Cracking the management code

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Les managers doivent apprivoiser la Vérité

La « Vérité » sera le thème de philosophie cette année pour les classes préparatoires aux grandes écoles économiques et commerciales. Une bonne occasion de se poser la question de la place que prend ce concept en management.

Pour bien l’appréhender, examinons dans un premier temps trois facettes, ou trois visions, de la vérité :

1. L’attente de transparence

« La vérité des prix », « la vérité des chiffres »… Ces expressions courantes dans le monde du travail nous mettent sur la piste de la première facette de la vérité en management. Elles renvoient à l’idée qu’il est possible de faire une représentation de l’activité de l’entreprise et à l’idée que ce sont les chiffres qui sont le plus à même d’en produire une image fidèle.

Force est de constater que les représentations les plus mobilisée des flux d’activités des entreprises sont le bilan comptable, le compte d’exploitation, ou encore les camemberts ou autres histogrammes narrant la vie de la production, des ventes, ou des ressources humaines de l’organisation. La question de la vérité renvoie alors à la « fidélité » de l’image ainsi dessinée. Les chiffres sont-ils fidèles à « la » réalité de l’activité ? Ou sont-ils tronqués, aménagés, modifiés pour servir des desseins à destination d’interlocuteurs ciblés ?

A ces questions, la réponse n’est jamais évidente : des erreurs sont possibles dans l’élaboration des chiffrages ; des choix de redressement de ces chiffres peuvent être faits , sans intention de tromperie, mais pour optimiser le portrait. Evidemment il existe des choix délibérés de produire des chiffres faux. Dans les trois cas, les chiffres ne sont pas vrais : ils transmettent néanmoins une représentation de l’organisation qui servira de base à des décisions stratégiques.

Finalement, le mot « vérité » est rarement prononcé dans l’entreprise. C’est la « transparence » qui a pris son relais. Il est important d’être « transparent », c’est-à-dire de pouvoir donner accès aux sources et aux choix qui ont permis l’élaboration des chiffrages proposés.

Le même souci de transparence se retrouve pour tout ce qui va toucher aux informations et aux messages qui circulent dans l’entreprise : que ce soit un mémo, une plaquette, un discours du dirigeant. Comme salarié, comme client, ou comme simple spectateur extérieur porteur de l’opinion générale, je me pose des questions : Quelle fiabilité puis je accorder à ces messages  ? Me parle-t-on « vrai » ou bien me raconte-t-on une tout autre histoire ? Pour me rassurer, pour me faire acheter, ou pour que j’aie une bonne image de cette entreprise ?

2. L’exigence de traçabilité

Pour les produits, la vérité renvoie à l’idée de traçabilité. A l’heure des grands scandales comme celui de la « vache folle », celui du « Mediator » ou encore des « implants mammaires », les clients comme l’ensemble des parties prenantes et l’opinion publique veulent toute la vérité sur l’origine des produits qu’ils consomment.

La prise de risque n’est pas une option quand il s’agit de manger un hamburger, d’acheter une peluche à son bébé, ou de contracter un emprunt immobilier. Paradoxalement, Internet, comme formidable machine à diffuser de l’information a amélioré cette transparence en mettant à la disposition de chacun un ensemble inépuisable d’informations, mais a aussi contribué à créer de l’opacité et de l’angoisse  en ne faisant pas le tri de ces informations et en contribuant à la « rumeur » non vérifiée, et souvent non fondée. La traçabilité est alors souvent brouillée et brouillonne. Et la vérité de l’origine est sujette à caution.

3. Le besoin d’authenticité

Un autre terme connexe à la notion de vérité en management est celui d’ « authenticité ». Le monde des organisations aime l’authenticité, qui concerne les produits comme les comportements.  En entreprise, il s’agit d’avoir un comportement authentique, un comportement « vrai », c’est-à-dire ne pas se déguiser, ou ne pas travestir ses sentiments ou sa vision des évènements et des personnes dans le cadre de son activité professionnelle. Le « parler vrai » est attendu surtout pour les dirigeants, à qui on attribue alors une forme de courage, celui d’assumer une stratégie, un cap dans un environnement incertain et angoissant.

