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« J’ai fait un rêve » : Un monde où chacun avait un Bac + 5

J’ai fait un rêve étrange…

Il y a quelques jours, j’ai fait un rêve étrange. Comme souvent, je n’en ai que des réminiscences qui présentent de nombreuses lacunes, et comme tous les rêves, il est plein d’incohérences et d’irrationalité.

Ce rêve se passait en France, j’en suis certaine, et à une époque que je situerais vers 2025, mais c’était peut-être un peu avant ou après, c’est compliqué à affirmer.

J’évoluais donc dans une société où tout le monde, absolument tout le monde était diplômé bac + 5.  J’assistais à une réunion de crise, plus qu’une réunion, un colloque, un sommet, qui se déroulait au Parlement européen de Strasbourg, car le sujet semblait s’étendre au-delà de nos frontières.

L’assemblée était constituée essentiellement de chefs d’entreprises, d’universitaires et d’autres experts qui se demandaient comment gérer un marché de l’emploi où tous les candidats faisaient valoir invariablement un diplôme bac + 5, qui s’appelait « Master ».

Comment en étions nous arrivés là ?

Les chefs d’entreprises et autres consultants en recrutement étaient d’accord sur un point : le monde universitaire avait failli dans sa tâche en laissant se créer une telle dérive qui défiait le plus simple bon sens. Comment croire que toutes les compétences se valaient ?

Ce à quoi quelques universitaires répondaient que non seulement, ils s’étaient «battus pour éviter cette situation » mais qu’ils avaient « prédit avec des études projectives cette nouvelle donne avec beaucoup de précision et d’anticipation ». Finalement, tout le monde se mit d’accord pour rendre les politiques de l’époque responsables, mais comme ils n’étaient pas présents et, pour beaucoup, plus au pouvoir, les discussions s’enlisèrent.

A un moment, il me semble qu’on s’interrogea sur le process « Tous bac + 5 », mais j’avoue en garder un souvenir incertain, une superposition de plusieurs images. La première est celle d’une université où les enseignants en toges se promenaient dans les jardins et les couloirs, tout sourires, l’air léger, heureux de ne plus avoir à gérer d’examens, concevoir de sujets de contrôles, corriger des centaines de copies ou subir des sessions d’oraux de rattrapage. Délivrés qu’ils étaient d’avoir à organiser la validation de connaissances puisque le passage à l’année supérieure était acquis.

Une durée d’études personnalisée

Une autre image, tout aussi confuse et irréaliste se superpose. Celle d’une université où chaque bachelier est accueilli et orienté sur la base de ses connaissances et de son projet, puis accompagné pendant cinq ans dans la progression de ses acquisitions, avec une équipe multidisciplinaire d’enseignants, mais aussi de professionnels et de coachs. Chaque étudiant peut mobiliser des outils de formation qui vont de la classe, lieu de socialisation, au MOOC, SPOC, tutorats individuels, assistance en ligne 24h/24 et bien sûr toute la palette de la professionnalisation avec des séjours en entreprise à la carte. Dans cet univers, la notion de Bac + 5 ne renvoie plus à une durée d’études, qui n’a plus aucun sens, mais à un niveau de connaissance qu’on acquiert sur une durée personnalisée. Certains ont leur master au bout de 2 ans, d’autres au bout de 5 ou 7 ans.

Par honnêteté, je dois préciser que je ne me souviens pas d’avoir vu les locaux d’une université ou école de ma connaissance, mais que les bâtiments et les lieux dont j’ai le souvenir étaient beaux, ergonomiques, propres et accueillants.

Dans un monde où tout est bleu, le bleu n’existe plus

A un moment du colloque, un grand universitaire cita la phrase célèbre de Benjamin Lee Whorf  : « Dans un monde où tout est bleu, le bleu n’existe plus », pour illustrer le fait que tous les diplômes étant Bac + 5 de façon uniforme, la notion de diplôme n’avait plus de sens pour les recruteurs.

Cette phrase eut beaucoup de résonance et tout le monde y alla de son interpellation : « Une entreprise a besoin de soldats, pas que de généraux ! », « Comment recrute-t-on si tous les CV sont les mêmes ? », « Y a-t-il des masters plus égaux que d’autres ? », « Toutes nos grilles de salaires sont basées sur le niveau de diplômes, on fait comment ? », « Notre convention collective a comme base le niveau de formation, on peut la remettre en question ?»  ….

Les questions fusaient et je ne saurais toutes les rapporter, mais l’ambiance était électrique.

Des masters « rouges » et des masters « bleus »

Lors d’un colloque précédent, il avait été décidé et validé par les instances politiques qu’il fallait classer les masters en rouge et bleu. Les rouges étaient ceux avec lesquels il ne fallait pas transiger et pour lesquels la sélection était non seulement possible mais salutaire. Cela concernait tous les masters ou équivalent en médecine, en informatique, en physique, en biologie …

La liste avait l’air fort longue mais je compris quand un intervenant résuma les choses lapidairement. Il y avait depuis la nuit des temps les disciplines «dures » et les sciences « molles ». Le bleu concernait les sciences « molles ». « D’ailleurs, rappela-t-il savamment, quand les vraies remises en cause commencèrent au milieu de la décennie 10, les contestations ne concernaient aucunement la médecine ou la physique nucléaire, mais bien le droit, l’économie, la gestion ou les sciences humaines … Dont acte ! ».

