Cracking the management code

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Faire du bien-être étudiant le critère N°1 des classements 20-21 !

Gaffe au syndrome du lavabo !

Le syndrome du lavabo : c’est avoir le sentiment que son monde n’a aucun horizon, qu’il est uniformément blanc, se limite à des parois lisses, tellement lisses qu’on ne peut les gravir pour en sortir. Et que finalement la seule sortie possible est par le bas, dans la bonde, emporté par un flux qu’on ne maitrise pas.

C’est le sentiment que m’ont décrit des étudiants, chacun à leur façon ces dernières semaines.

Le sentiment pour certains d’être complètement oubliés. Pour d’autres, de ne plus supporter les discours positifs des directions de leurs formations, qui semblent pratiquer la pensée magique !

« On n’a plus le droit de s’amuser, les enfants ne connaissent pas ce que la génération précédente comme la mienne a pu connaître. S’amuser avec ses amis, rigoler, jouer à des jeux d’enfants, s’approcher, s’enlacer, se faire la bise, se mettre à côté de ses amis en classe,…tout ça ils n’ont pas pu en profiter. Les ados et même les étudiants dans mon cas ne peuvent pas profiter de cela. J’ai bientôt 20 ans et sans vouloir me plaindre, je trouve que ce n’est pas une vie de jeunes. »

« Ras le bol des grands discours sur la résilience ! Ras le bol des leçons de morale ! Ras le bol des investissements bidons sur les cours en ligne ! »

Une perte d’identité étudiante

On connait le « syndrome du glissement » pour les personnes très âgées qui rejoignent des  EHPAD, quelque chose de semblable est actuellement à l’œuvre chez les étudiants.

Globalement, on sait que la perception de la durée n’est pas la même en fonction de l’âge. Les mois qui passent comptent double ou triple proportionnellement quand on a 20 ans plutôt que 60. Mais ce n’est pas que du « ressenti ». Objectivement, ces jeunes adultes sont privés de tout ce qui fait ou devrait faire leur vie d’étudiant-e.

« Je vois beaucoup de commentaires qui expliquent qu’il faut relativiser, ne pas se laisser aller, que des situations bien pires existent dans le monde et c’est bien vrai. Mais cette peur décrite est réelle parce qu’elle a un réel impact dans nos vies. »

Au-delà de l’ennui, de la frustration, du sentiment de ne pas avoir la possibilité d’acquérir les compétences attendues, c’est leur identité d’étudiant qui est mise à mal.

Quels sont les attributs d’une vie d’étudiant ? Les cours bien sûr mais aussi (et surtout) tous les moments off qui tissent la communauté :  le café à la pause, les bavardages, les clashes …La vie associative, les fêtes, les évènements, les remises de diplômes, les séjours à l’étranger, les stages, les jobs étudiants, l’alternance, le sport ….

Tout cela a disparu !

« Je sais bien que nous ne sommes pas la pire des situations mais malgré tout on commence petit à petit à dépérir. »

Des inquiétudes mais aussi des problèmes réels

Les problèmes financiers sont réels : les frais de scolarités à payer alors qu’on a perdu son job étudiant ou que ses parents sont en difficulté, renoncer au logement étudiant pour économiser le loyer …

Les inquiétudes sont réelles sur la valeur du diplôme. Quelle sont les garanties que porte un diplôme ?

  • Un bagage de connaissances, alors les cours sont vécus comme insuffisants ou frustrants avec d’énormes écarts selon les institutions et les enseignants.
  • Une expérience professionnelle : comment l’acquérir avec l’absence de stages, le chômage partiel pendant les contrats d’alternance ou pas d’alternance du tout ?
  • Une expérience interculturelle : qui est soit supprimée, soit vécue en ligne de chez soi.
  • Une vie d’adulte indépendant : bien mise à mal avec les retours chez les parents.

Les mois passent, les promesses fleurissent, mais la morosité gagne  du terrain avec cet horrible sentiment de se heurter à une paroi de …lavabo.

