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5+1 pistes pour améliorer le service rendu aux étudiants en France

Comment améliorer l’enseignement supérieur en France?  C’est la question à laquelle je vous propose de réfléchir en analysant notre enseignement supérieur comme une activité de service. J’ai en effet déjà évoqué la question de la faillite du service en France, – explicable par une culture de la stratification sociale et du statut qui assimile facilement le service à la servitude- et celle du service attendu par l’étudiant.

Je retiens cinq pistes pour avancer dans cette réflexion. Des pistes car il n’y aura pas de « grand soir » de cette rénovation de l’enseignement supérieur. Comme le disait Michel Crozier, On ne change pas la société par décret.

1) L’enseignement cross canal: un nouvel équilibre

La relation cross canal – qui intrique le présentiel en cours et le virtuel via les réseaux sociaux, les applications smartphones ou les sites de ressources- , fonde de nouveaux équilibres entre enseignants et étudiants, comme elle a fait basculer le pouvoir du prestataire vers le client dans de nombreux domaines. Ainsi, le client arrive souvent au point de vente beaucoup mieux informé que son vendeur des promotions du jour, de la qualité des produits, des prix pratiqués dans d’autres magasins, ou par d’autres enseignes (1). N’a-t-on pas parfois le même sentiment quand des étudiants se sont informés du thème traité en cours (ou le font sur place) ?

Interdire les ordinateurs ou les connexions wifi en salle de classe relève d’un combat d’arrière-garde. Il faut apprendre à faire avec, et former les enseignants à pouvoir affronter ces nouvelles exigences, ces nouvelles attitudes des étudiants. Pour cela, il faut :

  •  que les enseignants aient les mêmes ressources et compétences informatiques à leur disposition, ce qui est loin d’être encore le cas ;
  • et qu’ils aient compris le rôle qu’ils pouvaient jouer en salle de cours, non plus un rôle d’enseignement classique, mais celui d’écoute, de reformulation, de conseil.

Les salles de cours ont encore de très beaux jours devant elles, à condition que les enseignants sachent renouveler leurs discours et la relation avec leurs étudiants. C’est dans ces contacts qu’on nomme aussi « moments de vérité » en marketing des services, que va se jouer la différence d’un cours à l’autre. C’est cette relation minuscule mais incarnée qui permet d’être distinctif dans son enseignement.

Certains ont bien avancé sur le sujet, mettant l’accent sur le conseil, la démonstration, la socialisation, toutes stratégies qui apportent de la valeur au présentiel. Internet devient l’instrument du trafic dans les écoles et même dans l’Université, surtout pour nos étudiants internationaux. Encore faut-il bien accueillir ces étudiants et être à la hauteur des promesses faites sur la toile.

 2) La gestion des incivilités

La montée en puissance des incivilités dans la société ne fait que croitre face à des entreprises ou des institutions qui ont du mal à la contenir. L’enseignement supérieur, pour le moment moins soumis au problème que les écoles, collèges ou lycées, est néanmoins souvent désarmé pour remédier à la situation. Je pense aux comportements qui  parasitent les cours : conversations, textos, lecture ostensible de journaux, prise de nourriture, retards, déplacements, utilisation de l’ordinateur portable pour un usage sans rapport avec l’enseignement …

Or les enseignants et les personnels administratifs ne sont pas formés à affronter des comportements incivils, et peuvent développer des pathologies professionnelles de souffrance assimilées aux risques psycho-sociaux. Cette souffrance peut se retourner contre la personne (ce qui se traduit par des arrêts maladies pour des causes diverses), mais aussi contre l’ensemble de la communauté des étudiants, qui pourra être, à son tour, et sans discernement, maltraitée.

Les études montrent que ce n’est pas forcément l’intensité de l’incivilité mais plutôt sa fréquence qui augmente la criticité de ces situations. L’enseignant est donc amené à gérer ces comportements déviants pour éviter la dégradation « perçue » de son cours. C’est par la formation seulement que peut se construire la capacité à réagir à de telles situations. Ce sont autant de thèmes que nous traitons sous forme d’ateliers de qualité pédagogique à l’EM Strasbourg.

