Cracking the management code

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Classement des business schools, effet Matthieu et big data 

Tout le monde connait l’effet Matthieu au moins dans ses effets. Rappelons-nous : l’effet Mathieu a été mis en évidence par Robert Merton en 1968, quand il a observé que les travaux des scientifiques prestigieux sont mieux reconnus que ceux de chercheurs moins connus même s’il s’agit de travaux similaires.

Comme il est dit dans l’évangile selon Saint Matthieu (Matthieu 13 :10-17) : « On donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais celui qui n’a pas, on lui ôtera même ce qu’il a. ». Ce que dit autrement le dicton populaire : « On ne prête qu’aux riches … » ou encore l « L’argent va à l’argent ».

L’effet Matthieu dans les Business Schools

Or, il apparaît de plus en plus que cet effet Matthieu fonctionne à plein dans les classements des business schools, avec trois déclinaisons :

1/ L’ « effet de halo » : ce que font les écoles les mieux classées est toujours mieux perçu, ainsi, une innovation portée par une école bien classée est appréciée comme plus crédible, instaurant un effet leader et un effet suiveurs qui « collent » au classement,

2/ L’ « auto-prophétie » : le classement jouant à plein dans le choix des étudiants et des prescripteurs (professeurs de lycée, de classe prépa, familles ..). Il y a un effet auto-prophétique qui renchérit les effets de classements : les meilleurs élèves vont dans les meilleures écoles, et les meilleures écoles attirent les meilleurs élèves … et ainsi de suite

3/ L’effet leader (ou « the winner takes it all ») : toute publicité déclenchée et donc financée par une école moins classée va être automatiquement attribuée à une école mieux classée.

Bref, on ne prête qu’aux écoles bien classées et on ôte à celles qui sont en bas de tableau. C’est bien l’effet Matthieu.

Il est très difficile de sortir de cet effet Matthieu, surtout à un moment où les écoles de haut de tableau, pour des raisons de survie-développement (je ne reviens pas sur les mutations des business models) font jouer à plein leur marque et leur réputation pour attirer un nombre toujours plus grand d’étudiants.

A tel point que j’ai entendu des directeurs d’écoles mal classées dire (en plaisantant … quoique …) que leurs écoles devraient toucher un pourcentage pour l’intégration d’un étudiant dans une école mieux classée … En effet, leurs allocations de ressources retournent en partie aux leaders.

L’inertie des classements depuis des décennies démontre l’existence de cet effet Matthieu car si quelques écoles ont fait leur chemin c’est en jouant avec les mêmes critères que les têtes de peloton, et non pas en « disruptant ». Celles qui s’y sont risqué l’ont payé fort cher (sûrement aussi pour cause de mauvaise stratégie).

Le rôle structurant des classements médiatiques

Loin de moi l’idée de rejeter les classements. Les étudiants, leurs familles en ont besoin pour comprendre un peu mieux ce monde si complexe de l’ESR en management. Les années passant, ces classements ont, dans leur ensemble, progressé en finesse d’analyse, en vérification des preuves, en pertinence des critères, donnant ainsi une image à la fois plus précise et plus équitable de l’ensemble de l’offre.

Mais il y a encore beaucoup de pratiques qui servent l’effet Matthieu :  je pense au classement recherche Educpros qui privilégie le nombre de rang 1, certes plus faciles à comptabiliser mais qui occulte des publications certes moins classées mais qui tissent une recherche pouvant être abondante, de qualité, correspondant certainement à la demande des milieux économiques, et soutenant parfaitement la pédagogie. On peut aussi regarder des critères comme : les mentions au bac, le nombre de séjours à l’étranger, les accréditations …qui mettent les écoles dans des corridors pour ressembler toujours plus et mieux aux leaders…

« Si tu as un bâton, on te donnera un bâton, si tu n’as pas de bâton, on te le prendra. » écrivait Christine Rochefort. Étrange sentence qui sonne assez bien quand on regarde les fameux rankings.

A l’heure où nous observons de grandes mutations dans le monde sous la triple impulsion désormais classique de la globalisation, de la digitalisation et de la responsabilité, ne pourrions-nous pas nous dire que la façon de classer est profondément ringarde et qu’il faudrait rebattre les cartes ? Ou disrupter ?

Disrupter  ?

Il n’y a pas de fatalité, juste la volonté de regarder les choses autrement. C’est ce qui a été fait pour les classements des lycées, qui, malgré leurs imperfections (qu’on ne manquera pas de me faire valoir) ont su marquer un véritable infléchissement. Que s’est-il passé ?

Les classements ont choisi de ne plus évaluer la performance les lycées en se focalisant uniquement sur la réussite au baccalauréat, qui non seulement alimentait cet effet Matthieu, mais donnait lieu à de mauvaises pratiques comme le renvoi d’élèves avant le Bac afin de ne pas plomber les statistiques.

Poussés par le Ministère, les « classeurs » (i.e.les media qui classent) ont identifié le « lycée accompagnant », c’est-à-dire le lycée qui mène ses élèves à la réussite, quelle que soit leur origine, leur niveau de départ, le prestige du lieu d’implantation … en évaluant du coup la « valeur ajoutée » de l’établissement.

Les classeurs des écoles de management pourraient s’inspirer de cette vision qui rebattrait les cartes et estomperait l’effet Mathieu.

Ce serait d’autant plus pertinent que beaucoup de « grandes écoles » de management ont une sélectivité qui a beaucoup évolué. Les causes en sont : 1/ la hausse significative des effectifs de leurs promotions, ce qui implique nécessairement une baisse de la sélectivité, et 2/ une sélection qui a de moins en moins à voir avec les concours avec la multiplication des voies d’admissions. Ces deux stratégies induisent une population étudiante de plus en plus diverse, ou de moins en moins homogène, selon.

Dessine-moi une busines school accompagnante

J’entends déjà dire que toutes les écoles sont accompagnantes et que, si elles ne l’étaient pas, elles n’auraient pas les taux d’insertion que nous savons, ni la satisfaction mainte fois mesurée de leurs alumni.

Mais je persiste néanmoins dans mon raisonnement. Est-ce que ne serait pas une vision plus en phase avec l’air du temps que l’addition des accréditations, de publications, du nombre de partenaires accrédités etc etc … ? Que pourrait être une « école accompagnante » ? Quels critères permettraient de le vérifier ?

Une école accompagnante est une école qui hisse vers la diplomation et surtout vers une insertion professionnelle ambitieuse et en adéquation avec leur projet TOUS ses étudiants, quel que soit leur niveau de départ. En cela les écoles de bas de tableau font un travail méritoire. Pour enseigner depuis de nombreuses années à l’Université et en Business Schools, il est toujours plus facile d’avoir de bons résultats avec des élèves déjà performants à l’arrivée.

L’idéal serait de pouvoir mesurer à année équivalente les connaissances dans telle ou telle discipline : comme le TOEFL ou le TOEIC permettent de mesurer un niveau d’anglais « hors les murs », pour voir effectivement où sont les meilleurs scores. On découvrirait peut-être que les élèves d’une école de rang 18 ou 20 ont de meilleurs scores qu’une école de rang 4 ou 5 en marketing ou en contrôle de gestion  !

Un autre idéal serait un score à l’entrée et un score à la sortie pour mesurer les progressions. Cela permettrait aussi de valider des innovations pédagogiques en comparant ce qui est comparable, et faire ainsi de véritables liens entre le résultat et le processus pour l’atteindre. Ce qui n’est pas le cas actuellement où les « innovations pédagogiques » ne sont jamais mesurées en double aveugle.

On pourrait alors parler de VALEUR AJOUTÉE des écoles pour leurs étudiants.

L’arrivée des big data

Sur quels critères cette valeur ajoutée pourrait-elle être indicée ? Je formule quelques pistes :

1/ L’écart entre l’attendu et le réalisé

Il faut pour cela calculer les scores attendus pour une école donnée en fonction du profil des étudiants intégrés, scores pour des tests globaux de connaissances mais aussi en lien avec les compétences attendues dans le monde du travail.

Cette possibilité de suivre un parcours d’étudiant sur la longueur de son parcours de formation, et donc d’avoir des projections sur sa réussite est maintenant tout à fait possible avec les big data. On peut maintenant construire à partir de profils, des projections de parcours. Nous ne sommes donc dans la science-fiction, mais bien à l’aube de nouvelles modalités d’évaluation de la performance d’une institution d’enseignement Des universités américaines s’y sont mises comme celles de l’University Innovation Alliance.

2/ Créer des scores indépendants dans de nombreuses matières : il serait très intéressant d’avoir des scores sur des outils communs sur des disciplines autres que l’anglais pour qualifier le niveau d’un candidat en dehors de l’évaluation propre de son institution d’origine. Là encore, des dispositifs sont à l’œuvre avec la possibilité d’administrer les tests de façon massive et non falsifiable comme de concaténer les résultats de façon globale, toujours grâce à l’Intelligence Artificielle.

3/ Se pencher sur les ratios d’encadrement dans des services clés comme évidemment les Relations Internationales ou les services carrières, tous ces départements qui demandent une interaction humaine forte pour véritablement assurer leur fonction. Analyser les durées effectives de scolarité qui peuvent être un proxy de la capacité à véritablement s’adapter au rythme d’apprentissage de l’étudiant/apprenant.

4/ De façon plus qualitative, regarder la réalité des mises à niveau pour les publics « diversifiés » : y a-t-il de véritables sessions de formations? Quand se situent-elles ? Avec qui ? Ou a-t-on seulement recours à du e learning, à charge pour le-la candidate de se mettre à niveau ?

5/ Regarder les frais « additifs » qui sont générés par des séjours à l’étranger ou des années de césure, et qui sont supportés par les parents, en plus de frais de scolarité annoncés, afin d’avoir un coût réel de la scolarité.

6/ Calculer pour les étudiants le ROI  de leur scolarité, c’est-à-dire l’amortissement de leurs frais d’étude vs leur carrière à 5 ou 10 ans. On est incapable de dire à quel moment la valeur de la personne l’emporte sur l’effet diplôme ou si l’effet réseau perdure et peut compenser les relatives incompétences d’un alumni. Là encore des suivis dans la durée des alumni tels que le permettent les données massives objectiveront la réalité de la valeur d’une école.

Beaucoup d’autres pistes sont à explorer pour répondre à cette préoccupation de tout un chacun de la véritable valeur ajoutée d’une institution d’enseignement pour ses étudiants.

Il est urgent d’en mobiliser quelques-uns dès à présent dès à présent pour estomper l’effet Matthieu, à condition de le vouloir bien sûr. Mais les avantages peuvent être importants.

Une fable ou à faire ?

Les big data peuvent nous aider à réfléchir à d’autres projets d’écoles sans les condamner à sortir du jeu. Il faut pour cela que les classements soient capables de casser les corridors dans lesquels, plusieurs fois par an, les écoles s’essoufflent pour garder leur place en connaissant par avance l’ordre d’arrivée.

Cet infléchissement, même s’il est difficile à mettre en place répondrait indéniablement aux nouvelles attentes de toutes les parties prenantes de la société :

1/ Etre effectivement dans la RSESR : Responsabilité Sociétale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, avec un véritable impact sur l’environnement socio-économique,

2/ répondre aux attentes de personnalisation des cursus des étudiants,

3/ innover au service d’un projet et non pas pour faire valoir de l’innovation, sans aller jusqu’au bout de son apport,

4/ pousser les équipes enseignants et administratives à une contribution globale au service de l’étudiant avec une objectivation des résultats.

L’enjeu est de trouver de nouvelles modalités d’évaluation de ce qui est si important et si immatériel : la formation dans l’enseignement supérieur pour nos étudiants et apprenants. Il est aussi de sortir de l’effet Mathieu en permettant à des écoles moins bien classées de démontrer leur valeur ajoutée en empruntant des chemins différents des leaders.

Cette réflexion permet aussi de revenir à la parabole de l’évangile d’où vient l’effet Matthieu et qui, d’après les exégètes n’est pas un cours d’économie mais bien l’idée de pousser chaque homme et chaque femme à faire grandir ses talents, et à avancer dans la vie avec confiance. N’est-ce pas là la véritable mission d’une Ecole de Management ?

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Entre publier et procréer : surtout ne pas choisir !

La dernière édition du baromètre Educpros sur le moral des professionnels de l’enseignement supérieur et de la recherche pointe la grande difficulté des femmes à concilier vie personnelle (et particulièrement leur vie de mère de famille) et vie professionnelle, surtout dans ses aspects de promotion et de carrière. Beaucoup y arrivent « malgré tout », mais le prix à payer est élevé : fatigue, sentiment de frustration, renoncement ou décalage dans le temps d’un projet d’enfant, censure dans les projets de carrière.

Cette situation de dilemme permanent est une charge mentale et psychologique importante à laquelle sont soumises trop de femmes, quel que soit leur métier ou leur secteur d’activité. Ce baromètre confirme que  les métiers de l’enseignement et la recherche ne sont pas exemptés de ce problème.

Au-delà de la diversité des profils, des réussites et des échecs des unes et des autres, de l’immense variété des situations, le fond du problème est que c’est à la femme de construire sa trajectoire personnelle, en se fondant sur ses ressources propres, qu’elles soient intellectuelles, physiques, financières ou relationnelles.

On retombe toujours sur les mêmes résultats, il faut être diplômée de façon à avoir le choix optimal d’une entreprise et d’une fonction permettant cette conciliation vie privée vie professionnelle, une bonne résistance physique (pas besoin de beaucoup de sommeil !), des moyens financiers pour alléger les contraintes logistiques liées aux enfants ou aux contraintes professionnelles, un compagnon (ou une compagne) prêt à prendre sa part de responsabilités et de charges, et des parents ou des amis pouvant servir de relais en cas de « coup dur » ! Chacune se reconnaitra dans cette image parfaite, que seules quelques happy few peuvent revendiquer !

