Cracking the management code

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Pour que les Business Schools retrouvent leur âme

Comme beaucoup de directeurs de Business Schools (tous ?) je travaille à la révision du « Mission Statement » de l’EM Strasbourg  (littéralement la « déclaration de mission » synthétisée en quelques phrases). Et je mesure la  difficulté à résumer en quelques lignes le projet d’une école. Si l’exercice est difficile et complexe, il est à fort enjeu et d’un apport remarquable pour une institution.

Par contre, je m’interroge sur la frustration à ne pas faire émerger ce que nous sentons être l’essence de notre école, c’est-à-dire un climat, une atmosphère, une envie commune, un projet … un cocktail à la fois détonant qui fait à la fois toute l’essence et la différence de cette école, mais qui reste indicible.

Comme beaucoup d’autres, nous cherchons à décrire ce qui fait « notre » différence, ce qui va permettre à des étudiants de l’EM Strasbourg de se reconnaitre parmi une foule d’autres étudiants, à des alumni de se retrouver sans se connaitre, à des personnels de comprendre pourquoi ils sont fiers et heureux de travailler dans cette école, à des enseignants-chercheurs de nous rejoindre … Ce que certains appelleront le « waouh », le « plus », la « différence » dans une version performative. Je dirais tout simplement le « supplément d’âme ».

Mais comment identifier et définir cette âme ?  Sous l’effet des politiques qualité, sous le joug de l’hyper concurrence et de la performance, les Business Schools en uniformisant leur offre n’ont-elles pas perdu toute chance de marquer leur différence ?

Les très nécessaires politiques qualité

Les Business Schools ont fait le choix radical d’intégrer des processus d’assurance qualité il y a des décennies aux Etats-Unis (l’AACSB est née en 1916) puis en Europe et en France (avec l’EFMD). Pas une qualité uniquement déclarative et d’intention, mais une qualité opposable et dûment prouvée.

C’est leur force et leur honneur. Elles ont pris en cela une avance remarquable sur le reste de l’enseignement supérieur français, ce qui n’est pas suffisamment valorisé. Il y a bien sûr, de-ci de-là des certifications ou des reconnaissances labellisées, mais quand on connait les deux systèmes, on peut en mesurer les écarts. C’est une force que l’Université française devrait reconnaître aux écoles de commerce et certainement y voir une source d’inspiration. Des coopérations sur le sujet seraient certainement fort motivantes et contributives pour les deux parties.

Les arguments en faveur des politiques d’accréditation ont été mille fois dits et sont mille fois recevables, rappelons les rapidement :

  • Un enjeu de clarification de l’offre de formation, codée et complexe pour les non-initiés, c’est-à-dire les bacheliers/étudiants et leurs familles. Achèterions-nous une voiture ou un voyage autour du monde avec le même type d’information que nous avons de nos formations (c’est-à-dire une information certes abondante mais confuse et souvent obscure et codée) ?
  • Une nécessaire qualité à maintenir et développer avec le regard de tiers experts;
  • L’opportunité d’un outil de management qui, avec ses batteries de process, d’indicateurs, de critères, permet une mise en œuvre stratégique consistante et cohérente, avec l’ensemble des parties prenantes;
  • Un alignement de la profession vers le haut;
  • Une entrée dans les codes internationaux.

La liste est loin d’être exhaustive, mais elle est suffisante pour ne pas revenir sur cet engagement dans lequel sont entrées la quasi-totalité des Business Schools françaises.

Les accréditeurs aux écoles : « Soyez distinctifs ! »

Malgré tout, ces politiques qualité amènent aussi leurs lots de questionnements. Une interpellation chronique des accréditeurs comme un questionnement stratégique constant des Business Schools est de rechercher ce qui va pouvoir faire leur différence, et par cette différence leur identité.

