les étudiants.

Globalement, on sait que la perception de la durée n’est pas la même en fonction de l’âge. Les mois qui passent comptent double ou triple proportionnellement quand on a 20 ans plutôt que 60. Mais ce n’est pas que du « ressenti ». Objectivement, ces jeunes adultes sont privés de tout ce qui fait ou devrait faire leur vie d’étudiant-e.

« Je vois beaucoup de commentaires qui expliquent qu’il faut relativiser, ne pas se laisser aller, que des situations bien pires existent dans le monde et c’est bien vrai. Mais cette peur décrite est réelle parce qu’elle a un réel impact dans nos vies. »

Au-delà de l’ennui, de la frustration, du sentiment de ne pas avoir la possibilité d’acquérir les compétences attendues, c’est leur identité d’étudiant qui est mise à mal.

Quels sont les attributs d’une vie d’étudiant ? Les cours bien sûr mais aussi (et surtout) tous les moments off qui tissent la communauté :  le café à la pause, les bavardages, les clashes …La vie associative, les fêtes, les évènements, les remises de diplômes, les séjours à l’étranger, les stages, les jobs étudiants, l’alternance, le sport ….

Tout cela a disparu !

« Je sais bien que nous ne sommes pas la pire des situations mais malgré tout on commence petit à petit à dépérir. »

Des inquiétudes mais aussi des problèmes réels

Les problèmes financiers sont réels : les frais de scolarités à payer alors qu’on a perdu son job étudiant ou que ses parents sont en difficulté, renoncer au logement étudiant pour économiser le loyer …

Les inquiétudes sont réelles sur la valeur du diplôme. Quelle sont les garanties que porte un diplôme ?

  • Un bagage de connaissances, alors les cours sont vécus comme insuffisants ou frustrants avec d’énormes écarts selon les institutions et les enseignants.
  • Une expérience professionnelle : comment l’acquérir avec l’absence de stages, le chômage partiel pendant les contrats d’alternance ou pas d’alternance du tout ?
  • Une expérience interculturelle : qui est soit supprimée, soit vécue en ligne de chez soi.
  • Une vie d’adulte indépendant : bien mise à mal avec les retours chez les parents.

Les mois passent, les promesses fleurissent, mais la morosité gagne  du terrain avec cet horrible sentiment de se heurter à une paroi de …lavabo.

« Je suis étudiante  et vraiment je ne trouve aucun stage ce qui m’angoisse littéralement. Les entreprises refusent toujours pour la même raison : la Covid-19. « 

Sanctuariser des moments d’échanges et d’écoute

Ils ont besoin d’être écoutés, d’être entendus, et qu’on leur apporte aussi des solutions.

Les mêmes inquiétudes existent en entreprises et le management est particulièrement sollicité pour être au plus près de leurs équipes.

Une piste est de faire de l’expérience étudiant le critère n°1 cette année. On parle beaucoup et depuis longtemps d’expérience étudiant. Elle est mise à l’épreuve de cette grande crise que nous traversons.

Plutôt que de dupliquer des enseignements en ligne, plutôt que de continuer à mettre la pression sur la publication, ne devrait-on pas sanctuariser une partie du temps des enseignants pour créer des rituels de rencontre et d’échanges essentiels dans ces grands moments d’incertitude, où tous les repères sont chamboulés ? Afin que chaque étudiant puisse bénéficier d’une écoute personnalisée.

Ainsi, une lecture d’articles peut remplacer un cours. Une heure au téléphone ou en skype à échanger sur les difficultés mais surtout sur les possibles, n’est pas substituable.

« Lorsque l’on est parents d’un jeune adulte majeur dans cette situation et loin de la maison on ne peut qu’assister impuissants à sa désespérance en maintenant coûte que coûte avec l’énergie de l’amour le lien familial en espérant qu’il ne soit pas insuffisant. »

Faire du bien-être étudiant le critère N°1 des classements des formations 20-21

Et si, pour une fois : les fameux classements des formations (business schools, écoles d’ingénieurs, IAE, MBA …) , si importants quoiqu’on en dise, mettaient ce critère de l’expérience étudiante en premier ? Avec une pondération complètement insensée ?

Ce serait une belle reconnaissance pour nos étudiants, et une façon très concrète de stimuler les écoles et les institutions d’enseignements dans la lutte contre ce syndrome du lavabo.

