Cracking the management code

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#insight2020 : la tour de Babel de la science du « développement humain »

Dans la Tour de Babel qu’est devenue la recherche en éducation, il apparaît clairement un objectif encore peu explicite, celui de contribuer à l’émergence d’une nouvelle science commune : la science du « développement humain ». Je m’en explique.

Un foisonnement de recherches avec un point de connexion : le développement humain

 Depuis quelques années, on assiste à un foisonnement des recherches de champs disciplinaires très nombreux et divers et qui s’interrogent toutes sur le développement humain. Que pouvons-nous constater ?

  • Les champs disciplinaires présents sur le sujet sont de plus en plus nombreux: on peut aller des plus anciennes sur le sujet aux plus récemment apparues dans le champ :  la psychologie, la sociologie, l’économie, les sciences de l’éducation, les sciences de gestion, la philosophie, l’histoire, les neuro-sciences, l’informatique avec la gestion des données massives (ou data science) … et la liste est loin d’être exhaustive.
  • Les méthodologies sont également très diverses: cela va du « chemin de vie » ou de la méthode des cas qui s’intéressent à quelques personnes ou à quelques organisations de façon très contingente au traitement des données massives et à la mobilisation de techniques jusque-là réservées au monde médical.
  • La mobilisation de l’interdisciplinarité est de plus en plus évidente : des chercheurs en neurologie vont travailler d’évidence avec des chercheurs en sciences de l’éducation pour comprendre les comportements d’apprentissage, ou des chercheurs en ingénierie vont collaborer avec des psychologues sur les nouveaux outils de formation …
  • Les épistémologies se côtoient sans trop se heurter avec une forme de convergence vers un constructivisme modéré ou de positivisme aménagé, les plus quantitativistes admettent l’importance de comprendre les émotions comme les plus ancrés dans le qualitatifs voient l’enjeu de travailler sur les grands nombres.
  • Les appels à projet encouragent ces mouvements en sollicitant des équipes interdisciplinaires pour une capacité à explorer les phénomènes de façon globale.

MAIS :

  • Les langages restent très différents, avec des incompréhensions, un psychologue et un informaticien observent le même phénomène mais avec des lunettes différentes, et les dialogues restent difficiles, et peuvent donner le sentiment de ralentir les projets.
  • Les objectifs sont divergents, il s’agit pour certains d’optimiser telle ingénierie de formation pour gagner en capacité d’apprentissage, pour d’autres, le défi est de comprendre des parcours de vie sans enjeux de préconisations.
  • Les idéologies ne sont pas partagées et pas toujours explicites : la formation doit-elle rechercher le ROI (retour sur investissement) ? Doit-elle rester un monde en soi, étanche aux cahots du monde extérieur ?
  • Les publications restent très disciplinaires, n’encourageant pas les carrières fondées sur la transdisciplinarité

Ce foisonnement, cette multiplicité de langages et de points de vue fait qu’on peut évoquer une Tour de Babel. Tous œuvrent ensemble à un projet commun mais avec des échanges sporadiques et souvent insuffisants.

 

La Tour de Babel de la science du développement humain

Les convergences sont nombreuses et concourent à l’édification du « développement humain ».

Un point important est que les institutions de formation sont très souvent parties prenantes de ces recherches. Ne serait-ce que parce que les chercheurs sont aussi des formateurs et mobilisent leurs propres institutions pour mener leurs recherches. Toutes ces recherches correspondent donc à des expérimentations en termes de formation, à la mise au jour de réussites ou d’échecs de propositions mises en œuvre sur le terrain.

Que ces recherches soient in vivo ou encore théoriques, toutes concourent, à leur façon à une quête du « développement humain ». Cette quête est aussi ancienne que l’apparition de l’Homme sur Terre, mais elle s’est considérablement accélérée avec le formidable développement de la technologie et particulièrement de ce qu’on nomme l’« Intelligence artificielle ».

Le monde la formation, de l’éducation ne pouvait l’ignorer, il est donc devenu le terrain de la construction de cette nouvelle science, avec l’édification d’une fragile pyramide qui, bon an, mal an prend de la hauteur.

Quels en sont les questionnements communs ? Avec quelles convergences dans les lignes directrices ? 