La même exigence se retrouve à l’endroit des collaborateurs, il est inenvisageable qu’ils camouflent des informations ou en donnent de fausses, par contre, ils sont moins attendus sur un comportement trop « vrai » ou trop « authentique » qui pourrait être perçu comme de l’insubordination ou tout au moins un manque de respect pour la hiérarchie. Cet avatar de la vérité rejoint la notion de transparence, sans toutefois s’y substituer complètement : le comportement authentique et la transparence des messages se renforcent mutuellement mais on peut très bien adopter un ton « franc », sans toutefois donner les bonnes informations.

Pour les produits, cette authenticité se retrouve dans les grandes tendances à vouloir consommer bio, local, plus en phase avec les saisons ou les territoires. Il s’agit souvent d’une authenticité revue et corrigée, surtout dans les produits alimentaires où les producteurs comme les supermarchés sont passés maîtres dans la mise en scène d’une « hyperréalité » de l’authenticité : pots en terre pour les yaourts, paille pour l’emballage des fromages, comme pour garantir un retour aux sources, pourtant maintenant bien lointaines.

Comment la vérité est-elle appliquée en entreprise ?

Nous avons identifié trois concepts : la transparence des informations, la traçabilité des produits et des flux financiers, l’authenticité des comportements et des produits. Nous avons aussi souligné combien ils étaient attendus par l’ensemble des parties prenantes : salariés, clients, fournisseurs, gouvernance, simples citoyens … Mais qu’en est-il réellement dans le monde de l’entreprise, et quels enseignements pouvons-nous en tirer sur la vérité en particulier ?

Dans le monde des affaires, le contraire de la vérité n’est pas le faux, mais la représentation et  l’interprétation. En effet, le management entretient avec la vérité des relations en demi-teinte : une certaine opacité, une semi-transparence, donnent des marges de manœuvre que n’offre pas (ou plus rarement) la vérité. En résumé, la performance des affaires ne supporte pas une trop forte transparence.

« Toute vérité n’est pas bonne à dire »

Selon cette hypothèse, l’illusion entretient l’espoir (que l’usine ne fermera pas, que le concurrent n’est pas aussi menaçant que cela, que les salaires vont augmenter ou que les conditions de travail vont s’améliorer). En entretenant l’espoir, il y a de plus fortes chances que le management des hommes et des femmes soit facilité. En leur disant ce qu’ils veulent entendre, on éviterait les remous, les grèves, les blocages ou, tout simplement, la désillusion et la crainte de l’avenir. Cette attitude peut aussi relever de la méthode Coué, mais il faut reconnaitre qu’il y a de fortes chances que l’auto-prophétie se réalise en mettant en mouvement les personnes grâce à l’énergie positive instillée.

On retrouve cette même idée pour les relations entre collaborateurs. Vouloir tout dire à tout prix sous le prétexte de « parler vrai » peut mettre à mal la cohésion sociale. L’entreprise reste un petit théâtre avec beaucoup de mise en scène de soi. Mais cette convention des comportements est surement le prix à payer pour que la vie au quotidien soit gérable et que la confiance, huile indispensable du rouage des organisations, soit au rendez-vous.

Les représentations plus fortes que la réalité?

La seconde hypothèse est l’idée que la stratégie est fondée sur des représentations du monde. La prise de décision s’opère sur la base d’informations partagées. Peu importe la réalité, l’essentiel est la capacité à se représenter les événements et l’environnement que les acteurs concernés (souvent en concurrence) partagent. A quoi bon vouloir LA vérité quand UNE vérité, même toute relative, permet de développer une activité ?

La vérité est réservée à l’élite

On peut par ailleurs opposer la vérité au secret plutôt qu’au mensonge.  L’hypothèse qui préside à cette relation est que la vérité est un bien trop précieux pour être mis entre toutes les mains. La vérité serait alors réservée à une élite : les « grands » qui président aux destinées du Monde. Les informations seraient réservées à un cercle d’initiés du monde politique ou du monde économique qui sauraient en faire bon usage dans la façon dont ils les communiqueraient à leurs collaborateurs.

