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L’Université de Perpignan, pour le pire … et pour le meilleur ?

Avec son « Au pire, il y a l’Université de Perpignan », la récente campagne de communication de cette université interpelle. Par les interrogations et les mécontentements qu’elle soulève, elle renvoie l’enseignement supérieur à ses pratiques de communication. L’enseignement supérieur est-il un produit comme les autres ?

L’Enseignement supérieur : un « produit » comme les autres ?

Depuis quelques années, l’enseignement supérieur français s’est résolument lancé dans l’art de la communication. Ce qui est un exercice très difficile tant le « service » offert est complexe et tant les propositions se ressemblent.

On se retrouve avec les mêmes dérives que dans le marketing touristiques où toutes les villes sont à la fois historiques, estudiantines et au « cœur de l’Europe », ou toutes les Régions proposent du soleil, de l’air pur, du patrimoine et de l’innovation économique.

Ainsi, toutes les universités, comme toutes les écoles affichent de façon uniforme et lancinante : l’excellence en recherche, l’innovation pédagogique, la variété de l’offre de formation, le partenariat avec les entreprises, l’international, et le plein emploi assuré à la sortie des études …

La liste des promesses est toujours la même, ce qui est bien normal tant elle doit répondre aux attentes de bacheliers souvent ignorant de leur projet professionnel et de leur famille en difficulté devant la complexité de cet univers.

L’enjeu est donc de se démarquer, sinon intrinsèquement, au moins dans le discours pour « faire la différence ». Pour les communicants, il s’agit donc d’être créatifs et si possible disruptifs, pour être repérés dans cet univers de marques.

Faire la différence à tout prix ?

On peut supposer que c’est le pari qu’a voulu faire l’Université de Perpignan avec sa campagne « Au pire, il y a l’université de Perpignan ! »

Ce choix est étonnant. Comment l’expliquer ?

  • Première hypothèse : peut-être veut-on provoquer la réponse contraire, comme lorsqu’on affirme : « Je suis trop nul ! » pour s’entendre dire : « Mais non, tu n’es pas nul, tu es super bon !» ? Mais cela semble un peu complexe avec ce dispositif qui n’est pas du registre de l’intime.
  • Une autre hypothèse est le choix de l’humour, ce que Floch appelait les publicités « obliques » avec une prise de risque importante : celle de ne pas être compris ! Ce qui pourrait bien être le cas. L’humour est toujours difficile à manipuler en communication, car il nécessite une complicité qu’on n’a pas forcément avec sa cible.

Les risques de la campagne de l’université de Perpignan sont importants :

Celui du rejet pour la cible visée (les lycéens bacheliers) qui prendront l’information au pied de la lettre, ou a minima, verront le doute s’instiller à la lecture de cette affirmation.

Celui du malaise pour les étudiants, les enseignants et toutes les équipes déjà en place dans l’université de Perpignan, et qui œuvrent pour son développement et sa légitimité : cette étiquette du « pire » n’est pas la plus agréable à se voir coller sur le dos.

  • Une troisième hypothèse est de vouloir faire du « buzz » … à la Festina ! Rappelons-nous, cette marque de montres complètement inconnue sponsorisait une équipe de cyclisme pendant le Tour de France 1998, elle a connu une notoriété immense et inattendue par le scandale de dopage qui a touché ses compétiteurs. C’est donc l’idée maintes fois théorisée que le pire fait parler et crée la notoriété… Pourquoi pas ? Mais les études supérieures ne sont pas des montres !

 Enlever le haut, puis enlever le bas ?

Nous en sommes donc tous là de nos spéculations, fort circonspects sur la prise de risque de cette campagne. En attendant, ça cause !

Mais, après quelques jours, alors que le suspens est à son comble, on apprend que le président de l’Université sort de son silence et spam le feuilleton en annonçant qu’il y aura une seconde partie et qu’elle présentera la face positive de l’Université de Perpignan, fondée sur un rapport de l’IGAENR.

Il s’agissait donc d’une campagne « aguicheuse » en français, et ce « Au pire » n’était qu’un teasing !

L’université de Perpignan est comme Myriam. Après avoir enlevé le haut et montrer (dans ce cas) le pire, elle va, quelques jours après, enlever le bas, et nous montrer son meilleur jour ?

Un peu d’histoire de pub : fin Août 1981, la France voit fleurir des affiches 4X3 avec la photo d’une jeune femme en maillot de bain face à la mer (Myriam) qui annonce : « Le 2 Septembre, j’enlève le haut ! », le jour dit, les affiches montrent la même personne sans son haut de maillot de bain et annonçant : « Le 4 Septembre, j’enlève le bas ! ». En effet, alors que cette campagne de pub était devenue LE sujet de conversation, le 4 septembre, ponctuellement, Myriam apparait nue sur les affiches, mais cette fois, de dos. Il s’agissait d’une campagne de l’agence CLM-BDDO pour l’afficheur Avenir qui voulait démontrer son efficacité en matière d’affichage. Le pari est largement gagné et Myriam reste une référence majeure dans la grammaire des publicitaires.

C’est ce qu’ont vraisemblablement voulu faire les communicants de l’Université de Perpignan, mais, pour Myriam, aucune information n’avait fuité entre les trois tours… Ni le publicitaire, ni le commanditaire n’avaient livré d’explications.

On peut supposer que la pression a été trop forte à Perpignan pour faire durer le suspens.

Quels enseignements (pas du tout supérieurs …) de cette story ? 

Plusieurs réflexions naissent de cette situation.

Tout d’abord sur la communication de l’université de Perpignan : ce n’est pas parce qu’on ôte le pire qu’on ne trouve que du bon. Il va falloir effacer le premier choc pour faire accepter le message positif. Entre temps, la barrière a été largement rehaussée. Il va falloir frotter fort pour effacer la petite tâche laissée par l’insinuation du « pire ». Le jeu en valait-il la chandelle ?

