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 Les étranges tribulations d’un billet sur les réseaux sociaux

Les étranges tribulations d’un billet sur les réseaux sociaux …. ou l’apprentissage par l’exemple

 

J’ai le sentiment en écrivant ces lignes que de nombreux lecteurs vont estimer que j’enfonce des portes ouvertes, que d’autres vont dire rapidement « mais ce sont des erreurs grossières » ou : « je ne me serais jamais trouvé dans cette situation » …

Donc, pour ceux et celles qui sont des pros des réseaux sociaux et qui en connaissent tous les tours et les détours : passez votre route ! Vous allez perdre votre précieux temps.

Pour les autres, qui souhaitent se lancer dans le partage d’idées ou d’expériences sur le Web, par l’intermédiaire de blogs, Linkedin, Tweeter ou autre, je vous propose de partager une expérience récente qui relève de l’ « apprentissage par l’erreur ».

Pour cela, il faut littéralement « autopsier » le phénomène, une fois qu’il est bien refroidi, pour comprendre ce qui s’est passé, et chercher à en tirer quelques enseignements.

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La chronologie des faits

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Je dresse un rapide exposé des événements qui constituent l’objet de cette analyse.

Le 2 Août 2017, un article parait dans le Canard Enchainé à propos de la responsable de communication de la campagne d’Emmanuel Macron, Sibeth Ndiaye. Dans cet article, le journaliste fait allusion à un texto qu’aurait (le conditionnel est essentiel) envoyé Sibeth Ndiaye à un de ses collègues journalistes. A la demande de confirmation de la mort de Simone Veil (personnellement, je trouve la démarche étonnante, mais bon …). Sibeth Ndiaye aurait répondu par un texto pour le moins lapidaire : « Yes, la meuf est dead ! ». Dans les heures qui suivent, la polémique enfle autour de ce texto (réel ou pas ?). Je lis plusieurs commentaires et analyses. Il y a ceux qui condamnent sans se poser la question de la confirmation de l’existence de ce sms, et ceux qui cherchent à calmer le jeu en expliquant le caractère confidentiel de l’échange … L’unanimité se fait sur le manque d’élégance des propos concernant une personne que tout le monde respecte et qui est une grande figure française au parcours exceptionnel, mais, à ma connaissance, personne n’a vraiment vu le texto qui est démenti par sa présumée auteure.

Deux jours après, je me dis que ce qui s’est passé est intéressant d’un point de vue « vie au travail » ou plus largement relationnel. En effet, ce texto qui fait scandale me rappelle des crises que j’ai pu connaitre suite à des mails ou des textos mal rédigés, mal compris, ou partis trop vite sous le coup de la colère ou d’un verre de trop ….

Mon objectif : rappeler les dégâts que peuvent faire ces nouveaux moyens de communication que je qualifie de « oraux-écrits », c’est-à-dire qu’on manie comme s’ils étaient de l’oral, en oubliant que le décalage dans le temps et dans les contextes entre émission et réception peuvent être dévastateurs. J’identifie dans ce billet six situations avec les risques qu’elles peuvent engendrer, illustrées par six cas de catastrophes vécues ou observées.

L’article complet peut être lu à ce lien : http://www.liberation.fr/debats/2017/08/04/textos-attention-aux-auto-gaffes_1588115

J’envoie le texte à Libération Idées car je me dis que cela peut les intéresser, et en effet une heure après l’envoi, je recueille leur intérêt pour ce billet, qui est mis en ligne quelques heures après, soit le 4 août midi.

Et là, je vois mon fil tweeter s’affoler avec des commentaires agressifs voire menaçants, avec des dérives complètes dans l’interprétation, qui vont jusqu’à forger une « théorie du complot » mettant en cause et dans le même sac le support (Libération), l’auteur (moi), la présumée coupable (Sibeth Ndiaye)… les migrants, les Juifs, les noirs, les journalistes etc etc …

Je m’empresse de dire qu’il y avait aussi pas mal de « like » et de « retweets », et que le billet partagé sur Linkedin a été bien reçu avec des commentaires positifs, montrant que sur ce réseau, les lecteurs avaient bien compris le sens du billet (qu’ils soient d’accord ou pas), à savoir inciter à une réflexion sur la façon dont nous communiquons et à la tolérance dans les cas de dérapages.

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La plongée dans le côté sombre du web (1),quelques éléments d’explication

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Plus que d’une plongée, il s’agit davantage d’une « trempette » du côté sombre du web, car je ne veux pas non plus exagérer le phénomène, mais cela ne lui enlève pas sa valeur d’exemple.

J’ai commis plusieurs erreurs :

Sur le fond :

  • J’ai sous estimé la dimension politique du sujet, en le prenant « toute chose égale par ailleurs », et en ignorant le contexte de « Macron bashing» qui s’est développé pendant l’été,
  • J’ai aussi largement sous estimé la dimension sexiste et raciste de la situation : je rappelle que Sibeth Ndiaye est une jeune femme noire, d’origine africaine.

Sur la forme

  • J’ai choisi un titre qui m’est venue spontanément, sans en peser la « charge émotionnelle », puisque j’ai intitulé ce billet « Yes, nous sommes tous des Sibeth Ndiaye ! ».

Je n’ai pas évalué la proximité avec les « Je suis », « Je suis Charlie », « Je suis Paris », « Je suis Nice » … tellement entrés dans la conscience collective, et liés à des drames nationaux.

 

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La dramaturgie en cinq actes

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Un retour en arrière montre qu’il y a cinq stades, que j’illustre avec quelques tweets emblématiques.

1/ La mise en cause du billet, à partir du titre (Yes, nous sommes tous des Sibeth Nadiaye !):

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2/ La mise en cause des protagonistes :

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3/ La dérive avec élargissement de la polémique à d’autres sujets :

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4/ Les « débats » croisés entre « tweeters » :
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5/ La théorie du complot : comment le media m’a instrumentalisée pour se faire bien voir par Macron …

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L’analyse et les enseignements à partager

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1/ Dans un billet 90% est dans le titre : il accroche et il résume même ce qu’il ne veut pas dire, et sur tweeter, de nombreux adeptes se contentent de cela. Le dosage entre le désir d’accroche et risque de mésinterprétation est donc délicat ! La preuve en est que Libération a changé le titre au bout de 24 heures (2), et que le billet qui était numéro 4 dans le top 100 des idées de Libé a rapidement dégringolé dans le « hit parade ».

2/ Le support n’est pas neutre : Libération n’est pas Linkedin qui n’est pas Tweeter … Les mêmes idées écrites de la même façon ne touchent pas les mêmes personnes, un truisme …mais c’est la preuve par l’exemple.

