La formation professionnalisante et courte : il faut de vrais « rôles modèles » !
Nous avons tous lu récemment des plaidoyers tout à fait intéressants en faveur de la formation professionnalisante et de la formation supérieure courte (CAP, BEP, Bac pro, jusqu’au DUT,licence pro ou Bachelor). Ils ne sont pas nouveaux et reviennent chaque année au moment des choix d’orientation comme les hirondelles au printemps. D’année en année, les arguments sont les mêmes, tout à fait pertinents et solides.
Le problème, c’est qu’ils ne portent pas. Rien ne change ! Certes, le système éducatif doit évoluer, mais avant tout, il a besoin de vrais « rôles modèles », crédibles et attractifs, ce qui n’est pas le cas actuellement.
On peut retenir des discours pro-formations courtes deux thèses majeures :
- La première porte sur les métiers auxquels conduisent les formations diplômantes infra bac, avec l’urgence absolue de les redécouvrir et de les revaloriser. En effet, quoi de plus noble d’être artisan ? Plombier, couvreur, boulanger …. D’autant plus que l’emploi est assuré puisqu’on peine à recruter faute de candidats … Or, la France a besoin de ces métiers pour faire tourner son activité économique. Autre argument souvent avancé : ces formations conduisent à des professions qui demandent un esprit entrepreneurial, en plein dans l’air du temps ! Il s’agit donc de répondre aux réticences que l’on observe, car ces métiers ne font pas rêver les plus jeunes !
- Le second argument développe l’idée, dument validée, que les entreprises ne peuvent recruter uniquement des Bac +5. Il en va comme de l’armée, on ne peut avoir dans un bataillon uniquement des généraux, il faut bien de la hiérarchie intermédiaire ! Toutes les formations visant un diplôme infra bac, bac et jusqu’à Bac +3 se doivent de préparer leurs étudiants à l’insertion professionnelle, quitte à employer des mesures coercitives pour interdire, tant que faire se peut, la fameuse « poursuite d’études ». Le bon sens incarné !
Tout est dit. Et pourtant ça ne fonctionne pas, la poursuite d’études continue à se développer. Pourquoi ?
Il y a trois raisons majeures qui sont autant de freins :
1/ Le poids de l’affectif et de l’irrationnel dans le choix des orientations,
2/ L’effet paradoxal des études courtes,
3/ L’absence de légitimité des porteurs de messages.
- Le poids de l’affectif et de l’irrationnel
Le premier frein, c’est qu’on ne choisit pas sa formation uniquement de façon rationnelle et pour rendre service à la nation. ! Chacun a bien compris que le choix des études engage pour longtemps, et ses véritables ressorts sont : les « tripes », le « tout sauf » et la « délégation par ignorance » devant ce monde hypercodé qu’est la formation.