Sur la communication dans l’enseignement supérieur, il faut se rappeler qu’on ne peut évaluer la qualité d’une formation ou d’une université tant qu’on n’a pas terminé un cycle d’étude, et, de plus cette évaluation restera très subjective et individu-dépendante. L’enseignement se range dans la catégorie des « services de croyance ».

Au moment du choix de l’orientation, car c’est bien cela qui est en cause, l’estimation du risque est maximale avec principalement le risque psychologique de se tromper d’orientation, et le risque financier surtout si les études sont chères.

L’objectif d’une communication dans ce domaine est donc de RASSURER et DONNER ENVIE, puis, d’apporter les preuves que la promesse sera bien tenue : témoignages d’apprenants, de diplômés, photos des locaux, chiffres d’insertion …et classements médiatiques (peut-être plus qu’un rapport administratif qui peut paraître fort obscur car les « preuves » doivent parler au public ciblé). C’est sur cette base qu’il faut être créatif !

Envisageons deux autres « services de croyance » comme l’est l’enseignement supérieur. Verrions-nous une publicité pour la chirurgie esthétique mettant en scène des opérations ratées pour, ensuite, rassurer sur l’excellence des chirurgiens ? Ou bien une personne derrière les barreaux pour prouver, dans un second temps le professionnalisme d’un cabinet d’avocats ? Certainement pas.

Avec une affirmation comme « L’Université de Perpignan : échec assuré », c’est le risque qu’a pris cette université. L’enseignement supérieur n’est certainement pas le sujet qui se prête le mieux à cette stratégie de communication.

L’image d’un établissement de formation se construit sur du temps long, elle est construite autour de mille variables qui vont des récits des étudiants, aux locaux, à la ville d’implantation, à des « figures » aussi qui l’incarnent. Nous sommes sur l’offre d’une « expérience » extrêmement impliquante pour ceux qui vont la vivre et qui doit être traitée en tant que telle.

Comme le disait Pierre Desproges, on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui. On peut certainement rire et faire de l’humour avec l’enseignement supérieur mais pas à destination des lycéens et de leurs familles qui sont plongés dans l’angoisse de l’orientation. Pas non plus à destination des personnels qui ne sont pas au mieux de leur moral si on en croit les enquêtes à ce propos.

In fine, le dilemme sera d’affirmer haut et fort que l’Université de Perpignan tient ses promesses : reste à savoir si on retiendra celle du « pire » ou du « meilleur » ?

 

NB : Ce billet a été publié par NewsTank Education le 17 Mai 2017

 http://education.newstank.fr/fr/article/view/93546/communication-universite-perpignan-pire-meilleur-isabelle-barth.html

 

Pour que les Business Schools retrouvent leur âme

Comme beaucoup de directeurs de Business Schools (tous ?) je travaille à la révision du « Mission Statement » de l’EM Strasbourg  (littéralement la « déclaration de mission » synthétisée en quelques phrases). Et je mesure la  difficulté à résumer en quelques lignes le projet d’une école. Si l’exercice est difficile et complexe, il est à fort enjeu et d’un apport remarquable pour une institution.

Par contre, je m’interroge sur la frustration à ne pas faire émerger ce que nous sentons être l’essence de notre école, c’est-à-dire un climat, une atmosphère, une envie commune, un projet … un cocktail à la fois détonant qui fait à la fois toute l’essence et la différence de cette école, mais qui reste indicible.

Comme beaucoup d’autres, nous cherchons à décrire ce qui fait « notre » différence, ce qui va permettre à des étudiants de l’EM Strasbourg de se reconnaitre parmi une foule d’autres étudiants, à des alumni de se retrouver sans se connaitre, à des personnels de comprendre pourquoi ils sont fiers et heureux de travailler dans cette école, à des enseignants-chercheurs de nous rejoindre … Ce que certains appelleront le « waouh », le « plus », la « différence » dans une version performative. Je dirais tout simplement le « supplément d’âme ».

Mais comment identifier et définir cette âme ?  Sous l’effet des politiques qualité, sous le joug de l’hyper concurrence et de la performance, les Business Schools en uniformisant leur offre n’ont-elles pas perdu toute chance de marquer leur différence ?

Les très nécessaires politiques qualité

Les Business Schools ont fait le choix radical d’intégrer des processus d’assurance qualité il y a des décennies aux Etats-Unis (l’AACSB est née en 1916) puis en Europe et en France (avec l’EFMD). Pas une qualité uniquement déclarative et d’intention, mais une qualité opposable et dûment prouvée.

C’est leur force et leur honneur. Elles ont pris en cela une avance remarquable sur le reste de l’enseignement supérieur français, ce qui n’est pas suffisamment valorisé. Il y a bien sûr, de-ci de-là des certifications ou des reconnaissances labellisées, mais quand on connait les deux systèmes, on peut en mesurer les écarts. C’est une force que l’Université française devrait reconnaître aux écoles de commerce et certainement y voir une source d’inspiration. Des coopérations sur le sujet seraient certainement fort motivantes et contributives pour les deux parties.

Les arguments en faveur des politiques d’accréditation ont été mille fois dits et sont mille fois recevables, rappelons les rapidement :

  • Un enjeu de clarification de l’offre de formation, codée et complexe pour les non-initiés, c’est-à-dire les bacheliers/étudiants et leurs familles. Achèterions-nous une voiture ou un voyage autour du monde avec le même type d’information que nous avons de nos formations (c’est-à-dire une information certes abondante mais confuse et souvent obscure et codée) ?
  • Une nécessaire qualité à maintenir et développer avec le regard de tiers experts;
  • L’opportunité d’un outil de management qui, avec ses batteries de process, d’indicateurs, de critères, permet une mise en œuvre stratégique consistante et cohérente, avec l’ensemble des parties prenantes;
  • Un alignement de la profession vers le haut;
  • Une entrée dans les codes internationaux.

