Cracking the management code

Archives de mots clés: vente

Former au management de la relation client : 9 clés pour tout repenser!

Nous avons entendu ou lu une nouvelle étonnante ces derniers jours : l’ouverture de magasins de disquaires… qui vendent des vrais disques, comme au siècle dernier ! A l’heure de la dématérialisation la plus totale, ce phénomène est pour le moins étonnant et il vaut qu’on s’y arrête.

Que se passe –t-il ? Que pouvons- nous tirer comme enseignement de ces nouvelles retro-tendances ? Au moment où tous les distributeurs et les enseignes de retail réfléchissent à des stratégies innovantes basées sur le multi, le cross, l’omni-canal…quelles sont les compétences attendues pour un management innovant de la relation client ?

C’est simple, tout est à repenser, et les formations doivent s’inscrire dans cette nouvelle donne.  Nos étudiants qui se destinent aux métiers du management de la relation client vont devoir acquérir de nouvelles compétences.

 1) Penser le magasin inversé

Le magasin où on vient se renseigner, s’informer sur le produit ou le service, se périme. La recherche d’informations se fait maintenant en amont de la visite en magasin, en priorité sur les réseaux sociaux et le web. Le magasin, s’il participe à l’achat devient alors un lieu de « picking », comme on l’observe avec les « drive » qu’a mis en place la grande distribution (avec toute l’importance que les clients donnent à la personne qui remplit leur coffre).

Pour être fréquentés, les magasins doivent inverser leur positionnement, en s’organisant comme des lieux expérientiels, où on passe un bon moment, où on rencontre des gens, où on cultive le lien social, bref, des lieux de socialisation. Il faut donc apprendre ce que « service «  veut dire. Et il y a du chemin à parcourir! Aller faire des voyages d’études au Japon, à Singapour ou encore aux Etats Unis est au programme.

 2) De l’émotion dans la rationalité

On oublie le fameux processus d’achat, on arrête de croire que le consommateur est rationnel et on revient à la vraie vie : celle où, de plus en plus, le consommateur picore l’information, fait des pas de côtés, fonce puis renonce, change d’avis et de stratégie… Il va falloir inventer et accepter des modalités plus bricolées et plus « friendly »,  s’adresser au cerveau gauche autant qu’au cerveau droit du client.

Le chaland, client, consommateur,  attend  qu’on le remette au centre du dispositif. Une illustration peut être ce témoignage d’un client qui raconte comment dans un Apple Store un vendeur l’a retrouvé au sein de la foule des clients qui attendaient leur tour, alors qu’il n’avait aucun numéro ou signalement. Comment? L’hôte d’accueil l’avait décrit en quelques lignes dans la zone de texte destinée à identifier ses besoins.

Des cours de théâtre ou de musique sont alors les bienvenus. Il faut aussi mettre au programme « La pensée sauvage »  de Lévi-Strauss car sa théorie du bricolage devient une source d’inspiration.

 3) Le client est maître du jeu

C’est le monde renversé mais il faut admettre que les consommateurs s’approprient les outils à une vitesse accélérée et  imaginent des usages inédits. Pour rester maître du jeu, il faut accepter d’en comprendre et d’en observer les règles qu’ils inventent et réinventent au jour le jour. C’est ce que font, dans la mode, les chasseurs de tendance: le détournement d’un vêtement ou d’un accessoire, la re-création d’aujourd’hui, sont le creuset de la mode de demain.

C’est le moment de repérer les « lead users » et de les mettre au travail. Ils ont des idées, ils détournent le produit ou le service : c’est peut-être le nouvel usage qui sera en vigueur demain. La créativité est dans la tête du client, il faut la capter. Cela passe par la capacité à repérer la façon dont les clients déambulent dans le magasin, les moyens qu’il mettent en œuvre pour porter leurs achats, la manière dont ils utilisent le produit chez eux lors d’une visite de SAV. Cela demande  de l’observation, de l’interprétation des signaux faibles, mais c’est le prix du dialogue. L’intelligence marketing devient une compétence obligatoire.

 4) Jouer avec le tempo

L’information est partout et elle se périme vite aussi. Le rapport au temps est de plus en plus tendu. Le « ATAWAD » (any time, any way, any device) est devenu la règle. Le consommateur veut tout, quand il le veut et comme il le veut. Décrocher son attention relève de l’exploit, surtout dans le bruit ambiant. Il va falloir se mettre à son rythme et oublier les processus où le vendeur pense être maître du temps. C’est un tango avec le client et c’est ce dernier qui donne le tempo.