La journée portait donc bien sur les « masters mous », et la question centrale était de distinguer leur qualité, c’est-à-dire la façon dont, en tant que diplômes, ils garantissaient un passeport de compétences de qualité pour les futurs employeurs.

Qu’est ce qui certifiait le niveau du « séjour » (apparemment le mot « étude » ou « cursus » était banni) universitaire ? Et des acquis alors que tout le monde pouvait faire valoir un, deux, trois masters ou plus ? Sans ces repères si anciens, le monde du travail se retrouvait en grande difficulté.

Comment sortir de l’océan bleu ?

La première suggestion porta sur les nuances de couleurs : on pouvait peut être imaginer des masters bleus clairs et des masters bleus foncés ? Les idées fusèrent : bleu indigo, bleu outremer, bleu France ??? Quelqu’un proposa même le master violet, arguant du mélange bleu et rouge !

Finalement la décision fut prise d’organiser une journée d’échanges sur ce thème et d’inviter des artistes peintres à clarifier cette question de hiérarchie des couleurs.

Un autre atelier portait sur des témoignages d’entreprises à propos d’actions mises en place pour y voir plus clair dans ce maquis du master. Je me souviens d’un « tour d’Europe » des masters, qui reprenait le tour de France des Compagnons du devoir : les diplômés allaient d’entreprise en entreprise, de pays en pays (32 pays européens à ce moment-là) pour tester leurs compétences en action. Mais cela semblait bien long et bien cher à tous, avec beaucoup d’abandons.

Un troisième atelier suggéra de faire des classements des universités ou des écoles accueillant les masters, comme il y en avait dans les années 1990 à 2015. Mais ce fut vite un tollé : outre le fait que ces classements avaient été largement remis en cause, on rappela que deux journalistes avaient récemment été hués par une foule de bloggeurs en colère, car ils avaient osé remettre en cause le master journalisme en postant une vidéo titrée : « Le master journalisme offert aux bloggeurs au bout de 5 tweets ? »

Du rêve au cauchemar

Soudain, ce rêve étrange se transforma en cauchemar : un universitaire émérite, ancien président de COMUE dans les années 10 avait mis le feu à sa robe universitaire en pleine estrade et ainsi brûlé une partie de sa chevelure… Pourquoi ? Parce qu’un groupe de pression manifestait pour l’accès sans sélection au doctorat. Visiblement, seuls 76,67 % des masters pouvaient devenir docteurs, ce qui était une honte et une vraie discrimination ! « Tous docteurs ! » criait la foule en colère, indifférente aux cris de douleurs (morales) de cet honorable universitaire !

Mon voisin souffla : « Est-ce qu’il aurait mieux maîtrisé son geste avec un Master d’incenditologie ? » Mention nouvellement créée en 1599ème section dite de «maîtrise des gestes du feu », si j’ai bien compris.

Projet d’émission « Master survival »

Vers la fin il me semble, mon rêve accéléra pour devenir plus confus encore.

Un groupe d’experts travaillait à une émission omnicanal type Master Chef, avec un jury qui déciderait de la qualité des masters d’une université ou d’une école en fonction de la réussite d’un de leur champion. On avait bien eu The Voice, Star Ac, Le meilleur pâtissier… pourquoi pas Master Survival ? Ou Cauchemar en Master ? Ou Le dernier des Masters ?

Les noms de Laurence Boccolini, ou de Cyril Hanouna furent prononcés pour le jury, d’autant que ce dernier cumulait maintenant trois masters dont le tout dernier en rigologie. L’idée que le public soit le juge ultime plaisait beaucoup. C’est ma dernière image de cet atelier.

Plus j’avançais dans la foule, plus les idées étaient folles : un chef d’entreprise exigeait le certificat d’études, l’autre faisait faire les thèmes astraux des candidats, le troisième avait créé sa propre école de masters maison… Back to the future !

Une botte secrète

Dans les ultimes instants de ce rêve, j’assistai à un échange entre deux responsables Ressources humaines. L’un disait à l’autre : « J’ai ma botte secrète,  mais j’évite d’en parler… », « Laquelle ? », demandait son interlocuteur, piqué au vif. « C’est la HDR (habilitation à diriger des recherches), le diplôme à bac +12, encore après le doctorat. Je ne recrute plus que ça : pas trop jeunes, un peu trop intellos… mais je leur fais faire du macramé ou du Mako moulage pour les ramener un peu sur terre. Et même avec ça, j’ai 2 ou 3 ans d’avance, pas plus… par les temps qui courent », souffla-t-il.

« – Vous me laissez votre carte de visite numérique ?

– Volontiers, je vous l’envoie par wetransfer ? Elle dépasse les 12 giga-octets depuis mon dernier diplôme »

Je me réveillai.

Décidément, un rêve bien étrange…