Cracking the management code

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Les managers doivent apprivoiser la Vérité

La « Vérité » sera le thème de philosophie cette année pour les classes préparatoires aux grandes écoles économiques et commerciales. Une bonne occasion de se poser la question de la place que prend ce concept en management.

Pour bien l’appréhender, examinons dans un premier temps trois facettes, ou trois visions, de la vérité :

1. L’attente de transparence

« La vérité des prix », « la vérité des chiffres »… Ces expressions courantes dans le monde du travail nous mettent sur la piste de la première facette de la vérité en management. Elles renvoient à l’idée qu’il est possible de faire une représentation de l’activité de l’entreprise et à l’idée que ce sont les chiffres qui sont le plus à même d’en produire une image fidèle.

Force est de constater que les représentations les plus mobilisée des flux d’activités des entreprises sont le bilan comptable, le compte d’exploitation, ou encore les camemberts ou autres histogrammes narrant la vie de la production, des ventes, ou des ressources humaines de l’organisation. La question de la vérité renvoie alors à la « fidélité » de l’image ainsi dessinée. Les chiffres sont-ils fidèles à « la » réalité de l’activité ? Ou sont-ils tronqués, aménagés, modifiés pour servir des desseins à destination d’interlocuteurs ciblés ?

A ces questions, la réponse n’est jamais évidente : des erreurs sont possibles dans l’élaboration des chiffrages ; des choix de redressement de ces chiffres peuvent être faits , sans intention de tromperie, mais pour optimiser le portrait. Evidemment il existe des choix délibérés de produire des chiffres faux. Dans les trois cas, les chiffres ne sont pas vrais : ils transmettent néanmoins une représentation de l’organisation qui servira de base à des décisions stratégiques.

Finalement, le mot « vérité » est rarement prononcé dans l’entreprise. C’est la « transparence » qui a pris son relais. Il est important d’être « transparent », c’est-à-dire de pouvoir donner accès aux sources et aux choix qui ont permis l’élaboration des chiffrages proposés.

Le même souci de transparence se retrouve pour tout ce qui va toucher aux informations et aux messages qui circulent dans l’entreprise : que ce soit un mémo, une plaquette, un discours du dirigeant. Comme salarié, comme client, ou comme simple spectateur extérieur porteur de l’opinion générale, je me pose des questions : Quelle fiabilité puis je accorder à ces messages  ? Me parle-t-on « vrai » ou bien me raconte-t-on une tout autre histoire ? Pour me rassurer, pour me faire acheter, ou pour que j’aie une bonne image de cette entreprise ?

2. L’exigence de traçabilité

Pour les produits, la vérité renvoie à l’idée de traçabilité. A l’heure des grands scandales comme celui de la « vache folle », celui du « Mediator » ou encore des « implants mammaires », les clients comme l’ensemble des parties prenantes et l’opinion publique veulent toute la vérité sur l’origine des produits qu’ils consomment.

La prise de risque n’est pas une option quand il s’agit de manger un hamburger, d’acheter une peluche à son bébé, ou de contracter un emprunt immobilier. Paradoxalement, Internet, comme formidable machine à diffuser de l’information a amélioré cette transparence en mettant à la disposition de chacun un ensemble inépuisable d’informations, mais a aussi contribué à créer de l’opacité et de l’angoisse  en ne faisant pas le tri de ces informations et en contribuant à la « rumeur » non vérifiée, et souvent non fondée. La traçabilité est alors souvent brouillée et brouillonne. Et la vérité de l’origine est sujette à caution.

3. Le besoin d’authenticité

Un autre terme connexe à la notion de vérité en management est celui d’ « authenticité ». Le monde des organisations aime l’authenticité, qui concerne les produits comme les comportements.  En entreprise, il s’agit d’avoir un comportement authentique, un comportement « vrai », c’est-à-dire ne pas se déguiser, ou ne pas travestir ses sentiments ou sa vision des évènements et des personnes dans le cadre de son activité professionnelle. Le « parler vrai » est attendu surtout pour les dirigeants, à qui on attribue alors une forme de courage, celui d’assumer une stratégie, un cap dans un environnement incertain et angoissant.