Les enseignements du processus d’achat  ou des séquences de la vente sont entièrement à revoir. Car si le client veut du « click and collect », il veut aussi du « slow shopping ». Le maître-mot est  donc l’ adaptation. Cela conduit à la capacité à identifier les solutions pour chacun des clients en fonction de leurs attentes du moment. Des connaissances structurées  en psychologie doivent être au programme.

 5/ Un vendeur pitcheur

Il s’agit de « pitcher », c’est-à-dire d’amorcer  très vite l’ attention du prospect, pas en lui faisant des promesses intenables mais bien en décrivant en quelques mots la promesse de la solution qu’on lui propose. Il faudra peut être ensuite savoir ralentir pour lui donner le temps de profiter de son nouvel achat, ou pour tester un produit. Le vendeur devra apprendre à « tweeter » à l’oreille de son client et lui rappeler qui il est, qu’il le vaut bien, et combien la solution proposée lui convient.

Cela demande aux personnes au contact de savoir scénariser, résumer, synthétiser, raconter une histoire de façon à tout dire en une ou deux phrases. Tout leur art est de réussir à susciter une émotion, un intérêt dans un temps très court. C’est extraire la quintessence d’un produit, d’un service, pour le faire exister dans la tête du prospect ou du futur consommateur.

 6) Un happening permanent

On oublie les lieux trop institutionnels, on crée des lieux éphémères qui suscitent le désir, qui jouent avec l’envie et la rareté. On mise sur des lieux de transit ou inédits (des friches, des parkings, des gares), des magasins…Où tout doit être renouvelé régulièrement pour « happer » l’air du temps, susciter le désir. Ce sont des compétences de créativité, de savoir-faire en installation artistique qui sont à l’œuvre. Des enseignes comme Chronostocks ou des expériences comme Pantone Colorwear ou le restaurant éphémère Mercedes-Benz plus récemment en sont des exemples convaincants.

 7) Penser le magasin étendu

S’adresser à ses clients ou ses prospects comme à une communauté est devenu incontournable. Une communauté changeante, qui croit plus en en l’expertise de ses pairs qu’en celle du vendeur. Le community management est essentiel pour sauvegarder la e-réputation, qui est fragile et indispensable.

C’est le « eWOM » (electronic Word Of Mouth, ou rumeur électronique) qui transporte maintenant l’essentiel des flux d’information. Ainsi, 77% des consommateurs pratiquent le « ROPO » (Research online-Purchase offline) et se déclarent influencés par les commentaires des autres consommateurs en ligne, selon l’étude Mediamétrie-NetRatings de mai 2013. Cela renvoie à des compétences en community management, savoirs encore émergents mais en grand devenir.

 8) Sortir des vieux schémas payant vs gratuit

On observe que le démarrage par l’adhésion des réseaux sociaux et la gratuité devient de plus en plus courant dans beaucoup d’activités. On peut citer des sites communautaires de covoiturage qui ont été rachetés par la SNCF. Alors que, dans l’autre sens, des prestations deviennent gratuites du fait des réseaux sociaux: c’est le cas des secteurs d’activités basés sur le recueil d’informations.

La valeur se périme aussi, ou doit être repensée sans cesse. Il faut renouveler le corpus de connaissances pour passer du calcul des coûts à l’évaluation de la valeur.

9) Quelle conclusion pour les Business Schools?

Si nous résumons, un programme de formation au management de la relation client appelle du théâtre, de l’art, de la psychologie, du travail sur soi, du community management, de l’évaluation de la valeur, de l’intelligence marketing et des enseignements renouvelés aux processus d’achat comme aux étapes de la vente.

Les Business Schools en sont-elles capables ? Elles doivent se motiver pour l’être car l’évolution est sans retour possible. L’avantage sera à celles qui peuvent avoir des accès directs à ces compétences et ses connaissances, relevant d’autres domaines et d’autres spécialités.

Service client : comprendre le blocage français

Chaque année, pour ceux d’entre nous qui sont partis en voyage à l’étranger, retrouver à la sortie de l’avion le « service  à la Française » constitue une petite douche froide.  Evidemment, le plaisir encore présent des vacances, la perspective peu réjouissante de reprendre le travail peuvent brouiller les ressentis, mais, admettons qu’il est difficile, voire impossible, avec la meilleure volonté du monde de poser un regard positif sur le « service à la française ».

