Cracking the management code

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Face au covid19 : notre responsabilité d’enseignants

Nous en sommes au 13ème jour du #confinement et je mesure la responsabilité que nous devons avoir en tant qu’enseignants.

J’entends à France Inter un universitaire interroger d’une façon comminatoire la ministre de l’enseignement supérieure sur les reports de dates d’un concours, quand, dans le même temps, une de mes étudiantes m’apprend que son père vient de décéder du #Covid19.

« Nous ne savons pas, et cela nous sort de notre zone de confort »

Je vois aussi sur les réseaux sociaux des pétitions d’enseignants et d’étudiants qui circulent à propos de la réorganisation des cours, des concours, des examens … avec des mots très forts comme : injustice, iniquité, irresponsabilité, inégalité …

Certes, il est difficile d’accepter, après une ou deux années de prépa, d’un grand investissement, voire de sacrifice, de voir le concours tant redouté être décalé dans le temps et réorganisé, ou même supprimé. C’est une évidence !  Qu’on ressente une forme de désarroi et de frustration, est tout à fait naturel. Mais, refuser l’évidence et s’arcbouter à ce qui « aurait dû être » relève du déni ou de l’aveuglement.

En effet, nous ne savons pas ! Et cela nous sort de notre zone de confort. En effet, nul ne sait à quelles dates exactes se dérouleront les concours et les examens 2020, ni quelles en seront les exactes nouvelles modalités car nous n’avons pas de boule de cristal !

« Cette période est inédite en ce que chaque jour modifie ou défait les prévisions de la veille. »

L’année 2020 sera une année extra-ordinaire, elle nous bouscule et chamboule tous nos plans. Les mariages, les vacances, les voyages, les fêtes de famille sont annulés, les funérailles ne permettent pas de partager son chagrin, on ne se réunit que virtuellement, les parents font la classe à la maison … et il n’y aura peut être pas d’oraux, et peut être pas de concours tout court !

On peut aussi, avec le scénario du pire, imaginer qu’il n’y aura pas de rentrée.

Et dire que ce n’est « pas possible », relève de la croyance ou de la pensée magique, tant les incertitudes sont grandes.

Et si la rentrée a lieu, les entreprises accueilleront-elles en aussi grand nombre des alternants ? Les séjours académiques à l’étranger pourront-ils se dérouler « comme prévu » ? Peut-être, peut-être pas …

« Etre agile pour se préparer à l’imprévisible « 

Les enseignants ont une vraie responsabilité pour rassurer leurs élèves et étudiants, les aider à comprendre la situation, à hiérarchiser les problèmes, à gérer leurs impatiences et leurs frustrations, à accepter que tout n’est pas comme ils le souhaiteraient, et pas du tout comme ils l’imaginaient.

.C’est injuste peut-être, mais c’est comme cela, et il faut l’accepter, non pas en étant soumis, mais en se préparant à l’imprévisible.

On enseigne dans les cours de management, la notion d’ « agilité », on la loue même, car elle est vraiment perçue comme une des vertus cardinales des organisations et des hommes et femmes qui les dirigent. Être agile, c’est être flexible, tout le contraire de la rigidité. Et cela vaut tant pour une entreprise que pour des personnes. Être agile, c’est envisager des scénarios alternatifs, et même adopter avec engagement celui qu’on n’avait pas identifié. Être agile, c’est savoir renoncer. Être agile, c’est être serein même dans des contextes difficiles, complexes, périlleux, incertains. Nous reconnaissons bien là notre environnement actuel !

En tant qu’enseignants, soyons agiles et aidons nos étudiants à l’être. La vie est longue, la leur surtout et ils auront tant d’autres obstacles ou contrariétés à affronter !

« Egalité, inéquité, injustice …. entre croyances  et frustrations »

Aidons-les aussi à s’affranchir de croyances, par définition non vérifiées qui leur font dire en boucle que ces concours « sans oraux » ne seront pas équitables, inégalitaires, et que c’est « injuste »…

Ils seront par définition égalitaires puisque la règle sera la même pour tout le monde, et ils seront inéquitables comme le sont tous les concours malgré toutes les dispositions prises et améliorées depuis des années

Est-il équitable d’avoir le sujet qu’on vient de bachoter ? De bénéficier d’un correcteur plus laxiste ? De passer son concours avec un gros mal de tête, ou le lendemain de la mort de sa grand-mère ?