L’impact de l’exclusion des femmes

Et pourtant, ce n’est pas aux seules femmes d’affronter ce double rôle de productrice et de reproductrice (encore une expression peu sympathique), mais bien à la société entière ! La femme n’a pas à construire seule sa double vie professionnelle et familiale.

Des sociétés ont résolu la question en réduisant les femmes à leur rôle de mère et en leur interdisant l’accès aux espaces professionnel et public. On commence à en voir les dégâts, comme dans la société japonaise où la relégation de plus de la moitié de la population est actuellement questionnée tant le bilan économico-démographique est dramatique. Mais bien d’autres pays sont amenés à faire des constats identiques. En effet, quand il faut choisir entre avoir des enfants et avoir un rôle social, c’est aller assurément vers la baisse du taux de la fécondité dans nos sociétés dites avancées. En témoignent à leur corps défendant toutes ces Espagnoles, Italiennes, Allemandes qui renoncent à la maternité ou la mettent entre parenthèse jusqu’à la quarantaine pour ne pas se retrouver au « foyer » !

Au-delà des aspects strictement numériques, les sociétés se construisent et évoluent en étant amputées dans leur circuits décisionnels économiques, politiques, de l’autre « moitié du ciel » comme le disait Mao. Nul n’est besoin d’être un politologue ou un économiste pour constater l’immense gâchis qui en résulte.

Des compétences « augmentées »

Pour ne pas rester au stade du constat et de l’interpellation, et pour avancer un peu dans la réflexion, je propose de valoriser tout ce qu’une femme peut apporter à une organisation, à une entreprise et dans notre cas à l’enseignement supérieur et à la recherche, si on lui donne le soutien nécessaire à ce double objectif de travailler et d’avoir une vie de famille. En le cas d’espèce, de « publier ET de procréer ».

Je partirai d’une théorie qui est celle du « temps augmenté », en l’élargissant à l’idée de compétences augmentées. L’idée de départ est que savoir concilier une vie personnelle épanouie et une vie professionnelle exigeante mobilise et développe des compétences très spécifiques et à haute valeur ajoutée, que les entreprises et les organisations devraient savoir reconnaitre pour mieux les valoriser et en tirer profit.

Avec la théorie du temps augmenté, on renonce à voir les temps personnel et professionnel  comme des vases communicants, on abandonne l’idée que le temps passé avec les enfants est du temps volé au travail et vice-versa. Ce fonctionnement repose sur une vision très linéaire de son organisation qui bute très vite sur des dilemmes impossibles à gérer.

De la même façon, je propose de partir de l’idée que l’interpénétration des deux mondes personnel et professionnel est une source de valeur augmentée.

C’est la démonstration au quotidien de la capacité à gérer concomitamment  deux projets hyper-complexes, à variables multiples, sur du temps long et sans pause possible. En effet, la vie familiale et la recherche ont ceci en commun de mobiliser entièrement l’esprit, en temps continu, faisant appel à des ressources multiples et à gérer dans un jeu de contraintes nombreuses.

Il n’est pas possible de les  séquencer, de leur imprimer son rythme propre, de les mettre en attente. La recherche comme la vie familiale exigent toutes deux une immersion totale.

Quelles sont les clés pour réussir à « tout faire » ? J’en propose quelques-unes, sans aucune prétention à exhaustivité.

Clé n°1 : Renoncer à la perfection

C’est difficile à entendre, mais les femmes doivent renoncer à être parfaite et se défaire du « syndrome de la bonne élève » qui les atteint toutes ! Paradoxalement, il faut renoncer à être une mère parfaite, une compagne parfaite, une chercheuse parfaite … pour réussir ! Une devise : « la qualité est souvent de la surqualité ! »

Clé n°2 : Faire confiance

Le corollaire du renoncement à la perfection est de savoir faire confiance à son entourage, tout particulièrement à ses enfants et ses collègues. Les enfants sont capables de faire beaucoup plus de choses en autonomie que leur mère ne le pense et cela les aide à grandir ! De même, un mari, époux, compagnon, compagne peut s’investir dans le quotidien et prendre des tâches en main : les courses au supermarché, le repassage, les devoirs … de façon différente, peut-être pas aussi merveilleuse, mais suffisante certainement ! Dans le milieu professionnel, des collègues, des collaborateurs peuvent aussi contribuer positivement à toutes sortes de missions, cela s’appelle la délégation. Une devise : « Ce qui est fait est bien fait ».

Clé n°3 : Mobiliser les méthodes professionnelles dans la vie familiale…et vice versa

Il faut savoir mettre sur le même plan et traiter avec le même professionnalisme la leçon de violon et la réunion de travail, le goûter d’anniversaire et le déjeuner professionnel, l’accompagnement aux devoirs et la rédaction d’un article.

Utiliser les méthodes professionnelles pour la vie privée aide beaucoup en efficacité. Tenir un agenda avec la même rigueur pour les deux vies est une façon de ne pas dériver et de se retrouver débordée avec des ajustements de dernière minute. De la même façon, on apprend énormément de choses dans une vie familiale qui relève souvent de la gestion d’une TPE. L’enjeu est  de décoder ces compétences acquises sans qu’on s’en rende compte et les mettre au service de la vie professionnelle.

 Clé n°4 : Garder des zones tampons

Il faut du « tiers temps » pour éviter les passages frontaux d’un monde à l’autre. Les temps de transport sont d’excellents moments pour faire des transitions pas simples. Il vaut mieux marcher et arriver un peu plus tard à la maison le soir avec l’esprit plus libre que d’arriver tôt sans avoir eu le temps de se débarrasser des soucis professionnels.

Evidemment, il est très important de pouvoir se garder du temps « à soi », comme des petites bulles d’oxygène pour reprendre sa respiration dans le rush. Ces moments aussi doivent être inscrits dans l’agenda pour ne pas disparaître pour cas considérés comme de forces majeures ! Une devise : « je le vaux bien … aussi ».

 Clé n°5 : Apprendre la fluidité

Passer l’aspirateur est un excellent moment pour réfléchir à sa prochaine publication ! Une réunion ennuyeuse est un très bon créneau pour dresser une liste de lieux de vacances ou tenir ses comptes. Cela ne s’oppose pas à la clé numéro 2 et rejoint la clé n°3…

Autant l’agenda doit être béton, autant il faut savoir se saisir de toutes les opportunités pour avancer ! Plus les dossiers sont instruits et préparés, moins le cout d’entrée est important. La fluidité est essentielle pour mener tout de front.

De l’énergie et une organisation sans faille

Une conviction en forme de conclusion : il est absolument possible de publier et de procréer. Mais cela demande en effet une mobilisation d’énergie et une organisation sans faille, qui doivent être reconnues à leur juste mesure pour être valorisées et soutenues.

Cela signifie très clairement qu’il faut évaluer le dossier de publications ou de carrière d’une mère de famille avec d’autres critères : pas seulement celui de la performance classique à l’instant T, mais celui du potentiel qui se déploiera dans les années à venir, quand les enfants auront grandi.

Ce qui est formidable, c’est que leur carrière prendra toute son envergure à un moment où ceux et celles qui auront moins investi dans la double vie seront dans un désir de retrait. PUBLIER et PROCREER,  surtout ne pas choisir !

Le « business des Business Schools » : pourquoi tant de méfiance ?

S’il est un sujet qui revient chaque année dans les conférences internationales de directeurs de Business Schools et qui fait un consensus universel, c’est le sentiment d’être « une sale espèce » au sein du monde de l’enseignement supérieur. Être à la fois la « cash cow » de son université et considéré comme le lieu  de la marchandisation du savoir, peut en effet, créer un certain mal-être.

Comme le monde a longtemps été organisé entre Dieu et le Diable, il est maintenant partagé entre les pro et les anti-marchandisation. Et c’est bien tout le sujet quand on soulève la question du business des écoles de commerce. Mais on se donne rarement les moyens de l’analyser correctement. En effet, l’amalgame est courant entre la question des métiers  du commerce et celle de la façon dont les business school développent leur activité de formation. Il y a deux sujets dans le sujet, et ces thèmes méritent d’être traités séparément.

Je propose d’analyser le débat avec un peu du recul que peut donner la recherche.

Le commerce, une activité mal aimée

« Ulysse vole, pille tue, mais il ne commerce pas », Homère (Odyssée, VIII, 166), « Mercator Deo placere non potest : le marchand ne peut plaire à Dieu » (adage médiéval), « Le commerce est par essence satanique » (Baudelaire), « Vendre, c’est manger l’autre » (Sartre).

Autant de penseurs, autant d’époques et, à chaque fois le même regard plein de soupçon, de méfiance voire de haine à l’endroit du commerce et du marchand. L’illégitimité du commerce semble acquise et perdurer au cours des siècles. Pour quelles raisons ?

1) Le commerce : un métier d’improductifs

Le marchand pendant des siècles n’a pu être considéré comme un travailleur. Il n’existait simplement pas dans les castes de la Cité grecque, déclinée par Platon avec les gardiens, les agriculteurs et les gouvernants. D’ailleurs le mot négoce vient du latin negotium, qui se traduit par « qui n’a pas de loisir », c’est donc une simple occupation, par opposition à la véritable production. Le marchand transmet, il vit sur le travail du producteur.

 2) L’argent qui souille

Le contact le plus évident, le plus invoqué quand il s’agit de répondre à la question qui nous préoccupe est celui avec l’argent. La relation marchande est fondamentalement transactionnelle et liée à la monnaie. Or, l’argent est entaché d’un soupçon originel. Il n’est pas comme la violence, la tyrannie, l’injustice, l’objet de dénonciation, de protestation, d’indignation ou de combat. Avec l’argent, on quitte le registre du tragique pour celui du mépris nous dit Henaff dans son excellent ouvrage « Le prix de la Vérité ».

 3) L’étranger qui inquiète

La sphère marchande est celle du flux et de la circulation, et le marchand est nomade, éternel étranger aux groupes qu’il relie. La place du marchand « est dans les intermondes », selon Marx. Le marchand comme l’étranger transportent en eux le monde extérieur. Ils sont porteurs de nouveautés et d’idées, ils acquièrent une certaine objectivité face aux différents modèles sociétaux qu’ils rencontrent. En cela, ils inquiètent.

4) Le soupçon de la manipulation

L’autre cause explicative du mépris et du soupçon que nous observons à l’endroit de la relation marchande est son caractère herméneutique. En effet, le vendeur utilise le désir de l’autre pour arriver à ses fins, à savoir lui vendre un objet ou une prestation. Il manipule sa parole pendant la période de négociation afin de l’amener à l’acquisition. Ce soupçon de manipulation fait du marchand une figure inquiétante.

On peut citer comme illustration cette phrase de Balzac présentant César Birotteau, négociant de son état, et personnage principal du roman éponyme :

« Dans sa parole, se rencontrent à la fois du vitriol et de la glu : de la glu pour appréhender, entortiller sa victime et la rendre adhérente, du vitriol pour en dissoudre les calculs les plus durs » (Balzac).

 5) Des affinités avec le vice

Le commerce présente aussi des affinités avec le vice. Nombre d’auteurs, le premier étant Mandeville dans sa fameuse « Fable des abeilles », ont cherché à démontrer que les vices de chacun étaient partie prenante du développement des activités marchandes. Pour ces penseurs, le commerce est l’exploitation du désir de l’autre. Or le désir, dans la mythologie, est fils de la pauvreté et de l’envie. Le commerce a fait du vice ou des faiblesses humaines ses alliées, et il en paie le prix.

 6) Une liaison dangereuse avec la guerre

D’autres liens ont marqué le commerce d’une façon néfaste. Les marchands ont toujours été des médiateurs entre nations en guerre, en s’affranchissant de règles éthiques qui s’imposaient au reste de leurs semblables. Même Lévi-Strauss, quand il affirme :

« Les échanges sont des guerres pacifiquement résolues et les guerres sont l’issue de transactions malheureuses » affiche des proximités, qui pour être simplificatrices, pèsent néanmoins sur nos représentations. »

Les écoles de commerce préparent aux métiers du commerce, elles forment de futurs managers bien sûr mais qui rejoindront le monde marchand, avec les représentations qui pèsent sur lui depuis des siècles. Le défi est de taille !

 Peut-on transformer le savoir en marchandise ?

Mettre un prix sur un objet ou un service, c’est en faire une marchandise, un objet de trafic. Dans nos sociétés, il est interdit de vendre le pouvoir politique, la liberté individuelle, la justice pénale, la liberté de parole, de presse, de religion, de réunion, de nationalité, de mariage, de charges administratives, les honneurs publics. Le savoir ou la connaissance devraient-ils faire partie de cette liste ?

Faire commerce avec le savoir serait le dépouiller de son intégrité par le même phénomène de contagion que nous avons décrit. Le contact avec l’argent le souille, le pervertit, comme l’exprime Marx :

« L’argent est la perversion généralisée des individualités qu’il change en leur contraire…il transforme la fidélité en infidélité, l’amour en haine, la haine en amour, la vertu en vie, le vice en vertu, le valet en maître, le maître en valet, la bêtise en intelligence, l’intelligence en bêtise » Il est « la confusion et la conversion générale».

1) Peut-on transformer le professeur en marchand ?

Platon n’a de cesse de combattre les sophistes qui, selon lui, ne peuvent être de vrais philosophes parce qu’ils se font payer pour transmettre leur savoir. Le marchand est pour Platon celui qui ne peut rien faire d’autre et ne connaît pas son produit. Les sophistes se faisant payer, ils sont donc des commerçants et ne peuvent maîtriser le savoir, CQFD.

Ce raisonnement peut s’appliquer au professeur. Son savoir et sa connaissance ne sont pas détachables de sa personne. En les commercialisant, il se condamne à rejoindre un monde qui n’est pas le sien, à quitter celui de la connaissance pour celui du commerce.

2) Les risques de la marchandisation des connaissances

Les dérives possibles de la marchandisation du savoir sont souvent soulignées et dénoncées  Outre le risque de réserver la connaissance à ceux qui peuvent la payer, c’est aussi s’exposer aux demandes et exigences d’un « étudiant-client ». Or ces demandes pourraient être faites selon des critères sans pertinence aux yeux du professeur. On pourrait craindre aussi la manipulation du diplôme comme un bien, au service de ce que l’argent peut acheter : le statut et le pouvoir.