« Je suis étudiante  et vraiment je ne trouve aucun stage ce qui m’angoisse littéralement. Les entreprises refusent toujours pour la même raison : la Covid-19. « 

Sanctuariser des moments d’échanges et d’écoute

Ils ont besoin d’être écoutés, d’être entendus, et qu’on leur apporte aussi des solutions.

Les mêmes inquiétudes existent en entreprises et le management est particulièrement sollicité pour être au plus près de leurs équipes.

Une piste est de faire de l’expérience étudiant le critère n°1 cette année. On parle beaucoup et depuis longtemps d’expérience étudiant. Elle est mise à l’épreuve de cette grande crise que nous traversons.

Plutôt que de dupliquer des enseignements en ligne, plutôt que de continuer à mettre la pression sur la publication, ne devrait-on pas sanctuariser une partie du temps des enseignants pour créer des rituels de rencontre et d’échanges essentiels dans ces grands moments d’incertitude, où tous les repères sont chamboulés ? Afin que chaque étudiant puisse bénéficier d’une écoute personnalisée.

Ainsi, une lecture d’articles peut remplacer un cours. Une heure au téléphone ou en skype à échanger sur les difficultés mais surtout sur les possibles, n’est pas substituable.

« Lorsque l’on est parents d’un jeune adulte majeur dans cette situation et loin de la maison on ne peut qu’assister impuissants à sa désespérance en maintenant coûte que coûte avec l’énergie de l’amour le lien familial en espérant qu’il ne soit pas insuffisant. »

Faire du bien-être étudiant le critère N°1 des classements des formations 20-21

Et si, pour une fois : les fameux classements des formations (business schools, écoles d’ingénieurs, IAE, MBA …) , si importants quoiqu’on en dise, mettaient ce critère de l’expérience étudiante en premier ? Avec une pondération complètement insensée ?

Ce serait une belle reconnaissance pour nos étudiants, et une façon très concrète de stimuler les écoles et les institutions d’enseignements dans la lutte contre ce syndrome du lavabo.

Mettre de côté des critères comme : le nombre d’étudiants étrangers, les salaires à la sortie, le nombre de création d’entreprises, les étoiles des publications, le nombre d’alumni dans le Who’Who, les doubles diplômes etc etc … tous critères démonétisés cette année, pour aller vers le seul qui compte vraiment : le bien-être de nos étudiants !

Et sur un tel sujet, on peut compter sur l’éthique des dirigeants, des coachs en classement et des classeurs !

PS : Les verbatims sont des commentaires publics sur ma page LINKEDIN

#insight2020 : la tour de Babel de la science du « développement humain »

Dans la Tour de Babel qu’est devenue la recherche en éducation, il apparaît clairement un objectif encore peu explicite, celui de contribuer à l’émergence d’une nouvelle science commune : la science du « développement humain ». Je m’en explique.

Un foisonnement de recherches avec un point de connexion : le développement humain

 Depuis quelques années, on assiste à un foisonnement des recherches de champs disciplinaires très nombreux et divers et qui s’interrogent toutes sur le développement humain. Que pouvons-nous constater ?

  • Les champs disciplinaires présents sur le sujet sont de plus en plus nombreux: on peut aller des plus anciennes sur le sujet aux plus récemment apparues dans le champ :  la psychologie, la sociologie, l’économie, les sciences de l’éducation, les sciences de gestion, la philosophie, l’histoire, les neuro-sciences, l’informatique avec la gestion des données massives (ou data science) … et la liste est loin d’être exhaustive.
  • Les méthodologies sont également très diverses: cela va du « chemin de vie » ou de la méthode des cas qui s’intéressent à quelques personnes ou à quelques organisations de façon très contingente au traitement des données massives et à la mobilisation de techniques jusque-là réservées au monde médical.
  • La mobilisation de l’interdisciplinarité est de plus en plus évidente : des chercheurs en neurologie vont travailler d’évidence avec des chercheurs en sciences de l’éducation pour comprendre les comportements d’apprentissage, ou des chercheurs en ingénierie vont collaborer avec des psychologues sur les nouveaux outils de formation …
  • Les épistémologies se côtoient sans trop se heurter avec une forme de convergence vers un constructivisme modéré ou de positivisme aménagé, les plus quantitativistes admettent l’importance de comprendre les émotions comme les plus ancrés dans le qualitatifs voient l’enjeu de travailler sur les grands nombres.
  • Les appels à projet encouragent ces mouvements en sollicitant des équipes interdisciplinaires pour une capacité à explorer les phénomènes de façon globale.