Est-ce que les oraux améliorent les classements des moins bons préparationnaires ? Rien n’a jamais été démontré, au contraire, il semblerait que, sur les grands nombres, la tendance du niveau écrit se confirme à l’oral (d’après des échanges avec des professeurs de classe prépas expérimentés). Il y a toujours des exceptions à une règle, surtout empirique, mais ne comptons pas trop sur l’atypique, même si c’est notre meilleur ami, ou notre cousine !

Dans ces moments très difficiles, il serait bienséant de hiérarchiser les VRAIES épreuves comme la maladie ou la mort d’un proche, là aussi profondément inégalitaires et injustes : pourquoi lui ? pourquoi moi ? Le virus covid 19 ne discrimine pas, il s’attaque à tous, mais les organismes ne sont pas égaux dans leurs défenses immunitaires. C’est injuste, mais c’est comme ça. Et nous devons faire avec, au mieux bien sûr.

« La bienveillance doit être de mise et les accusations n’ont pas cours »

Nous transmettons aussi dans nos cours de management l’importance de la bienveillance et de la confiance pour un management responsable. Nous avons à rappeler, dans ces moments de crise, que la bienveillance doit être de mise, et que les accusations de défaillance n’ont pas cours.

Tuer le messager n’efface pas la mauvaise nouvelle. Chercher des coupables dans une situation aussi dramatique que celle que nous vivons est une perte de temps et d’énergie, et même, une insulte à l’avenir commun.

Nous vivons une crise, et nous savons tous qu’une crise est aussi l’opportunité de réfléchir différemment et de poser les bases de nouvelles modalités de travail. Cela concerne toute la communauté de l’enseignement, enseignants, enseignants-chercheurs, comme les équipes « administratives ».

« Crise : préparer l’  « après » ensemble »

La crise des concours et des examens est certainement l’occasion de mettre en pratique ces principes d’agilité, de bienveillance, de confiance, de responsabilité.

Elle est aussi, l’occasion d’interroger des dispositifs établis, pour, peut-être les redimensionner, les réorganiser, peut être aussi, pour  se dire ensemble, qu’ils ont toute légitimité à être reconduits en … 2021. Non pas comme des « chefs d’œuvre en péril » à sauvegarder à tout prix dans des réflexes de reproduction, mais parce qu’ils sont bien fondateurs de la qualité de notre système d’éducation pour le plus grand bien de nos étudiants, et de leur destin personnel et professionnel.

Face au covid 19, notre responsabilité d’enseignants, est, plus que jamais d’accompagner, de rassurer et d’aider nos étudiants, nos élèves, à recouvrer la sérénité.

« Je ne te demande pas ce qu’on t’a fait mais ce que tu as fait de ce qu’on t’a fait », une phrase d’inspiration sartrienne, qui peut nous aider à poser les jalons de notre avenir commun.

PS : Le temps d’écrire ce texte, j’apprends la mort par Covid 19, d’une autre personne de mon entourage, je lui dédis ces lignes.

 

Les leçons du Professeur Wauquiez : ni conscience ni confiance !

L’ « affaire » Laurent Wauquiez a fait couler beaucoup de salive et d’encre. Elle a été  l’occasion de faire de la publicité aux uns et aux autres, et de régler des comptes, ce qui a éludé une réflexion de fond.

En effet, ce « mini drame » pédagogico-politico-médiatique pose la question du « colloque singulier » entre un professeur (du maître d’école à l’intervenant professionnel) et sa « classe » (de l’élève, à l’étudiant et même à l’apprenant), qui nous concerne tous.

Qu’est-ce que le colloque singulier ?