3) Un autre point de vue : la relation de commerce est une relation horizontale

Rappelons que commercer ne se réduit pas à acheter et à vendre, comme l’a longuement démontré Benveniste dans ses travaux linguistiques. Adam Smith définit la relation marchande comme une construction dialectique :

  • d’une part, la sympathie qui doit exister entre les gens qui ont des relations commerciales pour qu’ils se comprennent
  •   d’autre part, l’objectivité qui caractérise cette relation construite sur la médiation d’un objet et de la monnaie qui vient en retour.

Vendre une formation, un diplôme, ne réduit pas la relation professeur-étudiant à une relation d’achat et de vente. Elle permet de développer une relation émancipée de la contraignante logique de don/contre don.

Cette relation « horizontale » met en péril les liens hiérarchiques « verticaux » sur lesquels s’est appuyée pendant des siècles la société occidentale. Le fait qu’en France, la Révolution s’en soit pris aux privilèges et non à l’enrichissement est symptomatique de cette césure entre deux types de sociétés.

Avec le commerce, l’homme prend conscience que sa destinée est entre ses mains et n’aura dès lors de cesse de construire un pacte social, fondé sur la propriété, la maîtrise du bien-être et  l’accomplissement de soi. Cette capacité de liberté que l’on trouve dans le commerce était déjà largement décrite par Adam Smith qui démontrait dans la Richesse des Nations combien la médiation par le bien était libératrice des anciens liens de servage ou de féodalité.

Un nouvel équilibre étudiant-professeur

En payant, l’étudiant connaît, de fait, une émancipation qui le soustrait au pouvoir du professeur et lui confère un statut qu’il n’a pas forcément dans la gratuité. La relation contractuelle redessine les équilibres. N’est-ce pas cela finalement qui peut sembler le plus inquiétants aux détracteurs du commerce des formations ? Au delà de cette émancipation, on peut aussi avancer l’idée que l’étudiant, dans le simple fait d’acheter sa formation, accède à une forme de responsabilisation et de professionnalisation. Car financer ce qui devient alors une prestation, l’engage.

A première vue, payer renvoie au seul coût de la formation, mais payer, c’est aussi une obligation de responsabilité. En l’occurrence, responsabilité de l’école qui voit des étudiants et des familles lui faire confiance, et responsabilité des étudiants qui investissent dans leur formation, et donc leur avenir. Mais les étudiants ont-ils envie de cette responsabilité ?

Il semblerait que la formule du « business des business schools », renvoie à plus de questions qu’on ne l’imagine :

  • réhabiliter le monde marchand
  • revoir la définition du commerce sans le réduire à la marchandisation
  • repenser les relations entre professeur et étudiant en redistribuant les pouvoirs et les responsabilités.
Pour aller plus loin :
Barth I. « La marchandisation du monde : un vrai faux débat ? », Décisions Marketing, n° 38 Avril-Juin 2005
Barth, I. (2012), « Homo Mercator, grandeur et servitude du marchand au cours des siècles, du passeur des mondes au commis voyageur, Protagoras, Marco, Edouard et les autres … », Editions PAF,
Henaff, M.(2002), Le Prix de la vérité, le don, l’argent le philosophe, Editions du Seuil
Mandeville, B. (1990), La fable des abeilles ou les vices privés font le bien public, Vrin
Marx K. (1996), Manuscrits de 1844, Flammarion
Smith, A. (1999), Théorie des sentiments moraux, PUF

La fierté  de manager, la fierté d’entreprendre

Il y a quelques jours, l’EM Strasbourg a accueilli l’Université d’été du Medef en Alsace sur le thème de la « Fierté ». Ce qui m’a donné l’occasion de réfléchir à ce sentiment, assez mal compris et finalement assez peu partagé en France, patrie de l’autocritique et de l’autoflagellation.

Pourquoi débattre de la fierté ?

Il y a un an, quelques jours avant la  réunion qui devait choisir le thème de cette Université d’été, je traversais l’esplanade du Trocadéro à Paris, parmi une foule dense et cosmopolite. Des milliers de personnes venant des quatre coins du monde se croisent tous les jours dans ce lieu, et, vous l’ignorez peut être, marchent sur des dalles où sont gravés les premiers articles de la Déclaration des Droits de l’Homme. Le premier étant :

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir envers les autres dans un esprit de fraternité »

Je connaissais bien le tailleur de pierres, maintenant décédé, qui a gravé ces mots. Tailleur de pierre de père en fils, il m’a toujours dit sa fierté de faire ce métier, et il avait été tout particulièrement fier d’avoir été choisi pour graver ces mots initiateurs des Droits de l’Homme au Trocadéro. Il ne gagnait pas très bien sa vie mais il était fier de son métier, fier de ses œuvres, fier de laisser une trace aux yeux de tous de son art.

Je me suis alors posée la question.  Sommes-nous tous ainsi fiers de ce que nous faisons, fiers de ce que nous sommes ?

Qu’est-ce que la fierté ?

L’étymologie nous donne trois pistes intéressantes à explorer :

  1. L’origine latine du verbe fidere qui a permis de décliner tous les mots français autour de la confiance : se fier à, se confier;
  2. Le détour anglais par l’anglais : en effet, le mot pride (confiance en anglais) vient du vieux français « preux », synonyme de « courageux ». Il me semble que cette alliance de la confiance et du courage renvoie bien aux bonnes pratiques du management. Elle est une excellente raison de revendiquer la fierté d’être manager ou entrepreneur;
  3. Il existe une troisième origine : le mot latin ferus qui signifie « farouche », « sauvage », et qui renvoie à une face plus obscure de la fierté, quand elle décrit une personne réservée, peu accessible, voire même susceptible, et attestant d’une haute opinion de sa valeur.  Cette fierté-là confine à l’orgueil. Si la fierté est un sentiment noble qui permet d’avancer avec assurance dans la vie, sans avoir à se mesurer aux autres, ni à les rabaisser, l’orgueil exprime « le mépris de tout, sauf de soi-même », selon le philosophe Théophraste.

Ce lien avec l’orgueil explique certainement cette méfiance pour la fierté que nous avons dans le contexte culturel français. L’orgueil est en effet, dans la religion catholique, un péché capital, puisqu’il exprime du mépris pour les autres, et par là-même pour la création divine et pour Dieu.  La culture judéo-chrétienne prône plutôt l’humilité et son expression directe qu’est la modestie. L’humilité, qui est la  qualité de se voir de façon réaliste, ne s’oppose pas à la fierté. Au contraire, une personne peut être fière de ce qu’elle a fait, parce qu’elle possède suffisamment d’humilité pour évaluer les efforts qu’elle a dû fournir pour y arriver.

Soyons donc fiers, loin de tout orgueil.

De quoi pouvons-nous être fiers ?

  1. Être fiers de ce que nous sommes, même si nous n’y sommes pas toujours pour grand-chose quand il s’agit d’être fier d’être Français ou bien fier d’être Alsacien;
  2. Être fiers de ce que d’autres font pour nous, en tant que communauté : ainsi nous pouvons être fiers de nos champions sportifs même si nous ne sommes pas sur le tatami ou dans le bassin olympique avec eux;
  3. Être fiers de ce que nous faisons indirectement, fiers de nos enfants, fiers de nos collaborateurs, comme des salariés peuvent être fiers de leur entreprise;
  4. Et enfin, être fiers de ce que nous réalisons, d’autant plus fiers qu’il y a des difficultés, des défis à relever. La fierté renvoie alors au mérite. C’est là que s’exprime véritablement la fierté : celle qui est lié au mérite, mérite d’avoir réussi, d’être devenu ce que nous sommes, d’avoir contribué à des succès partagé.

Être fier de ses échecs

Un sujet tout à fait intéressant, et longuement débattu lors de l’Université d’été du Medef alsacien, a été l’échec. En effet, le parcours de toute vie, est semé de réussites mais aussi, bien souvent, d’échecs. Or, le rapport à l’échec en France est complexe. En effet, l’échec est souvent assimilé à la faute.

Rappelons-nous : dès notre plus tendre enfance, on ne nous corrige pas des erreurs d’orthographe mais des « fautes » d’orthographe… Au square, les parents américains poussent leurs enfants à grimper aux structures de jeux, les parents français menacent les leurs de la chute. Cela crée indéniablement des repères pérennes.

Il a beaucoup été rappelé que dans d’autres cultures, particulièrement aux Etats-Unis, l’échec est vu comme une façon d’apprendre. Un entrepreneur nous a raconté que, lors de son premier voyage d’affaires aux Etats-Unis, ses interlocuteurs lui avaient demandé combien de fois il s’était « planté », et que sa réponse « zéro fois » le rendait suspect à leurs yeux.

Les témoignages ont été nombreux, de managers comme de politiques, du sentiment de honte ou de l’humiliation vécus lors d’échecs. Ils ont aussi raconté le regard posé sur eux, par leur entourage ou leurs pairs qui les « jugeaient » comme des perdants ou des incapables, au lieu de voir dans cet échec, le projet, l’envie de faire, et toute l’énergie et l’intelligence mobilisées.

Il y a vraiment, en France, un travail à faire, individuel et collectif, sur cette notion d’échec. Nous devons considérer qu’échouer est un socle d’apprentissage extraordinaire. Au lieu d’essayer d’oublier ou de camoufler l’échec, il faut être fier d’avoir tenté, d’avoir relevé le défi qui a été à son origine. Il faut apprendre à apprendre de ses échecs et de ses erreurs, pour ne pas les renouveler, ou pour redémarrer dans des conditions plus favorables.

Le rôle des écoles de management

Les écoles de management ont un rôle essentiel dans ce rapport à l’échec. Des enseignements sur la faillite d’entreprise, sur la gestion de crise, sur la façon dont on mène des fermetures de site… doivent être aussi naturels que ceux qui promeuvent des projets vertueux.

Des témoignages de chefs d’entreprises comme nous en avons reçus à l’Université du Medef à l’EM Strasbourg sont aussi à privilégier. Il n’est plus possible de camoufler ce qui, il y a peu encore, était une honte. On n’est pas un perdant quand on a dû mettre fin à une aventure managériale ou entrepreneuriale. Le savoir-faire du diagnostic lucide contribue aussi à cette construction d’une posture positive.

C’est aussi une culture à apporter sur l’apprentissage par l’erreur. La capacité à la prise de risque est indissociable d’autres apprentissages du management, et, comme beaucoup, elle n’est pas innée mais s’éduque. Aux Business Schools d’être les moteurs de cette formation.

Du sentiment individuel à la fierté du collectif

Un des défis du manager est de diffuser ce sentiment de fierté à toutes les personnes avec qui il travaille, de passer de l’individuel au collectif. La fierté rejoint alors la notion d’appartenance à un groupe, que connaissent bien les sportifs. Il faut alors promouvoir le collectif, mais le faire dans le respect de chacune des personnes qui le constituent.

Cette fierté de collaborer à une entreprise est intimement liée au bien-être au travail, et constitue une des conditions de la performance.

D’autres ressorts de l’entreprise comme la créativité et l’innovation sont en lien avec la fierté, dans le sens où se crée un cercle vertueux. En effet, la fierté, par la confiance en soi qu’elle autorise, facilite le chemin de la réussite, et la réussite donne un sentiment de fierté, fierté d’avoir passé les obstacles, fierté du travail bien fait. Le contexte est alors beaucoup plus porteur pour créer et innnover.

L’essence du management est de donner du sens aux missions des personnes pour collaborer ensemble à la réussite de projets communs. La fierté constitue un ciment indispensable de l’acte managérial.

Fier d’être manager, fier d’être entrepreneur

Toutes les conditions sont réunies pour être fier d’être manager, fier d’être entrepreneur, et ce, de façon complètement légitime. Les défis relevés, les difficultés affrontées sont autant de raisons qui façonnent au quotidien le mérite de la réussite de l’entrepreneur comme du manager. Ses échecs et ses erreurs, s’il les admet et en fait quelque chose pour progresser encore, participent de ce même mérite.

Il y a tout lieu pour les entrepreneurs et les manageurs français d’être fiers, fiers de leurs réalisations, fiers de leurs entreprises, fiers de leurs collaborateurs. A leur façon, ils gravent les mots de la liberté et de la dignité au fronton de leurs entreprises, en écho à ceux qui le sont sur le parvis du Trocadéro.

Pour que les Business Schools retrouvent leur âme

Comme beaucoup de directeurs de Business Schools (tous ?) je travaille à la révision du « Mission Statement » de l’EM Strasbourg  (littéralement la « déclaration de mission » synthétisée en quelques phrases). Et je mesure la  difficulté à résumer en quelques lignes le projet d’une école. Si l’exercice est difficile et complexe, il est à fort enjeu et d’un apport remarquable pour une institution.

Par contre, je m’interroge sur la frustration à ne pas faire émerger ce que nous sentons être l’essence de notre école, c’est-à-dire un climat, une atmosphère, une envie commune, un projet … un cocktail à la fois détonant qui fait à la fois toute l’essence et la différence de cette école, mais qui reste indicible.

Comme beaucoup d’autres, nous cherchons à décrire ce qui fait « notre » différence, ce qui va permettre à des étudiants de l’EM Strasbourg de se reconnaitre parmi une foule d’autres étudiants, à des alumni de se retrouver sans se connaitre, à des personnels de comprendre pourquoi ils sont fiers et heureux de travailler dans cette école, à des enseignants-chercheurs de nous rejoindre … Ce que certains appelleront le « waouh », le « plus », la « différence » dans une version performative. Je dirais tout simplement le « supplément d’âme ».

Mais comment identifier et définir cette âme ?  Sous l’effet des politiques qualité, sous le joug de l’hyper concurrence et de la performance, les Business Schools en uniformisant leur offre n’ont-elles pas perdu toute chance de marquer leur différence ?