Bienvenue en France!

« Les valises n’arrivent pas, bienvenue en France ! » Les réflexions fusaient autour de moi en attendant (vainement) mes bagages en compagnie de Québecois et d’Américains qui venaient passer leurs vacances en France et débarquaient à Paris !  Ces critiques –auxquelles j’étais bien en peine de trouver des contre-arguments- me font penser à une étude menée dans une entreprise de service auprès de personnels « au contact » des clients. « Je suis vendeur pas larbin », avait lâché un jeune homme en réaction aux différentes tâches périphériques qu’il devait assurer pour « rendre service » au client.

L’incroyable paradoxe c’est que l’industrie du service est depuis quelques années le fer de lance de la France qui a mené résolument une politique « fabless » (sans fabrication). La France est ainsi le premier pays d’accueil touristique dans le monde. Voilà une activité de service typique ! Les enjeux en termes de développement économique sont donc énormes.

C’est le contact qui compte!

La caractéristique du service est d’être intangible et non stockable. On ne peut véritablement l’évaluer qu’après l’avoir consommé. Cette immatérialité augmente ce qu’on appelle le risque perçu, c’est-à-dire l’anticipation de  payer trop cher (risque financier), de se tromper (risque psychologique) ou d’acheter un mauvais service.  Pour rassurer le prospect, il va donc falloir « matérialiser » le service : éditer des plaquettes, le proposer en « box » (séjours, loisirs, restaurants…), imaginer des supports pédagogiques. Il faut aussi travailler les structures physiques de contact ou d’accueil car les locaux représentent aux yeux du prospect le service qu’il vient chercher.

Au sommet de cette pyramide de la matérialisation figurent évidemment l’humain, en l’occurrence  ceux qu’on nomme maintenant les « personnels au contact ». C’est avec eux que se construisent la distinction et l’attractivité du service. La relation client repose en tout ou partie sur leur façon de se comporter, de réagir, leur empathie, leur désir d’aider et d’accompagner le client.

Dans un monde qui a joué la carte de la désintermédiation et de la virtualisation des contacts, on se rend compte maintenant que le client aspire à remettre de l’humain dans le process. J’ai ainsi pu montrer que le rôle des caissières est indispensable aux grands seniors dans les supermarchés. De même les acteurs de la téléphonie ont vite investi des points de vente. Et on attend le come back de la boutique de quartier, même si elle tarde à se réinventer.

Le transport aérien ou ferroviaire, les aéroports, la banque-assurance, les administrations, les services à la personne… J’ai beaucoup travaillé sur la relation client et sur ceux qu’on nomme les « personnels au contact » de grandes entreprises qui veulent améliorer leur qualité de service. Alors comment expliquer les lacunes françaises?

Service ou servitude?

Qui dit relation de service dit interaction sociale et, parfois, divergence d’intérêt, donc rapport de force et potentiellement conflit. Il faut donc envisager la prestation de service sous l’angle du pouvoir. Ceci est particulièrement vrai dans le contexte culturel français où la place des individus dans la société est liée à la notion de statut.

C’est ce que nous explique Philippe d’Iribarne dans son ouvrage La logique de l’honneur. En France, nous dit-il, il y a un clivage permanent entre ce qui est noble et ce qui est vil et il n’y a qu’une frontière très fragile entre service et servitude. D’où la difficulté très forte à développer la notion de service, ce qui est très différent d’un pays comme les Etats-Unis où la relation est fondée sur le contrat (« un accord momentané et libre entre deux volontés », disait Tocqueville) et où le prestataire de service ne se sent en aucune façon, inférieur.

En France, où la stratification sociale est fondée sur le rapport de classe, « rendre service », qui est un acte choisi et valorisant, se transforme très vite en « être au service », avec toutes ses dimensions de contrainte. Dans ce cadre, tout l’enjeu des personnels au contact des clients est donc ne pas  subir et de préserver le périmètre de leur prestation pour ne pas entrer dans la servilité ou la servitude. Il s’agit de rester dans le champ du service et ne surtout pas entrer dans celui de la subordination.

Le client a pris le pouvoir!

