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 Les étranges tribulations d’un billet sur les réseaux sociaux

Les étranges tribulations d’un billet sur les réseaux sociaux …. ou l’apprentissage par l’exemple

 

J’ai le sentiment en écrivant ces lignes que de nombreux lecteurs vont estimer que j’enfonce des portes ouvertes, que d’autres vont dire rapidement « mais ce sont des erreurs grossières » ou : « je ne me serais jamais trouvé dans cette situation » …

Donc, pour ceux et celles qui sont des pros des réseaux sociaux et qui en connaissent tous les tours et les détours : passez votre route ! Vous allez perdre votre précieux temps.

Pour les autres, qui souhaitent se lancer dans le partage d’idées ou d’expériences sur le Web, par l’intermédiaire de blogs, Linkedin, Tweeter ou autre, je vous propose de partager une expérience récente qui relève de l’ « apprentissage par l’erreur ».

Pour cela, il faut littéralement « autopsier » le phénomène, une fois qu’il est bien refroidi, pour comprendre ce qui s’est passé, et chercher à en tirer quelques enseignements.

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La chronologie des faits

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Je dresse un rapide exposé des événements qui constituent l’objet de cette analyse.

Le 2 Août 2017, un article parait dans le Canard Enchainé à propos de la responsable de communication de la campagne d’Emmanuel Macron, Sibeth Ndiaye. Dans cet article, le journaliste fait allusion à un texto qu’aurait (le conditionnel est essentiel) envoyé Sibeth Ndiaye à un de ses collègues journalistes. A la demande de confirmation de la mort de Simone Veil (personnellement, je trouve la démarche étonnante, mais bon …). Sibeth Ndiaye aurait répondu par un texto pour le moins lapidaire : « Yes, la meuf est dead ! ». Dans les heures qui suivent, la polémique enfle autour de ce texto (réel ou pas ?). Je lis plusieurs commentaires et analyses. Il y a ceux qui condamnent sans se poser la question de la confirmation de l’existence de ce sms, et ceux qui cherchent à calmer le jeu en expliquant le caractère confidentiel de l’échange … L’unanimité se fait sur le manque d’élégance des propos concernant une personne que tout le monde respecte et qui est une grande figure française au parcours exceptionnel, mais, à ma connaissance, personne n’a vraiment vu le texto qui est démenti par sa présumée auteure.

Deux jours après, je me dis que ce qui s’est passé est intéressant d’un point de vue « vie au travail » ou plus largement relationnel. En effet, ce texto qui fait scandale me rappelle des crises que j’ai pu connaitre suite à des mails ou des textos mal rédigés, mal compris, ou partis trop vite sous le coup de la colère ou d’un verre de trop ….

Mon objectif : rappeler les dégâts que peuvent faire ces nouveaux moyens de communication que je qualifie de « oraux-écrits », c’est-à-dire qu’on manie comme s’ils étaient de l’oral, en oubliant que le décalage dans le temps et dans les contextes entre émission et réception peuvent être dévastateurs. J’identifie dans ce billet six situations avec les risques qu’elles peuvent engendrer, illustrées par six cas de catastrophes vécues ou observées.

L’article complet peut être lu à ce lien : http://www.liberation.fr/debats/2017/08/04/textos-attention-aux-auto-gaffes_1588115

J’envoie le texte à Libération Idées car je me dis que cela peut les intéresser, et en effet une heure après l’envoi, je recueille leur intérêt pour ce billet, qui est mis en ligne quelques heures après, soit le 4 août midi.