MAIS :

  • Les langages restent très différents, avec des incompréhensions, un psychologue et un informaticien observent le même phénomène mais avec des lunettes différentes, et les dialogues restent difficiles, et peuvent donner le sentiment de ralentir les projets.
  • Les objectifs sont divergents, il s’agit pour certains d’optimiser telle ingénierie de formation pour gagner en capacité d’apprentissage, pour d’autres, le défi est de comprendre des parcours de vie sans enjeux de préconisations.
  • Les idéologies ne sont pas partagées et pas toujours explicites : la formation doit-elle rechercher le ROI (retour sur investissement) ? Doit-elle rester un monde en soi, étanche aux cahots du monde extérieur ?
  • Les publications restent très disciplinaires, n’encourageant pas les carrières fondées sur la transdisciplinarité

Ce foisonnement, cette multiplicité de langages et de points de vue fait qu’on peut évoquer une Tour de Babel. Tous œuvrent ensemble à un projet commun mais avec des échanges sporadiques et souvent insuffisants.

 

La Tour de Babel de la science du développement humain

Les convergences sont nombreuses et concourent à l’édification du « développement humain ».

Un point important est que les institutions de formation sont très souvent parties prenantes de ces recherches. Ne serait-ce que parce que les chercheurs sont aussi des formateurs et mobilisent leurs propres institutions pour mener leurs recherches. Toutes ces recherches correspondent donc à des expérimentations en termes de formation, à la mise au jour de réussites ou d’échecs de propositions mises en œuvre sur le terrain.

Que ces recherches soient in vivo ou encore théoriques, toutes concourent, à leur façon à une quête du « développement humain ». Cette quête est aussi ancienne que l’apparition de l’Homme sur Terre, mais elle s’est considérablement accélérée avec le formidable développement de la technologie et particulièrement de ce qu’on nomme l’« Intelligence artificielle ».

Le monde la formation, de l’éducation ne pouvait l’ignorer, il est donc devenu le terrain de la construction de cette nouvelle science, avec l’édification d’une fragile pyramide qui, bon an, mal an prend de la hauteur.

Quels en sont les questionnements communs ? Avec quelles convergences dans les lignes directrices ? 