Mettre de côté des critères comme : le nombre d’étudiants étrangers, les salaires à la sortie, le nombre de création d’entreprises, les étoiles des publications, le nombre d’alumni dans le Who’Who, les doubles diplômes etc etc … tous critères démonétisés cette année, pour aller vers le seul qui compte vraiment : le bien-être de nos étudiants !

Et sur un tel sujet, on peut compter sur l’éthique des dirigeants, des coachs en classement et des classeurs !

PS : Les verbatims sont des commentaires publics sur ma page LINKEDIN

Previews de la rentrée universitaire française vue des USA

La plus forte tendance de la rentrée, même si elle n’est pas la plus visible et la plus affichée, est celle de la rotation de la matrice des diplômes vis-à-vis de l’emploi.  Les études ne préparent plus aux métiers pour lesquels elles avaient été conçues.  Elles ont longtemps été des « filières » préparant à un diplôme qui permettait de déboucher sur un emploi. C’est encore le cas en France, du moins tel que cela apparaît dans les discours des établissements d’enseignements.

Tournez manège ! Inventer de nouvelles formations d’urgence

En vérité, toute cette mécanique bien huilée depuis des décennies, très «vingtième siècle », est complètement bousculée par la mondialisation de l’enseignement supérieur et l’émergence de nouveaux métiers.
Les nouveaux métiers sont là, déjà avec le raz de marée de la digitalisation, mais ils ne disent pas leur nom (qu’ils ne connaissent d’ailleurs toujours pas) et n’entrent dans aucune nomenclature établie. Pour les pratiquer, il faut des compétences inédites que bricolent les entreprises et les étudiants avec l’aide d’enseignants soucieux de faire avancer les sujets, mais ce mouvement encore timide est en début de chantier. On constate aussi que, sous l’alibi de l’innovation, on retombe rapidement dans des cursus fermés qui reproduisent les vieilles habitudes du passé, sous la pression du « prêt à l’emploi ». Mais ce ne sont plus des diplômés « prêts à l’emploi » que veut le marché du travail. Il attend des personnes en capacité d’apprentissage et d’innovation.
Comment s’opère cette rotation de la matrice des diplômes ? Aujourd’hui, des politiciens grandissent dans des écoles de management, des créatifs viennent de sciences po, des entrepreneurs sortent d’écoles d’ingénieurs, des experts marketing ont fait des études de maths ou d’informatique …

Ce n’est plus tendance d’être diplômé

Des  chiffres récents aux USA montrent que la création d’emplois profite plutôt aux non-diplômés, depuis 4 ans. Ils obtiennent des postes peu qualifiés, parmi les métiers de la relation client, essentiellement dans le tourisme, la restauration, l’hôtellerie … Encore plus fort, les entreprises américaines observent que ces non-diplômés peuvent déployer de grandes compétences et garantissent une meilleure stabilité dans leur emploi, car moins encombrés de désirs d’évolution.
Nous voyons arriver en France l’idée que les diplômes peuvent être généralistes (comme l’emblématique Bachelor « Liberal Arts »). Cette capacité à l’interdisciplinarité séduit de plus en plus les étudiants qui ont compris que les compétences techniques ne sont plus complètement le sujet pour leur avenir. On se rend compte que, comme aux USA et pour bien des métiers, le diplôme et les études peuvent être contre-productifs, tant ils formatent les esprits et les compétences, et tant ils peuvent être des usines à générer de la frustration quand le premier emploi est sous-qualifié par rapport au niveau de diplôme.

Aux États-Unis, c’est bien sûr Mr Trump qui a lancé le pavé dans la mare en se présentant comme le « candidat des sans-diplôme » et en valorisant l’évolution professionnelle « sur le tas ». Il faut dire que la mare ne demandait qu’à éclabousser l’ « élite » américaine.
En France, le phénomène est encore très timide pour la bonne raison que le cadre est radicalement différent. En effet, autant les études supérieures sont très chères aux USA, autant en France, elles sont à très faible coût (à l’Université s’entend). Et notre pays chérit le diplôme qui est lié au statut, statut social qui constitue notre cadre culturel majeur.
Mais, si on y regarde de près, il existe bel et bien une mise en cause des élites dans l’interpellation de la légitimité des grandes écoles, qui « coûtent cher à la nation », « préservent la reproduction sociale », et « produisent des grosses têtes inaptes à la vraie vie ».