Et là, je vois mon fil tweeter s’affoler avec des commentaires agressifs voire menaçants, avec des dérives complètes dans l’interprétation, qui vont jusqu’à forger une « théorie du complot » mettant en cause et dans le même sac le support (Libération), l’auteur (moi), la présumée coupable (Sibeth Ndiaye)… les migrants, les Juifs, les noirs, les journalistes etc etc …

Je m’empresse de dire qu’il y avait aussi pas mal de « like » et de « retweets », et que le billet partagé sur Linkedin a été bien reçu avec des commentaires positifs, montrant que sur ce réseau, les lecteurs avaient bien compris le sens du billet (qu’ils soient d’accord ou pas), à savoir inciter à une réflexion sur la façon dont nous communiquons et à la tolérance dans les cas de dérapages.

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La plongée dans le côté sombre du web (1),quelques éléments d’explication

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Plus que d’une plongée, il s’agit davantage d’une « trempette » du côté sombre du web, car je ne veux pas non plus exagérer le phénomène, mais cela ne lui enlève pas sa valeur d’exemple.

J’ai commis plusieurs erreurs :

Sur le fond :

  • J’ai sous estimé la dimension politique du sujet, en le prenant « toute chose égale par ailleurs », et en ignorant le contexte de « Macron bashing» qui s’est développé pendant l’été,
  • J’ai aussi largement sous estimé la dimension sexiste et raciste de la situation : je rappelle que Sibeth Ndiaye est une jeune femme noire, d’origine africaine.

Sur la forme

  • J’ai choisi un titre qui m’est venue spontanément, sans en peser la « charge émotionnelle », puisque j’ai intitulé ce billet « Yes, nous sommes tous des Sibeth Ndiaye ! ».

Je n’ai pas évalué la proximité avec les « Je suis », « Je suis Charlie », « Je suis Paris », « Je suis Nice » … tellement entrés dans la conscience collective, et liés à des drames nationaux.

 

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La dramaturgie en cinq actes

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Un retour en arrière montre qu’il y a cinq stades, que j’illustre avec quelques tweets emblématiques.

1/ La mise en cause du billet, à partir du titre (Yes, nous sommes tous des Sibeth Nadiaye !):

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2/ La mise en cause des protagonistes :

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3/ La dérive avec élargissement de la polémique à d’autres sujets :

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4/ Les « débats » croisés entre « tweeters » :
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5/ La théorie du complot : comment le media m’a instrumentalisée pour se faire bien voir par Macron …

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L’analyse et les enseignements à partager

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1/ Dans un billet 90% est dans le titre : il accroche et il résume même ce qu’il ne veut pas dire, et sur tweeter, de nombreux adeptes se contentent de cela. Le dosage entre le désir d’accroche et risque de mésinterprétation est donc délicat ! La preuve en est que Libération a changé le titre au bout de 24 heures (2), et que le billet qui était numéro 4 dans le top 100 des idées de Libé a rapidement dégringolé dans le « hit parade ».

2/ Le support n’est pas neutre : Libération n’est pas Linkedin qui n’est pas Tweeter … Les mêmes idées écrites de la même façon ne touchent pas les mêmes personnes, un truisme …mais c’est la preuve par l’exemple.

3/ Le tempo est essentiel : la décontextualisation n’est pas toujours possible « à chaud », il vaut mieux attendre que la polémique refroidisse si on veut justement ne pas y être mêlé. Sinon, elle vous embarque sans tenir compte de vos précautions (ce qui était le cas dans mon billet).

 

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Une conclusion ironique :  

une parfaite illustration de mon billet

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 En fait, l’ironie est que toute cette polémique est une parfaite illustration de mon billet : on écrit comme on pense, on profite de son anonymat pour déverser sa haine, on comprend les choses à moitié, on se trompe de sujet (voir ci-dessous) etc etc ….

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Bref, beaucoup de bruit pour rien, comme disait le grand Shakespeare, mais une bonne leçon de choses, avec ces étranges tribulations d’un billet sur les réseaux sociaux …

Si vous avez aimé ce billet, partagez- le ! 🙂

(1) Pas le Dark-Web, il s’agit de bien autre chose !

(2) Le : « Yes, nous sommes tous des Sibeth Ndyaye ! », est devenu : « Textos, attention aux auto-gaffes ».