  • La continuité dynamique : Comment apprendre à apprendre ? Comment apprendre tout au long de la vie ? Comment capitaliser sur ses réussites et ses échecs ? La question de l’insertion est à intégrer à ce chapitre avec le maintien de l’employabilité à tous âges. On n’arrête pas d’apprendre avec le diplôme, on continue à se former en continu. L’émergence des « blocs de compétences » et le nouveau geste de consommation du Compte Individuel de Formation en sont un des signaux forts.
  • L’omnicanal  : Comment apprendre ou transmettre dans l’omnicanal avec un parcours « sans couture » entre la salle de classe en présentiel, le e-learning, le webinar, les learning expéditions, l’intégration des outils et des méthodes d’apprentissage le plus divers ? Il y a longtemps que l’on sait qu’il n’y a pas de « clé magique » en matière de formation. L’outil est neutre mais il est aussi structurant. On ne peut l’ignorer. L’heure est à l’assemblage et il y a encore beaucoup à progresser sur ce chemin étroit entre la technologie et le rapport au sachant.
  • L’apprentissage optimisé dans le respect de la diversité : comment avoir un meilleur apprentissage dans le respect des spécificités de chacun-e ? La montée en puissance des recherches sur le handicap est une manifestation de cet enjeu. L’idée que nous avons tous des talents très différents et que nous avons à les faire fructifier, en faisant fi de lois universelles, fait son chemin, certes lentement, mais c’est une telle révolution.
  • L’ouverture aux parties prenantes : la transmission et la formation ne peuvent se centrer sur le seul apprenant et son institution de formation. Elles doivent prendre en compte tous les partenaires en présence : l’institution de formation, les entreprises, les organismes de recherche, les familles, les institutions politiques. On quitte (à regret pour certains) le colloque singulier de la salle de classe, la porte s’ouvre et cela convoque la capacité à créer des liens et ériger des passerelles pour abandonner les silos.
  • L’expérience : elle s’impose avec l’intégration des émotions, des valeurs, de la vie personnelle, de l’histoire de la personne. La mise en avant du ressenti et de la satisfaction de l’apprenant sont une évidence, avec toutes les difficultés que cette vision impose.
  • Le capital personnel : on quitte la notion de qualifications et d’aptitudes pour les compétences métiers (dites dures) et surtout le « boom » des compétences relationnelles et personnelles (ou soft skills). L’employabilité est importante, mais elle n’est plus suffisante. La réalisation de soi est l’objectif, avec toutes les nuances qui s’imposent.

 

Chacun entre, avec ses outils, ses lunettes, ses méthodes, dans cet immense chantier dont la cartographie demande encore à être affinée. Mais il est clair que nous convergeons tous vers l’objectif d’un développement humain, face à celui, exponentiel du développement des « machines intelligentes ».

2020 sera une année essentielle dans cette dynamique !

 

 

 

 

 

 

 

L’immolation d’Anas pose la question du « métier » d’étudiant

L’immolation d’Anas (puisque c’est le prénom qui circule) nous a tous profondément marqués.  Et cela, pour plusieurs raisons :

  • Le suicide en lui-même est un mystère qui nous laisse complètement désemparés et toujours coupables de n’avoir pas su l’empêcher
  • Le suicide par le feu est tellement symbolique dans la volonté de se consumer, d’être réduit en cendres, qu’il en est encore plus effrayant
  • L’immolation publique est un geste symbolique qui se retrouve régulièrement dans l’histoire des mouvements de révoltes ou de révolutions : rappelons-nous l’immolation du bonze Tich Quy Duc le 11 Juin 1963 à Saigon et son impact sur la guerre du Vietnam, ou celui de Mohamed Bouazizi, vendeur de fruits et légumes qui a déclenché le Printemps Arabe.

Ce geste fatal m’interpelle encore plus à titre personnel car j’ai fait mes études à Lyon 2 (DEA et Doctorat) et étais ensuite enseignant-chercheur pendant 10 ans, dans de nombreuses composantes : IUT Lumière, Faculté d’Histoire, Géographie, Tourisme, IEP de Lyon, Faculté de sciences économiques et de gestion …

Ce suicide m’inspire deux types de réflexions, les unes plus intimes et de l’ordre du souvenir, les autres plus sociétales, et de l’ordre de la perspective.