Changer le business model de l’enseignement supérieur

Toujours outre-atlantique, les démocrates – avec le challenger de Hillary Clinton, Bernie Saunders, – donnent des coups de boutoir dans le « business model » de l’enseignement supérieur. On sait depuis longtemps que la « bulle éducative » que représentent les remboursements des frais de scolarité américains est à haut risque pour l’économie toute entière.
On sait aussi que le ROI (le retour sur investissement) des études supérieures n’est plus à la hauteur des attentes des diplômés et de leurs familles. La campagne présidentielle permet de dire les choses, et il y a maintenant une très forte attente dans le pays sur la question des universités publiques gratuites et des baisses des frais de scolarité en règle générale.
A ce jour, seule la demande de cohortes d’étudiants asiatiques et notamment chinois, qui sont très attachés aux diplômes, camoufle aux yeux de ceux qui veulent se rassurer le caractère inéluctable de cette évolution.
Le modèle du « tout gratuit » à la française, en ce qui concerne l’université, relève du même déni, tant l’effet ciseau se confirme, avec des étudiants qui trouvent inacceptables les conditions dans lesquelles ils étudient, surtout quand ils comparent avec d’autres pays, et la baisse constante des financements publics.
La préoccupation, partout, est de trouver de nouvelles sources de financement sans risquer des hausses tarifaires impopulaires et intenables. Compte tenu de l’état des finances publiques, seules les entreprises peuvent être une source crédible de financement. Mais cela amène à reconsidérer fortement les attendus du métier des enseignants-chercheurs. Dans quelle mesure sont-ils prêts à cette reconfiguration de leurs ancres de carrière ?

La fin du « publish or perish » pour une recherche en co-construction avec les entreprises

Quand on observe ces évolutions, on ne peut que prédire, comme le font régulièrement les conférences dédiées à l’enseignement supérieur international, la remise en cause radicale des business models de l’enseignement supérieur payant.
Il n’est plus sérieusement possible de ne compter que sur les frais de scolarité des étudiants (qui pèsent souvent pour 80 % des budgets des écoles de management en France). Les subventions publiques baissant, c’est vers le monde économique qu’il faut se tourner pour obtenir les subsides manquants. Mais les entreprises attendent un retour sur leurs investissements, et un retour rapide ! Elles cherchent aussi la valeur concurrentielle non substituable de l’enseignement supérieur qui reste la recherche.
On ne peut en déduire qu’une chose : il va falloir abandonner petit à petit une vision de la recherche fondée sur les envies du chercheur et son objectif de publication, pour une recherche opérationnelle, répondant aux attentes des entreprises. Cela n’empêchera pas la publication mais la ré-orientera, et permettra de doter l’enseignement supérieur de moyens financiers compensant les baisses de frais de scolarité.
La section Management Consulting de l’Academy Of Management (association comptant 20 000 chercheurs internationaux en management et disciplines associées) travaille dans cette direction et mène ce qui est bien un combat, tant la démarche, pourtant de bon sens, est à rebours des pratiques des chercheurs. Un groupe trans-thématique s’est constitué et a présenté lors du dernier congrès d’Août 2016 sous l’égide du Pr Denise Rousseau la matrice de ces nouvelles pratiques de chercheurs avec des témoignages sur les thèses de professionnels et les DBA (Doctorate of Business Administration). L’idée que le savoir peut être co-construit avec des « praticiens », que la recherche ne se limite pas à la publication dans des journaux académiques et que le savoir doit être actionnable, fait son chemin.
Cela se passait certes aux USA mais les Français avec l’ISEOR et sa capacité à déployer de la recherche-intervention, étaient force de proposition, avec de nombreux travaux menés aux USA.
Parions que ces sujets seront des Trending Topics de la rentrée 2016 de l’enseignement supérieur en France, comme partout dans le monde. L’importance qu’ils ont pris aux USA préfigurent des mouvements forts.

Parions aussi qu’ils seront encore présents en 2017 tant le changement est structurel !

Écoles de management : des enfants surdoués ?