« Soyez distinctifs », nous adjure-t-on, sachez innover, mobiliser votre créativité pour ne pas subir les accréditations mais bien les mobiliser au service de votre projet. Ce à quoi, il est une forme d’évidence de répondre que c’est un art difficile d’être différent sous la pression des attentes et des exigences des parties prenantes d’une Business School qui se conjuguent pour souvent se contredire, voire s’annuler. La lecture des Mission Statements des Business Schools à travers le globe illustre bien le propos, tant elles sont uniformes dans leurs intentions comme dans les moyens mobilisés pour atteindre les buts assignés.

Pourquoi cette situation? On peut retenir :

  • Le cadre hyper structurant des systèmes d’accréditations, ce qui fait leur force mais réduit au minimum la fameuse marge de manœuvre tant souhaitée;
  • Le devoir de proposer aux étudiants et aux apprenants les qualifications les plus larges possibles avec la difficulté d’être « généraliste », ce qui s’accommode mal de points saillants;
  • L’exigence de tenir ses promesses auprès des étudiants, à savoir l’international et l’employabilité.

Disons le simplement, il n’y a pas 10 000 façons de mener tout cela de front et les écoles qui se sont essayées à l’innovation n’ont pas vraiment fait leurs preuves : que ce soit dans l’hyper sélectivité darwinienne (en informatique où, si le recrutement est très ouvert, la sélection vient ensuite de façon très intensive comme pour l’Ecole 42) ou la remise en cause radicale des modalités de recrutement (comme l’a tenté France Business School).

La créativité des Business Schools se trouve plus dans la valorisation de projets bien menés, d’actions innovantes mais souvent marginales, que dans une innovation touchant à leur cœur de métier. 

Une fierté légitime

Chaque Business School avance et est fière de ce qu’elle fait, et peut légitimement l’être. Chacun sait que le marché est mature, très concurrentiel, que l’environnement propose son lot de menaces stratégiques. C’est de plus en plus un univers de marques qui se construisent sur du temps long, avec une formidable inertie.

Les énergies se concentrent donc sur 3 objectifs principaux :

  1. Etre préférée à l’école ou aux écoles concurrentes dans une hiérarchie (médiatisée par les classements) qui bouge peu;
  2. Être recommandée par un bouche à oreille favorable;
  3. Être soutenue par ses parties prenantes, tout particulièrement les entreprises et les alumni pour assurer la relève de financements en berne.

Tout cela fait un beau plan d’actions stratégiques mais est-ce que ça crée du rêve ? Est-ce que cela révèle l’âme de l’école ? Rien de moins certain.

A la recherche d’un supplément d’âme

La frustration devant la rédaction du Mission Statement s’explique bien par la difficulté de présenter l’âme de son école. Ce serait parler de quoi ? Ce serait évoquer une « ambiance », un « climat », une « atmosphère »… un ensemble d’interactions entre des personnes et des objets difficile à décrire et à circonscrire et qui pourtant représente bien mieux l’école que tous les rapports d’accréditation ou de labels.

Quels seraient les objectifs reformulés sous cet angle ?

  • Que chaque étudiant et personnel parle de son école avec affection et engagement;
  • Qu’ils aient le sentiment de faire partie d’une communauté, et l’envie d’y rester ou d’y revenir pour des motifs tout sauf rationnels et utilitaristes (comme adhérer à l’association des alumni le jour où on est en recherche d’emploi);
  • Que le bouche à oreille soit positif.

La formation dans une école est  une expérience

Ces trois enjeux convergent vers cette idée que la formation dans une école est une expérience, au sens du paradigme expérientiel tel que l’ont défini Holbrook et Hirschman dans leur article séminal de 1982.

Depuis bientôt 40 ans, le monde du commerce sait qu’il ne suffit pas d’exposer le consommateur ou le chaland à ce qui fait en théorie les ingrédients de la performance : des bons produits, des prix attractifs, un merchandising séduisant, une théâtralisation inspirante … pour qu’il achète. Il faut raconter une histoire à ce consommateur et le stimuler suffisamment pour que, en interagissant avec tous ces items, il se fabrique son expérience, de magasinage en l’occurrence.