La liste est loin d’être exhaustive, mais elle est suffisante pour ne pas revenir sur cet engagement dans lequel sont entrées la quasi-totalité des Business Schools françaises.

Les accréditeurs aux écoles : « Soyez distinctifs ! »

Malgré tout, ces politiques qualité amènent aussi leurs lots de questionnements. Une interpellation chronique des accréditeurs comme un questionnement stratégique constant des Business Schools est de rechercher ce qui va pouvoir faire leur différence, et par cette différence leur identité.

« Soyez distinctifs », nous adjure-t-on, sachez innover, mobiliser votre créativité pour ne pas subir les accréditations mais bien les mobiliser au service de votre projet. Ce à quoi, il est une forme d’évidence de répondre que c’est un art difficile d’être différent sous la pression des attentes et des exigences des parties prenantes d’une Business School qui se conjuguent pour souvent se contredire, voire s’annuler. La lecture des Mission Statements des Business Schools à travers le globe illustre bien le propos, tant elles sont uniformes dans leurs intentions comme dans les moyens mobilisés pour atteindre les buts assignés.

Pourquoi cette situation? On peut retenir :

  • Le cadre hyper structurant des systèmes d’accréditations, ce qui fait leur force mais réduit au minimum la fameuse marge de manœuvre tant souhaitée;
  • Le devoir de proposer aux étudiants et aux apprenants les qualifications les plus larges possibles avec la difficulté d’être « généraliste », ce qui s’accommode mal de points saillants;
  • L’exigence de tenir ses promesses auprès des étudiants, à savoir l’international et l’employabilité.

Disons le simplement, il n’y a pas 10 000 façons de mener tout cela de front et les écoles qui se sont essayées à l’innovation n’ont pas vraiment fait leurs preuves : que ce soit dans l’hyper sélectivité darwinienne (en informatique où, si le recrutement est très ouvert, la sélection vient ensuite de façon très intensive comme pour l’Ecole 42) ou la remise en cause radicale des modalités de recrutement (comme l’a tenté France Business School).

La créativité des Business Schools se trouve plus dans la valorisation de projets bien menés, d’actions innovantes mais souvent marginales, que dans une innovation touchant à leur cœur de métier. 

Une fierté légitime

Chaque Business School avance et est fière de ce qu’elle fait, et peut légitimement l’être. Chacun sait que le marché est mature, très concurrentiel, que l’environnement propose son lot de menaces stratégiques. C’est de plus en plus un univers de marques qui se construisent sur du temps long, avec une formidable inertie.

Les énergies se concentrent donc sur 3 objectifs principaux :

  1. Etre préférée à l’école ou aux écoles concurrentes dans une hiérarchie (médiatisée par les classements) qui bouge peu;
  2. Être recommandée par un bouche à oreille favorable;
  3. Être soutenue par ses parties prenantes, tout particulièrement les entreprises et les alumni pour assurer la relève de financements en berne.

Tout cela fait un beau plan d’actions stratégiques mais est-ce que ça crée du rêve ? Est-ce que cela révèle l’âme de l’école ? Rien de moins certain.

A la recherche d’un supplément d’âme

La frustration devant la rédaction du Mission Statement s’explique bien par la difficulté de présenter l’âme de son école. Ce serait parler de quoi ? Ce serait évoquer une « ambiance », un « climat », une « atmosphère »… un ensemble d’interactions entre des personnes et des objets difficile à décrire et à circonscrire et qui pourtant représente bien mieux l’école que tous les rapports d’accréditation ou de labels.

Quels seraient les objectifs reformulés sous cet angle ?

  • Que chaque étudiant et personnel parle de son école avec affection et engagement;
  • Qu’ils aient le sentiment de faire partie d’une communauté, et l’envie d’y rester ou d’y revenir pour des motifs tout sauf rationnels et utilitaristes (comme adhérer à l’association des alumni le jour où on est en recherche d’emploi);
  • Que le bouche à oreille soit positif.

La formation dans une école est  une expérience

Ces trois enjeux convergent vers cette idée que la formation dans une école est une expérience, au sens du paradigme expérientiel tel que l’ont défini Holbrook et Hirschman dans leur article séminal de 1982.

Depuis bientôt 40 ans, le monde du commerce sait qu’il ne suffit pas d’exposer le consommateur ou le chaland à ce qui fait en théorie les ingrédients de la performance : des bons produits, des prix attractifs, un merchandising séduisant, une théâtralisation inspirante … pour qu’il achète. Il faut raconter une histoire à ce consommateur et le stimuler suffisamment pour que, en interagissant avec tous ces items, il se fabrique son expérience, de magasinage en l’occurrence.

On peut faire l’hypothèse que le même processus expérientiel se met en marche quand on a le projet d’intégrer une école. Et que, au fur et à mesure des semaines et des mois, l’étudiant va créer son histoire, de façon unique. Ces alchimies mystérieuses naissent lors d’un cours, d’un rendez-vous avec un tuteur, d‘un évènement d’association, de rencontres avec un secrétaire ou un gestionnaire de scolarité… Elles sont le creuset de cette « atmosphère » qui sera, pour le coup, complètement différente d’une école à l’autre.

Cet assemblage unique est aussi la plus forte source de différenciation comme nous l’ont montré les dernières recherches en management de l’innovation (Hamel, 2006). En effet, dans un monde ouvert où circulent librement les idées, les techniques, l’argent, les innovations technologiques ou stratégiques sont très vite imitées.

Ce que retiennent les étudiants de leur école

Dans une Business School, les étudiants passent en moyenne 3 années, ce qui n’est pas anodin quand on a 22 ou 23 ans. Surtout quand cette formation détermine en grande partie la vie professionnelle. La Business School, MA Business School doit m’interpeller, pour que je puisse raconter ma propre histoire, pendant longtemps, à ceux et celles qui m’accompagneront dans ma vie.