La même exigence se retrouve à l’endroit des collaborateurs, il est inenvisageable qu’ils camouflent des informations ou en donnent de fausses, par contre, ils sont moins attendus sur un comportement trop « vrai » ou trop « authentique » qui pourrait être perçu comme de l’insubordination ou tout au moins un manque de respect pour la hiérarchie. Cet avatar de la vérité rejoint la notion de transparence, sans toutefois s’y substituer complètement : le comportement authentique et la transparence des messages se renforcent mutuellement mais on peut très bien adopter un ton « franc », sans toutefois donner les bonnes informations.

Pour les produits, cette authenticité se retrouve dans les grandes tendances à vouloir consommer bio, local, plus en phase avec les saisons ou les territoires. Il s’agit souvent d’une authenticité revue et corrigée, surtout dans les produits alimentaires où les producteurs comme les supermarchés sont passés maîtres dans la mise en scène d’une « hyperréalité » de l’authenticité : pots en terre pour les yaourts, paille pour l’emballage des fromages, comme pour garantir un retour aux sources, pourtant maintenant bien lointaines.

Comment la vérité est-elle appliquée en entreprise ?

Nous avons identifié trois concepts : la transparence des informations, la traçabilité des produits et des flux financiers, l’authenticité des comportements et des produits. Nous avons aussi souligné combien ils étaient attendus par l’ensemble des parties prenantes : salariés, clients, fournisseurs, gouvernance, simples citoyens … Mais qu’en est-il réellement dans le monde de l’entreprise, et quels enseignements pouvons-nous en tirer sur la vérité en particulier ?

Dans le monde des affaires, le contraire de la vérité n’est pas le faux, mais la représentation et  l’interprétation. En effet, le management entretient avec la vérité des relations en demi-teinte : une certaine opacité, une semi-transparence, donnent des marges de manœuvre que n’offre pas (ou plus rarement) la vérité. En résumé, la performance des affaires ne supporte pas une trop forte transparence.

« Toute vérité n’est pas bonne à dire »

Selon cette hypothèse, l’illusion entretient l’espoir (que l’usine ne fermera pas, que le concurrent n’est pas aussi menaçant que cela, que les salaires vont augmenter ou que les conditions de travail vont s’améliorer). En entretenant l’espoir, il y a de plus fortes chances que le management des hommes et des femmes soit facilité. En leur disant ce qu’ils veulent entendre, on éviterait les remous, les grèves, les blocages ou, tout simplement, la désillusion et la crainte de l’avenir. Cette attitude peut aussi relever de la méthode Coué, mais il faut reconnaitre qu’il y a de fortes chances que l’auto-prophétie se réalise en mettant en mouvement les personnes grâce à l’énergie positive instillée.

On retrouve cette même idée pour les relations entre collaborateurs. Vouloir tout dire à tout prix sous le prétexte de « parler vrai » peut mettre à mal la cohésion sociale. L’entreprise reste un petit théâtre avec beaucoup de mise en scène de soi. Mais cette convention des comportements est surement le prix à payer pour que la vie au quotidien soit gérable et que la confiance, huile indispensable du rouage des organisations, soit au rendez-vous.

Les représentations plus fortes que la réalité?

La seconde hypothèse est l’idée que la stratégie est fondée sur des représentations du monde. La prise de décision s’opère sur la base d’informations partagées. Peu importe la réalité, l’essentiel est la capacité à se représenter les événements et l’environnement que les acteurs concernés (souvent en concurrence) partagent. A quoi bon vouloir LA vérité quand UNE vérité, même toute relative, permet de développer une activité ?