Les écoles de management ont tous les talents. Elles ont développé la recherche, moteur indispensable de la vitalité d’une discipline et de la qualité de la transmission de la connaissance. Elles proposent des formations qui savent se renouveler avec de véritables innovations répondant aux attentes des apprenants. Elles ont une très forte attractivité sur un marché en plein développement. Enfin, leur modèle fait qu’elles ont les moyens d’accompagner les étudiants qu’elles sélectionnent, ceux qui correspondent au projet qu’elles développent. Sans oublier le fait que ces étudiants leur font suffisamment confiance pour considérer que leur frais de scolarité sont un investissement pour leur avenir, ce qui leur donne les moyens de leurs projets.

Les analyses de tous bords interpellent les écoles de management pour qu’elles changent leurs business models afin de mieux s’adapter aux menaces de l’environnement. Cette vision peut laisser supposer que le projet intrinsèque est à revoir. Certes, tout projet est évolutif et dispose de marges d’amélioration mais on peut poser autrement la question de leur avenir.

Présentons la situation sous cet angle : les écoles de management ont tous les talents. Elles doivent continuer à se réinventer comme elles savent le faire depuis des décennies, mais doivent surtout trouver un nouveau terrain d’expression dans les grands changements actuels.

Les Business Schools sont comme un enfant surdoué dans une classe où l’enseignement, le professeur, l’espace semblent trop restreints. Dans ce contexte, quels nouveaux terrains peuvent-elles investir ?

Quelle est cette nouvelle donne ?

Le changement le plus important de ces dernières années est la globalisation de l’enseignement supérieur en management avec la montée en puissance de propositions alternatives qu’ont pourrait qualifier de « pure players », c’est-à-dire des écoles qui se sont créées en se pensant d’emblée globales et en phase avec les attentes de l’environnement … Et des accréditations internationales. On peut citer comme critères gagnants : l’enseignement en anglais, une recherche dynamique, des process d’apprentissage en blended learning, des ressources TICE, des locaux adaptés et ergonomiques …

A côté de ces pure players, les écoles françaises ont évolué avec plus ou moins de succès d’un modèle « mortar » (tout est pensé à partir du lieu et de la structure) vers du « click and mortar » (adoption des MOOC, du blended learning…).

Cette difficile adaptation, sous pression d’une « concurrence » dynamique et réactive, ne pointe pas forcément les faiblesses intrinsèques des écoles mais souligne l’étroitesse des cadres dans lesquels elles évoluent.

Quels sont les cadres actuels ou en devenir ?

Parmi les cadres classiques : l’appartenance consulaire, qui semble marquer ses limites comme le démontrent les analyses actuelles, dont le récent rapport de l’Institut Montaigne. Mais ce cadre semble presque caduc avec les nouvelles dispositions légales proposées. Un autre cadre est celui du secteur privé, avec des appartenances à des groupes plus ou moins internationaux, plus ou moins importants, plus ou moins tournés vers l’éducation. Je n’ai pas compétence sur ces dispositifs et leurs modalités de fonctionnement, qui, comme tout modèle, doivent présenter leurs forces et leurs faiblesses, leurs avantages et leurs inconvénients.

On trouve enfin le cadre universitaire, et, à date, seule l’EM Strasbourg peut prétendre en France à cette appartenance, puisque seule école de management à être composante d’une grande université pluridisciplinaire, sur le standard international.

Rapprocher IAE et Business Schools

Issue de la fusion en 2008 d’une école de commerce créée en 1919 l’IECS et d’un IAE créé en 1953, l’EM Strasbourg appartient à la fois au réseau des IAE et au chapitre des écoles de management dans la Conférence des grandes écoles (CGE). Le rapport de l’Institut Montaigne y voit un modèle d’avenir en invoquant la richesse potentielle du rapprochement des IAE (écoles universitaires de management) et des écoles de management (consulaires, associatives, privées).

Les auteurs prônent un «rapprochement rapide» entre les écoles de commerces, les IAE et les universités, pour créer «des synergies profitables à toutes les parties prenantes». Cela permettrait selon le rapport «de combiner des savoir-faire complémentaires» et de «faire baisser […] aussi bien le coût de la recherche que les droits d’inscription des étudiants».

C’est cette proposition qu’il me semble intéressant d’approfondir en réfléchissant plus précisément aux conditions de réussite d’un tel projet que je qualifie de modèle hybride.

Une grande école de management dans une université : un modèle hybride

Envisager une grande école de management dans une université, c’est construire un modèle hybride. L’hybridation est clairement un moteur de l’innovation, par contre, il faut que les conditions soient réunies pour permettre aux organismes par définition de natures très différentes de travailler ensemble et d’aller dans la même direction. Additionner des forces pour compenser des faiblesses est une arithmétique valable sur le papier, encore faut-il la mettre en œuvre.

