Cracking the management code

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Avec le Covid19, nous n’enseignerons plus la prise de décision de la même façon !

L’importance de la prise de décision en management

Quand on enseigne le management, une grande partie du cours porte sur la prise de décision. Quand on y réfléchit bien, c’est aussi la plus grande partie de la mission d’un manager : décider !

Or, on sait depuis Simon et consorts, que la décision ne peut se prendre qu’en rationalité limitée, avec des informations insuffisantes et imparfaites.

Tout l’enjeu est de faire toucher du doigt ces situations à des étudiants qui n’ont pas eu beaucoup d’occasions d’y être confrontés. Il faut leur montrer l’importance et la diversité des impacts des décisions prises : financiers, sociaux, environnementaux, éthique, vitaux …

L’appel à l’analyse du passé

Pour cela, nous mobilisons de nombreux exemples ou études de cas pour les aider à évaluer des situations complexes. Ces cas sont pris dans la vie des entreprises, mais aussi, dans la vie politique, qui connait son lot de choix cornéliens.

L’analyse des cas réels et passés, est, par définition, facile, car, depuis, on sait « ce qu’il aurait fallu décider ». Ainsi, il aurait fallu arrêter dès les premiers cas, la vente de viande de « vache folle », il aurait fallu stopper les transfusions sanguines dès les premiers soupçons, il aurait fallu suspendre la vente de tant de médicaments après les premiers cas d’effets secondaires dramatiques ; ou encore : on a bien fait de commercialiser les fours à micro-ondes malgré les peurs que cette technologie générait ; ça a été une bonne chose de prendre le risque de lancer les chemins de fer à vapeur malgré les prédictions catastrophiques pour la santé des passagers …

Une idéologie managériale de l’audace en toile de fond

On met alors au jour, en toile de fond du management, un cadre idéologique de la prise de risque, de l’audace, d’aller de l’avant avec de nouveaux projets … Dans un monde incertain, volatile, etc etc … un bon manager est celui -ou celle, bien sûr- qui ose, qui sait aller de l’avant, de façon agile et efficiente. Ce qui peut entrer en tension avec d’autres appréciations.

Ainsi, un principe souvent pointé du doigt par l’audace managériale est le « principe de précaution ».

Rappelons que le principe de précaution a été défini à Rio de Janeiro en 1992, il est inscrit depuis 2005 dans la Constitution française comme article de la Charte de l’Environnement. Selon ce principe : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. ».

Il n’est pas à confondre avec le principe de prévention qui, lui, intervient une fois que le risque est avéré.

Le principe de précaution est beaucoup plus sensible, et difficile à manipuler.

Dans la pensée managériale, il est souvent perçu comme :

  • néfaste car empêchant toute innovation de se faire
  • castrateur car ralentissant tout développement économique
  • triste car anti-créatif
  • dispendieux car poussant à engager des dépenses pour « se couvrir ».

« Dans le doute, abstiens-toi » ne fait pas partie de la grammaire managériale.

La gestion de la crise du Covid19 à l’aune de celle du SRAS en 2003

Nous vivons tous en direct ces difficultés avec la crise du #covid 19. Faisons un petit résumé de la situation.

Nous sommes très nombreux à nous demander comment on a pu en arriver là, surtout quand nous nous comparons à notre partenaire européen : l’Allemagne.

Les analyses montrent qu’une bonne partie de la difficulté à mettre en place une politique cohérente et surtout efficace, vient de l’évolution de la crise d’un autre coronavirus, le SRAS en 2009.

Cette pandémie du SRAS avait été gérée de façon radicalement différente : devant le risque d’une pandémie massive, le principe de précaution avait été appliqué par le gouvernement de l’époque, et des dépenses très importantes avaient été engagées pour l’achat de matériels divers (dont les fameux masques) pour protéger la population française. Comme la crise n’a pas eu lieu, il y a eu deux effets :

1/ Une mise en cause très sévère de la gestion de la crise jugée dispendieuse.

2/ Un second effet, dont nous ne subissons que maintenant le ricochet : le sentiment qu’il ne fallait pas gérer de la même façon le coup d’après, et ne pas engager tout de suite les grands moyens ! Ce dont nous subissons les conséquences avec la pénurie du matériel comme les masques.

Au-delà du biais cognitif pour l’appréciation de la situation, le principe de précaution est une fois de plus battu en brèche !

L’épisode n’a pu qu’alimenter la perception négative du principe de précaution, vu, dans ce cas de figure comme dispendieux et fait « pour se couvrir ».

Du vertueux principe de précaution à l’accusation de « précautionnisme »

Le principe de précaution est souvent taxé de « précautionnisme » (1), c’est-à-dire d’ « excès de précaution », qui se traduit par le refus d’avancer par peur des risques, l’immobilisme ou l’attentisme.