La vérité est réservée à l’élite

On peut par ailleurs opposer la vérité au secret plutôt qu’au mensonge.  L’hypothèse qui préside à cette relation est que la vérité est un bien trop précieux pour être mis entre toutes les mains. La vérité serait alors réservée à une élite : les « grands » qui président aux destinées du Monde. Les informations seraient réservées à un cercle d’initiés du monde politique ou du monde économique qui sauraient en faire bon usage dans la façon dont ils les communiqueraient à leurs collaborateurs.

De la même façon, l’affranchissement du jeu des apparences, guère envisageable dans le quotidien du monde du travail serait réservé à cette élite qui pourrait, de par son expertise, son savoir et son pouvoir, s’autoriser au « parler vrai », sans précaution, sachant que, de plus, on lui en sait gré.

 La vérité, un levier à usage unique…

Nous avons observé qu’il existe dans le monde du management un rapport à la vérité qui relève d’une extrême ambigüité avec un jeu de cache-cache fondé sur des semi-vérités, des vérités arrangées, un jeu d’ombres et de lumières tamisées.

Au-delà de l’objectif de sauvegarder la confiance et d’entretenir l’espoir que nous avons déjà évoqué, il y a le constat que la vérité est un levier très peu performant de la vie des entreprises, car, finalement, elle est à « usage unique ». Qu’il s’agisse de relations entre personnes, de messages, d’informations chiffrées … la vérité ne se dit qu’une seule fois, contrairement à la tromperie, à la copie, à la contrefaçon qui sont recyclables indéfiniment. La vérité est une arme à un coup, avec un risque très fort d’effet boomerang contre son pourvoyeur. Cette vision de la mobilisation de la vérité éclaire alors les fortes tentations ou propensions à se retenir d’agir « en vérité ».

« Je ne peux pas tout dire », « Je vais créer des espoirs ou des désillusions que je ne pourrais pas contrôler », « Mon entreprise ne va pas se relever de ce scandale », « Je ne peux lui dire ce que je pense de son comportement car je m’expose à des sanctions »… sont autant de raisons, au quotidien de ne pas mettre la vérité ou ses trois avatars –  la transparence, la traçabilité, l’authenticité – au centre de l’action managériale.

… mais qui constitue un besoin impérieux!

Pour autant, l’envie, le besoin de vérité est impérieux chez chacun d’entre nous, dans nos vies professionnelles, le sentiment (ou la présence attestée) de mensonges, de faux messages, de contrefaçons, d’illusions … nous minent au quotidien, dans nos rapports à nos collègues, à nos collaborateurs, à nos hiérarchies. Le « risque perçu » lors de l’achat d’un produit ou d’un service nous angoisse. L’incertitude plombe notre confiance en l’avenir, quand des informations tombent : emplois supprimés, scandales sanitaires ou sociaux.

Les théories du complot ont alors des autoroutes ouvertes devant elles pour prospérer à la vitesse de la lumière. Les discours performatifs de charlatans qui font du bien-être un fond de commerce font florès.  Comment sortir de cette tension ?

Revenir à la philosophie pour avancer

L’analyse proposée par le philosophe Yann-Hervé Martin, qui intervient régulièrement à l’EM Strasbourg pour des « master class » sur des thématiques managériales, jette un éclairage sur la notion de vérité qui aide notre réflexion à avancer. Pour lui:

« Tout questionnement sur la vérité exige d’abord un acte de foi. Il nous faut reconnaitre avant toute chose, il nous faut croire d’abord que nous sommes capables de penser, de décider, d’agir, de vivre en vérité ».

Il nous invite à entendre cette expression, « en vérité », « littéralement », c’est-à-dire:

« Depuis le lieu de la vérité qui seul donne sens à ce que nous pouvons penser ou faire. Agir et penser depuis un autre lieu, celui de nos opinions convenues, de nos dogmes ampoulés, de nos intérêts mesquins, de nos croyances naïves par exemple, ce serait se condamner à l’erreur, au mensonge, à l’errance, aux idées fausses et aux décisions faussées ».