3) Le dilemme du « bon prof »

Une autre problématique s’impose, c’est celle du conflit entre l’identité professionnelle de l’enseignant et ce que les étudiants attendent de lui. En effet, les politiques d’évaluation des cours ont donné les clés à l’étudiant, trop souvent sans conditions de réciprocité. La qualité de l’enseignement est livrée à son jugement avec les enquêtes d’évaluation qui, souvent mal construites, visent plus l’enseignant que le contenu de son cours. Tout cela alimente le malaise de l’enseignant qui se sent attendu sur des qualités qui ne sont pas celles qu’il a identifiées comme son cœur de métier : amabilité, anticipation, adaptabilité, animation…

Les choses se compliquent quand on observe que la satisfaction des étudiants est plus forte avec des enseignants qui se sentent eux-mêmes en porte-à-faux avec la façon dont ils voyaient leur métier. « Faire du show », « de l’entertainment » en cours, paie auprès des étudiants, mais n’est pas facile à assumer. La solution retenue à l’EM Strasbourg est de mettre en place des formations à l’apprentissage afin d’« éduquer » les étudiants à apprendre.

4) La tension entre normalisation et individualisation

Le grand dilemme des institutions d’enseignement supérieur est de réussir à articuler une stratégie « production line » c’est-à-dire préserver de la qualité à tout moment et partout de façon homogène, et une stratégie d’empowerment, à savoir de formation et de développement personnalisé edes personnels et des étudiants (2). Les tensions sont fortes entre la normalisation des enseignements d’une part et l’attente des étudiants pour des enseignements adaptés à leurs besoins de la façon la plus individualisée possible d’autre part. Elle est également forte entre cette normalisation et l’injonction faite aux enseignants d’être créatifs et innovants. On frôle bien souvent le double discours auprès des étudiants et la double contrainte pour les enseignants.

Par ailleurs, les systèmes d’accréditation venant du monde anglo-saxon font que la qualité n’existe plus sans être mesurée, alors que des pays comme la France travaillaient avec d’autres conceptions pédagogiques fondées sur le « trend » et l’intention. Il y a une réflexion à mener sur cette globalisation uniformisante de l’enseignement supérieur, qu’accentue encore le phénomène des MOOC.

Il est évidemment beaucoup plus difficile de jouer l’équilibre délicat entre qualité pour tous et individualisation de la relation quand les effectifs sont importants. Une promotion de 500, 600, 1 000 étudiants condamne au mieux à faire de la qualité normalisée et écarte toute possibilité de faire du « sur mesure » comme sont en droit de l’attendre les étudiants.

Je suis toujours étonnée de voir que, dans toutes les enquêtes, la première attente des salariés est la reconnaissance, pourquoi nos étudiants, à quelques mois du monde du travail seraient-ils exclus de cette revendication ?

5) Penser la globalité du service à l’étudiant

La salle de cours et l’enseignement sont bien sûr le cœur du « service » enseignement mais ne constituent que le minimum attendu. Les services périphériques comme l’insertion professionnelle, l’internationalisation des cursus ou la vie associative vont entrer dans le périmètre d’exigence des étudiants. Ce sont alors toutes les équipes administratives qui entrent en jeu avec les mêmes enjeux de qualité, d’assistance, de service auprès d’étudiants qui peuvent se montrer de plus en plus exigeants et revendicatifs. C’est donc avec ces collaborateurs que se construit le « service à l’étudiant », sans l’assimiler à la servitude telle que nous l’avions décrite.

Il faut aussi penser « service élargi » en prenant en compte le logement, le transport, tout ce qui fera la vie quotidienne de l’étudiant, et là, ce sont les parties prenantes de l’institution d’enseignement (école ou université) comme la ville, la communauté urbaine, la région, les associations, les entreprises, qui jouent un rôle essentiel.

Il faut aimer ses étudiants !

En guise de conclusion, je rappellerai un basique de la relation de service : l’importance d’aimer celui ou celle à qui on s’adresse. Je pose cette question simple : « Les institutions d’enseignement supérieur aiment-elles leurs étudiants ? »

Et ensuite, je reprendrai cette phrase de Freud : « Comment puis-je aimer les autres si je ne m’aime pas moi-même ? ». S’il est essentiel dans toute relation de service d’aimer celui auquel on s’adresse, une relation de qualité ne peut se nouer sans s’aimer soi-même. Les enseignants et les personnels de l’enseignement supérieur doivent avoir une estime de soi suffisante pour aimer leurs étudiants. Travailler sur les 5 axes de mon analyse permettrait certainement de répondre plus positivement à ce double questionnement.

 (1) « La déviance du client : un phénomène en émergence », Barth, I. et Bobot, L., Humanisme et Entreprise, Janvier 2012.
(2) Empowerment : processus par lequel un individu ou un groupe acquiert les moyens de renforcer sa capacité d’action, de s’émanciper.

