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Pourquoi je candidate à la direction de Sciences Po Paris

Vous avez été nombreux et nombreuses à m’adresser des signes d’encouragement pour ma candidature à la direction de Sciences Po Paris et je vous en remercie.

Je souhaite ardemment mettre mes compétences et mon expérience de manager, d’enseignante, de chercheuse, de mère de six enfants au service de ce projet.

Je propose de décrire ici en quelques lignes le projet que je porte pour Sciences Po Paris, et qui s’inscrit dans ma vision de l’enseignement supérieur.

Pourquoi candidater

Ma candidature connait plusieurs motivations :

La première est de saisir l’opportunité de contribuer au développement d’une institution emblématique de l’enseignement supérieur français. La fonction de directeur-trice ( ?) de Science Po s’inscrit pleinement dans le prolongement de mes engagements dans l’enseignement supérieur. Sa « marque », son histoire, son rayonnement, ses moyens sont exceptionnels, et lui donne la possibilité mais aussi le devoir de l’exemplarité, et d’être une tête de proue de l’enseignement supérieur.

La seconde motivation procède de l’exercice démocratique, au sens du débat dans l’Agora. En candidatant, je pensais m’inscrire dans un échange à plusieurs voix portées par de nombreuses candidatures. Il me semble que l’idée d’un Forum autour de la destinée d’une institution aussi emblématique permet de faire rayonner des idées diverses, de créer des controverses apprenantes, et de contribuer à la vision à 10, 20 ans de l’enseignement supérieur.

Enfin, et c’est une motivation plus personnelle, il me semble que c’est important d’oser ! Pourquoi pas une femme universitaire à la tête de cette institution de bientôt 150 ans ?

Ce que je souhaite de grand et beau à Sciences Po Paris

Je reprends les points saillants de mon projet qui décrivent ma vision de l’enseignement supérieur à 5, 10 ans et même au-delà …

Voici ce que je souhaite pour Sciences Po Paris, que je souhaite à tous les étudiants et les équipes qui les accueillent dans leur formation :

Mon projet s’intitule : « Un temps d’avance dans un monde à construire »

 Il vise à porter l’exigence d’avoir toujours « un temps d’avance », non dans un esprit stérile de compétition mais bien dans le dépassement de soi, car les esprits libres portent en eux une capacité d’innovation et de régénération constante. Ce temps d’avance traduit la responsabilité d’une institution que l’on écoute, d’une vigie du monde contemporain qui analyse les grandes évolutions politiques, socio-économiques, technologiques avec la profondeur de l’histoire et l’excitation d’un futur qu’elle contribue à façonner. Ce temps d’avance se décline dans toute la chaîne de valeur de Sciences Po : la recherche bien sûr qui doit être forte d’une capacité prospective, l’éducation dans ses contenus et ses méthodes, l’impact sur la société par ses innovations, les liens tissés à travers le monde avec les talents les plus prometteurs, jusqu’à la vie-même de l’institution qui devra garantir à chacune et chacun bien-être, développement de soi, et en attendre engagement et implication.

Les propositions sont au nombre de 10 :

1/ Se donner les moyens d’une politique de recherche rayonnante

Les sujets à l’ordre du jour dans le débat public sont autant d’occasion de mettre en avant les travaux académiques et la qualité des chercheurs de l’institution : l’« éclairage Sciences Po » doit devenir un réflexe médiatique pour prendre de la hauteur dans les turbulences de l’actualité d’un monde toujours plus complexe.

L’objectif est de mettre en avant une identité intellectuelle de Sciences Po à partir des objets de recherche transdisciplinaires : mondialisation, mutations du travail, développement urbain, inégalités et discriminations

2/ Former des esprits agiles capables de s’insérer sur un marché du travail en pleine mutation

Dans un monde ouvert, où l’emploi migre en fonction de la disponibilité des talents, il est vital pour une université de former ses jeunes aux métiers d’avenir. Puisque les carrières ne sont plus linéaires et que les métiers changent extrêmement vite, le maître mot est d’entretenir la capacité d’apprentissage. A fortiori alors que se dessine une perspective inédite pour les étudiants, celle de la mise en concurrence de leurs capacités cognitives avec des intelligences artificielles, qui s’imposent progressivement sur toute la gamme des débouchés actuels de Sciences Po (métiers du droit, de l’audit, du conseil, de la finance, du journalisme, etc.). L’intelligence artificielle ne sera pas seulement exécutive et technique : à mesure que le temps passera, elle sera créative et humaine. Pour tenir la distance, il faut résolument faire le pari de l’esprit critique, de l’ouverture, de l’adaptabilité et autres soft skills, appuyés par une solide culture générale.

 3/ Affiner la stratégie de développement international pour importer davantage de talents et exporter davantage de savoir-faire

Les alliances académiques sont un pilier essentiel de la compétitivité des programmes, qu’illustrent notamment les doubles diplômes internationaux. Ils offrent de la visibilité et permettent de se faire reconnaître dans le cercle des meilleures universités. Sciences Po doit désormais s’assumer pleinement comme une université-monde et une tête de pont dans les meilleurs réseaux internationaux à l’heure où la compétition internationale en matière d’enseignement supérieur et de recherche s’intensifie. L’institution doit œuvrer à la constitution d’une grande alliance universitaire pan-européenne qui permettra d’atteindre des tailles critiques, de rivaliser avec les principales universités anglo-saxonnes et asiatiques, et de disposer d’une meilleure capacité de projection pour créer un campus commun à l’étranger.