De la même façon, l’affranchissement du jeu des apparences, guère envisageable dans le quotidien du monde du travail serait réservé à cette élite qui pourrait, de par son expertise, son savoir et son pouvoir, s’autoriser au « parler vrai », sans précaution, sachant que, de plus, on lui en sait gré.

 La vérité, un levier à usage unique…

Nous avons observé qu’il existe dans le monde du management un rapport à la vérité qui relève d’une extrême ambigüité avec un jeu de cache-cache fondé sur des semi-vérités, des vérités arrangées, un jeu d’ombres et de lumières tamisées.

Au-delà de l’objectif de sauvegarder la confiance et d’entretenir l’espoir que nous avons déjà évoqué, il y a le constat que la vérité est un levier très peu performant de la vie des entreprises, car, finalement, elle est à « usage unique ». Qu’il s’agisse de relations entre personnes, de messages, d’informations chiffrées … la vérité ne se dit qu’une seule fois, contrairement à la tromperie, à la copie, à la contrefaçon qui sont recyclables indéfiniment. La vérité est une arme à un coup, avec un risque très fort d’effet boomerang contre son pourvoyeur. Cette vision de la mobilisation de la vérité éclaire alors les fortes tentations ou propensions à se retenir d’agir « en vérité ».

« Je ne peux pas tout dire », « Je vais créer des espoirs ou des désillusions que je ne pourrais pas contrôler », « Mon entreprise ne va pas se relever de ce scandale », « Je ne peux lui dire ce que je pense de son comportement car je m’expose à des sanctions »… sont autant de raisons, au quotidien de ne pas mettre la vérité ou ses trois avatars –  la transparence, la traçabilité, l’authenticité – au centre de l’action managériale.

… mais qui constitue un besoin impérieux!

Pour autant, l’envie, le besoin de vérité est impérieux chez chacun d’entre nous, dans nos vies professionnelles, le sentiment (ou la présence attestée) de mensonges, de faux messages, de contrefaçons, d’illusions … nous minent au quotidien, dans nos rapports à nos collègues, à nos collaborateurs, à nos hiérarchies. Le « risque perçu » lors de l’achat d’un produit ou d’un service nous angoisse. L’incertitude plombe notre confiance en l’avenir, quand des informations tombent : emplois supprimés, scandales sanitaires ou sociaux.

Les théories du complot ont alors des autoroutes ouvertes devant elles pour prospérer à la vitesse de la lumière. Les discours performatifs de charlatans qui font du bien-être un fond de commerce font florès.  Comment sortir de cette tension ?

Revenir à la philosophie pour avancer

L’analyse proposée par le philosophe Yann-Hervé Martin, qui intervient régulièrement à l’EM Strasbourg pour des « master class » sur des thématiques managériales, jette un éclairage sur la notion de vérité qui aide notre réflexion à avancer. Pour lui:

« Tout questionnement sur la vérité exige d’abord un acte de foi. Il nous faut reconnaitre avant toute chose, il nous faut croire d’abord que nous sommes capables de penser, de décider, d’agir, de vivre en vérité ».

Il nous invite à entendre cette expression, « en vérité », « littéralement », c’est-à-dire:

« Depuis le lieu de la vérité qui seul donne sens à ce que nous pouvons penser ou faire. Agir et penser depuis un autre lieu, celui de nos opinions convenues, de nos dogmes ampoulés, de nos intérêts mesquins, de nos croyances naïves par exemple, ce serait se condamner à l’erreur, au mensonge, à l’errance, aux idées fausses et aux décisions faussées ».