3/ Le tempo est essentiel : la décontextualisation n’est pas toujours possible « à chaud », il vaut mieux attendre que la polémique refroidisse si on veut justement ne pas y être mêlé. Sinon, elle vous embarque sans tenir compte de vos précautions (ce qui était le cas dans mon billet).

 

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Une conclusion ironique :  

une parfaite illustration de mon billet

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 En fait, l’ironie est que toute cette polémique est une parfaite illustration de mon billet : on écrit comme on pense, on profite de son anonymat pour déverser sa haine, on comprend les choses à moitié, on se trompe de sujet (voir ci-dessous) etc etc ….

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Bref, beaucoup de bruit pour rien, comme disait le grand Shakespeare, mais une bonne leçon de choses, avec ces étranges tribulations d’un billet sur les réseaux sociaux …

Si vous avez aimé ce billet, partagez- le ! 🙂

(1) Pas le Dark-Web, il s’agit de bien autre chose !

(2) Le : « Yes, nous sommes tous des Sibeth Ndyaye ! », est devenu : « Textos, attention aux auto-gaffes ».

Entre publier et procréer : surtout ne pas choisir !

La dernière édition du baromètre Educpros sur le moral des professionnels de l’enseignement supérieur et de la recherche pointe la grande difficulté des femmes à concilier vie personnelle (et particulièrement leur vie de mère de famille) et vie professionnelle, surtout dans ses aspects de promotion et de carrière. Beaucoup y arrivent « malgré tout », mais le prix à payer est élevé : fatigue, sentiment de frustration, renoncement ou décalage dans le temps d’un projet d’enfant, censure dans les projets de carrière.

Cette situation de dilemme permanent est une charge mentale et psychologique importante à laquelle sont soumises trop de femmes, quel que soit leur métier ou leur secteur d’activité. Ce baromètre confirme que  les métiers de l’enseignement et la recherche ne sont pas exemptés de ce problème.

Au-delà de la diversité des profils, des réussites et des échecs des unes et des autres, de l’immense variété des situations, le fond du problème est que c’est à la femme de construire sa trajectoire personnelle, en se fondant sur ses ressources propres, qu’elles soient intellectuelles, physiques, financières ou relationnelles.

On retombe toujours sur les mêmes résultats, il faut être diplômée de façon à avoir le choix optimal d’une entreprise et d’une fonction permettant cette conciliation vie privée vie professionnelle, une bonne résistance physique (pas besoin de beaucoup de sommeil !), des moyens financiers pour alléger les contraintes logistiques liées aux enfants ou aux contraintes professionnelles, un compagnon (ou une compagne) prêt à prendre sa part de responsabilités et de charges, et des parents ou des amis pouvant servir de relais en cas de « coup dur » ! Chacune se reconnaitra dans cette image parfaite, que seules quelques happy few peuvent revendiquer !

L’impact de l’exclusion des femmes

Et pourtant, ce n’est pas aux seules femmes d’affronter ce double rôle de productrice et de reproductrice (encore une expression peu sympathique), mais bien à la société entière ! La femme n’a pas à construire seule sa double vie professionnelle et familiale.

Des sociétés ont résolu la question en réduisant les femmes à leur rôle de mère et en leur interdisant l’accès aux espaces professionnel et public. On commence à en voir les dégâts, comme dans la société japonaise où la relégation de plus de la moitié de la population est actuellement questionnée tant le bilan économico-démographique est dramatique. Mais bien d’autres pays sont amenés à faire des constats identiques. En effet, quand il faut choisir entre avoir des enfants et avoir un rôle social, c’est aller assurément vers la baisse du taux de la fécondité dans nos sociétés dites avancées. En témoignent à leur corps défendant toutes ces Espagnoles, Italiennes, Allemandes qui renoncent à la maternité ou la mettent entre parenthèse jusqu’à la quarantaine pour ne pas se retrouver au « foyer » !

Au-delà des aspects strictement numériques, les sociétés se construisent et évoluent en étant amputées dans leur circuits décisionnels économiques, politiques, de l’autre « moitié du ciel » comme le disait Mao. Nul n’est besoin d’être un politologue ou un économiste pour constater l’immense gâchis qui en résulte.

Des compétences « augmentées »

Pour ne pas rester au stade du constat et de l’interpellation, et pour avancer un peu dans la réflexion, je propose de valoriser tout ce qu’une femme peut apporter à une organisation, à une entreprise et dans notre cas à l’enseignement supérieur et à la recherche, si on lui donne le soutien nécessaire à ce double objectif de travailler et d’avoir une vie de famille. En le cas d’espèce, de « publier ET de procréer ».

Je partirai d’une théorie qui est celle du « temps augmenté », en l’élargissant à l’idée de compétences augmentées. L’idée de départ est que savoir concilier une vie personnelle épanouie et une vie professionnelle exigeante mobilise et développe des compétences très spécifiques et à haute valeur ajoutée, que les entreprises et les organisations devraient savoir reconnaitre pour mieux les valoriser et en tirer profit.

Avec la théorie du temps augmenté, on renonce à voir les temps personnel et professionnel  comme des vases communicants, on abandonne l’idée que le temps passé avec les enfants est du temps volé au travail et vice-versa. Ce fonctionnement repose sur une vision très linéaire de son organisation qui bute très vite sur des dilemmes impossibles à gérer.

De la même façon, je propose de partir de l’idée que l’interpénétration des deux mondes personnel et professionnel est une source de valeur augmentée.

C’est la démonstration au quotidien de la capacité à gérer concomitamment  deux projets hyper-complexes, à variables multiples, sur du temps long et sans pause possible. En effet, la vie familiale et la recherche ont ceci en commun de mobiliser entièrement l’esprit, en temps continu, faisant appel à des ressources multiples et à gérer dans un jeu de contraintes nombreuses.

Il n’est pas possible de les  séquencer, de leur imprimer son rythme propre, de les mettre en attente. La recherche comme la vie familiale exigent toutes deux une immersion totale.

Quelles sont les clés pour réussir à « tout faire » ? J’en propose quelques-unes, sans aucune prétention à exhaustivité.