La vision classique de la sociologie du service (Weber, Halbwachs, Merton, Pearsons …) repose sur l’idée que le prestataire détient les ressources et dispose d’un pouvoir vertical. Il est en situation de domination car il possède le savoir (on peut penser au médecin), le statut (le professeur), un pouvoir arbitraire de décision (le juge). Dans ce cadre, le client devient souvent un « usager », sans droit à la parole.

Mais les choses ont en réalité bien changé ! Depuis quelques années, il y a véritablement une prise de pouvoir du client. Le client n’est plus le même. Zappeur, il est surtout de plus en plus mature et informé. Sa capacité à comparer un service immédiatement et avec le monde entier s’impose aussi aux personnels en contact. Ensuite, comme l’entreprise a voulu mettre le client « au travail », lui déléguant les tâches ingrates ou sans valeur ajoutée (c’est vous qui gérez votre compte en banque), celui-ci a compris les codes du service et ne s’en laisse plus conter, n’hésitant pas à avoir recours à des instances de justice.

Enfin, le client est devenu aussi beaucoup plus incivil, agressif, développant des comportements qui mettent en difficulté les entreprises: dégradation des lieux ou de l’atmosphère de l’endroit où est dispensé le service. Un phénomène renforcé par le catéchisme de l’entreprise sur  l’ « orientation client », c’est-à-dire l’alignement sur ses attentes, sans subtilité ni nuance, accentuant encore le sentiment de servitude des personnels au contact.

L’entrée en résistance du personnel au contact des clients

Ayant perdu son statut, astreint à un cahier des charges souvent plus que limité – je pense aux « scripts clients », c’est-à-dire les paroles à prononcer strictement pour accueillir ou dialoguer avec lui-, le personnel au contact va alors développer des stratégies ou des tactiques pour ne pas subir et sauvegarder ses marges de manœuvre. Le problème est que ces comportements de défense dégradent le service rendu et mécontentent le client, au détriment de l’image de l’entreprise.

Je retiens quelques comportements observés lors de mes recherches :

  •  la neutralité : il s’agit de revêtir le masque et de dépersonnaliser la relation, en se cantonnant à la prestation stricto sensu. C’est la caricature de l’attitude bureaucratique, se réfugiant souvent derrière le règlement, qui s’explique souvent par la volonté de désengagement et se traduit par un refus du contact pour cause de ras-le-bol, fatigue, volonté de résistance.
  •  l’évitement qui se traduit par le « je ne vous vois pas ».  Cette attitude est typique de la file d’attente qui s’allonge alors que le prestataire vaque à d’autres occupations qui requièrent visiblement toute sa concentration et lui interdisent de voir les gens qui attendent. Variante : il peut se concentrer de façon exagérée sur la personne dont il s’occupe sans donner aucun signe aux personnes en attente. Il dresse ainsi un voile protecteur entre lui et ses clients.
  •  la protection par le groupe : les prestataires vont interagir entre eux, de façon ostentatoire, manifestant soit du mécontentement (les plaintes sur les conditions de travail ou vis-à-vis du management), soit des plaisanteries et des connivences, montrant bien au client qu’il ne fait pas partie du cercle.
  •  la catégorisation : le prestataire développe une vision de ses clients par catégorie, il  présuppose leurs futurs comportements sur des critères qu’il a identifiés au fur et à mesure de son expérience. Il va alors anticiper en adoptant un comportement qu’il estime adéquat. C’est ainsi qu’une personne jugée par avance arrogante va pouvoir être remise à sa place avant même d’avoir ouvert la bouche. Le bénéfice attendu est de réduire l’imprévisible, de s’économiser aussi, tout en maintenant le client à distance.
  •  l’éducation : pour éviter le sentiment de servitude, la personne au contact refuse systématiquement de faire ce que le client peut faire seul. Ce sera, par exemple, lui expliquer longuement comment remplir un formulaire, plier un carton ou trouver une information, plutôt que de le faire à sa place. Rendre service oui, être au service non.
  • la soumission  : il s’agit de faire rentrer le client dans le rang, la pratique est alors paradoxalement la politesse exagérée, qui permet à la fois de garder la distance et de rappeler qui a le contrôle. Plus  le client conteste ou s’énerve, plus cette politesse va être accentuée, évitant de sortir des règles assignées tout en interdisant au client de se plaindre du comportement (« vous ne pouvez pas me reprocher de vous avoir manqué de respect »).

Après avoir observé et cherché à comprendre et expliquer, je proposerai dans mon prochain billet des pistes de solutions pour faire évoluer la situation.