Les très nécessaires politiques qualité

Les Business Schools ont fait le choix radical d’intégrer des processus d’assurance qualité il y a des décennies aux Etats-Unis (l’AACSB est née en 1916) puis en Europe et en France (avec l’EFMD). Pas une qualité uniquement déclarative et d’intention, mais une qualité opposable et dûment prouvée.

C’est leur force et leur honneur. Elles ont pris en cela une avance remarquable sur le reste de l’enseignement supérieur français, ce qui n’est pas suffisamment valorisé. Il y a bien sûr, de-ci de-là des certifications ou des reconnaissances labellisées, mais quand on connait les deux systèmes, on peut en mesurer les écarts. C’est une force que l’Université française devrait reconnaître aux écoles de commerce et certainement y voir une source d’inspiration. Des coopérations sur le sujet seraient certainement fort motivantes et contributives pour les deux parties.

Les arguments en faveur des politiques d’accréditation ont été mille fois dits et sont mille fois recevables, rappelons les rapidement :

  • Un enjeu de clarification de l’offre de formation, codée et complexe pour les non-initiés, c’est-à-dire les bacheliers/étudiants et leurs familles. Achèterions-nous une voiture ou un voyage autour du monde avec le même type d’information que nous avons de nos formations (c’est-à-dire une information certes abondante mais confuse et souvent obscure et codée) ?
  • Une nécessaire qualité à maintenir et développer avec le regard de tiers experts;
  • L’opportunité d’un outil de management qui, avec ses batteries de process, d’indicateurs, de critères, permet une mise en œuvre stratégique consistante et cohérente, avec l’ensemble des parties prenantes;
  • Un alignement de la profession vers le haut;
  • Une entrée dans les codes internationaux.

La liste est loin d’être exhaustive, mais elle est suffisante pour ne pas revenir sur cet engagement dans lequel sont entrées la quasi-totalité des Business Schools françaises.

Les accréditeurs aux écoles : « Soyez distinctifs ! »

Malgré tout, ces politiques qualité amènent aussi leurs lots de questionnements. Une interpellation chronique des accréditeurs comme un questionnement stratégique constant des Business Schools est de rechercher ce qui va pouvoir faire leur différence, et par cette différence leur identité.

« Soyez distinctifs », nous adjure-t-on, sachez innover, mobiliser votre créativité pour ne pas subir les accréditations mais bien les mobiliser au service de votre projet. Ce à quoi, il est une forme d’évidence de répondre que c’est un art difficile d’être différent sous la pression des attentes et des exigences des parties prenantes d’une Business School qui se conjuguent pour souvent se contredire, voire s’annuler. La lecture des Mission Statements des Business Schools à travers le globe illustre bien le propos, tant elles sont uniformes dans leurs intentions comme dans les moyens mobilisés pour atteindre les buts assignés.

Pourquoi cette situation? On peut retenir :

  • Le cadre hyper structurant des systèmes d’accréditations, ce qui fait leur force mais réduit au minimum la fameuse marge de manœuvre tant souhaitée;
  • Le devoir de proposer aux étudiants et aux apprenants les qualifications les plus larges possibles avec la difficulté d’être « généraliste », ce qui s’accommode mal de points saillants;
  • L’exigence de tenir ses promesses auprès des étudiants, à savoir l’international et l’employabilité.

Disons le simplement, il n’y a pas 10 000 façons de mener tout cela de front et les écoles qui se sont essayées à l’innovation n’ont pas vraiment fait leurs preuves : que ce soit dans l’hyper sélectivité darwinienne (en informatique où, si le recrutement est très ouvert, la sélection vient ensuite de façon très intensive comme pour l’Ecole 42) ou la remise en cause radicale des modalités de recrutement (comme l’a tenté France Business School).

La créativité des Business Schools se trouve plus dans la valorisation de projets bien menés, d’actions innovantes mais souvent marginales, que dans une innovation touchant à leur cœur de métier. 

Une fierté légitime

Chaque Business School avance et est fière de ce qu’elle fait, et peut légitimement l’être. Chacun sait que le marché est mature, très concurrentiel, que l’environnement propose son lot de menaces stratégiques. C’est de plus en plus un univers de marques qui se construisent sur du temps long, avec une formidable inertie.

Les énergies se concentrent donc sur 3 objectifs principaux :

  1. Etre préférée à l’école ou aux écoles concurrentes dans une hiérarchie (médiatisée par les classements) qui bouge peu;
  2. Être recommandée par un bouche à oreille favorable;
  3. Être soutenue par ses parties prenantes, tout particulièrement les entreprises et les alumni pour assurer la relève de financements en berne.

Tout cela fait un beau plan d’actions stratégiques mais est-ce que ça crée du rêve ? Est-ce que cela révèle l’âme de l’école ? Rien de moins certain.

A la recherche d’un supplément d’âme

La frustration devant la rédaction du Mission Statement s’explique bien par la difficulté de présenter l’âme de son école. Ce serait parler de quoi ? Ce serait évoquer une « ambiance », un « climat », une « atmosphère »… un ensemble d’interactions entre des personnes et des objets difficile à décrire et à circonscrire et qui pourtant représente bien mieux l’école que tous les rapports d’accréditation ou de labels.

Quels seraient les objectifs reformulés sous cet angle ?

  • Que chaque étudiant et personnel parle de son école avec affection et engagement;
  • Qu’ils aient le sentiment de faire partie d’une communauté, et l’envie d’y rester ou d’y revenir pour des motifs tout sauf rationnels et utilitaristes (comme adhérer à l’association des alumni le jour où on est en recherche d’emploi);
  • Que le bouche à oreille soit positif.

La formation dans une école est  une expérience

Ces trois enjeux convergent vers cette idée que la formation dans une école est une expérience, au sens du paradigme expérientiel tel que l’ont défini Holbrook et Hirschman dans leur article séminal de 1982.

Depuis bientôt 40 ans, le monde du commerce sait qu’il ne suffit pas d’exposer le consommateur ou le chaland à ce qui fait en théorie les ingrédients de la performance : des bons produits, des prix attractifs, un merchandising séduisant, une théâtralisation inspirante … pour qu’il achète. Il faut raconter une histoire à ce consommateur et le stimuler suffisamment pour que, en interagissant avec tous ces items, il se fabrique son expérience, de magasinage en l’occurrence.

On peut faire l’hypothèse que le même processus expérientiel se met en marche quand on a le projet d’intégrer une école. Et que, au fur et à mesure des semaines et des mois, l’étudiant va créer son histoire, de façon unique. Ces alchimies mystérieuses naissent lors d’un cours, d’un rendez-vous avec un tuteur, d‘un évènement d’association, de rencontres avec un secrétaire ou un gestionnaire de scolarité… Elles sont le creuset de cette « atmosphère » qui sera, pour le coup, complètement différente d’une école à l’autre.

Cet assemblage unique est aussi la plus forte source de différenciation comme nous l’ont montré les dernières recherches en management de l’innovation (Hamel, 2006). En effet, dans un monde ouvert où circulent librement les idées, les techniques, l’argent, les innovations technologiques ou stratégiques sont très vite imitées.

Ce que retiennent les étudiants de leur école

Dans une Business School, les étudiants passent en moyenne 3 années, ce qui n’est pas anodin quand on a 22 ou 23 ans. Surtout quand cette formation détermine en grande partie la vie professionnelle. La Business School, MA Business School doit m’interpeller, pour que je puisse raconter ma propre histoire, pendant longtemps, à ceux et celles qui m’accompagneront dans ma vie.

On constate alors que les moments considérés comme les plus riches et les plus forts ne sont pas forcément en lien avec le « plus que parfait » : les plus beaux locaux, les meilleurs professeurs, les cours les plus performants, le salaire le plus important à la sortie … Quand on évoque ses souvenirs d’étudiant (parfois lointains : on peut remonter au CP …), on touche à l’émotion.

Les arguments du « plus » sont laissés à notre système rationnel. Tout ce qui va faire la « mise en intrigue », créer l’attachement, faire qu’on parle de cette école ou de cette année avec émotion et implication, est une boite noire qu’on peine à percer, car on se rend compte que c’est un « mélange » difficilement explicable de « plein de choses ». C’est tout simplement le souvenir d’une « expérience ».

Cette question peut sembler anecdotique à certains. Je m’empresse de dire qu’il n’en est rien. Toutes les recherches en comportement du consommateur montrent bien qu’inexorablement, c’est ce paradigme de l’ « expérience » qui domine nos vies, et que ce caractère expérientiel de nos actions dépasse maintenant largement la sphère de la consommation pour entrer dans celle de nos vies personnelles et professionnelles de façon extensive.

Accréditations et classements ne font pas l’âme

Ce ne sont pas les arguments objectivables et objectivés, soumis à la performance qui créent la distinction. Celle-ci doit être hors benchmarking, hors comparaison, hors classements et ne peut être résumée aux rapports d’accréditation. On ne peut schématiser ou résumer l’âme d’une école.

La qualité reconnue par des tiers labels, accréditations, classements … est nécessaire, mais cette volonté de transparence, d’efficacité et d’efficience n’a-t-elle pas conduit les écoles à perdre, ou peut-être simplement à oublier leur âme ? Il est grand temps, pour tous, de la retrouver et de la chérir, c’est ce qui fera que dans des dizaines d’années, des diplômés aux 4 coins du globe évoqueront avec nostalgie et tendresse leur cursus, et seront au rendez-vous pour la soutenir en cas d’avis de tempête.

Références
Collectif (Auteur), (2004) Souvenirs d’école, des écrivains racontent , Editions les Monedières
Hamel, G. (2006), The why, what and How of Management Innovation, Harvard Business Review, 84 : 2, 72-84.
Holbrook M.B.; Hirschman E.C. (1982), The experiential aspects of consumption: consumer fantasies, feelings and fun, Journal of Consumer Research, 9, 132-140
Pennac, D.,  (2007), Chagrins d’école, Editions Gallimard

 

Faire de la Business School une « plateforme de conversion » des étudiants

Une Ecole de management est un objet très complexe. Elle  peut être vue de plusieurs façons : un lieu de management en soi, un lieu de formation, un acteur économique sur son territoire, un acteur de l’enseignement supérieur, un drapeau de la France à l’international …. Nous pouvons aussi la voir comme une « plateforme de conversion ». En effet, pour permettre à un jeune homme ou une jeune femme sortant d’un Bac + 2, classe préparatoire, DUT, L2 … de devenir un professionnel, il faut que la Business School transforme un « étudiant causal » en  « étudiant effectual».

Mon analyse s’appuie sur 20 ans d’expérience comme responsable de formations dans l’enseignement supérieur (du Bac + 2 au bac + 8) comme sur 20 années de recherches en management. Un cadre théorique assez récent et maintenant bien installé en entrepreneuriat, l’ « effectuation (1) », permet de bien décrire des phénomènes complexes et de clarifier le projet de formation de l’EM Strasbourg.

Qui est l’étudiant causal ?

L’étudiant (2) causal est un étudiant qui a une vision de sa formation très « prédictive » et très déterministe. C’est un étudiant, qui, au départ du cursus choisi, vise un diplôme et qui va s’organiser pour atteindre cet objectif. Sa vision de la formation est linéaire : il faut réussir sa première année pour passer en deuxième année, réussir la deuxième année pour passer en troisième année etc .. etc … C’est le schéma de toute l’éducation française dès l’école maternelle.

L’étudiant causal cherche à maximiser ses notes, avoir les meilleures notes pour certains, ou bien avoir la moyenne pour « passer ». Cela implique de savantes stratégies qui vont toucher à l’assiduité, la présence en cours, l’investissement dans le travail à fournir (seul ou en groupe), le choix des options, les choix des séjours à l’étranger, le choix des entreprises où effectuer les périodes de stage ou d’alternance ( La grande entreprise ? la PME ? l’industrie ? le service ? la durée du stage ? le poste ? …).

L’étudiant causal est celui qui a un « projet de carrière », mais c’est aussi celui qui n’en a pas et le vit comme un handicap car il « croit » à cette vision de la vie professionnelle. Il va aussi avoir comme caractéristiques de percevoir ses collègues comme des concurrents. Cette vision peut être amicale et affectueuse, mais  n’empêche pas que le collègue (et ami) soit perçu comme celui potentiellement en concurrence lors de choix importants : le stage, le séjour à l’étranger, l’opportunité d’une bourse …

« Consommer » du cours

Cet étudiant porte aussi en lui une conception d’un apprentissage très cadré : il faut « consommer » du cours et ingurgiter de l’information pour accroître le capital connaissance de façon cumulative. Le nombre d’heures en cours est donc un indice de performance et de qualité, même si la façon de les exploiter peut être très variable.

C’est en général cet étudiant causal qui arrive dans une business school, il y a évidemment des étudiants qui ne sont pas dans ce modèle, mais ils sont beaucoup plus rares, car le modèle même de la Grande Ecole attire par essence ces profils. Il n’y a aucun jugement de valeur dans ce constat, ces étudiants ont un fort potentiel intellectuel, envie de « réussir » leur vie, sont très positifs et très actifs. Ils ne sont tout simplement pas en phase avec le monde des entreprises tel qu’il a évolué ces dernières années.

Pour être en phase avec ces nouvelles attentes : l’étudiant causal doit devenir, au cours de ses 3 années (en moyenne) de formation, un étudiant effectual.

Qui est l’étudiant effectual ?

La vie des entreprises, à laquelle se destine le diplômé d’une Business School, se caractérise par une très grande complexité et beaucoup d’incertitude. Pour y réussir, la posture causale, prédictive, rationnelle ne peut être optimale. Elle est tout simplement illusoire. Il va falloir apprendre à adopter une autre posture, d’autres méthodes de travail et surtout une autre vision de la vie et de l’environnement, attitude qui relève de l’effectuation.

L’étudiant effectual est un étudiant qui raisonne en « pertes acceptables » plutôt qu’en « optimisation de gains ». Il va par exemple accepter de ne pas optimiser à tout prix son emploi du temps ou de choisir d’emblée la « bonne » option, il va choisir de faire des « détours » qu’il voit comme productifs, mais qui seraient une perte de temps aux yeux de l’étudiant causal.