  • La continuité dynamique : Comment apprendre à apprendre ? Comment apprendre tout au long de la vie ? Comment capitaliser sur ses réussites et ses échecs ? La question de l’insertion est à intégrer à ce chapitre avec le maintien de l’employabilité à tous âges. On n’arrête pas d’apprendre avec le diplôme, on continue à se former en continu. L’émergence des « blocs de compétences » et le nouveau geste de consommation du Compte Individuel de Formation en sont un des signaux forts.
  • L’omnicanal  : Comment apprendre ou transmettre dans l’omnicanal avec un parcours « sans couture » entre la salle de classe en présentiel, le e-learning, le webinar, les learning expéditions, l’intégration des outils et des méthodes d’apprentissage le plus divers ? Il y a longtemps que l’on sait qu’il n’y a pas de « clé magique » en matière de formation. L’outil est neutre mais il est aussi structurant. On ne peut l’ignorer. L’heure est à l’assemblage et il y a encore beaucoup à progresser sur ce chemin étroit entre la technologie et le rapport au sachant.
  • L’apprentissage optimisé dans le respect de la diversité : comment avoir un meilleur apprentissage dans le respect des spécificités de chacun-e ? La montée en puissance des recherches sur le handicap est une manifestation de cet enjeu. L’idée que nous avons tous des talents très différents et que nous avons à les faire fructifier, en faisant fi de lois universelles, fait son chemin, certes lentement, mais c’est une telle révolution.
  • L’ouverture aux parties prenantes : la transmission et la formation ne peuvent se centrer sur le seul apprenant et son institution de formation. Elles doivent prendre en compte tous les partenaires en présence : l’institution de formation, les entreprises, les organismes de recherche, les familles, les institutions politiques. On quitte (à regret pour certains) le colloque singulier de la salle de classe, la porte s’ouvre et cela convoque la capacité à créer des liens et ériger des passerelles pour abandonner les silos.
  • L’expérience : elle s’impose avec l’intégration des émotions, des valeurs, de la vie personnelle, de l’histoire de la personne. La mise en avant du ressenti et de la satisfaction de l’apprenant sont une évidence, avec toutes les difficultés que cette vision impose.
  • Le capital personnel : on quitte la notion de qualifications et d’aptitudes pour les compétences métiers (dites dures) et surtout le « boom » des compétences relationnelles et personnelles (ou soft skills). L’employabilité est importante, mais elle n’est plus suffisante. La réalisation de soi est l’objectif, avec toutes les nuances qui s’imposent.

 

Chacun entre, avec ses outils, ses lunettes, ses méthodes, dans cet immense chantier dont la cartographie demande encore à être affinée. Mais il est clair que nous convergeons tous vers l’objectif d’un développement humain, face à celui, exponentiel du développement des « machines intelligentes ».

2020 sera une année essentielle dans cette dynamique !

 

 

 

 

 

 

 

Quels messages adresse à l’enseignement supérieur le succès de Trump ?

« KO debout ! »

Comme beaucoup, le résultat des élections présidentielles américaines m’a laissée KO debout.

Une fois passé le premier choc, j’essaie d’en tirer des enseignements car comprendre et expliquer m’ont toujours paru la meilleure façon d’avancer.

Il est clair que le système éducatif est lourdement interpellé, et tout particulièrement l’enseignement supérieur.

 

« Les maux de nos sociétés démocratiques au centre du vote américain »

Au centre de cette élection, comme du vote pour le Brexit, il y a tous les maux de nos sociétés démocratiques : endogamie des élites, petit club fermé ceux qui font l’opinion, idéologie de la transparence. Il y a aussi la peur de ce monde ouvert qui semble si incompréhensible et menaçant à tant de personnes qui voient disparaître peu à peu tous les repères construits au cours des générations qui les ont précédées.

« L’éducation au cœur de ces votes de repli et de rejet »

Nous sommes très nombreux à penser que l’éducation est au cœur de ces votes fondés sur la méfiance et le rejet. Il ne s’agit pas de dire que les gens éduqués sont plus intelligents que les autres, ni que le diplôme soit la garantie de l’intelligence des situations. Mais il est vrai que la formation doit être garante de l’ouverture d’esprit, de l’accès à l’information, et du décryptage des phénomènes. Toutes compétences qui sont de véritables boucliers au repli sur soi et à la méfiance de l’autre.

Comme professeur, je me sens donc très interpellée par cette élection, j’en retiens trois messages.

 

« Trois interpellations à entendre »

La première interpellation est l’urgence de débattre avec les élèves et les étudiants de ce qui s’est passé. Comme après les attentats de l’année dernière, il est nécessaire de se servir de ce cas pour aider nos élèves à comprendre et à analyser le processus à l’œuvre. J’espère que les responsables d’établissements, et surtout d’écoles de management se sont saisis du sujet.