Des souvenirs de détresses étudiantes

De mes années à l’Université,

  • Je me souviens de la fragilité des étudiants qui s’ouvraient à nous de leurs grandes difficultés, souvent sidérantes : agressions sexuelles, étudiants mis à la porte du domicile familial, étudiants victimes d’addictions qui se retrouvaient sans un sou, décès ou perte d’emploi des parents qui mettaient à mal tous les équilibres et la vision de l’avenir.
  • Je me souviens de leur difficulté à demander de l’aide avec l’idée qu’ « il faut s’en sortir seul », pour ne pas paraître un « looser ». Leur difficulté à comprendre que l’autonomie , c’est aussi savoir compter sur les autres.
  • Je me souviens du manque cruel de moyens de l’Université (Lyon 2 ou d’autres) pour accompagner cette détresse : pas d’assistantes sociales ou de médecins en nombre suffisant, avec des horaires hyper étroits, pas d’argent pour des bourses ou des dépannages en urgence, pas de temps disponible …
  • Des problèmes d’orientation, avec des étudiants perdus dans des études pas faites pour eux, et là aussi, pas de temps ou de moyens pour écouter, diagnostiquer, réorienter, malgré les bonnes volontés et les efforts.

Une fois le diagnostic, assez désespérant, posé, quelles sont les pistes possibles pour sortir de cette situation ? Au-delà des problématiques de moyens, mais sans les oublier bien sûr.

Deux pistes de réflexion qui s’imposent

Je vois deux grands sujets où l’Université doit progresser :

1/ Prendre en compte les activités salariés dans la formation

Les « petits boulots » doivent être intégrés aux études. Quel que soit le travail réalisé, le plus basique, le plus ingrat délivre des compétences qui peuvent être mises au jour, décrites, valorisées et évaluées en ECTS (pour faire simple). Et ceci qu’on soit en fac de langues ou de biologie. Il faut dépasser la vision d’une Université « étanche » à son environnement, il y a d’autres façons d’apprendre que d’être assis dans un amphi. On le sait, on le dit, il faut le mettre en oeuvre. Les Grandes Ecoles ont une véritable expertise dans ce domaine et elle est transférable.

2/ Accepter qu’étudier est un véritable métier.

Il faut s’éloigner de la vision des études supérieures comme une phase de transition, ou, pire, une variable d’ajustement aux chiffres du chômage.

C’est un vrai métier d’être étudiant et chaque étudiant-e contribue à la société. Ce n’est pas seulement un investissement pour « dans 5 ou 10 ans ». Les étudiants consomment, ils se déplacent, ils vont aux spectacles… certes, leur pouvoir d’achat est plus faible mais ils créent de la valeur économique.

Et bien sûr, les étudiants sont des citoyens à part entière, on semble trop souvent l’oublier, comme s’ils flottaient entre deux mondes.

Cela nous renvoie évidemment au salaire de l’étudiant comme le font les pays scandinaves.

Rappelons qu’au Danemark il est autour de 800 euros mensuels pendant les études à condition de travailler 10 heures par semaine (ce qui permet de lier mes deux propositions). En Norvège, il est plus élevé et il s’agit d’un prêt à rembourser une fois installé dans le monde du travail.

Il est certain que ce « salaire » aura des effets « levier » et qu’un euro investi dans un salaire d’étudiant, en rapportera plusieurs à la société. Ce retour sur investissement reste à calculer.

Changer le regard de la société sur les étudiants

Il s’agit de changer notre regard sur les étudiants et de ne pas les considérer comme des « futurs productifs » mais bien comme des producteurs de valeur.

Il s’agit aussi, en les sortant de la précarité à un moment si important de leur vie, de leur (re-) donner une dignité, que beaucoup semblent avoir perdue, sombrant dans la désespérance.

La désespérance qui a poussé Anas à son acte irrémédiable.

 

Classement des business schools, effet Matthieu et big data 

Tout le monde connait l’effet Matthieu au moins dans ses effets. Rappelons-nous : l’effet Mathieu a été mis en évidence par Robert Merton en 1968, quand il a observé que les travaux des scientifiques prestigieux sont mieux reconnus que ceux de chercheurs moins connus même s’il s’agit de travaux similaires.

Comme il est dit dans l’évangile selon Saint Matthieu (Matthieu 13 :10-17) : « On donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais celui qui n’a pas, on lui ôtera même ce qu’il a. ». Ce que dit autrement le dicton populaire : « On ne prête qu’aux riches … » ou encore l « L’argent va à l’argent ».