Il nous invite à voir la vérité comme relation :

« La vérité est d’abord relation ou, pour le dire autrement, il ne saurait y avoir d’expérience de la vérité depuis son dehors. A ce titre, le contraire de la vérité n’est ni l’erreur, ni le mensonge. Se tromper, en effet, n’a de sens que pour celui qui cherche la vérité et qui, par là même, se tient en rapport avec elle. De même, le menteur ne peut mentir que parce qu’il connait la vérité qu’il cache à autrui. Le contraire de la vérité est donc plutôt un rapport faussé à ce qu’on est, à ce qu’on fait, à soi-même ou à autrui. D’ailleurs, pour reprendre l’exemple du mensonge, il consiste moins à cacher la vérité à autrui qu’à fausser ma relation à lui. La vérité est donc essentiellement relation, rapport ».

Le philosophe situe la vérité dans le rapport à trois choses :

1) Le rapport au monde, qu’il nous invite à ne pas voir que comme un espace à exploiter et à détruire pour des usages personnels, égoïstes et court termistes;

2) Le rapport aux autres à voir dans le respect de leur personne;

3) Le rapport à soi : en ne nous considérant pas comme des individus à améliorer, en oubliant que nous n’avons pas à « réussir nos vies » mais bien à les accepter avec gratitude pour nous percevoir dans toute notre richesse personnelle et pas seulement comme un outil de performance.

Pour un management éthique et responsable

Cette vision de la vérité me semble éclairer d’un jour nouveau le rapport du management à la vérité. En effet, cette idée d’une vérité dans mes rapports au Monde, aux autres et à moi-même renvoie à une vision d’un management éthique et responsable. Il n’écarte pas l’action managériale de sa vocation de performance économique (l’inscrivant bien dans son rôle d’acteur créateur de richesses pour la société), bien au contraire.

Ce management responsable s’inscrit dans la pérennité : de l’environnement (au sens écologique), de l’entreprise (refusant ainsi l’entreprise jetable soumise à une gouvernance financière coupée des réalités économiques), des destins des hommes et des femmes qui contribuent à l’activité de l’organisation. Ce management responsable accueille aussi l’idée que chacun peut trouver dans sa vie professionnelle une source de réalisation.

Apprivoiser la vérité

A l’issue de cette réflexion, je vous invite à rejeter une vision réduite de la vérité en management, limitée à des concepts guidés par des jeux tactiques, des présupposés peu ou mal interpellés, ou des habitudes dont il est difficile de se défaire.

Il n’y aura pas de grand soir de la vérité dans les entreprises, mais son apprivoisement est à mettre à l’ordre du jour de façon urgente. Il faut faire bouger les lignes des rapports à l’opacité, aux petits jeux, aux manœuvre dilatoires qui font que quand la vérité « éclate », elle fait toujours l’effet d’une bombe nucléaire, laissant sur son passage son lot de blessés, de déçus, d’estropiés du monde du travail.

La fierté  de manager, la fierté d’entreprendre

Il y a quelques jours, l’EM Strasbourg a accueilli l’Université d’été du Medef en Alsace sur le thème de la « Fierté ». Ce qui m’a donné l’occasion de réfléchir à ce sentiment, assez mal compris et finalement assez peu partagé en France, patrie de l’autocritique et de l’autoflagellation.

Pourquoi débattre de la fierté ?

Il y a un an, quelques jours avant la  réunion qui devait choisir le thème de cette Université d’été, je traversais l’esplanade du Trocadéro à Paris, parmi une foule dense et cosmopolite. Des milliers de personnes venant des quatre coins du monde se croisent tous les jours dans ce lieu, et, vous l’ignorez peut être, marchent sur des dalles où sont gravés les premiers articles de la Déclaration des Droits de l’Homme. Le premier étant :

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir envers les autres dans un esprit de fraternité »

Je connaissais bien le tailleur de pierres, maintenant décédé, qui a gravé ces mots. Tailleur de pierre de père en fils, il m’a toujours dit sa fierté de faire ce métier, et il avait été tout particulièrement fier d’avoir été choisi pour graver ces mots initiateurs des Droits de l’Homme au Trocadéro. Il ne gagnait pas très bien sa vie mais il était fier de son métier, fier de ses œuvres, fier de laisser une trace aux yeux de tous de son art.

