Cracking the management code

L’immolation d’Anas pose la question du « métier » d’étudiant

L’immolation d’Anas (puisque c’est le prénom qui circule) nous a tous profondément marqués.  Et cela, pour plusieurs raisons :

  • Le suicide en lui-même est un mystère qui nous laisse complètement désemparés et toujours coupables de n’avoir pas su l’empêcher
  • Le suicide par le feu est tellement symbolique dans la volonté de se consumer, d’être réduit en cendres, qu’il en est encore plus effrayant
  • L’immolation publique est un geste symbolique qui se retrouve régulièrement dans l’histoire des mouvements de révoltes ou de révolutions : rappelons-nous l’immolation du bonze Tich Quy Duc le 11 Juin 1963 à Saigon et son impact sur la guerre du Vietnam, ou celui de Mohamed Bouazizi, vendeur de fruits et légumes qui a déclenché le Printemps Arabe.

Ce geste fatal m’interpelle encore plus à titre personnel car j’ai fait mes études à Lyon 2 (DEA et Doctorat) et étais ensuite enseignant-chercheur pendant 10 ans, dans de nombreuses composantes : IUT Lumière, Faculté d’Histoire, Géographie, Tourisme, IEP de Lyon, Faculté de sciences économiques et de gestion …

Ce suicide m’inspire deux types de réflexions, les unes plus intimes et de l’ordre du souvenir, les autres plus sociétales, et de l’ordre de la perspective.

Des souvenirs de détresses étudiantes

De mes années à l’Université,

  • Je me souviens de la fragilité des étudiants qui s’ouvraient à nous de leurs grandes difficultés, souvent sidérantes : agressions sexuelles, étudiants mis à la porte du domicile familial, étudiants victimes d’addictions qui se retrouvaient sans un sou, décès ou perte d’emploi des parents qui mettaient à mal tous les équilibres et la vision de l’avenir.
  • Je me souviens de leur difficulté à demander de l’aide avec l’idée qu’ « il faut s’en sortir seul », pour ne pas paraître un « looser ». Leur difficulté à comprendre que l’autonomie , c’est aussi savoir compter sur les autres.
  • Je me souviens du manque cruel de moyens de l’Université (Lyon 2 ou d’autres) pour accompagner cette détresse : pas d’assistantes sociales ou de médecins en nombre suffisant, avec des horaires hyper étroits, pas d’argent pour des bourses ou des dépannages en urgence, pas de temps disponible …
  • Des problèmes d’orientation, avec des étudiants perdus dans des études pas faites pour eux, et là aussi, pas de temps ou de moyens pour écouter, diagnostiquer, réorienter, malgré les bonnes volontés et les efforts.

Une fois le diagnostic, assez désespérant, posé, quelles sont les pistes possibles pour sortir de cette situation ? Au-delà des problématiques de moyens, mais sans les oublier bien sûr.

Deux pistes de réflexion qui s’imposent

Je vois deux grands sujets où l’Université doit progresser :

1/ Prendre en compte les activités salariés dans la formation

Les « petits boulots » doivent être intégrés aux études. Quel que soit le travail réalisé, le plus basique, le plus ingrat délivre des compétences qui peuvent être mises au jour, décrites, valorisées et évaluées en ECTS (pour faire simple). Et ceci qu’on soit en fac de langues ou de biologie. Il faut dépasser la vision d’une Université « étanche » à son environnement, il y a d’autres façons d’apprendre que d’être assis dans un amphi. On le sait, on le dit, il faut le mettre en oeuvre. Les Grandes Ecoles ont une véritable expertise dans ce domaine et elle est transférable.

2/ Accepter qu’étudier est un véritable métier.

Il faut s’éloigner de la vision des études supérieures comme une phase de transition, ou, pire, une variable d’ajustement aux chiffres du chômage.

C’est un vrai métier d’être étudiant et chaque étudiant-e contribue à la société. Ce n’est pas seulement un investissement pour « dans 5 ou 10 ans ». Les étudiants consomment, ils se déplacent, ils vont aux spectacles… certes, leur pouvoir d’achat est plus faible mais ils créent de la valeur économique.

Et bien sûr, les étudiants sont des citoyens à part entière, on semble trop souvent l’oublier, comme s’ils flottaient entre deux mondes.