La formation professionnalisante et courte : il faut de vrais « rôles modèles » !

Nous avons tous lu récemment des plaidoyers tout à fait intéressants en faveur de la formation professionnalisante et de la formation supérieure courte (CAP, BEP, Bac pro, jusqu’au DUT,licence pro ou Bachelor). Ils ne sont pas nouveaux et reviennent chaque année au moment des choix d’orientation comme les hirondelles au printemps. D’année en année, les arguments sont les mêmes, tout à fait pertinents et solides.

Le problème, c’est qu’ils ne portent pas. Rien ne change ! Certes, le système éducatif doit évoluer, mais avant tout, il a besoin de vrais « rôles modèles », crédibles et attractifs, ce qui n’est pas le cas actuellement.

 

On peut retenir des discours pro-formations courtes deux thèses majeures :

  • La première porte sur les métiers auxquels conduisent les formations diplômantes infra bac, avec l’urgence absolue de les redécouvrir et de les revaloriser. En effet, quoi de plus noble d’être artisan ? Plombier, couvreur, boulanger …. D’autant plus que l’emploi est assuré puisqu’on peine à recruter faute de candidats … Or, la France a besoin de ces métiers pour faire tourner son activité économique. Autre argument souvent avancé : ces formations conduisent à des professions qui demandent un esprit entrepreneurial, en plein dans l’air du temps ! Il s’agit donc de répondre aux réticences que l’on observe, car ces métiers ne font pas rêver les plus jeunes !

 

  • Le second argument développe l’idée, dument validée, que les entreprises ne peuvent recruter uniquement des Bac +5. Il en va comme de l’armée, on ne peut avoir dans un bataillon uniquement des généraux, il faut bien de la hiérarchie intermédiaire ! Toutes les formations visant un diplôme infra bac, bac et jusqu’à Bac +3 se doivent de préparer leurs étudiants à l’insertion professionnelle, quitte à employer des mesures coercitives pour interdire, tant que faire se peut, la fameuse « poursuite d’études ». Le bon sens incarné !

 

Tout est dit. Et pourtant ça ne fonctionne pas, la poursuite d’études continue à se développer. Pourquoi ?

Il y a trois raisons majeures qui sont autant de freins :

1/ Le poids de l’affectif et de l’irrationnel dans le choix des orientations,

2/ L’effet paradoxal des études courtes,

3/ L’absence de légitimité des porteurs de messages.

 

  • Le poids de l’affectif et de l’irrationnel

Le premier frein, c’est qu’on ne choisit pas sa formation uniquement de façon rationnelle et pour rendre service à la nation. ! Chacun a bien compris que le choix des études engage pour longtemps, et ses véritables ressorts sont : les « tripes », le « tout sauf » et la « délégation par ignorance » devant ce monde hypercodé qu’est la formation.

Que se passe-t-il dans les familles ? Ou dans la tête du jeune homme ou de la jeune fille s’il n’est pas accompagné ? On cherche une formation qui permettra de construire un avenir professionnel le meilleur possible, avec les critères de : statut social, rémunération, stabilité, d’employabilité, et bien sûr d’intérêt. – Je fais une incise sur la question de l’intérêt d’un métier, car elle est fascinante et très mal traitée. En effet, on ne peut évaluer l’intérêt d’un métier que si on le connait, or, la découverte de la palette professionnelle se limite en général à ce qu’on observe dans son cercle familial. Le fameux stage de troisième se déroule en général dans l’entreprise paternelle ou maternelle. La reproduction sociale continue à sévir, malgré les quelques développements qu’a connus l’orientation dans les collèges et les lycées.-

Il faut l’admettre, l’orientation se fait majoritairement « par défaut ». Parce qu’on n’a pas « le niveau », parce qu’on ne connait pas toutes les possibilités, parce qu’on suit les conseils d’un tiers identifié comme expert …

 