Dans sa définition stricte, c’est la relation bilatérale et protégée du médecin et de son patient. C’est « la rencontre d’une confiance et d’une conscience » (Louis Portes). Je trouve qu’elle définit parfaitement ce qui se passe dans une salle de cours, même si les élèves/étudiants sont un groupe.

Et c’est là que le bât peut blesser : que se passe-t-il si la conscience n’est pas présente ? Il y a alors abus de confiance. Et, en miroir, que se passe-t-il s’il n’y a pas confiance ? L’acte d’enseignement n’est plus possible.

Ni les enseignants/intervenants, ni les élèves/étudiants ne sont des saints et on ne leur demande pas cela, mais il serait intéressant de les amener à réfléchir à leurs rôles respectifs.

Est-ce que j’enseigne en conscience ? Est-ce que je peux faire confiance à ce professeur ? Puis-je avoir confiance en mes élèves ?

Il semblerait sans revenir outre mesure sur le cas du Professeur Wauquiez, et sur la foi des déclarations que le contrat ait été doublement rompu : ni conscience, ni confiance !

Mais que se passe-t-il exactement dans une salle de classe ? Cette question concerne tout le monde : les élèves, les étudiants, les parents, la communauté enseignante, les intervenants professionnels …

 

Que se passe-t-il dans une salle de classe ?

Quelles questions se posent ?

  • Comme choisit-on les intervenants (du professeur à l’intervenant occasionnel) qui vont enseigner ?
  • Que se passe-t-il dans la salle de classe une fois la porte refermée ?
  • Comment identifier des « dérives » ?
  • Quels sont les garde-fous possibles à ces dérives ?
  • Qui est légitime pour intervenir ?
  • Existe-t-il des protocoles ou des mesures préventives et  curatives le cas échéant ?

Je ne m’inscris pas avec ce billet dans les cas très graves (atteintes aux mœurs, violence), ni dans le soupçon systématique vis-à-vis de la communauté enseignante. Des procédures de recours existent, régulièrement mises en œuvre, même si elles sont régulièrement dénoncées comme inefficaces et trop lentes. J’ai ainsi lu que 34 enseignants avaient été radiés en 2015 (dont 27 pour atteinte aux mœurs).

Ce que je veux aborder ici, c’est l’« ordinaire » auquel nous sommes tous exposés, les « dérapages », dans la salle de classe.

Toutes les fois où un de nos enfants, évoquant un prof nous met en alerte. J’ai ainsi vécu plusieurs expériences en tant que mère qui peuvent résonner à vos oreilles : le (la) prof qui fait passer des idées politiques extrémistes sous prétexte dans son cours d’histoire, le (la) prof qui exprime des idées racistes ou xénophobes, celui (ou celle) qui raconte sa vie intime de façon systématique, le (la) prof qui procède à des petites humiliations vis-à-vis de certains élèves …

Quelle alerte ?

Ce qui m’a toujours intrigué, c’est que ces faits inquiétants, sont souvent rapportés sur le ton de la normalité, comme si le prof avait tout pouvoir sur sa classe, et comme si nos enfants étaient dénués de toute capacité critique ! Il faut constater que c’est souvent le cas car nos élèves sont installés dans cette relation verticale du maître à élève et n’ont pas été éduqués à la distance critique. Du coup, nous découvrons certains faits alors que l’année est déjà écoulée !

Evidemment, cette capacité critique évolue avec l’âge. Mais pas toujours, et en tant que professeur à l’Université ou en Grande Ecole, je me suis souvent rendue compte de l’emprise que nous pouvions avoir sur des étudiants.

De mon expérience, la critique, si elle s’exerce, est en général plus liée à la personne de l’enseignant, qu’à son discours. On accepte des messages ou des comportements « limites » d’un prof sympa et charismatique. « Oui, il y a un problème, mais c’est un bon prof ! ».

Quelle réaction avoir ?

Une fois le doute établi, comment en avoir la preuve ? Et comment réagir sans mettre en danger son enfant ? Ou bien, s’il est adulte, comment réagir sans craindre des mesures de rétorsion ?