Clé n°1 : Renoncer à la perfection

C’est difficile à entendre, mais les femmes doivent renoncer à être parfaite et se défaire du « syndrome de la bonne élève » qui les atteint toutes ! Paradoxalement, il faut renoncer à être une mère parfaite, une compagne parfaite, une chercheuse parfaite … pour réussir ! Une devise : « la qualité est souvent de la surqualité ! »

Clé n°2 : Faire confiance

Le corollaire du renoncement à la perfection est de savoir faire confiance à son entourage, tout particulièrement à ses enfants et ses collègues. Les enfants sont capables de faire beaucoup plus de choses en autonomie que leur mère ne le pense et cela les aide à grandir ! De même, un mari, époux, compagnon, compagne peut s’investir dans le quotidien et prendre des tâches en main : les courses au supermarché, le repassage, les devoirs … de façon différente, peut-être pas aussi merveilleuse, mais suffisante certainement ! Dans le milieu professionnel, des collègues, des collaborateurs peuvent aussi contribuer positivement à toutes sortes de missions, cela s’appelle la délégation. Une devise : « Ce qui est fait est bien fait ».

Clé n°3 : Mobiliser les méthodes professionnelles dans la vie familiale…et vice versa

Il faut savoir mettre sur le même plan et traiter avec le même professionnalisme la leçon de violon et la réunion de travail, le goûter d’anniversaire et le déjeuner professionnel, l’accompagnement aux devoirs et la rédaction d’un article.

Utiliser les méthodes professionnelles pour la vie privée aide beaucoup en efficacité. Tenir un agenda avec la même rigueur pour les deux vies est une façon de ne pas dériver et de se retrouver débordée avec des ajustements de dernière minute. De la même façon, on apprend énormément de choses dans une vie familiale qui relève souvent de la gestion d’une TPE. L’enjeu est  de décoder ces compétences acquises sans qu’on s’en rende compte et les mettre au service de la vie professionnelle.

 Clé n°4 : Garder des zones tampons

Il faut du « tiers temps » pour éviter les passages frontaux d’un monde à l’autre. Les temps de transport sont d’excellents moments pour faire des transitions pas simples. Il vaut mieux marcher et arriver un peu plus tard à la maison le soir avec l’esprit plus libre que d’arriver tôt sans avoir eu le temps de se débarrasser des soucis professionnels.

Evidemment, il est très important de pouvoir se garder du temps « à soi », comme des petites bulles d’oxygène pour reprendre sa respiration dans le rush. Ces moments aussi doivent être inscrits dans l’agenda pour ne pas disparaître pour cas considérés comme de forces majeures ! Une devise : « je le vaux bien … aussi ».

 Clé n°5 : Apprendre la fluidité

Passer l’aspirateur est un excellent moment pour réfléchir à sa prochaine publication ! Une réunion ennuyeuse est un très bon créneau pour dresser une liste de lieux de vacances ou tenir ses comptes. Cela ne s’oppose pas à la clé numéro 2 et rejoint la clé n°3…

Autant l’agenda doit être béton, autant il faut savoir se saisir de toutes les opportunités pour avancer ! Plus les dossiers sont instruits et préparés, moins le cout d’entrée est important. La fluidité est essentielle pour mener tout de front.

De l’énergie et une organisation sans faille

Une conviction en forme de conclusion : il est absolument possible de publier et de procréer. Mais cela demande en effet une mobilisation d’énergie et une organisation sans faille, qui doivent être reconnues à leur juste mesure pour être valorisées et soutenues.

Cela signifie très clairement qu’il faut évaluer le dossier de publications ou de carrière d’une mère de famille avec d’autres critères : pas seulement celui de la performance classique à l’instant T, mais celui du potentiel qui se déploiera dans les années à venir, quand les enfants auront grandi.

Ce qui est formidable, c’est que leur carrière prendra toute son envergure à un moment où ceux et celles qui auront moins investi dans la double vie seront dans un désir de retrait. PUBLIER et PROCREER,  surtout ne pas choisir !

Pour que les Business Schools retrouvent leur âme

Comme beaucoup de directeurs de Business Schools (tous ?) je travaille à la révision du « Mission Statement » de l’EM Strasbourg  (littéralement la « déclaration de mission » synthétisée en quelques phrases). Et je mesure la  difficulté à résumer en quelques lignes le projet d’une école. Si l’exercice est difficile et complexe, il est à fort enjeu et d’un apport remarquable pour une institution.

Par contre, je m’interroge sur la frustration à ne pas faire émerger ce que nous sentons être l’essence de notre école, c’est-à-dire un climat, une atmosphère, une envie commune, un projet … un cocktail à la fois détonant qui fait à la fois toute l’essence et la différence de cette école, mais qui reste indicible.

Comme beaucoup d’autres, nous cherchons à décrire ce qui fait « notre » différence, ce qui va permettre à des étudiants de l’EM Strasbourg de se reconnaitre parmi une foule d’autres étudiants, à des alumni de se retrouver sans se connaitre, à des personnels de comprendre pourquoi ils sont fiers et heureux de travailler dans cette école, à des enseignants-chercheurs de nous rejoindre … Ce que certains appelleront le « waouh », le « plus », la « différence » dans une version performative. Je dirais tout simplement le « supplément d’âme ».

Mais comment identifier et définir cette âme ?  Sous l’effet des politiques qualité, sous le joug de l’hyper concurrence et de la performance, les Business Schools en uniformisant leur offre n’ont-elles pas perdu toute chance de marquer leur différence ?

Les très nécessaires politiques qualité

Les Business Schools ont fait le choix radical d’intégrer des processus d’assurance qualité il y a des décennies aux Etats-Unis (l’AACSB est née en 1916) puis en Europe et en France (avec l’EFMD). Pas une qualité uniquement déclarative et d’intention, mais une qualité opposable et dûment prouvée.

C’est leur force et leur honneur. Elles ont pris en cela une avance remarquable sur le reste de l’enseignement supérieur français, ce qui n’est pas suffisamment valorisé. Il y a bien sûr, de-ci de-là des certifications ou des reconnaissances labellisées, mais quand on connait les deux systèmes, on peut en mesurer les écarts. C’est une force que l’Université française devrait reconnaître aux écoles de commerce et certainement y voir une source d’inspiration. Des coopérations sur le sujet seraient certainement fort motivantes et contributives pour les deux parties.

Les arguments en faveur des politiques d’accréditation ont été mille fois dits et sont mille fois recevables, rappelons les rapidement :

  • Un enjeu de clarification de l’offre de formation, codée et complexe pour les non-initiés, c’est-à-dire les bacheliers/étudiants et leurs familles. Achèterions-nous une voiture ou un voyage autour du monde avec le même type d’information que nous avons de nos formations (c’est-à-dire une information certes abondante mais confuse et souvent obscure et codée) ?
  • Une nécessaire qualité à maintenir et développer avec le regard de tiers experts;
  • L’opportunité d’un outil de management qui, avec ses batteries de process, d’indicateurs, de critères, permet une mise en œuvre stratégique consistante et cohérente, avec l’ensemble des parties prenantes;
  • Un alignement de la profession vers le haut;
  • Une entrée dans les codes internationaux.