La deuxième est que l’éducation doit aller à l’élève et à l’étudiant, et non le contraire. En effet, les analyses montrent bien qu’un creuset de ce vote américain, comme celui du Brexit est la fracture territoriale. En cela, ce vote si clivant interroge les réformes actuelles qui consistent à polariser l’enseignement supérieurs sur les grandes métropoles, au nom de la visibilité, de l’excellence, des classements…. Fermer des établissements parce qu’ils ne sont pas conformes aux exigences de recherche et de publication, parce qu’ils sont trop coûteux pour les institutions locales, c’est créer des déserts pédagogiques sur le territoire national. Ce ne sont pas les MOOC qui raccommoderont les trous béants faits dans le tissu national. Si j’en reste à la discipline du management, l’abandon à leur triste sort ces dernières années des ESC Amiens, Brest, Chambéry, Tours-Poitiers, Saint Etienne, comme l’ouverture massive de campus à Paris et dans quelques grandes métropoles régionales, montre bien l’importance du phénomène, qu’on observe de façon plus floutée du côté universitaire où il ne fait pas bon être un département d’IUT de villes moyennes ou même une petite université de province.

Je n’ai pas trouvé d’étude sur le sujet mais je pose la question : combien de lycéens français renoncent aux études supérieures par manque de moyens ou simplement d’envie d’aller étudier loin de leur domicile ? Les études existent aux USA et montrent bien la baisse de jeunes rejoignant les universités ces dernières années, et les liens avec le vote de rejet de ces dernières semaines.

La troisième interpellation porte sur notre mission d’enseignants chercheurs : pouvons-nous nous contenter de regarder ce qui se passe ? Il me semble indispensable d’être des chercheurs « en société » avec des recherches-actions, des recherches-interventions qui nous amènent à nous confronter au réel et à « faire bouger les lignes ». Ceci exige qu’après l’analyse et le décryptage vienne le temps des propositions et des prescriptions. Il nous faut aussi choisir des sujets de recherche correspondant aux attentes de la société, et en management, des entreprises, et ne pas se limiter à des sujets complètement essorés pour alimenter avec moins de risque la machine à publications.

 

« Pas de Brexit V3 en mai 2017 »

Finalement, merci Mr Trump ! Vous secouez nos habitudes et vous nous obligez à nous poser de bonnes questions Si nous ne voulons pas d’un Brexit V3 en Mai 2017, il est temps de se mettre au travail.

Les attentats de Paris : nous sommes face à nos responsabilités d’éducateur !

Face à mes responsabilités de femme, de chercheuse, de professeur !
En tant que femme, mère et chercheuse, on me demande ce que m’inspirent ces évènements. Évidemment, il n’est pas question pour moi de livrer une quelconque analyse politique. Juste essayer de comprendre ce qui est à l’œuvre dans ces moments et surtout, essayer de prendre un peu de recul pour continuer tout simplement à avancer et à vivre.
Nous devons aux victimes cette réflexion sur les enseignements à tirer d’un tel drame.

Résister !
L’objectif des terroristes est le chaos, le chaos et la peur. La plus belle réponse est de continuer à vivre, à travailler, à avancer, en un mot nous devons résister.
Il nous faut enseigner que l’interpellation et le lancement d’alerte ne sont pas optionnels et que, malgré les résistances, les peurs, les raisons de ne pas faire, il faut avoir le courage de rester debout et de dire les choses avant que la crise atteigne son paroxysme … et qu’il soit trop tard. Le silence, l’omerta sont la pire des choses dans une communauté humaine.

Être modeste face à la « gestion des risques »
Notre société dite « moderne » a pour credo le « zéro » : zéro défaut, zéro stock, zéro erreur, zéro risque ! C’est une vaste mascarade, ça n’existe pas malgré tous les discours que l’on peut entendre en médecine, en politique, et surtout en management !
Plus que la « gestion des risques » que nous nous obstinons à enseigner, il faut revenir à des fondamentaux sur la fragilité humaine et le rôle de la prise de décision. Or, faire des choix est apprentissage au jour le jour souvent douloureux et toujours fragile.
Il faut apprendre ou réapprendre que face à chaque décision, personnelle ou professionnelle, il n’y a que nous, en tant que personne avec nos doutes. Derrière tout process, tout dispositif, toute théorie, il n’y a que des êtres humains, pas des « systèmes » comme on aime souvent l’invoquer. Ce fut le cas pour la crise des subprimes, c’est aussi le cas dans la crise que vit Volkswagen. Les attentats de Paris qui nous attaquent dans notre chair, ont la vertu de nous le rappeler avec cruauté.

Se dire que la vulnérabilité est une force
Nos modes de management privilégient la force, l’engagement, la compétition, l’ostentation … des « valeurs » qui ne conduisent qu’à l’affrontement, aux rapports de force, au bras de fer. Nous n’avons à la bouche que le leadership, la réussite, la performance financière, la conquête, le dépassement de soi … et nous les vendons toujours et encore à nos étudiants dans une surenchère inquiétante.
Ces attentats pointent notre vulnérabilité et dénoncent nos prétentions.
Ils nous obligent à regarder autrement le monde du management, car la vulnérabilité n’est pas un aveu de faiblesse ! Nous pouvons en faire une force ! C’est en changeant la hiérarchie des valeurs de façon structurante que nous amènerons le monde des entreprises, et le monde plus largement, à changer.
Les femmes ont un rôle important à jouer dans ces mutations et je suis une fois de plus frappée par leur absence dans les milieux dit d’ « experts ». La guerre, les attentats, les crises sont encore trop des affaires d’hommes ! C’est aussi le cas de toutes les sphères de pouvoir politique et économique. Aider nos étudiants à changer leur vision de la réussite fait partie de notre engagement de professeurs, de chercheurs, d’éducateurs.