On peut faire l’hypothèse que le même processus expérientiel se met en marche quand on a le projet d’intégrer une école. Et que, au fur et à mesure des semaines et des mois, l’étudiant va créer son histoire, de façon unique. Ces alchimies mystérieuses naissent lors d’un cours, d’un rendez-vous avec un tuteur, d‘un évènement d’association, de rencontres avec un secrétaire ou un gestionnaire de scolarité… Elles sont le creuset de cette « atmosphère » qui sera, pour le coup, complètement différente d’une école à l’autre.

Cet assemblage unique est aussi la plus forte source de différenciation comme nous l’ont montré les dernières recherches en management de l’innovation (Hamel, 2006). En effet, dans un monde ouvert où circulent librement les idées, les techniques, l’argent, les innovations technologiques ou stratégiques sont très vite imitées.

Ce que retiennent les étudiants de leur école

Dans une Business School, les étudiants passent en moyenne 3 années, ce qui n’est pas anodin quand on a 22 ou 23 ans. Surtout quand cette formation détermine en grande partie la vie professionnelle. La Business School, MA Business School doit m’interpeller, pour que je puisse raconter ma propre histoire, pendant longtemps, à ceux et celles qui m’accompagneront dans ma vie.

On constate alors que les moments considérés comme les plus riches et les plus forts ne sont pas forcément en lien avec le « plus que parfait » : les plus beaux locaux, les meilleurs professeurs, les cours les plus performants, le salaire le plus important à la sortie … Quand on évoque ses souvenirs d’étudiant (parfois lointains : on peut remonter au CP …), on touche à l’émotion.

Les arguments du « plus » sont laissés à notre système rationnel. Tout ce qui va faire la « mise en intrigue », créer l’attachement, faire qu’on parle de cette école ou de cette année avec émotion et implication, est une boite noire qu’on peine à percer, car on se rend compte que c’est un « mélange » difficilement explicable de « plein de choses ». C’est tout simplement le souvenir d’une « expérience ».

Cette question peut sembler anecdotique à certains. Je m’empresse de dire qu’il n’en est rien. Toutes les recherches en comportement du consommateur montrent bien qu’inexorablement, c’est ce paradigme de l’ « expérience » qui domine nos vies, et que ce caractère expérientiel de nos actions dépasse maintenant largement la sphère de la consommation pour entrer dans celle de nos vies personnelles et professionnelles de façon extensive.

Accréditations et classements ne font pas l’âme

Ce ne sont pas les arguments objectivables et objectivés, soumis à la performance qui créent la distinction. Celle-ci doit être hors benchmarking, hors comparaison, hors classements et ne peut être résumée aux rapports d’accréditation. On ne peut schématiser ou résumer l’âme d’une école.

La qualité reconnue par des tiers labels, accréditations, classements … est nécessaire, mais cette volonté de transparence, d’efficacité et d’efficience n’a-t-elle pas conduit les écoles à perdre, ou peut-être simplement à oublier leur âme ? Il est grand temps, pour tous, de la retrouver et de la chérir, c’est ce qui fera que dans des dizaines d’années, des diplômés aux 4 coins du globe évoqueront avec nostalgie et tendresse leur cursus, et seront au rendez-vous pour la soutenir en cas d’avis de tempête.

Références
Collectif (Auteur), (2004) Souvenirs d’école, des écrivains racontent , Editions les Monedières
Hamel, G. (2006), The why, what and How of Management Innovation, Harvard Business Review, 84 : 2, 72-84.
Holbrook M.B.; Hirschman E.C. (1982), The experiential aspects of consumption: consumer fantasies, feelings and fun, Journal of Consumer Research, 9, 132-140
Pennac, D.,  (2007), Chagrins d’école, Editions Gallimard

 

La marque : capital immatériel des écoles et universités

Il y a quelques jours, j’écrivais un papier pour la revue Economie et management à propos de la marque comme actif immatériel des entreprises.  J’ai eu envie de prolonger la réflexion, car la marque a pénétré tous les univers et celui de l’enseignement supérieur n’y échappe pas.