Que se passe-t-il dans les familles ? Ou dans la tête du jeune homme ou de la jeune fille s’il n’est pas accompagné ? On cherche une formation qui permettra de construire un avenir professionnel le meilleur possible, avec les critères de : statut social, rémunération, stabilité, d’employabilité, et bien sûr d’intérêt. – Je fais une incise sur la question de l’intérêt d’un métier, car elle est fascinante et très mal traitée. En effet, on ne peut évaluer l’intérêt d’un métier que si on le connait, or, la découverte de la palette professionnelle se limite en général à ce qu’on observe dans son cercle familial. Le fameux stage de troisième se déroule en général dans l’entreprise paternelle ou maternelle. La reproduction sociale continue à sévir, malgré les quelques développements qu’a connus l’orientation dans les collèges et les lycées.-
Il faut l’admettre, l’orientation se fait majoritairement « par défaut ». Parce qu’on n’a pas « le niveau », parce qu’on ne connait pas toutes les possibilités, parce qu’on suit les conseils d’un tiers identifié comme expert …
- L’effet paradoxal des études courtes,
J’ai pu observer cet effet paradoxal pendant mes 5 années comme chef du département GEA à l’IUT Lumière Lyon 2 (1995-2000). Déjà en 1993, le projet de cet IUT était d’accueillir des bacheliers voulant s’insérer dans la vie professionnelle à Bac +2, et qui n’étaient pas des « premiers de la classe », mais détenaient des compétences ou des expériences autres que scolaires. La formation était complètement innovante puisque tous les étudiants étaient obligatoirement en alternance (contrats de qualification puis contrats d’apprentissage) lors de la seconde année. Et qui dit apprentissage dit bien sûr projet s’insertion … Malgré toute la volonté de l’équipe pédagogique, les choses se sont très vite inversées. Qu’observait-on ? Les étudiants persuadés de leur envie d’études courtes reprenaient confiance en eux et découvraient de nouvelles modalités de formation grâce à l’alternance. Leur entourage, personnel comme professionnel, les poussaient à continuer vers la licence pro, une école de management, un IUP … Combien de fois ai-je entendu : «Mais, il (ou elle) ne va s’arrêter maintenant, il vaut mieux que cela ! ». J’ai quitté cette magnifique expérience en 2000, mais elle m’a convaincue de l’immense responsabilité que nous avions à interdire la poursuite d’études, comme cela se fait encore.
Bien sûr, on lit que des Bac + 5 réorientent leurs choix professionnels vers des CAP ou des BEP pour se former à des métiers artisanaux, mais, même s’ils sont intéressants et emblématiques, ces choix restent confidentiels, et ont la particularité d’être assumés, et non subis.
- L’absence de légitimité des porteurs de message
Ce qui pose question, c’est l’exemplarité de ceux qui prônent ces études courtes et professionnalisantes. En clair, que font les enfants des chantres des formations professionnalisantes et courtes ? En fait, je le sais … des études longues, des classes préparatoires, des écoles d’ingénieurs ou de management, des doctorats … Pourquoi ? Parce qu’en tant que parents, ils veulent, comme tout le monde, « ce qu’il y a de meilleur » pour leurs enfants ! Et de façon récurrente, les enquêtes montrent que les études longues (le bac +5) garantissent l’employabilité et un meilleur niveau de rémunération.
J’ai en tête une réunion avec des représentants d’une Chambre des Métiers et de l’Artisanat en vue d’un livre blanc portant sur la revalorisation de leurs métiers. Mes interlocuteurs étaient des chefs d’entreprises artisanales et de nombreux secteurs étaient représentés : la coiffure, la zinguerie, la boulangerie, la plomberie … La discussion a porté sur les difficultés à recruter, la crise des vocations, la mauvaise image que le système éducatif donnait de ces métiers etc etc … A quoi servait le Bac + 5 alors que l’avenir souriait à celui qui se destinait à ces formations et ces professions ? La partie ON terminée, nous avons entamé le OFF et, je leur ai demandé ce que faisaient leurs propres enfants : pas UN ne leur avait recommandé cette voie et ils étaient fiers de les avoir vu s’engager qui dans une école de commerce, qui vers un Master …
Je n’hésite pas à dire que nous sommes en plein clivage entre notre rôle de père ou de mère et celui de chefs d’entreprise ou d’experts en éducation, qui s’opposent complètement.
Einstein disait que « faire toujours la même chose en espérant des résultats différents était de la folie » … ou de l’imposture. On ne peut continuer à chanter les louanges de la formation professionnalisante et courte sur la scène, quand, en coulisses, on ouvre l’accès aux escaliers (ou aux ascenseurs) pour sa propre progéniture vers les cieux de la formation la « plus longue possible ».
Pour revaloriser les études courtes, et la formation professionnalisante, pour dissuader de la « poursuite d’études », s’il faut faire évoluer le système, il faut surtout des « rôles modèles », des personnes qui incarnent ces choix au plus haut niveau.