Je me suis alors posée la question.  Sommes-nous tous ainsi fiers de ce que nous faisons, fiers de ce que nous sommes ?

Qu’est-ce que la fierté ?

L’étymologie nous donne trois pistes intéressantes à explorer :

  1. L’origine latine du verbe fidere qui a permis de décliner tous les mots français autour de la confiance : se fier à, se confier;
  2. Le détour anglais par l’anglais : en effet, le mot pride (confiance en anglais) vient du vieux français « preux », synonyme de « courageux ». Il me semble que cette alliance de la confiance et du courage renvoie bien aux bonnes pratiques du management. Elle est une excellente raison de revendiquer la fierté d’être manager ou entrepreneur;
  3. Il existe une troisième origine : le mot latin ferus qui signifie « farouche », « sauvage », et qui renvoie à une face plus obscure de la fierté, quand elle décrit une personne réservée, peu accessible, voire même susceptible, et attestant d’une haute opinion de sa valeur.  Cette fierté-là confine à l’orgueil. Si la fierté est un sentiment noble qui permet d’avancer avec assurance dans la vie, sans avoir à se mesurer aux autres, ni à les rabaisser, l’orgueil exprime « le mépris de tout, sauf de soi-même », selon le philosophe Théophraste.

Ce lien avec l’orgueil explique certainement cette méfiance pour la fierté que nous avons dans le contexte culturel français. L’orgueil est en effet, dans la religion catholique, un péché capital, puisqu’il exprime du mépris pour les autres, et par là-même pour la création divine et pour Dieu.  La culture judéo-chrétienne prône plutôt l’humilité et son expression directe qu’est la modestie. L’humilité, qui est la  qualité de se voir de façon réaliste, ne s’oppose pas à la fierté. Au contraire, une personne peut être fière de ce qu’elle a fait, parce qu’elle possède suffisamment d’humilité pour évaluer les efforts qu’elle a dû fournir pour y arriver.

Soyons donc fiers, loin de tout orgueil.

De quoi pouvons-nous être fiers ?

  1. Être fiers de ce que nous sommes, même si nous n’y sommes pas toujours pour grand-chose quand il s’agit d’être fier d’être Français ou bien fier d’être Alsacien;
  2. Être fiers de ce que d’autres font pour nous, en tant que communauté : ainsi nous pouvons être fiers de nos champions sportifs même si nous ne sommes pas sur le tatami ou dans le bassin olympique avec eux;
  3. Être fiers de ce que nous faisons indirectement, fiers de nos enfants, fiers de nos collaborateurs, comme des salariés peuvent être fiers de leur entreprise;
  4. Et enfin, être fiers de ce que nous réalisons, d’autant plus fiers qu’il y a des difficultés, des défis à relever. La fierté renvoie alors au mérite. C’est là que s’exprime véritablement la fierté : celle qui est lié au mérite, mérite d’avoir réussi, d’être devenu ce que nous sommes, d’avoir contribué à des succès partagé.

Être fier de ses échecs

Un sujet tout à fait intéressant, et longuement débattu lors de l’Université d’été du Medef alsacien, a été l’échec. En effet, le parcours de toute vie, est semé de réussites mais aussi, bien souvent, d’échecs. Or, le rapport à l’échec en France est complexe. En effet, l’échec est souvent assimilé à la faute.

Rappelons-nous : dès notre plus tendre enfance, on ne nous corrige pas des erreurs d’orthographe mais des « fautes » d’orthographe… Au square, les parents américains poussent leurs enfants à grimper aux structures de jeux, les parents français menacent les leurs de la chute. Cela crée indéniablement des repères pérennes.