En effet, devant ce risque, le silence s’installe. L’élève ou l’étudiant n’exerce pas son devoir d’alerte. S’il le fait, les parents préfèrent également ne pas faire de vagues, parce que ce n’est pas si grave ! Et tout le monde finit l’année en serrant les dents, passant le mistigri à la promo suivante.

Ce n’est guère plus évident dans l’enseignement supérieur. On n’assiste pas au cours d’un collègue, rarement d’un intervenant professionnel, parce que « ça ne se fait pas » ! les raisons invoquées ? Cela va de « il vient me pomper mon cours », à …. « je connais mon métier et il n’a pas à me contrôler ».

Il est vrai que l’évaluation des enseignements est de plus en plus pratiquée dans l’enseignement supérieur, mais elle connait les mêmes dérives : c’est l’enseignant qui est noté plus que le contenu. Et tout le monde sait que les aspects « bonnes notes », « animation » sont souvent les critères non-dits qui emportent l’évaluation.

Quelle intervention ?

Et s’il y a alerte ? Je suis désolée de dire que c’est le principe de non-intervention qui domine. Il n’est pas facile de prendre un(e) collègue(ou même un intervenant extérieur) en quatre yeux et de lui signifier les problèmes qui se posent avec son comportement. En général, on attend un peu, et, silencieusement, on lui retire le cours sous un tout autre prétexte … plus tard …

Je sais que beaucoup d’enseignants, du primaire au supérieur, vont donner tous les exemples du monde pour s’inscrire en faux, mais je demande à chacun de revisiter sa carrière d’élève et d’étudiant … Nous avons tous au moins un exemple en tête. Je répète du « pas (trop) grave » … mais qui pose la question de ce colloque singulier.

 La salle de classe, un lieu sanctuarisé ?

La « salle de classe » est de plus en plus virtuelle et ouverte. Elle reste néanmoins le pivot de l’éducation, du CP à l’Université.

Faut-il respecter cette confidentialité d’un lieu clos ? Rappelons que des élèves sont régulièrement sanctionnés pour avoir diffuser des photos ou des enregistrements de ce qui se passe en cours.

Le débat est ouvert. Ce principe est fondateur. Il est la garantie de la construction d’ « esprits libres », loin des pressions de l’opinion, de la politique, de l’économie … La transmission de la connaissance doit pouvoir être à l’abri du tumulte du monde. Est-ce encore crédible à l’heure des réseaux sociaux ? Il me semble que ce principe se défende encore plus qu’ « avant Internet ». Mais il est hautement exigeant pour le « professeur », quel que soit son statut. La double trahison largement médiatisée entre Wauquiez et des étudiants de l’EM Lyon pose question.

Sortir du tacite

L’enjeu est de sortir du contrat tacite, qui à force de l’être, s’oublie peu à peu. Il faut rappeler régulièrement ce contrat de « confiance et de conscience »

Comment ?

  • Faire signer une charte éthique aux enseignants/intervenants et aux étudiants,
  • Avoir une ligne d’alerte ouverte,
  • Créer un dispositif tiers pour remédier aux problèmes.

Sachant que l’excès de réglementation n’est pas souhaitable et que tout mettre sur la place publique devrait être le dernier recours !

Mais combien d’écoles, de collèges, de lycées, d’universités, de grandes écoles ont-elles institué ces pratiques ?

En conclusion, ce qu’a pu dire Laurent Wauquiez a peu d’intérêt (sauf pour les concernés) et il n’est en rien une exception. Ce qui est intéressant c’est la capacité d’interpellation des étudiants (qui a existé selon le témoignage des présents), c’est leur capacité à remonter à la direction de l’école les dérives qu’ils auraient pu identifier, c’est que l’école ait des instances qui décident des limites du cadre de certaines interventions.

Cette « affaire » bien anecdotique finalement nous rappelle que la conscience et la confiance ne s’opposent pas ! Au contraire, elles doivent s’enrichir mutuellement. Elles s’éduquent et se tricotent au quotidien. Par contre, il faut commencer très tôt, dès la maternelle !

Ce billet a été initialement publié sur Linkedin