On constate alors que les moments considérés comme les plus riches et les plus forts ne sont pas forcément en lien avec le « plus que parfait » : les plus beaux locaux, les meilleurs professeurs, les cours les plus performants, le salaire le plus important à la sortie … Quand on évoque ses souvenirs d’étudiant (parfois lointains : on peut remonter au CP …), on touche à l’émotion.

Les arguments du « plus » sont laissés à notre système rationnel. Tout ce qui va faire la « mise en intrigue », créer l’attachement, faire qu’on parle de cette école ou de cette année avec émotion et implication, est une boite noire qu’on peine à percer, car on se rend compte que c’est un « mélange » difficilement explicable de « plein de choses ». C’est tout simplement le souvenir d’une « expérience ».

Cette question peut sembler anecdotique à certains. Je m’empresse de dire qu’il n’en est rien. Toutes les recherches en comportement du consommateur montrent bien qu’inexorablement, c’est ce paradigme de l’ « expérience » qui domine nos vies, et que ce caractère expérientiel de nos actions dépasse maintenant largement la sphère de la consommation pour entrer dans celle de nos vies personnelles et professionnelles de façon extensive.

Accréditations et classements ne font pas l’âme

Ce ne sont pas les arguments objectivables et objectivés, soumis à la performance qui créent la distinction. Celle-ci doit être hors benchmarking, hors comparaison, hors classements et ne peut être résumée aux rapports d’accréditation. On ne peut schématiser ou résumer l’âme d’une école.

La qualité reconnue par des tiers labels, accréditations, classements … est nécessaire, mais cette volonté de transparence, d’efficacité et d’efficience n’a-t-elle pas conduit les écoles à perdre, ou peut-être simplement à oublier leur âme ? Il est grand temps, pour tous, de la retrouver et de la chérir, c’est ce qui fera que dans des dizaines d’années, des diplômés aux 4 coins du globe évoqueront avec nostalgie et tendresse leur cursus, et seront au rendez-vous pour la soutenir en cas d’avis de tempête.

Références
Collectif (Auteur), (2004) Souvenirs d’école, des écrivains racontent , Editions les Monedières
Hamel, G. (2006), The why, what and How of Management Innovation, Harvard Business Review, 84 : 2, 72-84.
Holbrook M.B.; Hirschman E.C. (1982), The experiential aspects of consumption: consumer fantasies, feelings and fun, Journal of Consumer Research, 9, 132-140
Pennac, D.,  (2007), Chagrins d’école, Editions Gallimard

 

La marque : capital immatériel des écoles et universités

Il y a quelques jours, j’écrivais un papier pour la revue Economie et management à propos de la marque comme actif immatériel des entreprises.  J’ai eu envie de prolonger la réflexion, car la marque a pénétré tous les univers et celui de l’enseignement supérieur n’y échappe pas.

En voilà une preuve avec ce témoignage (américain pour ne gêner personne):

“I describe some of the advantages of attending a prestigious name-brand university like MIT, Stanford, or Harvard, as told through the experiences of my friends in the high-tech sector. In short, a name-brand diploma will help you get better entry-level job offers at big companies and provide you with more initial respect from your superiors.” 

La marque devait faire vendre, elle est devenue un objet symbolique qui doit faire sens. Elle doit donc relever de nouveaux défis : savoir s’adresser aux salariés et aux citoyens et plus seulement aux clients. Elle doit aussi entrer dans l’univers expérientiel du consommateur et être capable de l’accompagner sur la durée. C’est l’ensemble de ces nouvelles exigences qui permet de parler de « capital marque » et d’en faire un actif immatériel des entreprises. 

Une marque, c’est quoi?

On recense généralement 7 attributs de la marque : le produit, le nom, le logo, le personnage, le packaging, la communication et le point de vente. Comment les établissements de l’enseignement supérieur les utilisent-ils?

Un produit ou un service repérable. Pour HEC ou un IAE ce sera la formation au management. La marque se décline avec tous les nouveaux produits qui vont enrichir sa gamme : licences, bachelors, masters, MBA, Executive MBA, doctorat forment la gamme que peut offrir un établissement.

Le nom, élément vital. Ce ne sont pas les noms les plus élaborés qui ont marqué l’histoire des marques. Pensons à Renault, qui est tout simplement le nom du créateur de l’entreprise, ou à LU, qui est formé des initiales de monsieur Lefèbvre et mademoiselle Utile. Ou encore Apple, choisi pour des raisons personnelles par Steve Jobs. Des marques fortes de l’enseignement supérieur relèvent de la même simplicité : la Sorbonne a été fondée par Robert de Sorbon; Harvard était le nom du premier bienfaiteur de l’université.

On peut relever de grands classiques du nom de la marque dans l’enseignement supérieur. On trouve des acronymes – HEC ou ESSEC relèvent de cette logique -,  des noms de ville ou de région – ce sera alors EM Normandie ou Grenoble EM-, un emplacement – comme Dauphine-  ou encore des noms de personnes célèbres -université Lumière ou Jean Moulin à Lyon. La conception d’un nom est devenue une véritable science, entre l’encombrement du paysage, la prise de conscience des enjeux sur la durée, et la complexité de la protection juridique. C’est ainsi que sont nées des marques comme Skema ou Neoma qui sont des créations ex nihilo.

Le logo, signe de reconnaissance. Au-delà du graphisme, il porte la signification symbolique de la marque. Ces logos sont présents dans nos vies et certains n’ont plus besoin d’être accompagnés du nom de la marque tellement ils sont reconnaissables (crocodile de Lacoste, virgule de Nike ou encore écureuil de la Caisse d’Epargne). Dans le cas de l’EM Strasbourg Business School,  l’identité visuelle adoptée en 2012 est l’expression d’une école authentique, ancrée dans un territoire, en société, ouverte sur le monde, dont la création et la transmission de la connaissance est le cœur de métier (retrouvez le décryptage complet).