Il a beaucoup été rappelé que dans d’autres cultures, particulièrement aux Etats-Unis, l’échec est vu comme une façon d’apprendre. Un entrepreneur nous a raconté que, lors de son premier voyage d’affaires aux Etats-Unis, ses interlocuteurs lui avaient demandé combien de fois il s’était « planté », et que sa réponse « zéro fois » le rendait suspect à leurs yeux.

Les témoignages ont été nombreux, de managers comme de politiques, du sentiment de honte ou de l’humiliation vécus lors d’échecs. Ils ont aussi raconté le regard posé sur eux, par leur entourage ou leurs pairs qui les « jugeaient » comme des perdants ou des incapables, au lieu de voir dans cet échec, le projet, l’envie de faire, et toute l’énergie et l’intelligence mobilisées.

Il y a vraiment, en France, un travail à faire, individuel et collectif, sur cette notion d’échec. Nous devons considérer qu’échouer est un socle d’apprentissage extraordinaire. Au lieu d’essayer d’oublier ou de camoufler l’échec, il faut être fier d’avoir tenté, d’avoir relevé le défi qui a été à son origine. Il faut apprendre à apprendre de ses échecs et de ses erreurs, pour ne pas les renouveler, ou pour redémarrer dans des conditions plus favorables.

Le rôle des écoles de management

Les écoles de management ont un rôle essentiel dans ce rapport à l’échec. Des enseignements sur la faillite d’entreprise, sur la gestion de crise, sur la façon dont on mène des fermetures de site… doivent être aussi naturels que ceux qui promeuvent des projets vertueux.

Des témoignages de chefs d’entreprises comme nous en avons reçus à l’Université du Medef à l’EM Strasbourg sont aussi à privilégier. Il n’est plus possible de camoufler ce qui, il y a peu encore, était une honte. On n’est pas un perdant quand on a dû mettre fin à une aventure managériale ou entrepreneuriale. Le savoir-faire du diagnostic lucide contribue aussi à cette construction d’une posture positive.

C’est aussi une culture à apporter sur l’apprentissage par l’erreur. La capacité à la prise de risque est indissociable d’autres apprentissages du management, et, comme beaucoup, elle n’est pas innée mais s’éduque. Aux Business Schools d’être les moteurs de cette formation.

Du sentiment individuel à la fierté du collectif

Un des défis du manager est de diffuser ce sentiment de fierté à toutes les personnes avec qui il travaille, de passer de l’individuel au collectif. La fierté rejoint alors la notion d’appartenance à un groupe, que connaissent bien les sportifs. Il faut alors promouvoir le collectif, mais le faire dans le respect de chacune des personnes qui le constituent.

Cette fierté de collaborer à une entreprise est intimement liée au bien-être au travail, et constitue une des conditions de la performance.

D’autres ressorts de l’entreprise comme la créativité et l’innovation sont en lien avec la fierté, dans le sens où se crée un cercle vertueux. En effet, la fierté, par la confiance en soi qu’elle autorise, facilite le chemin de la réussite, et la réussite donne un sentiment de fierté, fierté d’avoir passé les obstacles, fierté du travail bien fait. Le contexte est alors beaucoup plus porteur pour créer et innnover.

L’essence du management est de donner du sens aux missions des personnes pour collaborer ensemble à la réussite de projets communs. La fierté constitue un ciment indispensable de l’acte managérial.

Fier d’être manager, fier d’être entrepreneur

Toutes les conditions sont réunies pour être fier d’être manager, fier d’être entrepreneur, et ce, de façon complètement légitime. Les défis relevés, les difficultés affrontées sont autant de raisons qui façonnent au quotidien le mérite de la réussite de l’entrepreneur comme du manager. Ses échecs et ses erreurs, s’il les admet et en fait quelque chose pour progresser encore, participent de ce même mérite.