L’effet Matthieu dans les Business Schools

Or, il apparaît de plus en plus que cet effet Matthieu fonctionne à plein dans les classements des business schools, avec trois déclinaisons :

1/ L’ « effet de halo » : ce que font les écoles les mieux classées est toujours mieux perçu, ainsi, une innovation portée par une école bien classée est appréciée comme plus crédible, instaurant un effet leader et un effet suiveurs qui « collent » au classement,

2/ L’ « auto-prophétie » : le classement jouant à plein dans le choix des étudiants et des prescripteurs (professeurs de lycée, de classe prépa, familles ..). Il y a un effet auto-prophétique qui renchérit les effets de classements : les meilleurs élèves vont dans les meilleures écoles, et les meilleures écoles attirent les meilleurs élèves … et ainsi de suite

3/ L’effet leader (ou « the winner takes it all ») : toute publicité déclenchée et donc financée par une école moins classée va être automatiquement attribuée à une école mieux classée.

Bref, on ne prête qu’aux écoles bien classées et on ôte à celles qui sont en bas de tableau. C’est bien l’effet Matthieu.

Il est très difficile de sortir de cet effet Matthieu, surtout à un moment où les écoles de haut de tableau, pour des raisons de survie-développement (je ne reviens pas sur les mutations des business models) font jouer à plein leur marque et leur réputation pour attirer un nombre toujours plus grand d’étudiants.

A tel point que j’ai entendu des directeurs d’écoles mal classées dire (en plaisantant … quoique …) que leurs écoles devraient toucher un pourcentage pour l’intégration d’un étudiant dans une école mieux classée … En effet, leurs allocations de ressources retournent en partie aux leaders.

L’inertie des classements depuis des décennies démontre l’existence de cet effet Matthieu car si quelques écoles ont fait leur chemin c’est en jouant avec les mêmes critères que les têtes de peloton, et non pas en « disruptant ». Celles qui s’y sont risqué l’ont payé fort cher (sûrement aussi pour cause de mauvaise stratégie).

Le rôle structurant des classements médiatiques

Loin de moi l’idée de rejeter les classements. Les étudiants, leurs familles en ont besoin pour comprendre un peu mieux ce monde si complexe de l’ESR en management. Les années passant, ces classements ont, dans leur ensemble, progressé en finesse d’analyse, en vérification des preuves, en pertinence des critères, donnant ainsi une image à la fois plus précise et plus équitable de l’ensemble de l’offre.

Mais il y a encore beaucoup de pratiques qui servent l’effet Matthieu :  je pense au classement recherche Educpros qui privilégie le nombre de rang 1, certes plus faciles à comptabiliser mais qui occulte des publications certes moins classées mais qui tissent une recherche pouvant être abondante, de qualité, correspondant certainement à la demande des milieux économiques, et soutenant parfaitement la pédagogie. On peut aussi regarder des critères comme : les mentions au bac, le nombre de séjours à l’étranger, les accréditations …qui mettent les écoles dans des corridors pour ressembler toujours plus et mieux aux leaders…

« Si tu as un bâton, on te donnera un bâton, si tu n’as pas de bâton, on te le prendra. » écrivait Christine Rochefort. Étrange sentence qui sonne assez bien quand on regarde les fameux rankings.

A l’heure où nous observons de grandes mutations dans le monde sous la triple impulsion désormais classique de la globalisation, de la digitalisation et de la responsabilité, ne pourrions-nous pas nous dire que la façon de classer est profondément ringarde et qu’il faudrait rebattre les cartes ? Ou disrupter ?

Disrupter  ?

Il n’y a pas de fatalité, juste la volonté de regarder les choses autrement. C’est ce qui a été fait pour les classements des lycées, qui, malgré leurs imperfections (qu’on ne manquera pas de me faire valoir) ont su marquer un véritable infléchissement. Que s’est-il passé ?