La liste est loin d’être exhaustive, mais elle est suffisante pour ne pas revenir sur cet engagement dans lequel sont entrées la quasi-totalité des Business Schools françaises.

Les accréditeurs aux écoles : « Soyez distinctifs ! »

Malgré tout, ces politiques qualité amènent aussi leurs lots de questionnements. Une interpellation chronique des accréditeurs comme un questionnement stratégique constant des Business Schools est de rechercher ce qui va pouvoir faire leur différence, et par cette différence leur identité.

« Soyez distinctifs », nous adjure-t-on, sachez innover, mobiliser votre créativité pour ne pas subir les accréditations mais bien les mobiliser au service de votre projet. Ce à quoi, il est une forme d’évidence de répondre que c’est un art difficile d’être différent sous la pression des attentes et des exigences des parties prenantes d’une Business School qui se conjuguent pour souvent se contredire, voire s’annuler. La lecture des Mission Statements des Business Schools à travers le globe illustre bien le propos, tant elles sont uniformes dans leurs intentions comme dans les moyens mobilisés pour atteindre les buts assignés.

Pourquoi cette situation? On peut retenir :

  • Le cadre hyper structurant des systèmes d’accréditations, ce qui fait leur force mais réduit au minimum la fameuse marge de manœuvre tant souhaitée;
  • Le devoir de proposer aux étudiants et aux apprenants les qualifications les plus larges possibles avec la difficulté d’être « généraliste », ce qui s’accommode mal de points saillants;
  • L’exigence de tenir ses promesses auprès des étudiants, à savoir l’international et l’employabilité.

Disons le simplement, il n’y a pas 10 000 façons de mener tout cela de front et les écoles qui se sont essayées à l’innovation n’ont pas vraiment fait leurs preuves : que ce soit dans l’hyper sélectivité darwinienne (en informatique où, si le recrutement est très ouvert, la sélection vient ensuite de façon très intensive comme pour l’Ecole 42) ou la remise en cause radicale des modalités de recrutement (comme l’a tenté France Business School).

La créativité des Business Schools se trouve plus dans la valorisation de projets bien menés, d’actions innovantes mais souvent marginales, que dans une innovation touchant à leur cœur de métier. 

Une fierté légitime

Chaque Business School avance et est fière de ce qu’elle fait, et peut légitimement l’être. Chacun sait que le marché est mature, très concurrentiel, que l’environnement propose son lot de menaces stratégiques. C’est de plus en plus un univers de marques qui se construisent sur du temps long, avec une formidable inertie.

Les énergies se concentrent donc sur 3 objectifs principaux :

  1. Etre préférée à l’école ou aux écoles concurrentes dans une hiérarchie (médiatisée par les classements) qui bouge peu;
  2. Être recommandée par un bouche à oreille favorable;
  3. Être soutenue par ses parties prenantes, tout particulièrement les entreprises et les alumni pour assurer la relève de financements en berne.

Tout cela fait un beau plan d’actions stratégiques mais est-ce que ça crée du rêve ? Est-ce que cela révèle l’âme de l’école ? Rien de moins certain.

A la recherche d’un supplément d’âme

La frustration devant la rédaction du Mission Statement s’explique bien par la difficulté de présenter l’âme de son école. Ce serait parler de quoi ? Ce serait évoquer une « ambiance », un « climat », une « atmosphère »… un ensemble d’interactions entre des personnes et des objets difficile à décrire et à circonscrire et qui pourtant représente bien mieux l’école que tous les rapports d’accréditation ou de labels.

Quels seraient les objectifs reformulés sous cet angle ?

  • Que chaque étudiant et personnel parle de son école avec affection et engagement;
  • Qu’ils aient le sentiment de faire partie d’une communauté, et l’envie d’y rester ou d’y revenir pour des motifs tout sauf rationnels et utilitaristes (comme adhérer à l’association des alumni le jour où on est en recherche d’emploi);
  • Que le bouche à oreille soit positif.

La formation dans une école est  une expérience

Ces trois enjeux convergent vers cette idée que la formation dans une école est une expérience, au sens du paradigme expérientiel tel que l’ont défini Holbrook et Hirschman dans leur article séminal de 1982.

Depuis bientôt 40 ans, le monde du commerce sait qu’il ne suffit pas d’exposer le consommateur ou le chaland à ce qui fait en théorie les ingrédients de la performance : des bons produits, des prix attractifs, un merchandising séduisant, une théâtralisation inspirante … pour qu’il achète. Il faut raconter une histoire à ce consommateur et le stimuler suffisamment pour que, en interagissant avec tous ces items, il se fabrique son expérience, de magasinage en l’occurrence.

On peut faire l’hypothèse que le même processus expérientiel se met en marche quand on a le projet d’intégrer une école. Et que, au fur et à mesure des semaines et des mois, l’étudiant va créer son histoire, de façon unique. Ces alchimies mystérieuses naissent lors d’un cours, d’un rendez-vous avec un tuteur, d‘un évènement d’association, de rencontres avec un secrétaire ou un gestionnaire de scolarité… Elles sont le creuset de cette « atmosphère » qui sera, pour le coup, complètement différente d’une école à l’autre.

Cet assemblage unique est aussi la plus forte source de différenciation comme nous l’ont montré les dernières recherches en management de l’innovation (Hamel, 2006). En effet, dans un monde ouvert où circulent librement les idées, les techniques, l’argent, les innovations technologiques ou stratégiques sont très vite imitées.

Ce que retiennent les étudiants de leur école

Dans une Business School, les étudiants passent en moyenne 3 années, ce qui n’est pas anodin quand on a 22 ou 23 ans. Surtout quand cette formation détermine en grande partie la vie professionnelle. La Business School, MA Business School doit m’interpeller, pour que je puisse raconter ma propre histoire, pendant longtemps, à ceux et celles qui m’accompagneront dans ma vie.

On constate alors que les moments considérés comme les plus riches et les plus forts ne sont pas forcément en lien avec le « plus que parfait » : les plus beaux locaux, les meilleurs professeurs, les cours les plus performants, le salaire le plus important à la sortie … Quand on évoque ses souvenirs d’étudiant (parfois lointains : on peut remonter au CP …), on touche à l’émotion.

Les arguments du « plus » sont laissés à notre système rationnel. Tout ce qui va faire la « mise en intrigue », créer l’attachement, faire qu’on parle de cette école ou de cette année avec émotion et implication, est une boite noire qu’on peine à percer, car on se rend compte que c’est un « mélange » difficilement explicable de « plein de choses ». C’est tout simplement le souvenir d’une « expérience ».