EMStrasbourgQUADRI copie   Logo-EMStrasbourg

 Le logo-maitre se décline ensuite selon les besoins : types de programmes, associations d’étudiants, ou encore avec un générateur de logos la possibilité pour chaque étudiant d’avoir son propre logo en faisant varier la couleur, la forme et la densité du logo initial.

EM AlumniEM HumanisEM Partenaires

 

UpecLes personnages pour humaniser la marque ou la concrétiser. Qui ne connait pas Cerise de Groupama ? Le personnage peut aussi être animal, comme la célèbre Vache qui rit. D’autres stratégies consistent à mettre en scène des « vrais gens » comme le fait régulièrement la SNCF ou bien d’avoir recours à des égéries : Carla Bruni pour Bulgari ou George Clooney pour Nespresso. Pour l’enseignement supérieur, ce sont les étudiants qui sont mis en avant pour les programmes en formation initiale, et les enseignants quand il s’agit d’évoquer la recherche.

 

UALe packaging, vecteur identitaire. Le choix des formes et des couleurs raconte aussi l’histoire de la marque. Pour la formation, immatérielle et intangible, ce seront les plaquettes, les supports de cours, les captages vidéos d’événements qui joueront ce rôle, comme la déclinaison de produits merchandisés: mugs, Tee shirts, Sweat shirts, siglés du logo et du nom de l’université ou de l’école. De plus en plus d’établissements ont une boutique en leur sein proposant à la vente ses produits fédérateurs et porteurs de messages.

La communication décline des messages. Leur rôle est à la fois de rester dans la constance tout en sachant se renouveler. On peut citer à titre d’exemple GEM qui est passé de « Time to anticipate » à « All you need is innovation », « Keep calm and innovate », « J’innove donc je suis »,  « To innovate or not to innovate, that is not the question ».

La marque peut s’exprimer par le point de vente. C’est par l’expérience vécue que le consommateur appréhende les messages de la marque. Il est alors au cœur d’une mise en scène comme au théâtre avec les décors, les personnages, une intrigue qui lui racontent l’histoire de la marque. C’est le lieu d’enseignement qui joue ce rôle dans le cas de l’enseignement supérieur, il est essentiel dans la légitimité d’une marque pour la formation. Quelle cohérence entre la promesse véhiculée par la marque et les bâtiments ? Entre les messages et la réalité de la formation ? L’université ou l’école doit voir ses bâtiments comme un des éléments participant à la matérialisation de la marque.

L’identité d’une marque

L’identité de la marque est généralement définie comme « l’ensemble des messages émis par une organisation à travers sa marque ». Le modèle IPSE (Berger-Remy, 2013) décrit la marque selon quatre éléments du plus intangible au plus concret : idéologie, personnalité, signes, emblèmes:

  • L’idéologie décline les croyances liées à la marque. C’est la conviction de Neoma de former les managers de demain, pour GEM les managers du futur, pour Audencia des managers responsables, pour HEC de former l’élite des managers, pour Skema les managers globaux …
  • La personnalité est définie par analogie avec une personne humaine, ce qui permet aux personnels comme aux consommateurs de mieux l’appréhender et de se l’approprier. Un peu de spéculations : Sorbonne serait la grand-mère de tous, FBS la fille rebelle, l’Université de Strasbourg la première de la classe et le MIT la « grosse tête » ?
  • Les signes sont l’ensemble des traits, des dessins, des couleurs qui s’organisent pour dessiner le logo ou la représentation graphique. Je ne reviens pas dessus, l’ayant déjà évoqué,
  • Et enfin, les emblèmes sont les produits ou les services qui représentent le mieux la marque et racontent son histoire. Pour nos universités, ce pourrait être la toge et la toque, ou encore l’estrade, les écoles ont repris ces symboles et tentent peut-être de les renouveler avec les tablettes, les MOOCs, les fab’lab…

Construire la légitimité de marque

La construction de la légitimité d’une marque devient un enjeu majeur des établissements d’enseignement supérieur. Il s’agit de devenir la référence dans un domaine donné pour obtenir l’adhésion des parties prenantes, ce qui confère l’autorité d’agir à l’organisation.

Cette légitimité peut s’appuyer sur l’histoire de la marque, sur son authenticité. C’est le cas de Louis Vuitton avec son métier premier de malletier, c’est celui de vieilles universités comme celles de Strasbourg. L’histoire est souvent incarnée par un leader, un personnage charismatique qui la porte et la défend : on pense bien évidemment à Steve Jobs ou Michel-Edouard Leclerc… En dehors du microcosme, pense-t-on au directeur d’une grande école ou au président d’une université en évoquant une marque de l’enseignement supérieur ?  Rien de moins sûr, même si la personnalisation de la communication des établissements supérieurs est forte, surtout dans les écoles.

Passer de la réputation, toujours relative, pour atteindre la légitimité, est un objectif auquel toutes les marques aspirent. L’enjeu est aussi bien externe (vis-à-vis des consommateurs) qu’interne (vis-à-vis des salariés). En effet, depuis quelques années, un rôle assigné à la marque est sa capacité à développer un sentiment d’appartenance chez tous les collaborateurs de l’organisation. On parle alors de marque corporate. Pour les établissements d’enseignement supérieur, les choses se compliquent, puisqu’il faut associer aux salariés les étudiants.

Cohérence entre messages internes et externes

Alumni successLe premier objectif est que le collaborateur, quelle que soit sa fonction dans l’établissement, s’identifie (du moins dans sa vie professionnelle) à la marque de l’entreprise. Cette construction d’une histoire commune passe souvent par un storytelling auprès des alumni, des histoires de succès bien sûr.