En voilà une preuve avec ce témoignage (américain pour ne gêner personne):

“I describe some of the advantages of attending a prestigious name-brand university like MIT, Stanford, or Harvard, as told through the experiences of my friends in the high-tech sector. In short, a name-brand diploma will help you get better entry-level job offers at big companies and provide you with more initial respect from your superiors.” 

La marque devait faire vendre, elle est devenue un objet symbolique qui doit faire sens. Elle doit donc relever de nouveaux défis : savoir s’adresser aux salariés et aux citoyens et plus seulement aux clients. Elle doit aussi entrer dans l’univers expérientiel du consommateur et être capable de l’accompagner sur la durée. C’est l’ensemble de ces nouvelles exigences qui permet de parler de « capital marque » et d’en faire un actif immatériel des entreprises. 

Une marque, c’est quoi?

On recense généralement 7 attributs de la marque : le produit, le nom, le logo, le personnage, le packaging, la communication et le point de vente. Comment les établissements de l’enseignement supérieur les utilisent-ils?

Un produit ou un service repérable. Pour HEC ou un IAE ce sera la formation au management. La marque se décline avec tous les nouveaux produits qui vont enrichir sa gamme : licences, bachelors, masters, MBA, Executive MBA, doctorat forment la gamme que peut offrir un établissement.

Le nom, élément vital. Ce ne sont pas les noms les plus élaborés qui ont marqué l’histoire des marques. Pensons à Renault, qui est tout simplement le nom du créateur de l’entreprise, ou à LU, qui est formé des initiales de monsieur Lefèbvre et mademoiselle Utile. Ou encore Apple, choisi pour des raisons personnelles par Steve Jobs. Des marques fortes de l’enseignement supérieur relèvent de la même simplicité : la Sorbonne a été fondée par Robert de Sorbon; Harvard était le nom du premier bienfaiteur de l’université.

On peut relever de grands classiques du nom de la marque dans l’enseignement supérieur. On trouve des acronymes – HEC ou ESSEC relèvent de cette logique -,  des noms de ville ou de région – ce sera alors EM Normandie ou Grenoble EM-, un emplacement – comme Dauphine-  ou encore des noms de personnes célèbres -université Lumière ou Jean Moulin à Lyon. La conception d’un nom est devenue une véritable science, entre l’encombrement du paysage, la prise de conscience des enjeux sur la durée, et la complexité de la protection juridique. C’est ainsi que sont nées des marques comme Skema ou Neoma qui sont des créations ex nihilo.

Le logo, signe de reconnaissance. Au-delà du graphisme, il porte la signification symbolique de la marque. Ces logos sont présents dans nos vies et certains n’ont plus besoin d’être accompagnés du nom de la marque tellement ils sont reconnaissables (crocodile de Lacoste, virgule de Nike ou encore écureuil de la Caisse d’Epargne). Dans le cas de l’EM Strasbourg Business School,  l’identité visuelle adoptée en 2012 est l’expression d’une école authentique, ancrée dans un territoire, en société, ouverte sur le monde, dont la création et la transmission de la connaissance est le cœur de métier (retrouvez le décryptage complet).

EMStrasbourgQUADRI copie   Logo-EMStrasbourg

 Le logo-maitre se décline ensuite selon les besoins : types de programmes, associations d’étudiants, ou encore avec un générateur de logos la possibilité pour chaque étudiant d’avoir son propre logo en faisant varier la couleur, la forme et la densité du logo initial.