Cette question peut sembler anecdotique à certains. Je m’empresse de dire qu’il n’en est rien. Toutes les recherches en comportement du consommateur montrent bien qu’inexorablement, c’est ce paradigme de l’ « expérience » qui domine nos vies, et que ce caractère expérientiel de nos actions dépasse maintenant largement la sphère de la consommation pour entrer dans celle de nos vies personnelles et professionnelles de façon extensive.

Accréditations et classements ne font pas l’âme

Ce ne sont pas les arguments objectivables et objectivés, soumis à la performance qui créent la distinction. Celle-ci doit être hors benchmarking, hors comparaison, hors classements et ne peut être résumée aux rapports d’accréditation. On ne peut schématiser ou résumer l’âme d’une école.

La qualité reconnue par des tiers labels, accréditations, classements … est nécessaire, mais cette volonté de transparence, d’efficacité et d’efficience n’a-t-elle pas conduit les écoles à perdre, ou peut-être simplement à oublier leur âme ? Il est grand temps, pour tous, de la retrouver et de la chérir, c’est ce qui fera que dans des dizaines d’années, des diplômés aux 4 coins du globe évoqueront avec nostalgie et tendresse leur cursus, et seront au rendez-vous pour la soutenir en cas d’avis de tempête.

Références
Collectif (Auteur), (2004) Souvenirs d’école, des écrivains racontent , Editions les Monedières
Hamel, G. (2006), The why, what and How of Management Innovation, Harvard Business Review, 84 : 2, 72-84.
Holbrook M.B.; Hirschman E.C. (1982), The experiential aspects of consumption: consumer fantasies, feelings and fun, Journal of Consumer Research, 9, 132-140
Pennac, D.,  (2007), Chagrins d’école, Editions Gallimard

 

Etre sans être là: raisons et déraisons de l’ultra-connexion

Vous êtes-vous surpris récemment à surfer sur un site Internet au cours d’une réunion importante ? A écrire des textos sans urgence en prenant un verre avec des amis ? A lire des mails en regardant un bon film ?  Avez-vous trouvé insupportable de faire cours devant des étudiants en mode « Facebook » ? De déjeuner avec des amis qui regardaient furtivement leur smartphone ? De rentrer dans quelqu’un qui marchait le nez dans son smartphone ?

Admettons-le, nous sommes dans un monde où pour « être », il ne faut pas être là, c’est-à-dire qu’on se sent exister, excité, utile … avec plus d’intensité en mode virtuel qu’en mode présentiel. Point n’est besoin d’être geek pour éprouver ces sentiments.

 Trois constats

1) Des internautes forcenés

Dans son livre Computer power and Human reason Joseph Weizenbaum (en 1976 ! il y a des siècles …) décrivait le fanatique de l’ordinateur comme quelqu’un d’asocial, à la mise négligée, à l’hygiène douteuse. Beaucoup de films nous le montrent encore ainsi. Les plus « atteints » sont désignés comme « no life ». Mais, ça « c’était avant » : avec 2, 5 milliards d’êtres humains connectés en 2012, soit le double de 2007, le geek c’est vous, c’est moi.

2) Le Web, c’est intergénérationnel

On a beaucoup parlé des digital natives, de la computer generation, des kids online. En fait, tout le monde est maintenant sur Internet. Ce sont les usages qui sont différenciés selon les âges : les plus jeunes jouent à des jeux éducatifs, les préados se consacrent à des jeux en ligne, les adolescents passent leur temps sur des sites de socialisation, les adultes sur les sites sociaux professionnels, les personnes plus âgées sur les messageries (de plus en plus font l’achat de tablettes), et le e-commerce est pratiqué par tous.

Mais le temps de lire ces lignes, et la donne a déjà changé.. Arrêtons tous les clichés faciles qui opposent et séparent : il n’y a pas d’âge pour être addict au virtuel !

3) Un nouveau rapport au temps et à l’espace

Internet a beaucoup été présenté comme un espace dématérialisé. La sémantique qui lui est associée illustre bien cette déconnexion du réel : on « surfe », on « navigue », on cherche un « hébergement », on va dans les « nuages » (cloud). Les études montrent que si les échanges Facebook se concentraient sur les heures de travail et les soirs en semaine il y a encore 5 ou 6 ans (études sur des milliers d’étudiants américains en 2007), en 2014, tout le monde est branché en permanence sans distinction de jour et de nuit, ou de jours travaillés et jours fériés.

 Trois alertes

1) Gare à « l’ultra solitude interactive »

Le paradoxe central et structurant de la société libérale contemporaine est l’aspiration de plus en plus forte à la réalisation individuelle de soi, qui génère au final plus de souffrances que d’épanouissement.

Chacun cherche alors la création d’un espace de liberté intime, loin du monde réel et de ses soucis. Chacun recherche sa bulle d’insouciance et Internet semble pouvoir apporter des réponses. Le monde virtuel est alors vu comme un refuge : je suis sur Facebook pour échapper à un cours qui m’ennuie, je réponds à mes mails pendant une réunion qui ne correspond pas à mes attentes, j’échange avec mes amis virtuels pour augmenter ma « dose de relationnel » quand je suis avec d’autres amis.

Cette sensation a un nom, c’est le « flow » (décrite la première fois par Csikszentmihalyi). Ainsi, quand nous sommes connectés, nous vivons une perte de sentiment de « conscience de soi », l’attention est en hyperfocus, et nous subissons une distorsion de la perception du temps. Nous entrons dans un autre espace-temps, qui nous semble plus gratifiant et plus protecteur.

Le risque est de s’isoler complètement en mode « présence absente » et d’entrer dans cette ultrasolitude interactive que nous observons tous les jours dans les foules où personne n’échange ni un regard, ni une parole.

2) Attention au dévoilement de l’intime

Nous sommes dans une ère de la « surexposition », du « regard omniprésent », et chacun est en quête de reconnaissance. On s’expose pour être vu et reconnu dans l’angoisse de ne pas laisser de trace, c’est la « mise en scène de soi ». Mais c’est souvent un processus peu ou mal maîtrisé, qui peut dériver vers le dévoilement de l’intime. Celui-ci trouve une première illustration avec Facebook où chacun se met en scène dans les recoins les plus privés de sa vie.

Cette perte de l’intimité est un nouveau phénomène d’autant plus inquiétant que nous en sommes les victimes trop souvent consentantes, voire nos propres bourreaux. Cette mise en scène de l’intime, qui avait démarré en France avec « Loft story » à la télévision, continue à se développer avec des niveaux d’exposition qui ne semblent pas trouver encore leurs limites.