Le deuxième objectif est que ce sentiment d’appartenance devienne de l’engagement dans l’activité. C’est-à-dire que le collaborateur se sente en phase avec les valeurs véhiculées par la marque et que cela se traduise par un investissement plus fort et plus important dans le travail demandé. On attribue donc à la marque la capacité à motiver les collaborateurs et à développer leur envie d’être des ambassadeurs de leur université ou de leur école, mais aussi de travailler plus et mieux pour elle.

Le management par la marque a comme mission d’assurer une cohérence optimale entre la marque vécue en interne et les messages véhiculés à l’extérieur de l’établissement. Si cette congruence est défaillante, le salarié est alors placé en situation de dissonance cognitive, qui implique de l’incompréhension, de la souffrance, du désengagement. Il est par exemple difficile d’entendre un discours d’excellence ou d’innovation quand on travaille soi-même avec des locaux désuets.

Un autre objectif que sert le management de la marque employeur est celui de l’attractivité de l’établissement à destination de collaborateurs potentiels. Il va falloir créer le désir afin de convaincre les meilleurs talents de rejoindre telle université ou telle école. La marque est alors au centre de la stratégie. Quel universitaire serait insensible à l’UCLA, au MIT ou à Harvard ?

Créer un capital marque

Toute marque va susciter chez le consommateur des associations, c’est l’ensemble de ces associations qui vont permettre de définir l’image de marque et le territoire de la marque. Le territoire de la marque se définit comme le noyau dur de l’image de marque, là où sont les associations les plus fortes et les moins substituables. Quel est le territoire de marque de l’Université de Limoges, de Bordeaux ou de Nantes ? Ou bien encore d’un INSA ou de Sciences Po ? L’excellence ? L’international ? La professionnalisation ? Quelle est le caractère distinctif de chacun des établissements de l’enseignement supérieur?

Si bien identifier son image de marque est essentiel, un pas supplémentaire est franchi avec la création du capital-marque (brand equity en anglais), c’est-à-dire la valeur ajoutée qu’une marque apporte au produit, au-delà de ses fonctionnalités. Ainsi, le consommateur va avoir une préférence spontanée pour une formation courte à l’UCLA, et, après l’avoir suivie, marquer une préférence pour l’UCLA sans toutefois pouvoir l’expliquer de façon objective. Ce dernier exemple montre le « pouvoir » que peuvent avoir les marques sur nos attitudes et nos comportements de consommation de formation.

 L’extension de la marque

Les stratégies de développement de marque se développent selon deux grands modèles : celui de l’extension et celui de l’association de marques ou « co-branding ».

L’extension de marque consiste à créer puis piloter les différentes marques détenues par l’établissement, on parle alors de gestion du « portefeuille de marques ». On retrouve surtout dans l’enseignement supérieur :

  • des marques « corporate » quand le nom de l’université ou de l’école est utilisé comme une marque;
  •  des marques-produit, c’est-à-dire des marques associées à une formation : le Badge, le Bachelor, le Master;
  • des marques-caution, qui regroupent  des marques-filles s’adressant à des marchés différents. Une université est la marque caution de sa faculté de médecine, sa faculté de lettres ou son IAE;
  • avec les fusions et l’autonomie, il semblerait que la tentation soit aussi d’aller vers une marque-gamme c’est-à-dire l’idée que la marque université décline les mêmes bénéfices à travers ses composantes pour les mêmes marchés.

Il ne me semble pas trouver d’exemples, du moins en France,  de marques-ombrelle dans l’enseignement supérieur c’est-à-dire la commercialisation de produits différents sur des marchés différents avec la même promesse (comme la robustesse pour Caterpillar entre instruments de chantier, chaussures et vêtements).

La stratégie d’extension de marque va permettre de lancer de nouvelles versions d’un produit sur le même marché. Il va s’agir de nouvelles formations avec des caractéristiques supérieures et donc plus chères (extension de gamme vers le haut) ou, au contraire, des produits plus accessibles (extension de gamme vers le bas). Cette dernière stratégie permet par exemple d’avoir accès à une marque prestigieuse à moindre coût, en achetant un produit dit « entrée de gamme » : c’est le fameux « stage court » ou bien la formation certifiante que proposent l’ensemble des écoles et des universités. Vaut-il mieux avoir sur son CV une formation courte d’une université ou d’une école prestigieuse (à marque forte) ou une formation bien plus qualifiante sans bonne visibilité ? 

L’intérêt du co-branding

L’autre stratégie, dite de co-branding, est fondée sur l’association entre deux marques qui vont communiquer ensemble sur un produit ou un service qu’elles auront co-conçu ou seulement co-signé. Ce sont les alliances EM Lyon-Centrale Lyon ou encore le partenariat entre l’ ESC Rennes et l’EM Strasbourg.

Ces alliances ont beaucoup d’atouts : elle permettent de mieux résister au raccourcissement des cycles de vie des produit en proposant des renouvellements de proposition, d’atteindre de nouvelles cibles  (on peut penser à l’association de telle école de management avec un réseau d’écoles d’ingénieurs) ou bien de nouveaux territoires (les entreprises, par exemples avec le DBA en lieu et place du doctorat académique).

La condition d’un co-branding réussi est que le consommateur perçoive un avantage substantiel et que les marques soient cohérentes entre elles sans être trop proches.

L’évaluation financière de la marque 

Parmi les actifs immatériels, la marque prend une place déterminante dans l’évaluation d’une entreprise. L’actif immatériel représente 18% en moyenne de la valeur des entreprises (source Interbrand.com), mais peut être beaucoup plus importants, comme pour Nike (84%), Prada (77%), Chanel (66%), première marque française qui contribue à la valeur de son entreprise.

FM

Dans l’enseignement supérieur se développent des licences de marques, en particulier aux Etats-Unis. C’est une façon bien sûr de consolider leur légitimité, de se faire connaitre de publics plus éloignés et de générer des rentrées d’argent.Ces licences de marques sont aussi une façon de protéger sa marque, car, comme tout capital, d’autant plus s’il est intangible, les mesures défensives sont de rigueur.