Les exemples de précautionnisme pullulent : la remise en cause de certains vaccins (ou même du principe de la vaccination) à cause de quelques très rares cas de mauvaises réactions ; la culture des OGM ; les ondes électromagnétiques, l’implantation des éoliennes

L’argument des « audacieux » est que le refus d’avancer se fonde sur des croyances (les anti-vaccins, les anti-OGM ..) et non sur l’objectivité scientifique.

Si on revient à la prise de décision, la question est bien celle de l’évaluation des risques qui relève des « sachants » (les scientifiques) et la décision elle-même appartient au manager ou au politique.

Sachant que le processus est fragile : dans quelle mesure le diagnostic scientifique est-il fiable ? Une crise émergente se caractérisant de plus par l’absence d’historique, comme de données suffisamment nombreuses et exploitables. Le risque peut donc être surestimé ou sous-estimé.

Un autre point qui surajoute à la difficulté sont que les liens entre décideurs et scientifiques peuvent introduire des biais (comme c’est le cas de médicaments dont les risques ont été sous-évalués du fait du lobbying des laboratoires envers le monde médical).

Le monde du management s’insurge contre cette frilosité qui coûte cher et ne permet pas d’avancer aussi vite qu’on le souhaiterait.

Les arguments sont nombreux : la surestimation des faibles probabilités est un des principaux arguments. Selon le fameux principe « je crois ce que je crains », il est facile de démontrer que l’opinion publique surestime les dangers, souvent relayée et poussée à la fois en cela par le monde médiatique.

On laisserait alors la croyance décider, avec des accusations de populisme et de démagogie.

Le débat actuel autour de la chloriquine est une autre illustration de cette difficulté : le principe de précaution pousse à ne pas agir car les risques ne sont pas estimés, et s’oppose à l’audace toute entrepreneuriale de ses défenseurs.

Une situation apprenante

L’année prochaine, quand la poussière sera un peu retombée, le cours sur la théorie de la décision sera passionnant et surement passionné, tant tout le monde l’aura vécu dans sa chair pendant de très longues semaines.

Une autre leçon de cette crise.

 

(1)L’inquiétant principe de précaution Bronner, G. ; Géhin, E., PUF, 2010

Face au covid19 : notre responsabilité d’enseignants

Nous en sommes au 13ème jour du #confinement et je mesure la responsabilité que nous devons avoir en tant qu’enseignants.

J’entends à France Inter un universitaire interroger d’une façon comminatoire la ministre de l’enseignement supérieure sur les reports de dates d’un concours, quand, dans le même temps, une de mes étudiantes m’apprend que son père vient de décéder du #Covid19.

« Nous ne savons pas, et cela nous sort de notre zone de confort »

Je vois aussi sur les réseaux sociaux des pétitions d’enseignants et d’étudiants qui circulent à propos de la réorganisation des cours, des concours, des examens … avec des mots très forts comme : injustice, iniquité, irresponsabilité, inégalité …

Certes, il est difficile d’accepter, après une ou deux années de prépa, d’un grand investissement, voire de sacrifice, de voir le concours tant redouté être décalé dans le temps et réorganisé, ou même supprimé. C’est une évidence !  Qu’on ressente une forme de désarroi et de frustration, est tout à fait naturel. Mais, refuser l’évidence et s’arcbouter à ce qui « aurait dû être » relève du déni ou de l’aveuglement.

En effet, nous ne savons pas ! Et cela nous sort de notre zone de confort. En effet, nul ne sait à quelles dates exactes se dérouleront les concours et les examens 2020, ni quelles en seront les exactes nouvelles modalités car nous n’avons pas de boule de cristal !

« Cette période est inédite en ce que chaque jour modifie ou défait les prévisions de la veille. »

L’année 2020 sera une année extra-ordinaire, elle nous bouscule et chamboule tous nos plans. Les mariages, les vacances, les voyages, les fêtes de famille sont annulés, les funérailles ne permettent pas de partager son chagrin, on ne se réunit que virtuellement, les parents font la classe à la maison … et il n’y aura peut être pas d’oraux, et peut être pas de concours tout court !

On peut aussi, avec le scénario du pire, imaginer qu’il n’y aura pas de rentrée.

Et dire que ce n’est « pas possible », relève de la croyance ou de la pensée magique, tant les incertitudes sont grandes.

Et si la rentrée a lieu, les entreprises accueilleront-elles en aussi grand nombre des alternants ? Les séjours académiques à l’étranger pourront-ils se dérouler « comme prévu » ? Peut-être, peut-être pas …

« Etre agile pour se préparer à l’imprévisible « 

Les enseignants ont une vraie responsabilité pour rassurer leurs élèves et étudiants, les aider à comprendre la situation, à hiérarchiser les problèmes, à gérer leurs impatiences et leurs frustrations, à accepter que tout n’est pas comme ils le souhaiteraient, et pas du tout comme ils l’imaginaient.