 3) L’urgence de tout savoir tout le temps

L’urgence de tout voir, tout savoir, d’être partout virtuellement, porte maintenant un nom (ou plutôt un acronyme) : le FOMO (Fear Of Missing Out) , c’est-à-dire l’anxiété de rater une interaction sociale. Ce qui se cache derrière : la peur de ne « pas en être », de ceux et celles qui sont au courant, branchés, informés. La peur également de rater cette exaltation d’être dans l’interaction d’une information ou d’un évènement « chaud », voire « brûlant » d’actualité. Si ce syndrome a toujours existé, il a développé des formes et une puissance non égalées avec Internet et ses réseaux.

Le deuxième risque est agnotologique. De quoi parle-ton ? L’Agnotologie (décrite par Proctor en 1992) est la « science de l’ignorance ». Cette discipline emprunte à la philosophie, la sociologie et l’histoire des sciences, son objet est l’étude de l’ignorance elle-même, mais aussi les moyens mis en œuvre pour la produire, la préserver et la propager.

A titre d’exemple, lorsque des technologies sont contestées, lorsque certains produits se révèlent être nocifs ou dangereux, des mécanismes agnotologiques se mettent en place. Dans le cas de l’industrie américaine du tabac, il s’agissait de la publicité donnée dans les années 1950 à des«études» trompeuses sur de supposés bienfaits de la cigarette.  

L’adage des agnatologues pourrait être: «Le doute est ce que nous produisons.» Augmenter le savoir disponible peut être, paradoxalement, une façon d’accroître l’ignorance. Ainsi, depuis quelques années, les projets agnotologiques ont un allié de poids: le Net. Une fois une information injectée sur le Net, on peut constater qu’elle ne peut plus être arrêtée ou contrôlée ou contrée.

 Trois phénomènes dus au Net

 1) Une expertise qui s’horizontalise

Avec les forums et les réseaux sociaux, le sachant et l’expert perdent peu à peu de leur pouvoir de prescription et de leur capital confiance au profit des « pairs ». Le marché de la chirurgie esthétique off shore est une très bonne illustration de cette tendance. La personne qui veut procéder à une opération de chirurgie esthétique à moindre coût en Tunisie ne pourra compter que sur Internet pour prendre sa décision, pourtant à fort risque. Le client potentiel aura en effet toute son information par mail : du devis sur photo envoyée via Internet à la proposition du package de séjour qui va avec.

Pour réduire le risque perçu, le client va entrer dans un dialogue intense sur les forums et les réseaux sociaux avec d’autres personnes ayant conçu le même projet et faire évoluer sa décision sur la foi de leurs témoignages, et des échanges qu’ils auront autour. Le patient-client ne verra son chirurgien qu’au bloc opératoire, mais c’est bien avec les autres patients internautes qu’il aura construit sa décision d’achat.

2) La fragilité de l’e-réputation

Le petit monde écoles de management françaises se rappellera longtemps des secousses qui destabilisèrent une des leurs en 2011. La veille de l’échéance pour les choix définitifs d’affectation des candidats, une pseudo fuite est apparue sur un forum d’étudiants. Sur ces forums, tous les postulants échangent jusqu’à plus soif leurs impressions et grattent jusqu’à l’os la moindre formation, alimentant sans fin le bouche à oreille électronique.

La pseudo-info révélait, l’air de rien, qu’une école n’avait pas eu la faveur des candidats pour leur affectation. Il en résulta la réalisation de ce qu’on appelle une « prophétie auto-réalisatrice », comme sait si bien les générer le web. L’information était surement fausse mais la perte en inscriptions n’en fut pas moins bien réelle pour cette école, affectant bien sûr son chiffre d’affaires mais également, et de façon plus durable, sa e-réputation.

La rumeur vit maintenant en mode accéléré grâce à Internet et les entreprises qui tentent de la contrôler savent qu’elles devront durablement investir des fortunes sans garantie de résultats. On peut citer le cas de la compagnie pétrolière BP qui a tenté de racheter tous les mots clés liés à la catastrophe de la marée noire dans le golfe du Mexique (sur Google, Bing et Yahoo), dépensant pour cela plus de 10 000 dollars par jour.

3)  Bad buzz, good buzz: qui perd, qui gagne ?

Les entreprises peuvent être l’objet d’un bad buzz n’importe quand, et de n’importe quelle origine. On se rappelle du cas de Domino’s Pizza dont deux employés en cuisine ont posté sur le web une video les mettant en scène en train de confectionner des pizzas fourrées avec leur crottes de nez… Une stratégie vigoureuse et très réactive avait pu transformer ce qui pouvait tourner à la catastrophe en vraie stratégie de dialogue avec le marché.

Illustrant l’adage qu’il vaut mieux un buzz négatif que l’absence de dialogue, certaines entreprises lancent elles-mêmes le buzz avec une certaine prise de risque, car l’assurance qu’il n’y aura pas des dégâts durables n’est pas garantie. On peut citer le cas de Petit Bateau qui avait lancé une ligne de body pour bébés avec des phrases sexistes en inscription. Certains « consommateurs » avaient alors sévèrement critiqué la chose, mais les experts de la toile restent assez persuadés qu’il s’agissait d’une imposture pour créer le buzz.

Plus que jamais le marché est une conversation, mais une conversation qui ressemble à un jeu du chat et de la souris entre les organisations, leurs salariés, leurs clients. La question est de savoir qui est le chat, et qui est la souris…

Former aux usages, pas aux outils

Les possibilités du Web sont immenses et se déplacent très vite vers la mobilité, car c’est maintenant par les smartphones et les tablettes que tout passe. Les modalités d’utilisation des TIC restent donc à inventer et réinventer sans cesse.

Pour construire un monde où l’hyperconnexion n’aille pas de pair avec l’ultra solitude, où nos envies légitimes et ancestrales de liberté, d’insouciance, d’information, d’interaction sociale ne dérivent pas vers la mise à nue de notre intimité ou la perte de sens, il semble nécessaire de former aux usages avant de former aux outils.

Or, il me semble lire ou entendre, dans les Business Schools comme dans  l’enseignement supérieur, des discours de surenchère ou de fascination. Pour Internet comme pour le reste, le « toujours plus » est, et sera toujours, l’ennemi du « toujours mieux ».