Osons parler du service proposé aux étudiants en France

Immatériel, non stockable, se consommant quand il se produit, et évaluable uniquement lorsque la prestation est terminée, l’enseignement entre dans la catégorie des services. Toute l’analyse critique que j’ai pu faire du service en France peut (et doit) donc s’appliquer à l’enseignement supérieur.

Les structures  (bâtiment, matériel mis à disposition) et les personnes, particulièrement les personnes « au contact » dont j’ai déjà parlé, permettent d’évaluer a priori la qualité du service et donc de la formation que l’étudiant recherche. Elles vont permettre de tenir la promesse faite et donc d’éviter toute déception.

A l’heure où des indicateurs quantitatifs permettent d’établir des classements d’établissements, je vous propose de nous extraire de l’évaluation de la formation en tant que telle et de nous concentrer sur les « périphériques », c’est-à-dire les services qui entourent les cours proposés. Ils  sont loin d’être anecdotiques car ils conditionnent toute la chaîne de la valeur d’un établissement. Et en la matière le diable se cache dans les détails.

Que vous soyez professeur, personnel administratif, étudiant ou parents d’étudiant  je vous propose quelques pistes de réflexion en forme de « quizz ».

Les différents niveaux de service

L’information

Quelle est la qualité du site institutionnel ? Comment se passe l’accueil présentiel ? L’étudiant se sent-il le bienvenu et pris par la main pour avancer dans sa prise d’information ? Ou bien se retrouve-t-il dans un maquis d’information, avec le sentiment d’un monde hyper-complexe dont on ne veut pas lui donner les codes ?

L’inscription

La procédure est-elle simple, bien accompagnée, bénéficiant d’une assistance en cas de problème ? Ou faut-il avoir son doctorat en sciences de l’information pour suivre les méandres des processus d’inscription, tant les documents exigés et la multiplicité des étapes sont nombreux et impliquent de ne compter que sur la débrouille et l’entraide entre pairs ?

L’accueil

L’information touchant à l’organisation logistique (planning, locaux) est-elle anticipée et lisible ? Les moyens offerts par Internet sont-ils utilisés pour que chaque étudiant soit informé en temps et en heure de ce qui le concerne ? Ou bien le bon vieux tableau d’affichage reste-t-il  le recours ultime pour apprendre que le cours a été déplacé ou annulé ?

La vie dans l’établissement

La qualité des salles de cours, mais aussi des locaux communs, des lieux de restauration, des toilettes est-elle impeccable ? Ou est-elle alignée sur le tarif payé pour la formation, c’est-à-dire que seuls les « VIC » (« Very Important Customers ») peuvent espérer avoir des prestations correctes ?

L’accès à la documentation est-il possible 24h/24 avec des plages nocturnes ? Ou est-il conditionné par les horaires des personnels trop rares qu’on peut encore financer sur des budgets de plus en plus limités ?

Les cours et les services support

Les  professeurs déclinent-il leur identité, proposent-ils un numéro ou un mail de contact ? Sont-ils à l’écoute des attentes et des critiques le cas échéant ? Annoncent-ils les modalités d’évaluation dès la première séance ? Proposent-ils un accès à leurs supports et à des ressources complémentaires ? Ou bien se limitent-ils à la prestation de cours présentiel ?

Enfin, comment les services supports (scolarités, relations internationales, stages) accueillent-ils les étudiants ? Quels sont leurs horaires d’ouverture ? Leur délai de réponse ?

Obtenir la moyenne

Pour avoir fréquenté beaucoup d’établissements d’enseignement supérieur, admettons que peu atteindraient la moyenne sur l’ensemble de ces éléments constitutifs de la qualité de la prestation pour les étudiants. On me rétorquera que l’important est que les cours soient de bon niveau, mais si cette condition est évidemment nécessaire elle ne peut être suffisante.

Il est important de se dire que l’enseignement est un service qui, pour être de qualité et attractif pour les étudiants, notamment étrangers, doit savoir travailler sur l’ensemble de ces points. La gratuité ou les faibles niveaux de la scolarité ne peuvent justifier une propreté douteuse, du matériel hors d’âge, des systèmes d’information défaillants, des personnels manquants ou trop peu présents, des accès à la documentation limités, des services insuffisants dans l’appui à l’insertion ou à la mobilité, des enseignants pas ou peu impliqués …

Le tourisme est un secteur essentiel pour la réputation internationale de la France et sa bonne santé économique. Il en est de même de son enseignement supérieur, il est important de tenir les promesses faites.