Il y a tout lieu pour les entrepreneurs et les manageurs français d’être fiers, fiers de leurs réalisations, fiers de leurs entreprises, fiers de leurs collaborateurs. A leur façon, ils gravent les mots de la liberté et de la dignité au fronton de leurs entreprises, en écho à ceux qui le sont sur le parvis du Trocadéro.

Et si on parlait des managers irresponsables ?

La responsabilité sociétale des organisations (RSO) est sans conteste le nouveau paradigme du management en ce début de XXIe siècle. Cette aspiration à une entreprise plus responsable dans les domaines de l’économie, de l’environnement et du social se décline au sein des équipes avec la promotion d’un “management responsable”. Des managers qui exercent leurs fonctions de façon éthique, respectueuse de l’environnement, et qui sont capables de gérer la diversité de leurs équipes.

Cette évolution des attentes envers les entreprises impacte évidemment les écoles de commerce, qui forment les managers de demain. Or si la définition du management responsable semble simple, sa mise en œuvre est plus complexe.  Sa pratique met au jour des dilemmes toujours plus nombreux et souligne la difficulté à leur donner de « bonnes » réponses. Cela peut créer des frustrations chez les managers.

Pour mieux comprendre le phénomène, examinons les travers, les lâchetés, les ratés de l’exercice managérial au quotidien, qui dessinent les contours de l’irresponsabilité en management (1).

De la dénégation au mensonge

Un manager irresponsable n’est pas forcément un manager qui insulte ses équipes, s’absente sans crier gare, harcèle l’un ou l’autre de ses collaborateurs ou prend des décisions risquées pour l’organisation. Être irresponsable, c’est ne pas assumer ses responsabilités et il y a alors de nombreuses façons de le faire : la dénégation, le déni, le mensonge, la dissimulation et l’oubli.

Il y a déni quand on fait comme si les choses n’existaient pas. C’est le cas dans certaines entreprises dans la non-prise en compte de discriminations, de personnes qui posent problème en termes de comportements, de l’obligation d’avoir à opérer des changements dans la façon de travailler…  Il s’agit souvent de vouloir sauver la face organisationnelle, de préserver la paix et  l’ordre établi.

La dénégation a lieu quand, mis devant l’évidence, on nie cette réalité, on la contourne, on donne des explications trafiquées, on accuse quelqu’un d’autre. Les exemples sont nombreux : dénégation d’une mauvaise décision, dénégation de sureffectifs, dénégation de pratiques obsolètes… L’enjeu est de fuir ses responsabilités et l’éventuelle sanction (“ce n’est pas moi, je n’y suis pour rien”).

La dissimulation consiste à camoufler – l’erreur, le trou dans la caisse, le dysfonctionnement, l’incompétence –, car on a peur de la sanction ou d’être pris en faute. Le camouflage, c’est souvent reculer pour mieux sauter, mais c’est aussi parfois la possibilité de ne sentir que le vent du boulet.

Le mensonge, c’est travestir les faits, raconter une toute autre histoire. Ce sont les CV arrangés, les chiffres maquillés, les faux ordres de mission, mais aussi les messages rassurants quand tout va mal, les fausses informations pour déstabiliser…

Il est facile de constater que l’intentionnalité est graduelle dans les quatre postures que je viens de décrire.

Un autre comportement complète ce périmètre, il s’agit de l’oubli, intentionnel (dissimulation) ou pas (déni). Il y a oubli, quand on laisse le temps “faire son œuvre”, qu’on ne répond pas, qu’on laisse les choses problématiques s’enliser. Ce sont les dossiers enterrés, les mails ou les courriers qu’on laisse sans suite, les relances qu’on ne fait pas… Il semble important de bien l’identifier tant il est fréquent dans les entreprises.

On comprend bien que l’ensemble de ces comportements peuvent être du fait d’un individu ou de groupes d’individus. On peut aussi identifier des organisations où ces procédés sont systématisés voire institutionnalisés. Pour que ces comportements « tiennent », il faut leur ajouter un climat de mépris et de peur auprès de l’ensemble des collaborateurs.