Il nous invite à voir la vérité comme relation :

« La vérité est d’abord relation ou, pour le dire autrement, il ne saurait y avoir d’expérience de la vérité depuis son dehors. A ce titre, le contraire de la vérité n’est ni l’erreur, ni le mensonge. Se tromper, en effet, n’a de sens que pour celui qui cherche la vérité et qui, par là même, se tient en rapport avec elle. De même, le menteur ne peut mentir que parce qu’il connait la vérité qu’il cache à autrui. Le contraire de la vérité est donc plutôt un rapport faussé à ce qu’on est, à ce qu’on fait, à soi-même ou à autrui. D’ailleurs, pour reprendre l’exemple du mensonge, il consiste moins à cacher la vérité à autrui qu’à fausser ma relation à lui. La vérité est donc essentiellement relation, rapport ».

Le philosophe situe la vérité dans le rapport à trois choses :

1) Le rapport au monde, qu’il nous invite à ne pas voir que comme un espace à exploiter et à détruire pour des usages personnels, égoïstes et court termistes;

2) Le rapport aux autres à voir dans le respect de leur personne;

3) Le rapport à soi : en ne nous considérant pas comme des individus à améliorer, en oubliant que nous n’avons pas à « réussir nos vies » mais bien à les accepter avec gratitude pour nous percevoir dans toute notre richesse personnelle et pas seulement comme un outil de performance.

Pour un management éthique et responsable

Cette vision de la vérité me semble éclairer d’un jour nouveau le rapport du management à la vérité. En effet, cette idée d’une vérité dans mes rapports au Monde, aux autres et à moi-même renvoie à une vision d’un management éthique et responsable. Il n’écarte pas l’action managériale de sa vocation de performance économique (l’inscrivant bien dans son rôle d’acteur créateur de richesses pour la société), bien au contraire.

Ce management responsable s’inscrit dans la pérennité : de l’environnement (au sens écologique), de l’entreprise (refusant ainsi l’entreprise jetable soumise à une gouvernance financière coupée des réalités économiques), des destins des hommes et des femmes qui contribuent à l’activité de l’organisation. Ce management responsable accueille aussi l’idée que chacun peut trouver dans sa vie professionnelle une source de réalisation.

Apprivoiser la vérité

A l’issue de cette réflexion, je vous invite à rejeter une vision réduite de la vérité en management, limitée à des concepts guidés par des jeux tactiques, des présupposés peu ou mal interpellés, ou des habitudes dont il est difficile de se défaire.

Il n’y aura pas de grand soir de la vérité dans les entreprises, mais son apprivoisement est à mettre à l’ordre du jour de façon urgente. Il faut faire bouger les lignes des rapports à l’opacité, aux petits jeux, aux manœuvre dilatoires qui font que quand la vérité « éclate », elle fait toujours l’effet d’une bombe nucléaire, laissant sur son passage son lot de blessés, de déçus, d’estropiés du monde du travail.

Femmes et hommes dans l’entreprise, les nouveaux défis

La manager et le philosophe

La manager et le philosophe.  Femmes et hommes dans l’entreprise: les nouveaux défis

Je suis très fière d’annoncer la parution de mon nouvel ouvrage « La manager et le philosophe. Femmes et hommes dans l’entreprise : les nouveaux défis », qui est disponible depuis le 8 janvier.  Ce livre correspond à ma conception de la recherche qui, loin des idées reçues, doit être en prise avec la réalité pour mieux la comprendre et la mettre en mouvement. Il permet de réaffirmer que les théories, les concepts, la connaissance, aident à penser, à mieux comprendre le monde qui nous entoure et à ne pas le subir. Il montre également qu’il existe un corpus de connaissance en management, que le management ne se limite pas au « faire » et à l’action comme on se plait à le dire, et  que dialoguer avec des sciences plus classiques est possible. Le livre présente aussi des convictions fortes sur d’autres façons de faire dans les entreprises et les organisations, le courage, le respect, l’exemplarité, la réussite … n’ont pas à rester sur leur seuil mais au contraire à s’y installer en toute légitimité.

Ecrire un tel ouvrage, c’est avant tout réfléchir et penser, ce qui constitue une pause vitale dans une vie professionnelle débordante et souvent débordée.  Cela a été tout simplement du plaisir, du dialogue et de l’échange avec le philosophe Yann-Hervé Martin, je l’en remercie sincèrement.