.C’est injuste peut-être, mais c’est comme cela, et il faut l’accepter, non pas en étant soumis, mais en se préparant à l’imprévisible.

On enseigne dans les cours de management, la notion d’ « agilité », on la loue même, car elle est vraiment perçue comme une des vertus cardinales des organisations et des hommes et femmes qui les dirigent. Être agile, c’est être flexible, tout le contraire de la rigidité. Et cela vaut tant pour une entreprise que pour des personnes. Être agile, c’est envisager des scénarios alternatifs, et même adopter avec engagement celui qu’on n’avait pas identifié. Être agile, c’est savoir renoncer. Être agile, c’est être serein même dans des contextes difficiles, complexes, périlleux, incertains. Nous reconnaissons bien là notre environnement actuel !

En tant qu’enseignants, soyons agiles et aidons nos étudiants à l’être. La vie est longue, la leur surtout et ils auront tant d’autres obstacles ou contrariétés à affronter !

« Egalité, inéquité, injustice …. entre croyances  et frustrations »

Aidons-les aussi à s’affranchir de croyances, par définition non vérifiées qui leur font dire en boucle que ces concours « sans oraux » ne seront pas équitables, inégalitaires, et que c’est « injuste »…

Ils seront par définition égalitaires puisque la règle sera la même pour tout le monde, et ils seront inéquitables comme le sont tous les concours malgré toutes les dispositions prises et améliorées depuis des années

Est-il équitable d’avoir le sujet qu’on vient de bachoter ? De bénéficier d’un correcteur plus laxiste ? De passer son concours avec un gros mal de tête, ou le lendemain de la mort de sa grand-mère ?

Est-ce que les oraux améliorent les classements des moins bons préparationnaires ? Rien n’a jamais été démontré, au contraire, il semblerait que, sur les grands nombres, la tendance du niveau écrit se confirme à l’oral (d’après des échanges avec des professeurs de classe prépas expérimentés). Il y a toujours des exceptions à une règle, surtout empirique, mais ne comptons pas trop sur l’atypique, même si c’est notre meilleur ami, ou notre cousine !

Dans ces moments très difficiles, il serait bienséant de hiérarchiser les VRAIES épreuves comme la maladie ou la mort d’un proche, là aussi profondément inégalitaires et injustes : pourquoi lui ? pourquoi moi ? Le virus covid 19 ne discrimine pas, il s’attaque à tous, mais les organismes ne sont pas égaux dans leurs défenses immunitaires. C’est injuste, mais c’est comme ça. Et nous devons faire avec, au mieux bien sûr.

« La bienveillance doit être de mise et les accusations n’ont pas cours »

Nous transmettons aussi dans nos cours de management l’importance de la bienveillance et de la confiance pour un management responsable. Nous avons à rappeler, dans ces moments de crise, que la bienveillance doit être de mise, et que les accusations de défaillance n’ont pas cours.

Tuer le messager n’efface pas la mauvaise nouvelle. Chercher des coupables dans une situation aussi dramatique que celle que nous vivons est une perte de temps et d’énergie, et même, une insulte à l’avenir commun.

Nous vivons une crise, et nous savons tous qu’une crise est aussi l’opportunité de réfléchir différemment et de poser les bases de nouvelles modalités de travail. Cela concerne toute la communauté de l’enseignement, enseignants, enseignants-chercheurs, comme les équipes « administratives ».

« Crise : préparer l’  « après » ensemble »

La crise des concours et des examens est certainement l’occasion de mettre en pratique ces principes d’agilité, de bienveillance, de confiance, de responsabilité.

Elle est aussi, l’occasion d’interroger des dispositifs établis, pour, peut-être les redimensionner, les réorganiser, peut être aussi, pour  se dire ensemble, qu’ils ont toute légitimité à être reconduits en … 2021. Non pas comme des « chefs d’œuvre en péril » à sauvegarder à tout prix dans des réflexes de reproduction, mais parce qu’ils sont bien fondateurs de la qualité de notre système d’éducation pour le plus grand bien de nos étudiants, et de leur destin personnel et professionnel.

Face au covid 19, notre responsabilité d’enseignants, est, plus que jamais d’accompagner, de rassurer et d’aider nos étudiants, nos élèves, à recouvrer la sérénité.

« Je ne te demande pas ce qu’on t’a fait mais ce que tu as fait de ce qu’on t’a fait », une phrase d’inspiration sartrienne, qui peut nous aider à poser les jalons de notre avenir commun.

PS : Le temps d’écrire ce texte, j’apprends la mort par Covid 19, d’une autre personne de mon entourage, je lui dédis ces lignes.