5+1 pistes pour améliorer le service rendu aux étudiants en France

Comment améliorer l’enseignement supérieur en France?  C’est la question à laquelle je vous propose de réfléchir en analysant notre enseignement supérieur comme une activité de service. J’ai en effet déjà évoqué la question de la faillite du service en France, – explicable par une culture de la stratification sociale et du statut qui assimile facilement le service à la servitude- et celle du service attendu par l’étudiant.

Je retiens cinq pistes pour avancer dans cette réflexion. Des pistes car il n’y aura pas de « grand soir » de cette rénovation de l’enseignement supérieur. Comme le disait Michel Crozier, On ne change pas la société par décret.

1) L’enseignement cross canal: un nouvel équilibre

La relation cross canal – qui intrique le présentiel en cours et le virtuel via les réseaux sociaux, les applications smartphones ou les sites de ressources- , fonde de nouveaux équilibres entre enseignants et étudiants, comme elle a fait basculer le pouvoir du prestataire vers le client dans de nombreux domaines. Ainsi, le client arrive souvent au point de vente beaucoup mieux informé que son vendeur des promotions du jour, de la qualité des produits, des prix pratiqués dans d’autres magasins, ou par d’autres enseignes (1). N’a-t-on pas parfois le même sentiment quand des étudiants se sont informés du thème traité en cours (ou le font sur place) ?

Interdire les ordinateurs ou les connexions wifi en salle de classe relève d’un combat d’arrière-garde. Il faut apprendre à faire avec, et former les enseignants à pouvoir affronter ces nouvelles exigences, ces nouvelles attitudes des étudiants. Pour cela, il faut :

  •  que les enseignants aient les mêmes ressources et compétences informatiques à leur disposition, ce qui est loin d’être encore le cas ;
  • et qu’ils aient compris le rôle qu’ils pouvaient jouer en salle de cours, non plus un rôle d’enseignement classique, mais celui d’écoute, de reformulation, de conseil.

Les salles de cours ont encore de très beaux jours devant elles, à condition que les enseignants sachent renouveler leurs discours et la relation avec leurs étudiants. C’est dans ces contacts qu’on nomme aussi « moments de vérité » en marketing des services, que va se jouer la différence d’un cours à l’autre. C’est cette relation minuscule mais incarnée qui permet d’être distinctif dans son enseignement.

Certains ont bien avancé sur le sujet, mettant l’accent sur le conseil, la démonstration, la socialisation, toutes stratégies qui apportent de la valeur au présentiel. Internet devient l’instrument du trafic dans les écoles et même dans l’Université, surtout pour nos étudiants internationaux. Encore faut-il bien accueillir ces étudiants et être à la hauteur des promesses faites sur la toile.

 2) La gestion des incivilités

La montée en puissance des incivilités dans la société ne fait que croitre face à des entreprises ou des institutions qui ont du mal à la contenir. L’enseignement supérieur, pour le moment moins soumis au problème que les écoles, collèges ou lycées, est néanmoins souvent désarmé pour remédier à la situation. Je pense aux comportements qui  parasitent les cours : conversations, textos, lecture ostensible de journaux, prise de nourriture, retards, déplacements, utilisation de l’ordinateur portable pour un usage sans rapport avec l’enseignement …

Or les enseignants et les personnels administratifs ne sont pas formés à affronter des comportements incivils, et peuvent développer des pathologies professionnelles de souffrance assimilées aux risques psycho-sociaux. Cette souffrance peut se retourner contre la personne (ce qui se traduit par des arrêts maladies pour des causes diverses), mais aussi contre l’ensemble de la communauté des étudiants, qui pourra être, à son tour, et sans discernement, maltraitée.

Les études montrent que ce n’est pas forcément l’intensité de l’incivilité mais plutôt sa fréquence qui augmente la criticité de ces situations. L’enseignant est donc amené à gérer ces comportements déviants pour éviter la dégradation « perçue » de son cours. C’est par la formation seulement que peut se construire la capacité à réagir à de telles situations. Ce sont autant de thèmes que nous traitons sous forme d’ateliers de qualité pédagogique à l’EM Strasbourg.

3) Le dilemme du « bon prof »

Une autre problématique s’impose, c’est celle du conflit entre l’identité professionnelle de l’enseignant et ce que les étudiants attendent de lui. En effet, les politiques d’évaluation des cours ont donné les clés à l’étudiant, trop souvent sans conditions de réciprocité. La qualité de l’enseignement est livrée à son jugement avec les enquêtes d’évaluation qui, souvent mal construites, visent plus l’enseignant que le contenu de son cours. Tout cela alimente le malaise de l’enseignant qui se sent attendu sur des qualités qui ne sont pas celles qu’il a identifiées comme son cœur de métier : amabilité, anticipation, adaptabilité, animation…

Les choses se compliquent quand on observe que la satisfaction des étudiants est plus forte avec des enseignants qui se sentent eux-mêmes en porte-à-faux avec la façon dont ils voyaient leur métier. « Faire du show », « de l’entertainment » en cours, paie auprès des étudiants, mais n’est pas facile à assumer. La solution retenue à l’EM Strasbourg est de mettre en place des formations à l’apprentissage afin d’« éduquer » les étudiants à apprendre.

4) La tension entre normalisation et individualisation

Le grand dilemme des institutions d’enseignement supérieur est de réussir à articuler une stratégie « production line » c’est-à-dire préserver de la qualité à tout moment et partout de façon homogène, et une stratégie d’empowerment, à savoir de formation et de développement personnalisé edes personnels et des étudiants (2). Les tensions sont fortes entre la normalisation des enseignements d’une part et l’attente des étudiants pour des enseignements adaptés à leurs besoins de la façon la plus individualisée possible d’autre part. Elle est également forte entre cette normalisation et l’injonction faite aux enseignants d’être créatifs et innovants. On frôle bien souvent le double discours auprès des étudiants et la double contrainte pour les enseignants.

Par ailleurs, les systèmes d’accréditation venant du monde anglo-saxon font que la qualité n’existe plus sans être mesurée, alors que des pays comme la France travaillaient avec d’autres conceptions pédagogiques fondées sur le « trend » et l’intention. Il y a une réflexion à mener sur cette globalisation uniformisante de l’enseignement supérieur, qu’accentue encore le phénomène des MOOC.

Il est évidemment beaucoup plus difficile de jouer l’équilibre délicat entre qualité pour tous et individualisation de la relation quand les effectifs sont importants. Une promotion de 500, 600, 1 000 étudiants condamne au mieux à faire de la qualité normalisée et écarte toute possibilité de faire du « sur mesure » comme sont en droit de l’attendre les étudiants.

Je suis toujours étonnée de voir que, dans toutes les enquêtes, la première attente des salariés est la reconnaissance, pourquoi nos étudiants, à quelques mois du monde du travail seraient-ils exclus de cette revendication ?