Sortir des idées reçues

Dans un contexte d’incertitude, de pertes de repères, chacun est amené à se poser des questions sur ce monde qui dysfonctionne. L’objectif de « La manager et le philosophe » est d’aider  à prendre du recul, de sortir des idées reçues, d’amener à se poser les bonnes questions pour mieux décrypter des situations qui se présentent à tous de façon quasi-quotidienne.

Qu’est-ce que « réussir » ? Pourquoi manquons-nous si souvent de courage dans le monde professionnel ? Comment travailler dans le respect ? Que signifie être exemplaire ? … sont quelques-unes des questions que nous nous sommes posés. Nous n’offrons aucune clé magique, ni de réponses toutes faites, mais plutôt un point sur les évolutions sociétales, des redéfinitions, des grilles de lecture, que chacun pourra s’approprier.

Un véritable dialogue

Nous avons voulu un véritable dialogue permettant  d’enrichir la réflexion, sans concession et sans langue de bois. Ce livre n’est ni un manuel de management qui pourrait donner de façon illusoire du « prêt à penser », ni un essai philosophique sur le monde du management, qui tournerait vite à la leçon de choses, pour ne pas dire de morale.

Le choix a été fait d’une entrée dans le vif du sujet  à l’aide de questions courtes, que chacun peut se poser, et qui permet au lecteur d’entrer dans la conversation sans avoir une lecture linéaire de l’ouvrage. Nous proposons à la fin de chaque chapitre une courte bibliographie qui permet à ceux qui le souhaitent de prolonger la réflexion.

Qu’avons-nous trouvé ?                       

Nous avons regardé, chacun avec nos lunettes (celles du philosophe et celles de la chercheuse en management) le monde de l’entreprise et nous y avons vu finalement la même chose : des femmes et des hommes pas seulement liés entre eux par un contrat, pas uniquement animés par le profit et le gain, mais des personnes avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs joies et leurs peines, leurs envies et leurs désillusions, leur engagement et leur démobilisation.

Nous avons aussi  cherché à comprendre comment il était possible de mener des projets communs ayant du sens pour le groupe comme pour chacun, dans un « bien vivre ensemble », sans renoncer ni à la performance, ni à l’exigence.

Des questionnements urgents

Les thèmes n’ont pas été choisis au hasard, ils correspondent aux attentes et aux questionnements les plus fréquents et peut-être aussi les plus urgents que nous identifions dans le monde du travail. Ils ont été traités de la façon la plus exhaustive possible, pour ne pas enfermer le lecteur dans un exercice de conviction. Il est évident qu’il peut y avoir des recoupements. Il peut y avoir aussi des manques, explicables par la nécessité de garder un volume raisonnable à cet ouvrage.

  •  Réussir sa vie : du « connais-toi toi-même » au coaching de soi

Tout le monde veut « réussir sa vie ». C’est très louable mais il faut se poser au préalable deux questions : 1/ de quelle vie s’agit-il ? ma vie professionnelle ? ma  vie personnelle ? ma vie sentimentale ? et 2/que veut dire réussir ?

A la première question, on constate que, maintenant, tout le monde veut tout réussir, ce qui occasionne une pression incroyable, encore exacerbée par les réseaux sociaux qui nous font entrer dans un jeu de comparaisons permanentes. A la seconde : réussir est devenu «être performant », en pensant qu’organiser le monde extérieur à son profit peut suffire ; ce serait trop simple et on voit bien que les plus belles réussites ne mènent pas au bonheur.

Il faut prendre du recul avec cette obligation de la réussite, et ne pas la confondre avec le bonheur. Sinon nous sommes condamnés à la frustration et à la désespérance, comme au recours à des propositions qui peuvent paraître performatives mais qui donnent surtout l’illusion qu’il est possible de se dispenser de l’obligation de comprendre ce que l’on veut vraiment.

  • Travailler ou s’épanouir : faut-il choisir ?