En guise de conclusion n’oublions pas qu’une des marques d’établissement de l’enseignement supérieur les plus connues au monde, par la grâce d’un designer italien, est celle d’un modeste undergraduate liberal arts college située à Lancaster en Pennsylvanie : Franklin and Marshall.

Faut-il avoir peur des grands méchants MOOCs ?

Les MOOCs font couler beaucoup d’encre. Entre ceux qui les analysent comme un énième artefact des cours à distance initiés depuis 1728 (d’après distancelearning.com) et ceux qui y voient LA nouvelle donne pédagogique, la modération n’est pas de mise.

Savoir qui voit le mieux dans la boule de cristal ne m’intéresse guère, je peux seulement faire le constat qu’autant d’agitation (certes limitée au microcosme de l’enseignement supérieur) traduit des envies, mais aussi des inquiétudes.

J’ai choisi de livrer ici une analyse marketing du sujet éclairée par des recherches récentes. Afin de, peut-être, pouvoir répondre à la question : faut-il avoir peur des grands méchants MOOCs?

Brillants ou soporifiques ? J’ai testé!

Je me suis inscrite sur deux MOOCs,  l’un en initiation à la finance, l’autre en initiation à l’irrationalité, que j’ai suivis sur plusieurs heures.

À première vue, les MOOCs, sont tenus par les meilleurs professeurs, celles ou ceux qui sont le plus charismatiques devant une caméra, et capables de maîtriser un scénario pédagogique optimal. J’ai été bluffée par l’ingénierie de la pédagogie : un découpage thématique au scalpel, une excellente progression, du rythme, des illustrations à foison, des lectures complémentaires, un ton à la fois convivial et exigeant, une rigueur des contenus. Bref, tout ce que devrait être un bon cours !

Mais tout n’est pas aussi brillant : ici, une webcam avec une luminosité défaillante, là, un son qui semble sortir d’un puits, des plans fixes, une parole monotone… J’avoue aussi m’être endormie pendant un visionnage : mauvais choix du moment (tard le soir), mauvais choix du lieu (calée sur l’oreiller).

Il y a aussi le côté très « Santa Barbara » de certains teasing, sur fond de palmiers, plages et sable blanc , très soap opera. Le cadre à adopter semble être définitivement anglo-saxon, avec une approche modulaire et une culture des objectifs et des indicateurs très éloignée de la vision française de la pédagogie, construite sur l’intention. La globalisation de l’enseignement et la prégnance d’une vision anglo-saxonne, bien amorcée par les débats sur les accréditations, apparaissent désormais de façon évidente.

Révélateurs de nos défauts

Les MOOCs obligent l’enseignement supérieur (ou, du moins les enseignants qui veulent affronter la question) à sortir d’un déni : les étudiants ont le sentiment de ne pas apprendre grand-chose en cours et, surtout, de s’y ennuyer profondément. Longtemps, on a préféré montrer du doigt les mauvais comportements des étudiants qui présentent à leurs professeurs une forêt de rabats d’ordinateurs et qui pratiquent la « présence absente », surfant sur les réseaux sociaux pendant les cours.  Aujourd’hui, se poser la question de l’intérêt du cours est certes déstabilisant mais il est impossible d’en faire l’économie.

Il faut admettre que le savoir vertical pur, typique du cours magistral est en voie de disparition et qu’on peut en apprendre beaucoup plus et beaucoup plus rapidement en allant sur la Toile. Paradoxalement, les MOOCs réhabilitent le savoir vertical mais permettent de revoir sa formule en tirant la qualité pédagogique vers le haut.

Accélérateurs du changement

On peut toujours se dire que « l’outil est neutre » et que c’est ce qu’on en fait qui lui donne du sens.  L’argument a maintes fois été utilisé, particulièrement pour les outils dérivés d’Internet. C’est oublier que tout outil structure le comportement de celui qui l’utilise. Parions que le MOOC va modifier nos façons d’apprendre et d’enseigner, comme Internet a modifié nos habitudes d’achat.

Une seconde règle est que le consommateur va toujours plus vite que l’offreur. Cela signifie que, n’en déplaise à leurs détracteurs, si des apprenants en devenir du monde entier adoptent les MOOCs, il faudra faire avec. Et si possible vite, pour pouvoir encore participer au façonnage du phénomène.

Souvenez-vous ! Il y a dix ans, les spécialistes des sites marchands affirmaient que certains produits (très chers ou très impliquants) ne pourraient être vendus en ligne. C’est tout le contraire qui s’est mis en marche et le succès de la vente en ligne de diamants, de chaussures ou de fruits et légumes le démontre au quotidien.

Empêcheurs d’apprendre en rond

Les MOOCs proposent une pédagogie en ligne alternant le virtuel (le « clic ») et le réel (« le mortier »). Cette culture du « click and mortar« , qui est maintenant bien maîtrisée par le consommateur dans de nombreux domaines (achat d’un ordinateur ou d’une robe…), dessine l’avenir des MOOCs. Et questionne fortement les habitudes d’apprentissage.

Alors que l’enseignement classique repose sur une présence en cours et sur une socialisation par les travaux à mener hors des salles de classe (seul ou en groupe),  les MOOCs inversent les temps d’apprentissage : d’abord des cours suivis en ligne, ensuite des rencontres pour se socialiser.

Les MOOCs exigent une autre façon de travailler. Il faut être un apprenant autonome et mature connaissant ses besoins quand il s’agit de choisir le cours et d’organiser son temps (souvent 5 à 6 heures de suivi par semaine et de nombreuses autres heures de travail en autonomie). Il faut ensuite être capable d’entrer dans la « conversation pédagogique », d’interpeller, de créer des échanges et des alliances, tout à la fois avec la communauté des apprenants et l’enseignant. Il faudra certainement des MOOCs pour apprendre à suivre les MOOCs, sinon le taux d’abandon risque de stagner.