EM AlumniEM HumanisEM Partenaires

 

UpecLes personnages pour humaniser la marque ou la concrétiser. Qui ne connait pas Cerise de Groupama ? Le personnage peut aussi être animal, comme la célèbre Vache qui rit. D’autres stratégies consistent à mettre en scène des « vrais gens » comme le fait régulièrement la SNCF ou bien d’avoir recours à des égéries : Carla Bruni pour Bulgari ou George Clooney pour Nespresso. Pour l’enseignement supérieur, ce sont les étudiants qui sont mis en avant pour les programmes en formation initiale, et les enseignants quand il s’agit d’évoquer la recherche.

 

UALe packaging, vecteur identitaire. Le choix des formes et des couleurs raconte aussi l’histoire de la marque. Pour la formation, immatérielle et intangible, ce seront les plaquettes, les supports de cours, les captages vidéos d’événements qui joueront ce rôle, comme la déclinaison de produits merchandisés: mugs, Tee shirts, Sweat shirts, siglés du logo et du nom de l’université ou de l’école. De plus en plus d’établissements ont une boutique en leur sein proposant à la vente ses produits fédérateurs et porteurs de messages.

La communication décline des messages. Leur rôle est à la fois de rester dans la constance tout en sachant se renouveler. On peut citer à titre d’exemple GEM qui est passé de « Time to anticipate » à « All you need is innovation », « Keep calm and innovate », « J’innove donc je suis »,  « To innovate or not to innovate, that is not the question ».

La marque peut s’exprimer par le point de vente. C’est par l’expérience vécue que le consommateur appréhende les messages de la marque. Il est alors au cœur d’une mise en scène comme au théâtre avec les décors, les personnages, une intrigue qui lui racontent l’histoire de la marque. C’est le lieu d’enseignement qui joue ce rôle dans le cas de l’enseignement supérieur, il est essentiel dans la légitimité d’une marque pour la formation. Quelle cohérence entre la promesse véhiculée par la marque et les bâtiments ? Entre les messages et la réalité de la formation ? L’université ou l’école doit voir ses bâtiments comme un des éléments participant à la matérialisation de la marque.

L’identité d’une marque

L’identité de la marque est généralement définie comme « l’ensemble des messages émis par une organisation à travers sa marque ». Le modèle IPSE (Berger-Remy, 2013) décrit la marque selon quatre éléments du plus intangible au plus concret : idéologie, personnalité, signes, emblèmes:

  • L’idéologie décline les croyances liées à la marque. C’est la conviction de Neoma de former les managers de demain, pour GEM les managers du futur, pour Audencia des managers responsables, pour HEC de former l’élite des managers, pour Skema les managers globaux …
  • La personnalité est définie par analogie avec une personne humaine, ce qui permet aux personnels comme aux consommateurs de mieux l’appréhender et de se l’approprier. Un peu de spéculations : Sorbonne serait la grand-mère de tous, FBS la fille rebelle, l’Université de Strasbourg la première de la classe et le MIT la « grosse tête » ?
  • Les signes sont l’ensemble des traits, des dessins, des couleurs qui s’organisent pour dessiner le logo ou la représentation graphique. Je ne reviens pas dessus, l’ayant déjà évoqué,
  • Et enfin, les emblèmes sont les produits ou les services qui représentent le mieux la marque et racontent son histoire. Pour nos universités, ce pourrait être la toge et la toque, ou encore l’estrade, les écoles ont repris ces symboles et tentent peut-être de les renouveler avec les tablettes, les MOOCs, les fab’lab…

Construire la légitimité de marque

La construction de la légitimité d’une marque devient un enjeu majeur des établissements d’enseignement supérieur. Il s’agit de devenir la référence dans un domaine donné pour obtenir l’adhésion des parties prenantes, ce qui confère l’autorité d’agir à l’organisation.