Cela nous renvoie évidemment au salaire de l’étudiant comme le font les pays scandinaves.

Rappelons qu’au Danemark il est autour de 800 euros mensuels pendant les études à condition de travailler 10 heures par semaine (ce qui permet de lier mes deux propositions). En Norvège, il est plus élevé et il s’agit d’un prêt à rembourser une fois installé dans le monde du travail.

Il est certain que ce « salaire » aura des effets « levier » et qu’un euro investi dans un salaire d’étudiant, en rapportera plusieurs à la société. Ce retour sur investissement reste à calculer.

Changer le regard de la société sur les étudiants

Il s’agit de changer notre regard sur les étudiants et de ne pas les considérer comme des « futurs productifs » mais bien comme des producteurs de valeur.

Il s’agit aussi, en les sortant de la précarité à un moment si important de leur vie, de leur (re-) donner une dignité, que beaucoup semblent avoir perdue, sombrant dans la désespérance.

La désespérance qui a poussé Anas à son acte irrémédiable.

 

Commentaire (1)

  1. Baptiste Ameline

    Il y a d’autant plus de précarité parmi les étudiants que les aides sociales souffrent de beaucoup d’imperfection (sinon d’injustice) dans leur attribution.

    Le système d’attribution des bourses SELON LES RESSOURCES DES PARENTS est un énorme problème. Pourquoi applique t’on ce critère au bourse, alors que pour les APL (autres aides souvent perçues par les étudiants) se sont les revenus de l’étudiant qui sont pris en compte ?

    1) Les revenus des parents ne sont pas corrélés à ce qu’ils donnent à leurs enfants. C’est le principal problème de ce mode de calcul. Des parents qui ont des revenus plus élevés mais peut-être un lourd crédit à rembourser, n’auront pas plus à donner à leurs enfants. Pourtant les enfants ne toucheront pas les bourses.

    2) Les revenus des parents ne sont pas appréciés selon la zone d’habitation. ( Pour un revenu équivalent, un foyer de la classe moyenne en région parisienne n’a pas les mêmes moyens financiers qu’un foyer habitant une ville moyenne du centre de la France. Pourtant l’attribution des bourses est basée sur les mêmes critères financiers).

    3) Même en étant fiscalement indépendant de ses parents (déclaration des revenus séparée, lieu d’habitation différent) ceux sont encore les revenus des parents qui sont pris en compte.

    4) Les bourses sur critère de mérite sont conditionnées à l’obtention des bourses sur critères sociaux. Avec les problèmes des points 1 à 3, ces bourses perpétuent l’injustice de l’attribution des bourses (à mes yeux).

    Autres problèmes liés à la précarité des étudiants :

    5) Les logements CROUS sont très chers. Ils suffisent de jeter un oeil au prix au mètre carré. Ayant fait l’expérience d’une résidence CROUS à Nantes, cela coute plus cher qu’habiter dans le secteur privé. En effet, en ayant une résidence CROUS on ne peut plus prétendre au APL. Or le prix au mètre carré des résidences CROUS est plus élevé que celui d’un petit studio dans le privé une fois les APL déduites. (Seul avantage du crous : pas de taxe d’habitation).

    6) Le statut d’étudiant salarié (job étudiant, intérim etc) induit des effets pervers et injuste. Un étudiant ayant travaillé pendant ses études, qui viendrait à perdre son emploi (Fin CDD par exemple), ne peut pas percevoir une indemnité chômage durant ses études. Même s’il rempli tout les critères de durée/revenu appliqués aux salariés « classiques » : Selon Pole-Emploi un étudiant ne peut pas être à la recherche active d’un emploi puisqu’il est étudiant. Hypocrisie puisqu’il a bel et bien travaillé pour s’ouvrir ses potentiels « droit au chômage » (Bien entendu, son salaire aura quand même été amputé de cotisation chômage…je parle de vécu). Alors oui, pour ce point au moins, un statut de travailleur pour les étudiants résoudrait ce qui me semble une réelle hypocrisie et injustice vis à vis des plus précaires.

    En bref, je trouve bien de réfléchir à de nouveaux droits et devoirs pour les étudiants, mais avant tout rendons ceux existant plus justes!

    Baptiste Ameline

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