Le travail ne serait plus une valeur en soi. Les études montrent que sa part est de plus en plus relativisée par la famille, les loisirs, la vie sociale. Ce qui va de pair avec la diminution du nombre d’heures que nous lui consacrons (15 années de temps libre actuellement contre 3 années en 1900). Le travail est de plus en plus associé à la « souffrance au travail ». Et pourtant, les paradoxes sont importants : il reste central dans la construction de l’identité sociale, et on attend beaucoup de lui en termes d’épanouissement, et plus l’emploi est rare, plus le travail est décrié.

Pour comprendre, il faut bien distinguer le travail de l’emploi car c’est plutôt à ce dernier que les critiques sont adressées. Ce sont les conditions dans lesquelles s’exerce un travail qui sont aliénantes, pas le travail en soi. Entre désengagement et résistances, les réactions sont variées, mais ne répondent pas à l’attente forte de l’épanouissement au travail.  Cette exigence d’un métier épanouissant pour tous est naïve mais il est possible de rendre les conditions de l’exercice du travail plus humaines.

  • Le pouvoir et ses métamorphoses : du « bon chef » au « chef d’orchestre »

Les entreprises sont des lieux de pouvoir et de hiérarchie même s’il n’est pas revendiqué en tant que tel. Mobiliser ce concept permet de mieux comprendre les rapports humains dans le monde du travail. L’instinct de domination existerait en chacun de nous selon saint Augustin et, à sa suite, Pascal ou Kant. Il faut distinguer pouvoir et autorité. Le pouvoir est lié au statut, c’est la capacité à faire exécuter un commandement, alors que l’autorité est considérée comme l’attribut d’un individu et se définit comme sa capacité à exercer de l’influence et de faire prévaloir sa volonté sur les autres.

La perception du pouvoir a évolué et on est passé au cours des années de la vision d’un chef, à celle d’un leader pour, plus récemment, à celle d’un pouvoir plus participatif et plus polymorphe (ce qu’on nomme les parties prenantes). Il ne faut pas oublier non plus qu’il existe un pouvoir invisible et silencieux : le pouvoir informel, exercé par ceux qui n’ont pas de statut mais qui maîtrisent l’accès aux décideurs, à l’information, l’expertise.

Les managers d’aujourd’hui ont bien compris que l’autorité personnelle est plus importante que le pouvoir, et que, finalement, la véritable autorité est peut-être dans le lâcher prise ; comme quand le chef d’orchestre pose sa baguette et que l’orchestre continue à jouer.

  • La performance

La performance est consubstantielle aux projets des entreprises. Elle est à la fois succès, résultat mesurable et action. Il faut cependant prendre garde à ne pas se laisser aveugler par la performance car elle peut être contreproductive : ainsi Jérôme Kerviel ou Lance Amstrong ont été, chacun dans leur domaine, très performants !

La RSO (Responsabilité sociétale des organisations) pense la performance globale des organisations en ne dissociant pas le durable, l’économique et le social. Sortir de l’évaluation purement quantitative de la performance est également indispensable.

Tant la philosophie que le management constatent qu’on ne peut pas longtemps être performant seul : que serait un orchestre si chaque musicien voulait jouer sa partition en se mettant seul en avant ? Une cacophonie ! Le recours à la motivation, souvent mobilisée en management comme constitutive de la performance, est également réducteur. Ce serait par manque de motivation que les salariés ne seraient pas performants. La réalité est plus complexe.

Pour renouveler notre regard sur la performance savoir faire des pauses pour penser l’action, comme savoir guetter le moment opportun pour agir sont deux recommandations essentielles.

  • Le courage : vertu ou compétence managériale ?

Les mots « courage » et « courageux » sont peu utilisés dans le discours du management.  Qu’est-ce que le courage ? C’est agir en situation d’incertitude et en ayant conscience des risques pris. Cela correspond bien à des attitudes de dénonciation de pratiques que l’on désapprouve, ou encore au courage d’entreprendre, au courage d’innover et de conduire le changement ou encore au courage de la transparence en management.

Le courage est une vertu cardinale en philosophie et issue du champ militaire, mais le concept a évolué et les philosophes considèrent que le courage est surtout celui d’affronter ses propres lacunes et faiblesses.