Cet étudiant effectual va par exemple choisir un électif « théâtre » ou « philosophie » sans se concentrer exclusivement sur les enseignements de « cœur de métier » : marketing, finance ou informatique. Il est dans l’idée que tout peut l’enrichir. Cet étudiant peut  être vécu comme perturbateur car posant des questions pouvant être perçues comme déplacées, mais qui s’expliquent pas sa curiosité et son envie de comprendre.

L’oral est son royaume, contrairement à l’étudiant causal qui est plus à l’aise à l’écrit.

De la pratique à la connaissance

En matière d’apprentissage, l’étudiant effectual privilégie le mode « inductif », c’est-à-dire qu’il préfère partir de la pratique et des résultats pour revenir à la théorie et à la connaissance que d’attendre d’avoir fait le tour de la théorie pour appliquer.

Cette posture très pragmatique, qui accepte l’ »essai erreur », a longtemps été rejetée en France (même si elle a été aussi beaucoup critiquée et remise en cause régulièrement), mais beaucoup mieux acceptée par les pays anglo-saxons. On admet enfin, que les modalités d’apprentissage doivent être diversifiées et qu’il ne suffit pas d’être le « premier de la classe » pour réussir professionnellement. Cela bouscule énormément de schémas : la linéarité de la scolarité, les hiérarchies des matières, les habitudes d’enseignements… mais le temps fait son œuvre et les choses évoluent, remettant en question le « prêt à enseigner ».

L’étudiant effectual cherche aussi les partenariats et les alliances plutôt que de voir les autres comme des concurrents potentiels. Le travail à plusieurs devient essentiel et l’apprentissage est collaboratif.

Un difficile désapprentissage en 3 années

Il va falloir « apprendre à désapprendre » pour « désapprendre à apprendre » comme on le faisait depuis le CP.

Ces changements ne se décrètent pas, d’autant plus qu’ils impliquent l’étudiant lui-même mais aussi son entourage qui, ayant été éduqué et formé selon d’autres modalités peut se montrer très critique. C’est ainsi que de nombreux parents trouvent que leurs fils ou leurs filles étudiantes  «ne travaillent pas assez ». Traduisez  : « Ils n’ont pas assez d’heures de cours ». Ou encore qu’ils  « perdent leur temps », à traduire par : « Ils s’occupent du week-end d’intégration ou d’une association ou d’une expo de peinture… au lieu d’aller en cours ».

Cet entourage peut aussi se montrer inquiet quant à des choix qu’implique cette nouvelle vision des études : pourquoi interrompre son cursus pour faire un tour du monde ? Pourquoi vouloir faire son année à l’étranger en Colombie ou au Kazakhstan quand l’Angleterre ou les Etats Unis sont plus accessibles ?

Changer en douceur

Il faut accepter que ces changements se fassent doucement, et nécessitent beaucoup de pédagogie pour être appropriés par ces étudiants et leurs familles. Or, trop de Business School, fortes de leur légitimité et de leurs propres certitudes, soucieuses de ne pas perdre le pas dans la course à l’innovation (ou peut être plutôt à la nouveauté), sont plus dans les effets d’annonce et l’imprécation que dans une démarche respectueuse de la chronobiologie de leurs étudiants. C’est ainsi qu’il faut faire du MOOC puis du SPOC, que le co-working est incontournable, que les tablettes sont les nouvelles tables sacrées de l’enseignant …

Ces discours forts et manquant de nuances, certes enthousiasment les déjà-convaincus, mais déstabilisent une grande majorité qui reste silencieuse et entre en résistance par inertie, car il n’est pas facile de s’élever contre la nouveauté quand on n’a pas forcément les codes, et qu’on risque d’être taxés de réfractaires au changement et donc à l’innovation.

Il me semble donc important de mettre à profit les 3 années (en moyenne) du cursus d’une Grande Ecole pour faire évoluer les étudiants en douceur, sans les mettre en difficulté, même s’il est aussi formateur d’avoir à affronter le défi de certains changements et de sortir de sa zone de confort.

Les choix de l’EM Strasbourg

Nous avons donc décidé à l’EM Strasbourg de ne pas bousculer trop les modalités d’apprentissage de première année : nous avons ainsi réintroduit de la culture générale, de la philosophie, des cours présentiels en langue à côté du CRL en auto-apprentissage…. C’est en  deuxième année que sont proposés le «  parcours associatif », les choix de parcours à la carte, l’année à l’étranger ou encore l’année professionnalisante, les « On site training days » (journées de co-working en entreprise)…

L’acculturation est là dès la première année avec les projets à mener pour les entreprises (action « Prospect act » en groupe et en exercice réel), la plateforme e-learning d’apprentissage aux 3 valeurs de l’école, ou encore la proposition de rejoindre la Ruche et son pré-incubateur de projets d’entreprises.

Un expert forme les enseignants

L’EM Strasbourg propose aussi la modularisation des cours avec des « tracks présentiels » (cours obligatoire et absence sanctionnée) et des « tracks à la présence optionnelle » (présence en cours facultative). Pour accompagner ces changements, un expert en éducation forme nos enseignants aux dernières modalités d’apprentissage et à la qualité de la formation qu’ils prodiguent : être plus proactif en cours, savoir animer un amphi, utiliser Internet dans ses enseignements … sont les thèmes de nos ateliers pédagogiques.

Nous misons aussi sur une pédagogie auprès des parents pour qu’ils comprennent mieux et s’approprient ces nouveaux styles d’apprentissage. Car, bien souvent, ces parents ont l’impression que leurs étudiants « ne font rien » parce qu’ils n’ont pas 40 heures de cours par semaine !

Enfin, et surtout, nous posons des mots sur les actions que nous menons et nous les intégrons toutes dans la même cohérence pédagogique. Faire un stage en entreprise, passer une année à l’étranger, suivre des cours en ligne, monter un projet d’association… ne doivent pas rester seulement des expériences stimulantes et réussies. Il faut les mettre en perspective pour comprendre les savoir, savoir-faire et savoir-être qu’elles forment. Sans un nécessaire  travail de réflexivité, l’étudiant ne comprend pas ce qu’il apprend, ne sait pas qu’il sait.

Un programme de développement personnel et professionnel

C’est donc grâce à un programme dit DPP (développement personnel et professionnel) animé par une équipe d’experts, que les étudiants vont peu à peu prendre conscience d’apprentissages insoupçonnés, ou savoir valoriser des compétences acquises au cours de « détours ».

Organiser un WEI (week-end d’intégration) ou une soirée de gala met en action des compétences de gestion de projets tout à fait transmissibles à d’autres secteurs d’activités ou d’autres projets. Faire vivre une association implique des savoir-faire commerciaux, de gestion, de management, certes acquis au jour le jour de façon empirique, mais qui, une fois mis au jour et valorisés, vont constituer un beau portefeuille de compétences. Il en va de même des séjours à l’étranger ou des périodes en entreprises.

L’école, avec l’ensemble de ses équipes (dans ces dispositifs, l’enseignant n’est plus le seul interlocuteur de l’étudiant), s’organise donc comme une véritable plateforme de conversion qui transforme tranquillement et sereinement un étudiant causal , brillant et fort de son capital connaissances en étudiant effectual, en mouvement, pourvu d’un portefeuille de compétences, et en phase avec les attentes des entreprises.

Quel que soit le profil à l’arrivée dans l’école, le rythme de désapprentissage et de réapprentissage de chacun doit être respecté. L’enjeu est de comprendre qui on est, de savoir de quoi on a envie, d’être conscient de son potentiel comme de ses limites et de mettre tout cela en cohérence. L’Ecole de management de Strasbourg conçoit cet accompagnement comme central.

Petite illustration avec… les personnages de Games of Thrones

La saga de Games of Thrones est une excellente illustration de ce qu’est une personne causale et une personne qui évolue de façon effectuale.

Les «purs  causaux ». Rationnels, rivés sur leurs objectifs, ils voient le monde comme leur propriété et les autres comme des instruments de leur destin personnel.
  • Daenerys est une très jeune fille au début de la saga. Elle a à affronter des évènements extrêmement violents dont la découverte de la trahison de son frère, qui seront fondateurs d’une quête foncièrement causale. Elle se donne pour objectif de s’asseoir sur le Trône de Fer, et met tout en œuvre pour réussir cet objectif. Elle va suivre un chemin rectiligne, allant de conquête en conquête, considérant tous ceux qui ne sont pas ses alliés déclarés comme des ennemis. Elle réquisitionne toutes les ressources des lieux où elle passe pour les mettre au service de son projet : c’est le cas des Immaculés comme des Puinés.
  • Les Lannister ont en commun d’être des purs causaux au début du récit. Leur avenir est dessiné et se caractérise par une forte certitude. Ils sont des héritiers incontestables, avec la puissance et les moyens financiers qui assurent la pérennité de cette puissance. Au fur et à mesure des évènements, cette certitude va être ébranlée et, chacun à sa façon devra modifier son rapport à la vie. Certains ne comprendront rien au monde qui change autour d’eux. C’est le cas de Joffrey ou, dans une moindre mesure de sa mère Cersei, tous deux restent dans une vision obstinée de leur destinée, détruisant systématiquement tout ce qui peut entraver son déroulement.
  • Si Joffrey est dans un aveuglement pathologique, sa mère Cersei pratique des manœuvres tacticiennes, sans changer sa vision du monde, accablée par un destin qu’elle ne pense pouvoir changer, corsetée dans son rôle de femme révoltée par la soumission à laquelle on l’a contraint, mais restant profondément au service d’une reproduction sociale que ne démentirait par Bourdieu.
Les causaux qui deviennent effectuaux . Ils apprennent à voir le monde qui les entourent comme une source d’opportunité et d’apprentissages.
  • Jamie Lannister, s’il partage au départ cette vision d’un destin tracé, prêt à tout, même aux pires transgressions (comme l’inceste) pour l’assurer, va peu à peu évoluer dans son rapport au monde. Ses mois d’enfermement, des rencontres pour le moins improbables comme la femme chevalier Brienne de Thorte (elle-même très causale), sa mutilation (sa main droite est sectionnée lui faisant perdre tout son avantage physique) vont l’amener à adopter une posture plus effectuale. Ses ressources physiques sont limitées, son statut est érodé (il n’est plus crédible en garde royal), ses soutiens (son père, sa sœur) se dérobent … il doit apprendre à s’ouvrir puis à faire confiance à d’autres personnes, il doit apprendre à raisonner à partir de ses capacités qui ne sont plus « no limit ». Cette capacité à comprendre cette nouvelle donne va le conduire à porter un regard curieux, puis bienveillant sur des personnes pour lesquelles il n’avait avant que le plus profond dédain.
  • Les enfants Starck se trouvent aussi dans cette évolution, très rapidement, la sécurité de Winterfeld et de parents unis et rassurants disparait. Tous se retrouvent confrontés à l’effondrement de leur monde et chacun va conduire sa destinée à sa façon.
  • Robb, l’ainé va rester dans une attitude très causale, animé par son destin d’héritier, qu’il vit de façon sacrificielle. Ses frères et sœurs vont, eux, investir un comportement effectual, avec des nuances, ainsi Sansa est en mode réactif et d’hyper adaptation aux contraintes et aux agressions qu’elle subit. Bran, de par son handicap (il devient paraplégique suite à une chute) va porter un regard différent sur le monde (en l’occurrence mystique) et y voir tout à fait autre chose.
  • C’est Arya qui incarne la personne la plus effectuale de Games of Thrones : dès le départ (et avant les drames qui touchent sa famille) elle est mue par une envie de changement, que ce soit sa condition de fille dans un monde masculin ou ensuite les injustices qu’elle veut punir  et les hiérarchies qu’elle veut bousculer. Elle regarde le monde comme une source continue d’apprentissages qu’il s’agisse de ses leçons d’escrime, de la façon dont on peut éliminer un ennemi… ou chasser et cuisiner du gibier. Le dénominateur commun de ces frères et sœurs est leur immense résilience, leur capacité d’apprentissage, leur habileté à exploiter leurs ressources pour avancer, en renonçant à atteindre d’emblée un but ambitieux.

Décidemment, dans le royaume des 7 couronnes, avec le chaos et l’immense incertitude qui le caractérise, la prime est à l’attitude effectuale, le monde que nous partageons en cette deuxième décennie du XXIème siècle est-il si différent ?


(1) L’effectuation trouve son origine dans les travaux de recherche menés par Sara Sarasvathy (sous la direction d’Herbert Simon), jeune doctorante d’origine indienne, ancienne entrepreneuse. A la fin des années 1990, Sarasvathy cherche à comprendre comment les entrepreneurs raisonnent et agissent dans leur démarche de création. Elle met en évidence deux logiques de raisonnement : la logique causale et la logique qu’elle nomme « effectuale ».

(2) Nous emploierons le masculin pour ne pas alourdir notre propos, mais cet étudiant inclut bien sûr toutes les étudiantes qu’elles soient causales ou effectuales.

Former au management de la relation client : 9 clés pour tout repenser!

Nous avons entendu ou lu une nouvelle étonnante ces derniers jours : l’ouverture de magasins de disquaires… qui vendent des vrais disques, comme au siècle dernier ! A l’heure de la dématérialisation la plus totale, ce phénomène est pour le moins étonnant et il vaut qu’on s’y arrête.

Que se passe –t-il ? Que pouvons- nous tirer comme enseignement de ces nouvelles retro-tendances ? Au moment où tous les distributeurs et les enseignes de retail réfléchissent à des stratégies innovantes basées sur le multi, le cross, l’omni-canal…quelles sont les compétences attendues pour un management innovant de la relation client ?

C’est simple, tout est à repenser, et les formations doivent s’inscrire dans cette nouvelle donne.  Nos étudiants qui se destinent aux métiers du management de la relation client vont devoir acquérir de nouvelles compétences.