Cette légitimité peut s’appuyer sur l’histoire de la marque, sur son authenticité. C’est le cas de Louis Vuitton avec son métier premier de malletier, c’est celui de vieilles universités comme celles de Strasbourg. L’histoire est souvent incarnée par un leader, un personnage charismatique qui la porte et la défend : on pense bien évidemment à Steve Jobs ou Michel-Edouard Leclerc… En dehors du microcosme, pense-t-on au directeur d’une grande école ou au président d’une université en évoquant une marque de l’enseignement supérieur ?  Rien de moins sûr, même si la personnalisation de la communication des établissements supérieurs est forte, surtout dans les écoles.

Passer de la réputation, toujours relative, pour atteindre la légitimité, est un objectif auquel toutes les marques aspirent. L’enjeu est aussi bien externe (vis-à-vis des consommateurs) qu’interne (vis-à-vis des salariés). En effet, depuis quelques années, un rôle assigné à la marque est sa capacité à développer un sentiment d’appartenance chez tous les collaborateurs de l’organisation. On parle alors de marque corporate. Pour les établissements d’enseignement supérieur, les choses se compliquent, puisqu’il faut associer aux salariés les étudiants.

Cohérence entre messages internes et externes

Alumni successLe premier objectif est que le collaborateur, quelle que soit sa fonction dans l’établissement, s’identifie (du moins dans sa vie professionnelle) à la marque de l’entreprise. Cette construction d’une histoire commune passe souvent par un storytelling auprès des alumni, des histoires de succès bien sûr.

Le deuxième objectif est que ce sentiment d’appartenance devienne de l’engagement dans l’activité. C’est-à-dire que le collaborateur se sente en phase avec les valeurs véhiculées par la marque et que cela se traduise par un investissement plus fort et plus important dans le travail demandé. On attribue donc à la marque la capacité à motiver les collaborateurs et à développer leur envie d’être des ambassadeurs de leur université ou de leur école, mais aussi de travailler plus et mieux pour elle.

Le management par la marque a comme mission d’assurer une cohérence optimale entre la marque vécue en interne et les messages véhiculés à l’extérieur de l’établissement. Si cette congruence est défaillante, le salarié est alors placé en situation de dissonance cognitive, qui implique de l’incompréhension, de la souffrance, du désengagement. Il est par exemple difficile d’entendre un discours d’excellence ou d’innovation quand on travaille soi-même avec des locaux désuets.

Un autre objectif que sert le management de la marque employeur est celui de l’attractivité de l’établissement à destination de collaborateurs potentiels. Il va falloir créer le désir afin de convaincre les meilleurs talents de rejoindre telle université ou telle école. La marque est alors au centre de la stratégie. Quel universitaire serait insensible à l’UCLA, au MIT ou à Harvard ?

Créer un capital marque

Toute marque va susciter chez le consommateur des associations, c’est l’ensemble de ces associations qui vont permettre de définir l’image de marque et le territoire de la marque. Le territoire de la marque se définit comme le noyau dur de l’image de marque, là où sont les associations les plus fortes et les moins substituables. Quel est le territoire de marque de l’Université de Limoges, de Bordeaux ou de Nantes ? Ou bien encore d’un INSA ou de Sciences Po ? L’excellence ? L’international ? La professionnalisation ? Quelle est le caractère distinctif de chacun des établissements de l’enseignement supérieur?

Si bien identifier son image de marque est essentiel, un pas supplémentaire est franchi avec la création du capital-marque (brand equity en anglais), c’est-à-dire la valeur ajoutée qu’une marque apporte au produit, au-delà de ses fonctionnalités. Ainsi, le consommateur va avoir une préférence spontanée pour une formation courte à l’UCLA, et, après l’avoir suivie, marquer une préférence pour l’UCLA sans toutefois pouvoir l’expliquer de façon objective. Ce dernier exemple montre le « pouvoir » que peuvent avoir les marques sur nos attitudes et nos comportements de consommation de formation.

 L’extension de la marque

Les stratégies de développement de marque se développent selon deux grands modèles : celui de l’extension et celui de l’association de marques ou « co-branding ».