Une responsabilité plus modeste mais de terrain

Pour réduire l’irresponsabilité, il s’agit, dans un premier temps, d’accepter de regarder en face les situations qui dérangent et que notre grille d’analyse permet d’identifier. Pas la peine de faire la chasse aux coupables (sauf quand il y a illégalité bien sûr). Admettre que chacun à son niveau, dans son espace de missions, met en œuvre, de temps en temps, sans systématisation ni caractère de gravité extrême, de tels comportements est bien souvent suffisant pour avancer. Il faut ensuite agir selon cinq axes.

1) Identifier des situations de “dilemmes managériaux”

Nous connaissons tous ces situations où des décisions difficiles doivent être prises et qui nous laissent ensuite, quelle que soit la façon dont nous les avons gérées, dans un inconfort certain. Quelle décision prendre quand on est témoin d’un comportement qu’on désapprouve? Interpeller? Dénoncer? Se taire? Comment gérer une demande légitime mais qui risque de remettre en cause des équilibres acquis ? Ne pas répondre? Refuser au risque de mécontentement? Accepter le risque de retour de bâton?  Analyser ces dilemmes managériaux permet ensuite de définir les réponses les moins mauvaises possibles compte tenu des circonstances, et en adéquation avec la stratégie de l’entreprise. Disposer d’une règle, d’une prescription à laquelle se référer, homogénéise les comportements et soulage bien des managers.

2) Travailler sur le “triangle des valeurs”

Il est essentiel que, face à une décision difficile, ce que l’individu aimerait faire soit au plus près de ce que l’entreprise attend de lui et de la décision qui est finalement prise. C’est le “triangle des valeurs”. Appliquer ce qu’on désapprouve ou mettre en œuvre une procédure qui sera ensuite désavouée ne peut générer que de la souffrance, qui précédera le désengagement et la démotivation.

3) Lier la responsabilité sociétale au “core business”

Il faut organiser la cohérence autour du métier de l’entreprise afin qu’un comportement irresponsable ne relève plus seulement de la faute morale mais bien d’une faute professionnelle. Comment demander à des managers de bureaux d’intérim de refuser toute demande discriminante de leurs clients s’ils sont rémunérés sur le chiffre d’affaires ? Comment désapprouver officiellement les “pots de vin” et bâtir une politique de rémunération sur les marchés emportés dans certaines régions du monde où la pratique des dessous de table est institutionnalisée ? À l’inverse, un management de la diversité sera d’autant plus évident s’il est concomitant à une politique de diversification des marchés, une politique d’ouverture sociale se fera d’autant plus aisément dans des secteurs dits à métiers “pénuriques”…

4) Être exemplaire à tous les niveaux de l’entreprise

Le quatrième levier du management responsable est l’exemplarité au plus haut niveau dans l’entreprise. Il n’y a pas de prés carrés ou de terres d’excellence de la responsabilité du manager, c’est toujours  et partout qu’elle doit être mis en œuvre.

5) Accepter de dialoguer

Un dialogue productif implique de l’écoute mais aussi de renoncer à l’idée de tout comprendre, de tout maîtriser. C’est cette dialectique entre distance respectueuse dans l’écoute et proximité empathique dans la recherche de solutions qui permettra la co-construction de comportements reconnus comme responsables par tous.

L’analyse que je viens de vous proposer doit permettre d’humaniser le management et le manager et d’admettre que les faiblesses font aussi partie de la vie des organisations. Il s’agit aussi de proposer une grille de diagnostic afin de progresser concrètement dans la construction d’un management plus responsable qui serait, peut-être plus modestement, un management moins irresponsable.

1) Ce post reprend un travail mené en commun entre chercheurs en management, psychologues et psychanalystes s’appuyant sur ce qu’on appelle “les négations à soi-même”, lors du colloque I.P&M à Clermont-Ferrand, fin 2012.