  • L’effet paradoxal des études courtes,

J’ai pu observer cet effet paradoxal pendant mes 5 années comme chef du département GEA à l’IUT Lumière Lyon 2 (1995-2000). Déjà en 1993, le projet de cet IUT était d’accueillir des bacheliers voulant s’insérer dans la vie professionnelle à Bac +2, et qui n’étaient pas des « premiers de la classe », mais détenaient des compétences ou des expériences autres que scolaires. La formation était complètement innovante puisque tous les étudiants étaient obligatoirement en alternance (contrats de qualification puis contrats d’apprentissage) lors de la seconde année. Et qui dit apprentissage dit bien sûr projet s’insertion … Malgré toute la volonté de l’équipe pédagogique, les choses se sont très vite inversées. Qu’observait-on ? Les étudiants persuadés de leur envie d’études courtes reprenaient confiance en eux et découvraient de nouvelles modalités de formation grâce à l’alternance. Leur entourage, personnel comme professionnel, les poussaient à continuer vers la licence pro, une école de management, un IUP … Combien de fois ai-je entendu : «Mais, il (ou elle) ne va s’arrêter maintenant, il vaut mieux que cela ! ». J’ai quitté cette magnifique expérience en 2000, mais elle m’a convaincue de l’immense responsabilité que nous avions à interdire la poursuite d’études, comme cela se fait encore.

Bien sûr, on lit que des Bac + 5 réorientent leurs choix professionnels vers des CAP ou des BEP pour se former à des métiers artisanaux, mais, même s’ils sont intéressants et emblématiques, ces choix restent confidentiels, et ont la particularité d’être assumés, et non subis.

 

  • L’absence de légitimité des porteurs de message

Ce qui pose question, c’est l’exemplarité de ceux qui prônent ces études courtes et professionnalisantes. En clair, que font les enfants des chantres des formations professionnalisantes et courtes ? En fait, je le sais … des études longues, des classes préparatoires, des écoles d’ingénieurs ou de management, des doctorats … Pourquoi ? Parce qu’en tant que parents, ils veulent, comme tout le monde, « ce qu’il y a de meilleur » pour leurs enfants ! Et de façon récurrente, les enquêtes montrent que les études longues (le bac +5) garantissent l’employabilité et un meilleur niveau de rémunération.

J’ai en tête une réunion avec des représentants d’une Chambre des Métiers et de l’Artisanat en vue d’un livre blanc portant sur la revalorisation de leurs métiers. Mes interlocuteurs étaient des chefs d’entreprises artisanales et de nombreux secteurs étaient représentés : la coiffure, la zinguerie, la boulangerie, la plomberie … La discussion a porté sur les difficultés à recruter, la crise des vocations, la mauvaise image que le système éducatif donnait de ces métiers etc etc … A quoi servait le Bac + 5 alors que l’avenir souriait à celui qui se destinait à ces formations et ces professions ? La partie ON terminée, nous avons entamé le OFF et, je leur ai demandé ce que faisaient leurs propres enfants : pas UN ne leur avait recommandé cette voie et ils étaient fiers de les avoir vu s’engager qui dans une école de commerce, qui vers un Master …

Je n’hésite pas à dire que nous sommes en plein clivage entre notre rôle de père ou de mère et celui de chefs d’entreprise ou d’experts en éducation, qui s’opposent complètement.

 

Einstein disait que « faire toujours la même chose en espérant des résultats différents était de la folie » … ou de l’imposture. On ne peut continuer à chanter les louanges de la formation professionnalisante et courte sur la scène, quand, en coulisses, on ouvre l’accès aux escaliers (ou aux ascenseurs) pour sa propre progéniture vers les cieux de la formation la « plus longue possible ».

Pour revaloriser les études courtes, et la formation professionnalisante, pour dissuader de la « poursuite  d’études », s’il faut faire évoluer le système, il faut surtout des « rôles modèles », des personnes qui incarnent ces choix au plus haut niveau.