L’extension de marque consiste à créer puis piloter les différentes marques détenues par l’établissement, on parle alors de gestion du « portefeuille de marques ». On retrouve surtout dans l’enseignement supérieur :

  • des marques « corporate » quand le nom de l’université ou de l’école est utilisé comme une marque;
  •  des marques-produit, c’est-à-dire des marques associées à une formation : le Badge, le Bachelor, le Master;
  • des marques-caution, qui regroupent  des marques-filles s’adressant à des marchés différents. Une université est la marque caution de sa faculté de médecine, sa faculté de lettres ou son IAE;
  • avec les fusions et l’autonomie, il semblerait que la tentation soit aussi d’aller vers une marque-gamme c’est-à-dire l’idée que la marque université décline les mêmes bénéfices à travers ses composantes pour les mêmes marchés.

Il ne me semble pas trouver d’exemples, du moins en France,  de marques-ombrelle dans l’enseignement supérieur c’est-à-dire la commercialisation de produits différents sur des marchés différents avec la même promesse (comme la robustesse pour Caterpillar entre instruments de chantier, chaussures et vêtements).

La stratégie d’extension de marque va permettre de lancer de nouvelles versions d’un produit sur le même marché. Il va s’agir de nouvelles formations avec des caractéristiques supérieures et donc plus chères (extension de gamme vers le haut) ou, au contraire, des produits plus accessibles (extension de gamme vers le bas). Cette dernière stratégie permet par exemple d’avoir accès à une marque prestigieuse à moindre coût, en achetant un produit dit « entrée de gamme » : c’est le fameux « stage court » ou bien la formation certifiante que proposent l’ensemble des écoles et des universités. Vaut-il mieux avoir sur son CV une formation courte d’une université ou d’une école prestigieuse (à marque forte) ou une formation bien plus qualifiante sans bonne visibilité ? 

L’intérêt du co-branding

L’autre stratégie, dite de co-branding, est fondée sur l’association entre deux marques qui vont communiquer ensemble sur un produit ou un service qu’elles auront co-conçu ou seulement co-signé. Ce sont les alliances EM Lyon-Centrale Lyon ou encore le partenariat entre l’ ESC Rennes et l’EM Strasbourg.

Ces alliances ont beaucoup d’atouts : elle permettent de mieux résister au raccourcissement des cycles de vie des produit en proposant des renouvellements de proposition, d’atteindre de nouvelles cibles  (on peut penser à l’association de telle école de management avec un réseau d’écoles d’ingénieurs) ou bien de nouveaux territoires (les entreprises, par exemples avec le DBA en lieu et place du doctorat académique).

La condition d’un co-branding réussi est que le consommateur perçoive un avantage substantiel et que les marques soient cohérentes entre elles sans être trop proches.

L’évaluation financière de la marque 

Parmi les actifs immatériels, la marque prend une place déterminante dans l’évaluation d’une entreprise. L’actif immatériel représente 18% en moyenne de la valeur des entreprises (source Interbrand.com), mais peut être beaucoup plus importants, comme pour Nike (84%), Prada (77%), Chanel (66%), première marque française qui contribue à la valeur de son entreprise.

FM

Dans l’enseignement supérieur se développent des licences de marques, en particulier aux Etats-Unis. C’est une façon bien sûr de consolider leur légitimité, de se faire connaitre de publics plus éloignés et de générer des rentrées d’argent.Ces licences de marques sont aussi une façon de protéger sa marque, car, comme tout capital, d’autant plus s’il est intangible, les mesures défensives sont de rigueur.

En guise de conclusion n’oublions pas qu’une des marques d’établissement de l’enseignement supérieur les plus connues au monde, par la grâce d’un designer italien, est celle d’un modeste undergraduate liberal arts college située à Lancaster en Pennsylvanie : Franklin and Marshall.