Les classements ont choisi de ne plus évaluer la performance les lycées en se focalisant uniquement sur la réussite au baccalauréat, qui non seulement alimentait cet effet Matthieu, mais donnait lieu à de mauvaises pratiques comme le renvoi d’élèves avant le Bac afin de ne pas plomber les statistiques.

Poussés par le Ministère, les « classeurs » (i.e.les media qui classent) ont identifié le « lycée accompagnant », c’est-à-dire le lycée qui mène ses élèves à la réussite, quelle que soit leur origine, leur niveau de départ, le prestige du lieu d’implantation … en évaluant du coup la « valeur ajoutée » de l’établissement.

Les classeurs des écoles de management pourraient s’inspirer de cette vision qui rebattrait les cartes et estomperait l’effet Mathieu.

Ce serait d’autant plus pertinent que beaucoup de « grandes écoles » de management ont une sélectivité qui a beaucoup évolué. Les causes en sont : 1/ la hausse significative des effectifs de leurs promotions, ce qui implique nécessairement une baisse de la sélectivité, et 2/ une sélection qui a de moins en moins à voir avec les concours avec la multiplication des voies d’admissions. Ces deux stratégies induisent une population étudiante de plus en plus diverse, ou de moins en moins homogène, selon.

Dessine-moi une busines school accompagnante

J’entends déjà dire que toutes les écoles sont accompagnantes et que, si elles ne l’étaient pas, elles n’auraient pas les taux d’insertion que nous savons, ni la satisfaction mainte fois mesurée de leurs alumni.

Mais je persiste néanmoins dans mon raisonnement. Est-ce que ne serait pas une vision plus en phase avec l’air du temps que l’addition des accréditations, de publications, du nombre de partenaires accrédités etc etc … ? Que pourrait être une « école accompagnante » ? Quels critères permettraient de le vérifier ?

Une école accompagnante est une école qui hisse vers la diplomation et surtout vers une insertion professionnelle ambitieuse et en adéquation avec leur projet TOUS ses étudiants, quel que soit leur niveau de départ. En cela les écoles de bas de tableau font un travail méritoire. Pour enseigner depuis de nombreuses années à l’Université et en Business Schools, il est toujours plus facile d’avoir de bons résultats avec des élèves déjà performants à l’arrivée.

L’idéal serait de pouvoir mesurer à année équivalente les connaissances dans telle ou telle discipline : comme le TOEFL ou le TOEIC permettent de mesurer un niveau d’anglais « hors les murs », pour voir effectivement où sont les meilleurs scores. On découvrirait peut-être que les élèves d’une école de rang 18 ou 20 ont de meilleurs scores qu’une école de rang 4 ou 5 en marketing ou en contrôle de gestion  !

Un autre idéal serait un score à l’entrée et un score à la sortie pour mesurer les progressions. Cela permettrait aussi de valider des innovations pédagogiques en comparant ce qui est comparable, et faire ainsi de véritables liens entre le résultat et le processus pour l’atteindre. Ce qui n’est pas le cas actuellement où les « innovations pédagogiques » ne sont jamais mesurées en double aveugle.

On pourrait alors parler de VALEUR AJOUTÉE des écoles pour leurs étudiants.

L’arrivée des big data

Sur quels critères cette valeur ajoutée pourrait-elle être indicée ? Je formule quelques pistes :

1/ L’écart entre l’attendu et le réalisé

Il faut pour cela calculer les scores attendus pour une école donnée en fonction du profil des étudiants intégrés, scores pour des tests globaux de connaissances mais aussi en lien avec les compétences attendues dans le monde du travail.

Cette possibilité de suivre un parcours d’étudiant sur la longueur de son parcours de formation, et donc d’avoir des projections sur sa réussite est maintenant tout à fait possible avec les big data. On peut maintenant construire à partir de profils, des projections de parcours. Nous ne sommes donc dans la science-fiction, mais bien à l’aube de nouvelles modalités d’évaluation de la performance d’une institution d’enseignement Des universités américaines s’y sont mises comme celles de l’University Innovation Alliance.