 1) Penser le magasin inversé

Le magasin où on vient se renseigner, s’informer sur le produit ou le service, se périme. La recherche d’informations se fait maintenant en amont de la visite en magasin, en priorité sur les réseaux sociaux et le web. Le magasin, s’il participe à l’achat devient alors un lieu de « picking », comme on l’observe avec les « drive » qu’a mis en place la grande distribution (avec toute l’importance que les clients donnent à la personne qui remplit leur coffre).

Pour être fréquentés, les magasins doivent inverser leur positionnement, en s’organisant comme des lieux expérientiels, où on passe un bon moment, où on rencontre des gens, où on cultive le lien social, bref, des lieux de socialisation. Il faut donc apprendre ce que « service «  veut dire. Et il y a du chemin à parcourir! Aller faire des voyages d’études au Japon, à Singapour ou encore aux Etats Unis est au programme.

 2) De l’émotion dans la rationalité

On oublie le fameux processus d’achat, on arrête de croire que le consommateur est rationnel et on revient à la vraie vie : celle où, de plus en plus, le consommateur picore l’information, fait des pas de côtés, fonce puis renonce, change d’avis et de stratégie… Il va falloir inventer et accepter des modalités plus bricolées et plus « friendly »,  s’adresser au cerveau gauche autant qu’au cerveau droit du client.

Le chaland, client, consommateur,  attend  qu’on le remette au centre du dispositif. Une illustration peut être ce témoignage d’un client qui raconte comment dans un Apple Store un vendeur l’a retrouvé au sein de la foule des clients qui attendaient leur tour, alors qu’il n’avait aucun numéro ou signalement. Comment? L’hôte d’accueil l’avait décrit en quelques lignes dans la zone de texte destinée à identifier ses besoins.

Des cours de théâtre ou de musique sont alors les bienvenus. Il faut aussi mettre au programme « La pensée sauvage »  de Lévi-Strauss car sa théorie du bricolage devient une source d’inspiration.

 3) Le client est maître du jeu

C’est le monde renversé mais il faut admettre que les consommateurs s’approprient les outils à une vitesse accélérée et  imaginent des usages inédits. Pour rester maître du jeu, il faut accepter d’en comprendre et d’en observer les règles qu’ils inventent et réinventent au jour le jour. C’est ce que font, dans la mode, les chasseurs de tendance: le détournement d’un vêtement ou d’un accessoire, la re-création d’aujourd’hui, sont le creuset de la mode de demain.

C’est le moment de repérer les « lead users » et de les mettre au travail. Ils ont des idées, ils détournent le produit ou le service : c’est peut-être le nouvel usage qui sera en vigueur demain. La créativité est dans la tête du client, il faut la capter. Cela passe par la capacité à repérer la façon dont les clients déambulent dans le magasin, les moyens qu’il mettent en œuvre pour porter leurs achats, la manière dont ils utilisent le produit chez eux lors d’une visite de SAV. Cela demande  de l’observation, de l’interprétation des signaux faibles, mais c’est le prix du dialogue. L’intelligence marketing devient une compétence obligatoire.

 4) Jouer avec le tempo

L’information est partout et elle se périme vite aussi. Le rapport au temps est de plus en plus tendu. Le « ATAWAD » (any time, any way, any device) est devenu la règle. Le consommateur veut tout, quand il le veut et comme il le veut. Décrocher son attention relève de l’exploit, surtout dans le bruit ambiant. Il va falloir se mettre à son rythme et oublier les processus où le vendeur pense être maître du temps. C’est un tango avec le client et c’est ce dernier qui donne le tempo.

Les enseignements du processus d’achat  ou des séquences de la vente sont entièrement à revoir. Car si le client veut du « click and collect », il veut aussi du « slow shopping ». Le maître-mot est  donc l’ adaptation. Cela conduit à la capacité à identifier les solutions pour chacun des clients en fonction de leurs attentes du moment. Des connaissances structurées  en psychologie doivent être au programme.

 5/ Un vendeur pitcheur

Il s’agit de « pitcher », c’est-à-dire d’amorcer  très vite l’ attention du prospect, pas en lui faisant des promesses intenables mais bien en décrivant en quelques mots la promesse de la solution qu’on lui propose. Il faudra peut être ensuite savoir ralentir pour lui donner le temps de profiter de son nouvel achat, ou pour tester un produit. Le vendeur devra apprendre à « tweeter » à l’oreille de son client et lui rappeler qui il est, qu’il le vaut bien, et combien la solution proposée lui convient.

Cela demande aux personnes au contact de savoir scénariser, résumer, synthétiser, raconter une histoire de façon à tout dire en une ou deux phrases. Tout leur art est de réussir à susciter une émotion, un intérêt dans un temps très court. C’est extraire la quintessence d’un produit, d’un service, pour le faire exister dans la tête du prospect ou du futur consommateur.

 6) Un happening permanent

On oublie les lieux trop institutionnels, on crée des lieux éphémères qui suscitent le désir, qui jouent avec l’envie et la rareté. On mise sur des lieux de transit ou inédits (des friches, des parkings, des gares), des magasins…Où tout doit être renouvelé régulièrement pour « happer » l’air du temps, susciter le désir. Ce sont des compétences de créativité, de savoir-faire en installation artistique qui sont à l’œuvre. Des enseignes comme Chronostocks ou des expériences comme Pantone Colorwear ou le restaurant éphémère Mercedes-Benz plus récemment en sont des exemples convaincants.

 7) Penser le magasin étendu

S’adresser à ses clients ou ses prospects comme à une communauté est devenu incontournable. Une communauté changeante, qui croit plus en en l’expertise de ses pairs qu’en celle du vendeur. Le community management est essentiel pour sauvegarder la e-réputation, qui est fragile et indispensable.

C’est le « eWOM » (electronic Word Of Mouth, ou rumeur électronique) qui transporte maintenant l’essentiel des flux d’information. Ainsi, 77% des consommateurs pratiquent le « ROPO » (Research online-Purchase offline) et se déclarent influencés par les commentaires des autres consommateurs en ligne, selon l’étude Mediamétrie-NetRatings de mai 2013. Cela renvoie à des compétences en community management, savoirs encore émergents mais en grand devenir.

 8) Sortir des vieux schémas payant vs gratuit

On observe que le démarrage par l’adhésion des réseaux sociaux et la gratuité devient de plus en plus courant dans beaucoup d’activités. On peut citer des sites communautaires de covoiturage qui ont été rachetés par la SNCF. Alors que, dans l’autre sens, des prestations deviennent gratuites du fait des réseaux sociaux: c’est le cas des secteurs d’activités basés sur le recueil d’informations.

La valeur se périme aussi, ou doit être repensée sans cesse. Il faut renouveler le corpus de connaissances pour passer du calcul des coûts à l’évaluation de la valeur.

9) Quelle conclusion pour les Business Schools?

Si nous résumons, un programme de formation au management de la relation client appelle du théâtre, de l’art, de la psychologie, du travail sur soi, du community management, de l’évaluation de la valeur, de l’intelligence marketing et des enseignements renouvelés aux processus d’achat comme aux étapes de la vente.

Les Business Schools en sont-elles capables ? Elles doivent se motiver pour l’être car l’évolution est sans retour possible. L’avantage sera à celles qui peuvent avoir des accès directs à ces compétences et ses connaissances, relevant d’autres domaines et d’autres spécialités.

Apparence physique: le costume et le tailleur ne font pas le futur manager

« La beauté est une meilleure recommandation que n’importe quelle lettre », disait Aristote. Et le Moyen-Age nous a laissé l’adage : « L’habit ne fait pas le moine, mais il permet d’entrer au couvent. »  Plus récemment,  Johnny Halliday chantait « ma gueule, qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? ». La question des apparences est majeure, se retrouve partout, et nous poursuit, où que l’on soit et quoique l’on fasse. 

Au moment où se profilent les entretiens pour les concours ou les entrées en formation, un petit propos d’étape me semble intéressant. D’autant que la question connait un nouveau visage compte tenu de :

  • la montée en puissance de la présence de l’image avec Internet et les réseaux sociaux. En 2014 la photo circule partout et avec une accélération croissante, comme en témoigne le développement d’Instagram ou de Snapshat.
  • la revendication de reconnaissance. C’est le fameux quart d’heure de célébrité promis par Andy Warhol qui amène à la mise en scène de son soi le plus intime. C’est alors un jeu de comparaisons et de performance qui s’installe : Lady Gaga, Rihanna sont des icônes de ce jeu des apparences.

Paradoxalement, la question de l’apparence physique est peu traitée dans le monde du travail.  Elle figure au côté de 19 autres critères de discrimination. Mais si de nombreux travaux de recherche, d’actions en justice, de dispositifs légaux et réglementaires se sont intéressés à l’origine, au handicap, au sexe… peu de choses concernent directement l’apparence physique, qui est souvent traitée selon un autre angle. La boucle d’oreille pour un homme devient un problème d’homophobie, un tatouage ou des dreadlocks relèvent du fait religieux…

C’est quoi au fait l’« apparence physique » ?

On met sous le vocable « apparence physique » beaucoup de choses fort différentes : le poids, la couleur de la peau, les vêtements, le look, le comportement, les odeurs, la façon de parler, l’allure, les tatouages, les piercings… Un inventaire à la Prévert qui peut s’organiser en deux grandes catégories :

  • L’apparence « subie ». La couleur de peau, la couleur des cheveux, des imperfections ou des traits saillants dues à une maladie génétique ou un handicap, la taille entrent dans cette catégorie. On ne les choisi pas mais toutes ces caractéristiques physiques appellent souvent des comportements discriminatoires comme le rappellent régulièrement des enquêtes édifiantes.
  • L’apparence « choisie ». Elle renvoie à des caractéristiques que la personne a délibérément modifiées ou provoquées. C’est le cas de tout ce qui renvoie au « corps travaillé » , à savoir les tatouages, les piercings, le maquillage, la coiffure… On met aussi dans cette catégorie le poids (surtout le surpoids), la façon de bouger ou de s’habiller.

Les trois temps de l’apparence

Trois phénomènes concourent à faire de notre apparence un atout ou à un frein dans nos vies.

1) Les préjugés

Dès notre plus petite enfance, nous construisons notre rapport au monde en nous appuyant sur un processus de catégorisation, afin de mieux l’appréhender et de lutter contre sa complexité. Ce processus nous amène à construire des stéréotypes, qui ont valeur de repères mais pas de jugements. C’est l’étape suivante qui pose problème à notre « vivre ensemble » : celle qui conduit aux préjugés.

Un préjugé, c’est juger une personne ou un groupe de personnes sans les connaitre, sur la base d’informations non vérifiées, incomplètes… et moins on connait, plus les préjugés comblent les trous de cette connaissance insuffisante. C’est comme cela que nous pouvons penser, ou affirmer que « les Italiens sont des dragueurs », « les roux sentent mauvais », « les blondes sont idiotes », « une personne aux mains moites est une angoissée », « un gros est sympa », « un tatoué est un marginal »…

Il faut donc, et le plus tôt possible, en prendre conscience pour mieux les déconstruire et accepter les autres (comme soi-même) dans leur plus grande diversité et dans leur authenticité.

2) L’attractivité

visage

« L’attractivité » fait l’objet d’un large consensus sur une apparence donnée. Ainsi, de façon quasi universelle, est jugé attractif un visage symétrique, prototypique du genre sexuel, avec des traits moyens sans « points saillants ».  C’est donc cette attractivité (ou son absence) qui va jouer dans notre évolution en société et, particulièrement, dans notre vie professionnelle.

« Ce qui est beau est bon », c’est-à-dire que les personnes considérées comme attractives ont plus de chance de réussir professionnellement. Dans les salles de classe les enfants « mignons » sont plus souvent interrogés et mieux notés que ceux jugés plus disgracieux.  Les études montrent que les personnes attractives sont considérées comme plus sociables, plus indépendantes, plus agréables, plus sincères, moins timides, moins névrosées … mais aussi plus intelligentes, plus compétentes, plus qualifiées, plus convaincantes.

Les chiffres tirés d’observations dans le monde du travail sont là pour objectiver ces comportements que l’on peut qualifier de discriminatoires : la prime de beauté est de l’ordre de 12% en moyenne contre 5 à 10% en moins avec la « pénalité laideur ».  Autre chiffre : entre deux candidats de tailles différentes, 72% des recruteurs choisissent le plus grand.  D’ailleurs, les personnes qui occupent des positions hiérarchiquement élevées sont perçues comme plus grandes qu’elles ne le sont en réalité.

A l’inverse, la beauté peut être considérée comme un handicap pour les femmes attractives dans le cadre d’emplois traditionnellement associés aux hommes dans lesquels l’apparence ne compte pas.

 3) L’autocensure

Devant de tels consensus (non-dits), chacun se met en position d’autocensure et ne va plus chercher à se créer des possibles. Ainsi, les personnes se jugeant en surpoids ne vont pas aller vers des métiers de relation, ceux et celles qui se jugent disgracieux vont se refréner dans leurs ambitions professionnelles. Les tatouages vont être camouflés et les piercings enlevés pour aller à un entretien. Les handicapés s’assignent des métiers en fonction de leur handicap.

Le plus souvent, nous sommes nos pires ennemis, car nous préjugeons du regard que l’autre va porter sur nous. Et, bien souvent, nous polluons notre relation à l’autre avec des dénégations ou des justifications sur des points que nous estimons négatifs.

C’est un ainsi que 29 % des salariés ont le sentiment d’avoir été discriminé une fois ou l’autre pour leur apparence alors que les plaintes portées devant les tribunaux pour la même raison sont quasi inexistantes. Les cas patents de discrimination pour apparence physique sont également très rares et en général très sujet à polémique. Ils ont fait couler beaucoup d’encre, sans forcément de preuve avérée.

Quels sont les moments de la vie professionnelle les plus exposés ?