Il faut bien admettre que l’entreprise est souvent le lieu de manque de courage qu’on peut qualifier d’irresponsabilité managériale et qui se manifeste par le déni, le mensonge, la dissimulation ou l’oubli.  Mais attention, trop de courage peut transformer la vertu en vice et devenir de l’inconscience ou de l’insouciance. De même on peut être courageux sans être vertueux, il y a des salauds courageux !

La philosophie comme le management pensent qu’on peut apprendre à être courageux. Il faut que le management pousse au sens critique, ouvre des zones de dialogue, dans un contexte de responsabilité et valorise d’avantage l’échec, pour favoriser les conduites de prise de risques.

  • L’exemplarité : le manager n’est pas un héros

Donner l’exemple, prendre exemple, être exemplaire sont à la fois des comportements qui ne se limitent pas à l’entreprise – on les retrouve ainsi dès la plus petite enfance – mais dans lesquels on peut voir les fondamentaux du management.

Ils interrogent deux pratiques établies que sont la transmission et le rapport à la norme. La transmission en bousculant l’idée qu’elle ne peut se faire que de façon théorique et du haut vers le bas. Le rapport à la norme, car pour prendre exemple, il faut savoir aussi cultiver une distance critique et interroger les valeurs, les procédures, les fameuses « bonnes pratiques ».

L’exemple ne peut se limiter à l’imitation. Or, il faut reconnaitre que, trop souvent, on se contente de répéter ce qui se faisait sans s’embarrasser de remise en cause ou de questionnement.

Il existe en management des figures exemplaires, mais qui, finalement sont trop inatteignables pour avoir valeur d’exemples : on peut penser à des grands chefs d’entreprise comme Bill Gates ou Steve Jobs. Comme les leaders, les figures du « chef » ou du « mentor » marquent leurs limites en matière d’exemplarité. Le statut comme la bienveillance n’impliquent pas automatiquement l’exemplarité.

Il est important que chacun, en ayant l’humilité de percevoir et de reconnaitre les qualités de personnes de son entourage, se forge ses propres exemples, de façon plus modeste mais plus concrète et plus atteignable.

  • Le respect

Le respect et devenu un véritable mot de passe de nos sociétés alors qu’on constate une montée de plus en plus forte de l’irrespect, souvent nommé « incivilités ». Le respect est devenu un terme « fourre-tout »revendiqué dans toutes sortes de situations. Il faut tout respecter, les hommes, les lois, les procédures, le matériel, l’environnement. Ces injonctions sans hiérarchie laissent dubitatif.

Respecter, c’est veiller à préserver ce qui a de la valeur, et ce qui a de la valeur n’a pas de prix. Finalement, tout converge vers le respect à la personne. Comme l’a écrit Kant : « Traite toujours ta personne et celle d’autrui toujours en même temps comme une fin, et jamais seulement comme un moyen ».

Il faut cependant distinguer respect et estime : si on doit le respect à tous ses collègues ou collaborateurs, on a souvent de l’estime que pour certains. En effet comme Pascal, nous distinguons ce qui est le respect dû au statut, et celui dû à la personne.

La question du respect renvoie aussi aux règles et, dans les entreprises, on constate que seules sont véritablement respectées celles que les personnes se sont appropriées. Sans cela, on obtient au mieux de la tolérance, c’est-à-dire accepter ce qu’on pourrait empêcher.

Si le respect est essentiel, la reconnaissance de chacun est vitale et le manager est durement interpellé par des salariés qui manifestent cette soif de reconnaissance, non pas limitée à la récompense mais bien celle qui passe de personne à personne. La reconnaissance est le défi le plus important du management dans les années à venir. C’est l’objectif du « management de la diversité » qui se construit sur la reconnaissance de l’autre dans sa différence, un management qui porte un regard bienveillant sur autrui, non pas sur ce qu’il a de spectaculaire mais ce qu’il a en lui de fragile. On travaille mieux quand on se sait respecté, on manage mieux quand on est respecté, tout simplement.

J’espère vous avoir donné envie de prolonger cette réflexion. Bonne lecture !