Gageons sur la prime au présentiel : soit pendant des cours qui s’intercalent, soit dans des forums « hors les murs » pour que le professeur puisse aller à la rencontre des étudiants (on parle de « tournées » de professeurs reçus comme des stars dans de nombreux pays).

Vecteurs de la transformation de l’enseignement

L’enseignement est classé dans les activités de service. Comme elles, il se caractérise par le fait qu’il est intangible, qu’il ne peut être stocké et qu’on ne peut mesurer sa qualité qu’après l’avoir acheté et consommé.

Les chercheurs ont mis en exergue trois types de produits et de service difficiles à évaluer, donc perçus comme risqués à acquérir :

– les services de recherche. Ce sont tous les produits et les services facilement testables, où l’information est disponible sans difficulté, ce sont la plupart des produits et des services de grande consommation : aller au cinéma, acheter un  pantalon font partie de cette catégorie.

– les services d’expérience. Ils exigent une recherche d’information plus longue et plus coûteuse à acquérir (en temps surtout). De plus, la qualité du service ou du produit ne sera vraiment évaluée qu’après consommation, c’est le cas d’un voyage ou de la réservation d’une chambre d’hôtel.

– les services de croyance. Ils sont très complexes à évaluer car l’information est compliquée à obtenir et, surtout, on ne peut pas vraiment apprécier leur qualité même après les avoir consommés. C’est le cas des services d’un avocat après un jugement ou encore d’une opération de chirurgie esthétique, qui peut être bien évaluée par le spécialiste mais être un échec total selon le patient. Le risque perçu de les acheter est alors très grand. Devant la difficulté à se renseigner pour se rassurer se mettent en place des systèmes de « croyance » : on souhaite que cela marche parce qu’on ne peut pas penser autrement.

L’enseignement faisait partie jusqu’à très récemment des services de croyance. En effet, comment évaluer de façon incontestable la qualité d’un cours ? Avec les MOOCs, l’accès très aisé à un « test » du cours, à l’information qui le décrit, va transformer l’enseignement en service d’expérience, ce qui le démocratise mais le banalise aussi. Le cours n’est plus un « colloque singulier » entre le professeur et ses élèves derrière la porte de la classe, il s’expose aux yeux du monde.

Éléments perturbateurs

Avec leur « mise en boîte », les cours deviennent stockables et testables. La communauté des apprenants inverse le sens du savoir. De vertical, il devient progressivement horizontal : on va apprendre plus et mieux des collègues que de l’enseignant même, dont la seule marge de manœuvre sera d’être mis en mode repeat par l’apprenant.

On connaît bien le rôle du bouche-à-oreille sur la popularité des cours classiques et de leurs enseignants, mais on sait aussi que les critères peuvent relever davantage du « show » (« il est drôle »), des horaires (« pas trop tôt le matin ») ou des évaluations (« il note cool »), décalant ainsi les critères d’appréciation de l’exigence à la démagogie pédagogique. Ce contrôle de l’information sur les réseaux sociaux sera essentiel pour ne pas tomber dans des dérives dommageables. Le community management est à l’ordre du jour, mais fort peu évoqué jusqu’alors, car le professeur semble au centre du dispositif, devenant presque l’homme à tout faire (comment pourra-t-il répondre à ses milliers d’étudiants ?).

Gratuits, payants, ni l’un ni l’autre ?

On s’interroge beaucoup sur le modèle économique des MOOCs avec différentes alternatives :

– paiement, sinon des cours, du moins de la certification afférente (stratégie de loss leading : on attire par le gratuit pour mieux vendre ensuite l’indispensable, tout le monde connaît cela avec les consoles de jeux ou le bon vieux Polaroid) ;

– bénévolat total, déjà peu crédible et il ne faudra peut-être pas aller plus loin car sinon c’est tout le sentiment d’appartenance à l’établissement qui risque de se diluer, faute de création du lien lors des cours en présentiel ;

– sponsoring par les grandes universités dans une politique de notoriété et de branding (ça y ressemble déjà beaucoup) ;

– et finalement une stratégie à la Facebook où les financeurs parient sur l’enjeu des données de ces millions d’apprenants qui livrent leur vie privée et leurs habitudes d’apprentissage. Les MOOCs reprendraient ainsi la fameuse antienne « quand c’est gratuit, c’est toi le produit », faisant des cours en ligne les pourvoyeurs d’une vaste base de données sur les participants à ces enseignements. On voit bien le potentiel du dispositif et des proximités évidentes avec des business models basés sur le massif, le non-marchand, le lien social et le dévoilement de soi.

Promoteurs d’un nouveau rapport Nord-Sud

Après l’homo faber, l’homo economicus et surtout le plus récent homo consumens, au centre d’une société où l’identité se définit par les modes de consommation, on assiste peut-être à l’émergence d’un homo percipiens c’est à dire d’un homme (ou d’une femme bien sûr) « apprenant » et qui dessinerait le périmètre d’une société se définissant par la connaissance : « Dis-moi ce que tu apprends et je construirai le monde que tu attends. »  Les MOOCs ausculteraient nos intimités  pour mieux les revendre à de potentiels utilisateurs.

Si cet aspect-là est obscur, un autre est plus clair et même réjouissant : mettre sur un pied d’égalité le Sud et le Nord. Les déserts pédagogiques dans certaines régions du monde sont peuplés de personnes qui ont soif de savoir et d’accès à ce savoir. Les MOOCs leur en donnent tout simplement les moyens. Si ces millions de personnes s’imposent par leur présence assidue, d’autant plus assidue qu’ils n’ont pas d’alternative présentielle, on peut faire l’hypothèse que se dessine une prise en compte de l’humanité très différente de celle qui consomme. Le pouvoir d’achat cédant le pas au pouvoir d’apprentissage ? Nous sommes dans la prospective, mais le marché va toujours beaucoup plus vite que l’offreur ou l’analyste.