Si on reprend le cas de l’entretien de recrutement, on observe des choses souvent très étonnantes. Le recruteur, surtout s’il est mal formé, va s’arrêter à l’apparence : il va préférer le candidat qui lui ressemble. On va par exemple chercher à recruter des caissiers ou des caissières avec un « look » sportif dans une enseigne de sport alors qu’il est démontré que cela n’a aucun impact sur les clients.

Les postures vont être interprétées : les mains moites seraient un signe d’angoisse, les bras croisés un signe de retrait, l’absence de sourire révèlerait une personnalité peu empathique. Des « spécialistes » de ces prétendues interprétations sont apparus. Or, les recruteurs bien formés savent que c’est sur la compétence qu’il faut se concentrer, avec des questions et des éléments de preuve objectivables.

La promotion, ou tous les moments de négociation, sont également des moments critiques où la confiance en soi est essentielle et où l’autocensure est assassine. On observe que les hommes n’ayant pas une allure virile et les personnes en surpoids sont trop souvent écartées des promotions pour, respectivement  « manque de virilité » ou «  déficit de maîtrise de soi ».

Mes conseils aux candidats aux grandes écoles

 1) Ne vous focalisez pas sur votre apparence

Vous êtes le centre des regards du jury, c’est normal mais dites-vous qu’ils ne se cherchent pas à vous juger sur votre apparence. Il existe des petits trucs pour prendre la distance nécessaire. Imaginer vos interlocuteurs tout nus par exemple, ou encore recourir à la technique du sabotage que j’ai expliquée dans un autre post et qui fonctionne très bien (testée !).

2) Intéressez- vous à vos interlocuteurs

Cela passe par le sourire, le regard bienveillant sur les autres. En entretien : cela consiste à être dans une écoute et une orientation vers l’autre. Vous êtes en dialogue avec un jury qui ne vous veut pas de mal, mais qui veut comprendre qui vous êtes. A l’EM Strasbourg, nous faisons des briefings avec les jurys pour que les entretiens soient des conversations, et pas des évaluations.

3)  Fuyez les écoles où l’entretien est de 10 minutes

Quel que soit le professionnalisme des personnes composant le jury, en un temps si court, ils tomberont forcément dans les apparences. A vous de voir si ce jeu de dupes correspond à vos valeurs et de quoi il préjuge pour la suite de vos études.

4) Prenez de la distance avec les standards véhiculés par les médias

Soyez persuadé qu’on peut être apprécié, attractif, aimé sans être dans les « canons » de la beauté. Regardez les personnes dans leur diversité sans vouloir ressembler à des pseudo modèles.

5) Prenez du recul avec les « bons conseils » de votre entourage

Ils sont souvent issus des propres représentations des personnes qui les donnent. Non les hôtesses de l’air ne sont plus des mannequins. Oui, on peut travailler comme cadre dans une entreprise avec un piercing. Oui, on peut être performant sans cravate et l’on peut réussir son entretien sans être en costume ou en tailleur !

6) Soyez  respectueux de vos interlocuteurs

On ne vous rejettera pas parce que vous n’avez pas le « bon look », c’est votre compétence (ou votre potentiel de compétence), que l’on recherche avant tout  mais on appréciera l’effort de correction de votre allure, qui sera perçu comme du respect et de l’intérêt pour l’école qui vous reçoit. En clair, même avec le « bon look », être négligé ou sale sera rédhibitoire.

7) Ne vous déguisez pas

Soyez  à l’aise dans ses vêtements, avec votre coiffure, votre maquillage : si le costume cravate ou le tailleur vous étouffe, mieux vaut mettre un jean (peut être pas le favori tout troué) et un polo. Ne retirez pas obligatoirement vos piercings et vos boucles d’oreille s’ils font partie de vous. Vous allez bien les remettre ensuite ? Alors, pas de tromperie ou de faux semblants pour démarrer une relation …

8) Sachez dire que vous êtes mal à l’aise ou timide

N’hésitez pas à expliquer un point qui pourrait inquiéter le jury en assumant un point saillant : « oui, je bégaie un peu »,  « oui, je rougis facilement ». Assumez ! On vous considèrera comme lucide et plus fort.

9) Ne surjouez pas le « bon étudiant » ou le « manager à potentiel »

Cela risque de se retourner contre vous très vite : les jurys sont pros et veulent comprendre qui vous êtes vraiment. Ils cherchent des personnes authentiques.

10) Refusez les réponses toutes faites aux questions toutes faites

On vous demande vos vrais défauts et vos vraies qualités, pas celles de tout le monde ! Et ce qui importe, c’est la façon dont vous répondez, pas ce que vous dites !

11) Ne vous autocensurez pas

Vous êtes en surpoids, vous vous trouvez « moche », vous avez une imperfection physique … ce n’est pas la beauté que les écoles cherchent, c’est la compétence, le talent, l’adéquation à leurs valeurs, le reste n’est qu’apparence !

12) Sachez déclencher l’alerte

Si vous avez eu des interpellations qui questionnaient ou mettaient en cause votre apparence physique, en le faisant savoir vous rendrez service à d’autres et vous éviterez des mauvaises pratiques. Le « wistleblowing » a mauvaise presse en France mais c’est aussi une façon de faire évoluer les mentalités et les pratiques. L’EM Strasbourg a mis en place une ligne et un mail d’écoute pour prendre en charge des situations de difficulté ou de souffrance dues à des façons de faire qui ne sont plus tolérées et plus tolérables.

13) Regardez autour de vous

Les enseignants, les personnels, les professionnels que vous croisez en dehors de l’entretien ont-ils l’air bien dans leurs baskets ? Sont-ils divers dans leurs looks, leur comportement ? Et surtout, vous correspondent-ils ? Car il s’agit bien, à travers cet entretien, de choisir « votre » école, et pas celle qui en aurait seulement l’apparence.

14) Vous ferez bouger les lignes des préjugés

Demain, ce sera à vous de prendre le relais pour que l’apparence ne soit plus un poids dans le monde du travail : alors aidez-nous à bouger les lignes dès maintenant !

Bonus : la vidéo des entretiens à l’EM Strasbourg

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La marque : capital immatériel des écoles et universités

Il y a quelques jours, j’écrivais un papier pour la revue Economie et management à propos de la marque comme actif immatériel des entreprises.  J’ai eu envie de prolonger la réflexion, car la marque a pénétré tous les univers et celui de l’enseignement supérieur n’y échappe pas.

En voilà une preuve avec ce témoignage (américain pour ne gêner personne):

“I describe some of the advantages of attending a prestigious name-brand university like MIT, Stanford, or Harvard, as told through the experiences of my friends in the high-tech sector. In short, a name-brand diploma will help you get better entry-level job offers at big companies and provide you with more initial respect from your superiors.” 

La marque devait faire vendre, elle est devenue un objet symbolique qui doit faire sens. Elle doit donc relever de nouveaux défis : savoir s’adresser aux salariés et aux citoyens et plus seulement aux clients. Elle doit aussi entrer dans l’univers expérientiel du consommateur et être capable de l’accompagner sur la durée. C’est l’ensemble de ces nouvelles exigences qui permet de parler de « capital marque » et d’en faire un actif immatériel des entreprises. 

Une marque, c’est quoi?

On recense généralement 7 attributs de la marque : le produit, le nom, le logo, le personnage, le packaging, la communication et le point de vente. Comment les établissements de l’enseignement supérieur les utilisent-ils?

Un produit ou un service repérable. Pour HEC ou un IAE ce sera la formation au management. La marque se décline avec tous les nouveaux produits qui vont enrichir sa gamme : licences, bachelors, masters, MBA, Executive MBA, doctorat forment la gamme que peut offrir un établissement.

Le nom, élément vital. Ce ne sont pas les noms les plus élaborés qui ont marqué l’histoire des marques. Pensons à Renault, qui est tout simplement le nom du créateur de l’entreprise, ou à LU, qui est formé des initiales de monsieur Lefèbvre et mademoiselle Utile. Ou encore Apple, choisi pour des raisons personnelles par Steve Jobs. Des marques fortes de l’enseignement supérieur relèvent de la même simplicité : la Sorbonne a été fondée par Robert de Sorbon; Harvard était le nom du premier bienfaiteur de l’université.

On peut relever de grands classiques du nom de la marque dans l’enseignement supérieur. On trouve des acronymes – HEC ou ESSEC relèvent de cette logique -,  des noms de ville ou de région – ce sera alors EM Normandie ou Grenoble EM-, un emplacement – comme Dauphine-  ou encore des noms de personnes célèbres -université Lumière ou Jean Moulin à Lyon. La conception d’un nom est devenue une véritable science, entre l’encombrement du paysage, la prise de conscience des enjeux sur la durée, et la complexité de la protection juridique. C’est ainsi que sont nées des marques comme Skema ou Neoma qui sont des créations ex nihilo.

Le logo, signe de reconnaissance. Au-delà du graphisme, il porte la signification symbolique de la marque. Ces logos sont présents dans nos vies et certains n’ont plus besoin d’être accompagnés du nom de la marque tellement ils sont reconnaissables (crocodile de Lacoste, virgule de Nike ou encore écureuil de la Caisse d’Epargne). Dans le cas de l’EM Strasbourg Business School,  l’identité visuelle adoptée en 2012 est l’expression d’une école authentique, ancrée dans un territoire, en société, ouverte sur le monde, dont la création et la transmission de la connaissance est le cœur de métier (retrouvez le décryptage complet).

EMStrasbourgQUADRI copie   Logo-EMStrasbourg

 Le logo-maitre se décline ensuite selon les besoins : types de programmes, associations d’étudiants, ou encore avec un générateur de logos la possibilité pour chaque étudiant d’avoir son propre logo en faisant varier la couleur, la forme et la densité du logo initial.

EM AlumniEM HumanisEM Partenaires

 

UpecLes personnages pour humaniser la marque ou la concrétiser. Qui ne connait pas Cerise de Groupama ? Le personnage peut aussi être animal, comme la célèbre Vache qui rit. D’autres stratégies consistent à mettre en scène des « vrais gens » comme le fait régulièrement la SNCF ou bien d’avoir recours à des égéries : Carla Bruni pour Bulgari ou George Clooney pour Nespresso. Pour l’enseignement supérieur, ce sont les étudiants qui sont mis en avant pour les programmes en formation initiale, et les enseignants quand il s’agit d’évoquer la recherche.

 

UALe packaging, vecteur identitaire. Le choix des formes et des couleurs raconte aussi l’histoire de la marque. Pour la formation, immatérielle et intangible, ce seront les plaquettes, les supports de cours, les captages vidéos d’événements qui joueront ce rôle, comme la déclinaison de produits merchandisés: mugs, Tee shirts, Sweat shirts, siglés du logo et du nom de l’université ou de l’école. De plus en plus d’établissements ont une boutique en leur sein proposant à la vente ses produits fédérateurs et porteurs de messages.

La communication décline des messages. Leur rôle est à la fois de rester dans la constance tout en sachant se renouveler. On peut citer à titre d’exemple GEM qui est passé de « Time to anticipate » à « All you need is innovation », « Keep calm and innovate », « J’innove donc je suis »,  « To innovate or not to innovate, that is not the question ».

La marque peut s’exprimer par le point de vente. C’est par l’expérience vécue que le consommateur appréhende les messages de la marque. Il est alors au cœur d’une mise en scène comme au théâtre avec les décors, les personnages, une intrigue qui lui racontent l’histoire de la marque. C’est le lieu d’enseignement qui joue ce rôle dans le cas de l’enseignement supérieur, il est essentiel dans la légitimité d’une marque pour la formation. Quelle cohérence entre la promesse véhiculée par la marque et les bâtiments ? Entre les messages et la réalité de la formation ? L’université ou l’école doit voir ses bâtiments comme un des éléments participant à la matérialisation de la marque.

L’identité d’une marque

L’identité de la marque est généralement définie comme « l’ensemble des messages émis par une organisation à travers sa marque ». Le modèle IPSE (Berger-Remy, 2013) décrit la marque selon quatre éléments du plus intangible au plus concret : idéologie, personnalité, signes, emblèmes:

  • L’idéologie décline les croyances liées à la marque. C’est la conviction de Neoma de former les managers de demain, pour GEM les managers du futur, pour Audencia des managers responsables, pour HEC de former l’élite des managers, pour Skema les managers globaux …
  • La personnalité est définie par analogie avec une personne humaine, ce qui permet aux personnels comme aux consommateurs de mieux l’appréhender et de se l’approprier. Un peu de spéculations : Sorbonne serait la grand-mère de tous, FBS la fille rebelle, l’Université de Strasbourg la première de la classe et le MIT la « grosse tête » ?
  • Les signes sont l’ensemble des traits, des dessins, des couleurs qui s’organisent pour dessiner le logo ou la représentation graphique. Je ne reviens pas dessus, l’ayant déjà évoqué,
  • Et enfin, les emblèmes sont les produits ou les services qui représentent le mieux la marque et racontent son histoire. Pour nos universités, ce pourrait être la toge et la toque, ou encore l’estrade, les écoles ont repris ces symboles et tentent peut-être de les renouveler avec les tablettes, les MOOCs, les fab’lab…

Construire la légitimité de marque

La construction de la légitimité d’une marque devient un enjeu majeur des établissements d’enseignement supérieur. Il s’agit de devenir la référence dans un domaine donné pour obtenir l’adhésion des parties prenantes, ce qui confère l’autorité d’agir à l’organisation.

Cette légitimité peut s’appuyer sur l’histoire de la marque, sur son authenticité. C’est le cas de Louis Vuitton avec son métier premier de malletier, c’est celui de vieilles universités comme celles de Strasbourg. L’histoire est souvent incarnée par un leader, un personnage charismatique qui la porte et la défend : on pense bien évidemment à Steve Jobs ou Michel-Edouard Leclerc… En dehors du microcosme, pense-t-on au directeur d’une grande école ou au président d’une université en évoquant une marque de l’enseignement supérieur ?  Rien de moins sûr, même si la personnalisation de la communication des établissements supérieurs est forte, surtout dans les écoles.