5) Penser la globalité du service à l’étudiant

La salle de cours et l’enseignement sont bien sûr le cœur du « service » enseignement mais ne constituent que le minimum attendu. Les services périphériques comme l’insertion professionnelle, l’internationalisation des cursus ou la vie associative vont entrer dans le périmètre d’exigence des étudiants. Ce sont alors toutes les équipes administratives qui entrent en jeu avec les mêmes enjeux de qualité, d’assistance, de service auprès d’étudiants qui peuvent se montrer de plus en plus exigeants et revendicatifs. C’est donc avec ces collaborateurs que se construit le « service à l’étudiant », sans l’assimiler à la servitude telle que nous l’avions décrite.

Il faut aussi penser « service élargi » en prenant en compte le logement, le transport, tout ce qui fera la vie quotidienne de l’étudiant, et là, ce sont les parties prenantes de l’institution d’enseignement (école ou université) comme la ville, la communauté urbaine, la région, les associations, les entreprises, qui jouent un rôle essentiel.

Il faut aimer ses étudiants !

En guise de conclusion, je rappellerai un basique de la relation de service : l’importance d’aimer celui ou celle à qui on s’adresse. Je pose cette question simple : « Les institutions d’enseignement supérieur aiment-elles leurs étudiants ? »

Et ensuite, je reprendrai cette phrase de Freud : « Comment puis-je aimer les autres si je ne m’aime pas moi-même ? ». S’il est essentiel dans toute relation de service d’aimer celui auquel on s’adresse, une relation de qualité ne peut se nouer sans s’aimer soi-même. Les enseignants et les personnels de l’enseignement supérieur doivent avoir une estime de soi suffisante pour aimer leurs étudiants. Travailler sur les 5 axes de mon analyse permettrait certainement de répondre plus positivement à ce double questionnement.

 (1) « La déviance du client : un phénomène en émergence », Barth, I. et Bobot, L., Humanisme et Entreprise, Janvier 2012.
(2) Empowerment : processus par lequel un individu ou un groupe acquiert les moyens de renforcer sa capacité d’action, de s’émanciper.

Osons parler du service proposé aux étudiants en France

Immatériel, non stockable, se consommant quand il se produit, et évaluable uniquement lorsque la prestation est terminée, l’enseignement entre dans la catégorie des services. Toute l’analyse critique que j’ai pu faire du service en France peut (et doit) donc s’appliquer à l’enseignement supérieur.

Les structures  (bâtiment, matériel mis à disposition) et les personnes, particulièrement les personnes « au contact » dont j’ai déjà parlé, permettent d’évaluer a priori la qualité du service et donc de la formation que l’étudiant recherche. Elles vont permettre de tenir la promesse faite et donc d’éviter toute déception.

A l’heure où des indicateurs quantitatifs permettent d’établir des classements d’établissements, je vous propose de nous extraire de l’évaluation de la formation en tant que telle et de nous concentrer sur les « périphériques », c’est-à-dire les services qui entourent les cours proposés. Ils  sont loin d’être anecdotiques car ils conditionnent toute la chaîne de la valeur d’un établissement. Et en la matière le diable se cache dans les détails.

Que vous soyez professeur, personnel administratif, étudiant ou parents d’étudiant  je vous propose quelques pistes de réflexion en forme de « quizz ».

Les différents niveaux de service

L’information

Quelle est la qualité du site institutionnel ? Comment se passe l’accueil présentiel ? L’étudiant se sent-il le bienvenu et pris par la main pour avancer dans sa prise d’information ? Ou bien se retrouve-t-il dans un maquis d’information, avec le sentiment d’un monde hyper-complexe dont on ne veut pas lui donner les codes ?

L’inscription

La procédure est-elle simple, bien accompagnée, bénéficiant d’une assistance en cas de problème ? Ou faut-il avoir son doctorat en sciences de l’information pour suivre les méandres des processus d’inscription, tant les documents exigés et la multiplicité des étapes sont nombreux et impliquent de ne compter que sur la débrouille et l’entraide entre pairs ?

L’accueil

L’information touchant à l’organisation logistique (planning, locaux) est-elle anticipée et lisible ? Les moyens offerts par Internet sont-ils utilisés pour que chaque étudiant soit informé en temps et en heure de ce qui le concerne ? Ou bien le bon vieux tableau d’affichage reste-t-il  le recours ultime pour apprendre que le cours a été déplacé ou annulé ?

La vie dans l’établissement

La qualité des salles de cours, mais aussi des locaux communs, des lieux de restauration, des toilettes est-elle impeccable ? Ou est-elle alignée sur le tarif payé pour la formation, c’est-à-dire que seuls les « VIC » (« Very Important Customers ») peuvent espérer avoir des prestations correctes ?

L’accès à la documentation est-il possible 24h/24 avec des plages nocturnes ? Ou est-il conditionné par les horaires des personnels trop rares qu’on peut encore financer sur des budgets de plus en plus limités ?

Les cours et les services support

Les  professeurs déclinent-il leur identité, proposent-ils un numéro ou un mail de contact ? Sont-ils à l’écoute des attentes et des critiques le cas échéant ? Annoncent-ils les modalités d’évaluation dès la première séance ? Proposent-ils un accès à leurs supports et à des ressources complémentaires ? Ou bien se limitent-ils à la prestation de cours présentiel ?

Enfin, comment les services supports (scolarités, relations internationales, stages) accueillent-ils les étudiants ? Quels sont leurs horaires d’ouverture ? Leur délai de réponse ?

Obtenir la moyenne

Pour avoir fréquenté beaucoup d’établissements d’enseignement supérieur, admettons que peu atteindraient la moyenne sur l’ensemble de ces éléments constitutifs de la qualité de la prestation pour les étudiants. On me rétorquera que l’important est que les cours soient de bon niveau, mais si cette condition est évidemment nécessaire elle ne peut être suffisante.

Il est important de se dire que l’enseignement est un service qui, pour être de qualité et attractif pour les étudiants, notamment étrangers, doit savoir travailler sur l’ensemble de ces points. La gratuité ou les faibles niveaux de la scolarité ne peuvent justifier une propreté douteuse, du matériel hors d’âge, des systèmes d’information défaillants, des personnels manquants ou trop peu présents, des accès à la documentation limités, des services insuffisants dans l’appui à l’insertion ou à la mobilité, des enseignants pas ou peu impliqués …

Le tourisme est un secteur essentiel pour la réputation internationale de la France et sa bonne santé économique. Il en est de même de son enseignement supérieur, il est important de tenir les promesses faites.