Reconstruire nos hiérarchies
La vie au travail est souvent vue comme un lieu de concurrence, où tous les moyens sont permis pour faire trébucher les autres, où la réussite personnelle s’opère au prix de la réussite collective. Vivre ou être témoin de tels drames est certainement l’occasion de se dire qu’on peut travailler autrement, et que le projet commun peut être une belle aventure, en mettant de côté tout ce qui pollue le quotidien.
Il est très urgent de faire un exercice d’introspection et d’en profiter pour atténuer ce que nous pensons être des drames et qui, à la lumière de ces évènements, ne sont en réalité que de petits tracas, bien faciles à effacer.
Prendre des moments régulièrement pour réfléchir à qui nous sommes, qui nous voulons être profondément, l’accord entre nos valeurs et celles de ceux avec qui nous travaillons, savoir aller vers l’autre sont des exercices salutaires qu’il faudrait instituer dans nos écoles.

Exercer la faculté à prendre du recul
Dans ces moments de crise, nous sommes en perfusion avec l’information qui dégringole de partout : tweeter, facebook, télévision, sites web, radio … c’est une cacophonie d’émotions et d’informations, de témoignages et d’expertises, de vraies et de fausses questions ! La machine médiatique est en marche. La nuance et la précaution ne font pas partie de sa grammaire.
C’est là qu’il faut exercer notre droit au recul et essayer de mettre les évènements en perspective. Ces évènements nous submergent mais ils existent ailleurs, à Beyrouth ou à Bagdad. Paris en a connu des semblables il y a trente ans. L’histoire bégaie, ne l’oublions pas. Une fois la vague d’émotion passée, comment tirer des enseignements de ces drames pour avancer et surtout, ne pas recommencer ?
Pratiquer cette distance critique est un exercice difficile et nous avons la chance de pouvoir transmettre ce savoir-faire car il est au cœur de notre métier de chercheur. Il faut apprendre à démêler le ressenti de l’explication. Il faut sortir de la subjectivité pour aller vers l’objectivité. Mais la grande difficulté est d’accepter que le changement ne se construit pas en niant cette subjectivité, cette émotion, ce ressenti. C’est un travail qui exige respect des personnes et lucidité. C’est là tout le fond de la responsabilité managériale.

Apprendre de la crise
Les heures passent, la vie reprend son cours, et l’oubli fait son œuvre, ce qui est aussi constitutif de notre humanité. Si oublier au quotidien est un processus normal, il est interdit d’être dans le déni. Il n’y a pas de baguette magique qui efface les tragédies qui nous frappent. Il va falloir trouver des justes milieux, souvent par tâtonnements, souvent par essai-erreur.
Ainsi, il n’est pas simple de partager l’émotion sans dramatiser, il n’est pas évident de se protéger et rester vigilant sans entrer dans la psychose. Ce dosage est au cœur du management tel que nous devrions l’enseigner, il est à la fois sa grandeur et son ingratitude. Il faut tenir bon dans la nuance, et résister aux outils et aux méthodes « tout faits » si faciles à enseigner.

Ne pas chercher de bouc émissaire
Dans les moments de tension, de crise, il est souvent tentant de vouloir trouver un bouc émissaire, et de pointer du doigt un supposé coupable. Il nous faut enseigner que les succès comme les erreurs ne se font jamais seuls mais se construisent à plusieurs. Comme il faut se garder d’accuser les musulmans ou les étrangers pour les attentats de Paris, la responsabilité est de ne pas stigmatiser pour s’exonérer de ses propres culpabilités.

Ne pas oublier
Après des drames comme ces attentats, après des crises qu’elles soient personnelles ou professionnelles, notre responsabilité d’éducateur est de dire qu’il faut continuer à vivre malgré tout, mais aussi, qu’il ne faut pas oublier.
La grande erreur du management, sa grande faute est de vouloir oublier et de passer vite, trop vite, à autre chose. Nous devons apprendre à nos étudiants qu’il faut faire quelque chose des crises, des échecs, seul ou collectivement, chacun à son rythme, avec ses forces et ses faiblesses.
Les attentats de Paris nous obligent à former différemment nos étudiants, pour qu’ils exercent pleinement leur responsabilité, comme professionnels, comme citoyens tout simplement.