Passer de la réputation, toujours relative, pour atteindre la légitimité, est un objectif auquel toutes les marques aspirent. L’enjeu est aussi bien externe (vis-à-vis des consommateurs) qu’interne (vis-à-vis des salariés). En effet, depuis quelques années, un rôle assigné à la marque est sa capacité à développer un sentiment d’appartenance chez tous les collaborateurs de l’organisation. On parle alors de marque corporate. Pour les établissements d’enseignement supérieur, les choses se compliquent, puisqu’il faut associer aux salariés les étudiants.

Cohérence entre messages internes et externes

Alumni successLe premier objectif est que le collaborateur, quelle que soit sa fonction dans l’établissement, s’identifie (du moins dans sa vie professionnelle) à la marque de l’entreprise. Cette construction d’une histoire commune passe souvent par un storytelling auprès des alumni, des histoires de succès bien sûr.

Le deuxième objectif est que ce sentiment d’appartenance devienne de l’engagement dans l’activité. C’est-à-dire que le collaborateur se sente en phase avec les valeurs véhiculées par la marque et que cela se traduise par un investissement plus fort et plus important dans le travail demandé. On attribue donc à la marque la capacité à motiver les collaborateurs et à développer leur envie d’être des ambassadeurs de leur université ou de leur école, mais aussi de travailler plus et mieux pour elle.

Le management par la marque a comme mission d’assurer une cohérence optimale entre la marque vécue en interne et les messages véhiculés à l’extérieur de l’établissement. Si cette congruence est défaillante, le salarié est alors placé en situation de dissonance cognitive, qui implique de l’incompréhension, de la souffrance, du désengagement. Il est par exemple difficile d’entendre un discours d’excellence ou d’innovation quand on travaille soi-même avec des locaux désuets.

Un autre objectif que sert le management de la marque employeur est celui de l’attractivité de l’établissement à destination de collaborateurs potentiels. Il va falloir créer le désir afin de convaincre les meilleurs talents de rejoindre telle université ou telle école. La marque est alors au centre de la stratégie. Quel universitaire serait insensible à l’UCLA, au MIT ou à Harvard ?

Créer un capital marque

Toute marque va susciter chez le consommateur des associations, c’est l’ensemble de ces associations qui vont permettre de définir l’image de marque et le territoire de la marque. Le territoire de la marque se définit comme le noyau dur de l’image de marque, là où sont les associations les plus fortes et les moins substituables. Quel est le territoire de marque de l’Université de Limoges, de Bordeaux ou de Nantes ? Ou bien encore d’un INSA ou de Sciences Po ? L’excellence ? L’international ? La professionnalisation ? Quelle est le caractère distinctif de chacun des établissements de l’enseignement supérieur?

Si bien identifier son image de marque est essentiel, un pas supplémentaire est franchi avec la création du capital-marque (brand equity en anglais), c’est-à-dire la valeur ajoutée qu’une marque apporte au produit, au-delà de ses fonctionnalités. Ainsi, le consommateur va avoir une préférence spontanée pour une formation courte à l’UCLA, et, après l’avoir suivie, marquer une préférence pour l’UCLA sans toutefois pouvoir l’expliquer de façon objective. Ce dernier exemple montre le « pouvoir » que peuvent avoir les marques sur nos attitudes et nos comportements de consommation de formation.

 L’extension de la marque

Les stratégies de développement de marque se développent selon deux grands modèles : celui de l’extension et celui de l’association de marques ou « co-branding ».

L’extension de marque consiste à créer puis piloter les différentes marques détenues par l’établissement, on parle alors de gestion du « portefeuille de marques ». On retrouve surtout dans l’enseignement supérieur :

  • des marques « corporate » quand le nom de l’université ou de l’école est utilisé comme une marque;
  •  des marques-produit, c’est-à-dire des marques associées à une formation : le Badge, le Bachelor, le Master;
  • des marques-caution, qui regroupent  des marques-filles s’adressant à des marchés différents. Une université est la marque caution de sa faculté de médecine, sa faculté de lettres ou son IAE;
  • avec les fusions et l’autonomie, il semblerait que la tentation soit aussi d’aller vers une marque-gamme c’est-à-dire l’idée que la marque université décline les mêmes bénéfices à travers ses composantes pour les mêmes marchés.

Il ne me semble pas trouver d’exemples, du moins en France,  de marques-ombrelle dans l’enseignement supérieur c’est-à-dire la commercialisation de produits différents sur des marchés différents avec la même promesse (comme la robustesse pour Caterpillar entre instruments de chantier, chaussures et vêtements).

La stratégie d’extension de marque va permettre de lancer de nouvelles versions d’un produit sur le même marché. Il va s’agir de nouvelles formations avec des caractéristiques supérieures et donc plus chères (extension de gamme vers le haut) ou, au contraire, des produits plus accessibles (extension de gamme vers le bas). Cette dernière stratégie permet par exemple d’avoir accès à une marque prestigieuse à moindre coût, en achetant un produit dit « entrée de gamme » : c’est le fameux « stage court » ou bien la formation certifiante que proposent l’ensemble des écoles et des universités. Vaut-il mieux avoir sur son CV une formation courte d’une université ou d’une école prestigieuse (à marque forte) ou une formation bien plus qualifiante sans bonne visibilité ? 

L’intérêt du co-branding

L’autre stratégie, dite de co-branding, est fondée sur l’association entre deux marques qui vont communiquer ensemble sur un produit ou un service qu’elles auront co-conçu ou seulement co-signé. Ce sont les alliances EM Lyon-Centrale Lyon ou encore le partenariat entre l’ ESC Rennes et l’EM Strasbourg.

Ces alliances ont beaucoup d’atouts : elle permettent de mieux résister au raccourcissement des cycles de vie des produit en proposant des renouvellements de proposition, d’atteindre de nouvelles cibles  (on peut penser à l’association de telle école de management avec un réseau d’écoles d’ingénieurs) ou bien de nouveaux territoires (les entreprises, par exemples avec le DBA en lieu et place du doctorat académique).

La condition d’un co-branding réussi est que le consommateur perçoive un avantage substantiel et que les marques soient cohérentes entre elles sans être trop proches.

L’évaluation financière de la marque 

Parmi les actifs immatériels, la marque prend une place déterminante dans l’évaluation d’une entreprise. L’actif immatériel représente 18% en moyenne de la valeur des entreprises (source Interbrand.com), mais peut être beaucoup plus importants, comme pour Nike (84%), Prada (77%), Chanel (66%), première marque française qui contribue à la valeur de son entreprise.

FM

Dans l’enseignement supérieur se développent des licences de marques, en particulier aux Etats-Unis. C’est une façon bien sûr de consolider leur légitimité, de se faire connaitre de publics plus éloignés et de générer des rentrées d’argent.Ces licences de marques sont aussi une façon de protéger sa marque, car, comme tout capital, d’autant plus s’il est intangible, les mesures défensives sont de rigueur.

En guise de conclusion n’oublions pas qu’une des marques d’établissement de l’enseignement supérieur les plus connues au monde, par la grâce d’un designer italien, est celle d’un modeste undergraduate liberal arts college située à Lancaster en Pennsylvanie : Franklin and Marshall.

Mesdames, osez être incompétentes, c’est la clé de votre succès!

« La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. »

Personne n’a mieux résumé que Françoise Giroud  la question de l’inégalité dans le milieu professionnel. Elle nous rappelle que le pouvoir dans les milieux économiques, politiques, militaires est détenu par les hommes. Et observe que les femmes n’y ont pas accès sauf à être « hyper-compétentes ». Enfin, elle sous-entend que les hommes qui occupent ces postes n’ont peut-être pas eu la même exigence de compétence.

En cette première semaine de l’égalité professionnelle, on pourrait croire que les choses évoluent dans le bon sens. Pourtant les chiffres sont têtus, qui chaque année mettent en lumière les écarts de salaire entre hommes et femmes à carrière égale. En résumé : « Tout change mais rien ne change. »

Toutes les études menées valident trois points :

  • le fameux « plafond de verre » ne permet pas aux femmes d’évoluer dans la prise de responsabilité;
  • les modalités d’accès au pouvoir valorisent bien d’autres choses que la seule compétence. On peut citer les réseaux informels ou hors de la sphère professionnelle qui favorisent les accointances masculines;
  • les femmes ont besoin de se sentir complètement légitimes et qu’un regard extérieur le leur confirme pour accepter (elles n’exigent que très rarement) de monter dans la hiérarchie.

C’est là qu’il faut savoir dire aux étudiantes (en école de management mais pas  seulement) et aux femmes déjà en poste dans l’entreprise :

« Mesdames, mesdemoiselles, pour progresser dans vos carrières : osez être incompétentes. »

L’injonction est pour le moins paradoxale et peut sembler incongrue : il faudrait être mauvaise, inefficace, mal faire son travail pour réussir ? Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est presque cela. Mais seulement presque …

Apprendre de nouveaux comportements

Je m’inspire librement de la méthode de la « solution bizarre » du Mental Research Institute de Palo Alto (1). Selon celle-ci, le changement peut être conçu comme une modification des comportements, on peut en conséquence produire des changements en apprenant de nouveaux comportements.

Pour les chercheurs du Mental Research Institute , « nous faisons nous-même notre malheur » en nous efforçant de reproduire des solutions qui se sont montrées efficaces par le passé mais qui ne correspondent plus à nos attentes et alors que notre contexte de vie a changé. Il faut donc  modifier notre vision du problème.

Il s’agit de passer d’un changement de « type 1 » c’est-à-dire qui reste dans la même vision du monde, à un changement de « type 2 », qui permet de voir les faits autrement et de changer leur signification. Parmi les techniques proposées pour y parvenir, je retiens celle du sabotage.

Optez pour le sabotage !

Le sabotage, c’est agir de façon délibérément maladroite et inefficace, en jouant sur le terrain de l’indifférence, et de voir ce qui change avec cette nouvelle façon de faire. Le regard des autres sur nous est-il différent ? Surtout, notre rapport au monde (c’est-à-dire à nos collègues, à notre projet professionnel, à notre hiérarchie…) évolue-t-il ?

Prenons un exemple. Vous avez un document à rendre pour le lendemain matin 9 heures. D’ordinaire, vous annulez votre soirée, vous passez une nuit blanche pour rendre le « rapport des rapports » à l’heure dire, épuisée mais satisfaite de vous être surpassée. La suite peut être variable selon le contexte et les personnes : félicitations, quelquefois, mais bien souvent le rapport a été seulement survolé et d’autres propositions faites par oral ou venant de canaux moins officiels ont été retenues. Quand votre rapport n’est pas récupéré par un N+1 ou N+2 qui s’attribuent vos idées…

La technique du sabotage consiste à renoncer à cette supposée perfection et à arrêter avant de l’atteindre, en partant du principe que 80 % ou 90 % de la qualité est largement suffisant et que les 10 ou 20 % supplémentaires pour atteindre le 100% sont de la sur-qualité n’apportant pas de bénéfices supplémentaires pouvant justifier l’énergie et le temps consacrés, sans parler du stress généré. On peut aussi ajouter que plus l’investissement est grand plus l’attente sur le retour est importante. Si ce retour n’est pas fait, c’est la frustration, le dégoût, la rancœur qui sont au rendez-vous.

Modifiez vos critères d’exigence

Que constate-t-on ? Le plus souvent le sabotage passe complètement inaperçu, et vous aurez bien eu raison d’être incompétente… Quelquefois il est repéré mais, si l’indifférence est bien de mise, c’est l’autre ou les autres qui feront ce que vous avez refusé délibérément de faire. Ce qui est le plus important, c’est que vous aurez modifié vos critères d’exigence et vos croyances quant à votre légitimité.

Essayez et vous verrez que le delta incompétence ou imperfection n’aura même pas été repéré et vous aura évité de la fatigue, de l’énervement, vous permettant d’allouer votre temps et votre énergie ailleurs. Le « sabotage » vous aura peut-être aussi permis d’éviter une autre situation très pénalisante : celle de ne PAS rendre le document. C’est un des risques de vouloir être au top : ne pas pouvoir finir car ce n’est jamais assez bien. Or un bon rapport est avant tout un rapport rendu.

Un autre exemple peut concerner l’apparence qui est très souvent associée à la compétence. Partez un matin sans vernis sur les ongles, sans avoir coordonné parfaitement votre tenue, en ne mettant pas de ceinture à votre pantalon… Ce petit sabotage (car vous auriez pu le faire) fait-il changer le regard de votre entourage professionnel sur vous ? Surmonter cette petite épreuve pour votre égo perfectionniste sera salutaire pour mieux comprendre que le renoncement à la perfection n’est pas l‘ennemi de votre progression professionnelle. Au contraire, vous gagnez du temps pour autre chose, vous apprenez à lâcher prise, vous n’êtes plus systématiquement dans le jugement de l’autre et à la quête de la légitimité qu’il vous accordera.

Apprendre à être légitime

Ne plus être à la quête de la légitimité, demander une promotion, une hausse salariale, de meilleures conditions de travail n’est pas une évidence pour la grande majorité des femmes. Dans le même temps, leurs compagnons, leurs collègues hommes, se posent moins de questions et avancent, reproduisant les codes appris et qui ont si bien fonctionné jusqu’à présent.

Les femmes doivent apprendre à être légitimes d’emblée, comme les hommes, sans atteindre la permission pour avancer ou la validation de leur compétence. Cette confiance en soi, cette affirmation de soi sont bien sûr des variables individuelles. L’éducation joue aussi beaucoup et que d’emblée l’on pousse les petits garçons à avancer sans se poser trop de questions, alors que les filles sont incitées à la modération, à la prudence, au mérite …

C’est donc plus tard qu’il leur faut apprendre à reconfigurer leur logiciel intérieur, à s’obliger à voir leur place dans le monde différemment. A opérer un changement de « type 2 ». Et la technique du sabotage, de façon modeste et quotidienne peut être une façon de conduire ce changement.

(1) La solution bizarre s’inscrit dans le cadre de la théorie du changement et est issue des travaux de trois chercheurs : Paul Watzlawick, John Weakland et Richard Fisch.