L’EM Strasbourg étant citée comme un modèle à suivre par le rapport Montaigne, j’ai été sollicitée par une journaliste de News Tank Education pour parler de notre situation. Il me semble intéressant d’aller un peu plus loin et de réfléchir aux conditions nécessaires à un cadre propice au développement de l’école.

La donne est de faire travailler ensemble (et pas seulement cohabiter) deux univers : celui de l’université et celui des grandes écoles. Quand on sait que les grandes écoles ont été créées (dont l’IECS en Alsace) à la demande des chefs d’entreprise sur le diagnostic que l’université était déficitaire dans les formations attendues par les entreprises… On perçoit déjà le défi !

Université et grandes écoles de management : le même combat mais des armes différentes

L’Université et les grandes écoles de management mènent le même combat : celui de conduire à la connaissance et à l’insertion professionnelle des jeunes qui se destinent à être des managers (intermédiaires, supérieurs, dirigeants) ou des experts de métiers identifiés comme relevant des sciences de gestion et qui correspondent aux grandes fonctions des organisations. Universités et grandes écoles partagent donc le même cœur de métier : la recherche et la formation, en l’occurrence en management.

Ensuite, pour parvenir à cet objectif, elles n’utilisent ni les mêmes armes ni les mêmes chemins.

Inversion du contrat pédagogique

La première grande différence réside dans l’inversion du contrat pédagogique, (du moins pour les premières années car le même modèle se retrouve en master universitaire). L’université ne peut sélectionner ses étudiants, et donc ne peut leur offrir une pédagogie adaptée, alors que la grande école cible les étudiants qui seront le plus en phase avec sa pédagogie, gage de réussite.
Le contrat pédagogique de la grande école est à l’entrée avec un accompagnement le plus adapté possible pour aller vers le diplôme et l’insertion professionnelle. Celui de l’université est à la sortie : avec ce phénomène darwinien que nous connaissons tous (et au grand dam des universitaires qui sont aux premières loges) : ceux qui ne s’adaptent pas quittent le système, d’où le taux d’échec si souvent dénoncé.

La deuxième grande différence porte sur les moyens financiers des dispositifs de formation. La contribution des étudiants à leur formation, vécue par eux comme un investissement d’avenir donne à la grande école les moyens de tenir les promesses faites à l’entrée. Le paiement crée une triple dynamique : celle de l’exigence vis-à-vis de l’école, celle de l’engagement de l’étudiant (ce n’est pas gratuit), et celles des moyens alloués pour que cela fonctionne. C’est un constat simple et objectif.

Les 4 conditions pour que l’hybridation prenne

1/ Aller dans la même direction

Il faut pour cela que le plan d’actions stratégiques de l’école de management s’inscrive dans celui de l’université. C’est certainement le cas pour les grands items : qualité de la recherche, qualité de la formation, réussite en termes d’insertion ; mais il faut aussi s’en assurer dans les déclinaisons. La garantie de la pérennité de l’association réside dans cette mise en adéquation. Et la légitimité de l’école passera aussi par sa contribution à l’université.

2/ Avoir un accord de collaboration des instances de gouvernances

Etre une école dans l’Université ne doit pas marquer la rupture avec ses autres partenaires naturels que sont la CCI, la Région, la Ville, les acteurs économiques du territoire. Il y a deux enjeux :
– une bonne cohérence des instances de gouvernance qui seront plusieurs, du fait même de la nature du projet (la chambre régionale de commerce et l’université par exemple)
– un équilibre dans la gouvernance, car sinon, l’école de management peut n’en référer qu’à une seule soit par habitude (elle reste dans le sillage consulaire), soit par désengagement de certaines instances de gouvernances.
On pourrait parler d’un besoin d’union sacrée autour du « projet Business School ».

3/ L’université doit assumer sa Business School

La Business School est très spécifique dans son projet et son fonctionnement, comme nous l’avons vu. Elle se différencie de beaucoup – sinon de toutes – les autres composantes. Cela signifie des arbitrages dans les instances délibératives ou consultatives de l’Université que sont le CFVU, le CA, où siègent les représentants des différentes parties prenantes, étudiants, personnels administratifs et enseignants… Qui, à titre individuel ou syndical ne partagent pas forcément la vision de l’enseignement supérieur tel qu’il est mis en œuvre dans une grande école.