2/ Créer des scores indépendants dans de nombreuses matières : il serait très intéressant d’avoir des scores sur des outils communs sur des disciplines autres que l’anglais pour qualifier le niveau d’un candidat en dehors de l’évaluation propre de son institution d’origine. Là encore, des dispositifs sont à l’œuvre avec la possibilité d’administrer les tests de façon massive et non falsifiable comme de concaténer les résultats de façon globale, toujours grâce à l’Intelligence Artificielle.

3/ Se pencher sur les ratios d’encadrement dans des services clés comme évidemment les Relations Internationales ou les services carrières, tous ces départements qui demandent une interaction humaine forte pour véritablement assurer leur fonction. Analyser les durées effectives de scolarité qui peuvent être un proxy de la capacité à véritablement s’adapter au rythme d’apprentissage de l’étudiant/apprenant.

4/ De façon plus qualitative, regarder la réalité des mises à niveau pour les publics « diversifiés » : y a-t-il de véritables sessions de formations? Quand se situent-elles ? Avec qui ? Ou a-t-on seulement recours à du e learning, à charge pour le-la candidate de se mettre à niveau ?

5/ Regarder les frais « additifs » qui sont générés par des séjours à l’étranger ou des années de césure, et qui sont supportés par les parents, en plus de frais de scolarité annoncés, afin d’avoir un coût réel de la scolarité.

6/ Calculer pour les étudiants le ROI  de leur scolarité, c’est-à-dire l’amortissement de leurs frais d’étude vs leur carrière à 5 ou 10 ans. On est incapable de dire à quel moment la valeur de la personne l’emporte sur l’effet diplôme ou si l’effet réseau perdure et peut compenser les relatives incompétences d’un alumni. Là encore des suivis dans la durée des alumni tels que le permettent les données massives objectiveront la réalité de la valeur d’une école.

Beaucoup d’autres pistes sont à explorer pour répondre à cette préoccupation de tout un chacun de la véritable valeur ajoutée d’une institution d’enseignement pour ses étudiants.

Il est urgent d’en mobiliser quelques-uns dès à présent dès à présent pour estomper l’effet Matthieu, à condition de le vouloir bien sûr. Mais les avantages peuvent être importants.

Une fable ou à faire ?

Les big data peuvent nous aider à réfléchir à d’autres projets d’écoles sans les condamner à sortir du jeu. Il faut pour cela que les classements soient capables de casser les corridors dans lesquels, plusieurs fois par an, les écoles s’essoufflent pour garder leur place en connaissant par avance l’ordre d’arrivée.

Cet infléchissement, même s’il est difficile à mettre en place répondrait indéniablement aux nouvelles attentes de toutes les parties prenantes de la société :

1/ Etre effectivement dans la RSESR : Responsabilité Sociétale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, avec un véritable impact sur l’environnement socio-économique,

2/ répondre aux attentes de personnalisation des cursus des étudiants,

3/ innover au service d’un projet et non pas pour faire valoir de l’innovation, sans aller jusqu’au bout de son apport,

4/ pousser les équipes enseignants et administratives à une contribution globale au service de l’étudiant avec une objectivation des résultats.

L’enjeu est de trouver de nouvelles modalités d’évaluation de ce qui est si important et si immatériel : la formation dans l’enseignement supérieur pour nos étudiants et apprenants. Il est aussi de sortir de l’effet Mathieu en permettant à des écoles moins bien classées de démontrer leur valeur ajoutée en empruntant des chemins différents des leaders.

Cette réflexion permet aussi de revenir à la parabole de l’évangile d’où vient l’effet Matthieu et qui, d’après les exégètes n’est pas un cours d’économie mais bien l’idée de pousser chaque homme et chaque femme à faire grandir ses talents, et à avancer dans la vie avec confiance. N’est-ce pas là la véritable mission d’une Ecole de Management ?

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