4/ La reconnaissance scientifique du management

Il n’est pas toujours simple dans une université pluridisciplinaire de faire valoir les disciplines relevant de l’humain et du social (dites SHS). La légitimité accordée aux sciences du vivant, aux sciences dites « dures » n’est pas acquise d’emblée pour la gestion. Pourtant, sans adossement à la recherche, sans production de connaissances, une école de management ne peut prétendre pour ses formations à l’évolutivité et à la prospective nécessaires à l’excellence.

Les 3 défis à relever

La problématique au quotidien est donc de développer un projet de nature entrepreneuriale évoluant dans un milieu hyper concurrentiel, au sein d’un cadre public, par essence démocratique et très centralisé. Les enjeux portent sur trois sujets majeurs : la gestion des ressources humaines, la gestion financière et les marges de manœuvre pour pouvoir innover.

1/ Concernant les personnes, je retiens trois problématiques

attirer des compétences dans un contexte où la ressource est rare avec des surenchères sur les salaires, ce qui met en tension les niveaux de rémunération standards à l’université. Il faut alors trouver des solutions pour garantir cette attractivité sans déstabiliser les équilibres existants.

garantir la qualité des prestations des fonctions supports (relations entreprises, relations internationales, communication, gestion administrative de la scolarité …) pour tenir la promesse de l’individualisation des suivis, des choix des parcours, de l’expérience à l’international… Cela implique de dépasser les ratios habituels à l’université en termes de fonctions supports.

permettre des évolutions de carrière pour pérenniser les engagements des personnels contractuels dans un contexte de progression de carrière linéaire avec le fonctionnariat.

2/ Concernant les moyens financiers, on peut pointer deux sujets stratégiques

– Assurer la réactivité nécessaire pour évoluer dans un environnement hyperconcurrentiel et globalisé, avec les outils et les règles de la comptabilité publique française. C’est un vrai défi qui implique une compréhension mutuelle et une envie de trouver des solutions innovantes.

– Faire vivre une organisation qui a des structures de coûts et de dépenses très différentes des autres composantes universitaires, ce qui amène à respecter des spécificités qui peuvent, surtout si le contexte est dégradé, apparaître comme inadéquates.

3/ Concernant l’innovation, elle est tout simplement obligatoire pour se distinguer dans le concert des grandes écoles…

Elle nécessite un écosystème favorable, ce qui se traduit par :

– la nécessité de pouvoir mener à bien la création de diplômes ou de cursus pas toujours « dans les clous » du cadre universitaire, particulièrement en ce qui concerne les frais de scolarité

– des innovations pédagogiques (comme la classe inversée, les coachings…) qui peuvent paraître en décalage avec les usages universitaires

– la mise en place de nouveaux dispositifs de soutien ou d’accompagnement qui peuvent être évalués comme superfétatoires ou ostentatoires (le dispositif des accueils autour des concours par exemple)

On analyse facilement la complexité de la situation, et la solution semble pencher naturellement vers la contractualisation entre les organisations : le contrat d’objectifs et de moyens.  C’est en effet pour l’instant l’outil désigné pour dessiner le cadre d’une collaboration en interne et porter sa mise en œuvre. Est-il suffisamment dimensionné pour tous les enjeux ? Telle est la question à poser. Et s’il dessine la lettre, il ne contraint pas l’esprit dans lequel il sera ensuite interprété.

Un modèle innovant

Un projet comme celui préconisé par le rapport de l’Institut Montaigne et, jusqu’à présent porté uniquement à l’EM Strasbourg, constitue en effet un modèle innovant et répondant aux enjeux qui s’imposent aux écoles de management françaises et à leurs gouvernances : concentrer des moyens, et porter une vision stratégique pour s’imposer dans la concurrence internationale

Il faut néanmoins bien poser les conditions d’une mise en œuvre efficace, efficiente et pérenne, et mesurer la volonté et la capacité de l’environnement à procéder à ses propres adaptations pour en garantir la réussite.

Le vrai problème pour les écoles de management, c’est qu’elles sont pleines de talents et de projets. Or, la question n’est plus de penser différemment dans le cadre ou hors du cadre mais de pouvoir changer de cadre.