L’avenir de l’enseignement supérieur se joue sur d’autres continents que le nôtre, à commencer par l’Afrique qui constitue autant un vivier de talents qu’un véritable laboratoire en matière de dynamiques géopolitiques et socio-économiques.

4/ S’appuyer sur la mutation structurelle du modèle économique pour enclencher un cercle vertueux

Le modèle économique de Sciences Po s’est considérablement transformé à mesure de son développement. D’abord, par un poids économique global qui ne cesse de croître et dépasse aujourd’hui les 200 millions d’euros. Ensuite, par une évolution profonde de la structure budgétaire qui sera manifestement amenée à se prolonger dans le mesure où le soutien public ne cesse de s’effriter. Dans un contexte de rigueur budgétaire de l’Etat, il convient de redoubler d’efforts pour préserver a minima le niveau de financement public, tout en restant lucide sur les risques d’une baisse éventuelle à moyen terme.

Pour autant, il n’est plus question d’augmenter les droits de scolarité en formation initiale, qui ont désormais atteint un plafond au-delà duquel les effets d’éviction seraient préjudiciables. Dans un contexte de faible inflation persistante, un gel des frais d’inscription en valeur absolue pendant quelques années aurait au contraire une portée symbolique forte : en décidant de ne pas alimenter une spirale de l’endettement étudiant qui commence à être décriée dans les pays anglo-saxons, Sciences Po ajouterait une nouvelle corde à son arc d’université responsable.

Le défi est de taille pour assumer un financement toujours plus volontariste de l’effort de recherche, une stratégie d’expansion internationale, une politique d’aide sociale généreuse et un investissement de haut niveau en capital humain. Ces priorités sont au fondement d’une dynamique vertueuse dans la mesure où le succès et la visibilité de Sciences Po alimentent en retour la croissance des ressources de l’établissement.

 5/ Réussir la transformation digitale de l’institution

Le numérique change la donne pour l’ensemble des métiers de Sciences Po, oblige à repenser le fonctionnement des campus et l’enseignement du futur. Pour autant, il n’écarte pas du tout le présentiel ni le facteur humain : les gains de productivité réalisés sur les tâches administratives, par exemple, sont une opportunité pour que chacun se recentre sur son cœur de métier, car c’est là que se trouve la véritable valeur ajoutée. Il n’est pas non plus nécessaire de suivre tous les exemples à l’extérieur mais il faut rester ouvert. C’est avant tout une culture de l’expérimentation (test and learn), du collaboratif et du do it yourself qui doit se diffuser à l’échelle de l’établissement. Sciences Po doit être en capacité d’inventer ses propres façons d’utiliser les outils numériques dans sa pédagogie, sa recherche et son organisation.

6/ Faire fructifier le potentiel considérable des alumni

D’une part, leur soutien financier est indispensable pour le développement de l’institution. D’autre part, leur valorisation en termes de relations humaines et d’expertise est au moins aussi essentielle que les apports financiers : en matière d’insertion professionnelle, ils peuvent être de véritables catalyseurs d’opportunités pour les étudiants.

Sciences Po doit avoir pour préoccupation majeure de développer l’affectio societatis des anciens élèves pour leur université, en tissant une relation émotionnelle et intellectuelle fondée sur un rapport de reconnaissance (« give back ») au regard de ce qu’ils y ont reçu.

7/ Réinventer l’expérience Sciences Po à partir du projet Campus 2022

L’implantation du nouveau campus au cœur de Saint-Germain-des-Prés permet de capitaliser sur un héritage intellectuel revitalisé du quartier et d’ancrer l’institution dans une mémoire spatiale commune. Sciences Po deviendra alors le centre névralgique d’un vaste espace de circulation des idées et de la culture au cœur de la métropole parisienne. En réunissant dans un même lieu de vie collective les centres de recherche, les salles d’enseignement, les bureaux, la bibliothèque, des logements sociaux étudiants et des offres de restauration, ce campus « oxfordien » favorisera le brassage intellectuel, l’interdisciplinarité et la créativité, accroîtra le potentiel d’innovation et l’attractivité de l’institution.

En dépit de l’ampleur du projet parisien, les campus en région ne devront pas être laissés pour compte : ils sont autant de témoignages de la décentralisation réussie de Sciences Po, de leviers pour accompagner le dynamisme des métropoles régionales et de racines territoriales dans lesquelles l’institution puise ses talents pour projeter ses ambitions internationales.

8/ S’affirmer comme une université responsable et engagée

Sciences Po se doit de répondre au double défi de l’excellence et de l’exemplarité, parce qu’elle est la vitrine de son propre savoir-faire. Son volontarisme en matière de responsabilité sociale et d’initiatives d’intérêt général donne une portée concrète à son propre effort de recherche et appuie la stratégie de marque en se positionnant comme une référence sur des enjeux au cœur du débat public : promotion de la diversité et de l’égalité des chances, déontologie et transparence, égalité entre les femmes et les hommes, accessibilité pour les publics en situation de handicap, lutte contre le harcèlement et les discriminations, dialogue social, développement durable, valorisation de l’engagement civique. Cette responsabilité particulière de Sciences Po est au fondement de la fierté d’appartenance qui anime chaque membre de sa communauté, d’où l’importance de l’entretenir constamment.

9/ Être en conversation avec son environnement économique

Parce qu’une université incarne la transition vers le marché du travail et se constitue en haut lieu d’innovation, elle se positionne structurellement comme un hub en interaction toujours plus étroite avec le monde de l’entreprise. Ainsi, une intégration en amont des entreprises aux projets éducatifs de Sciences Po offre la meilleure préparation possible aux étudiants en garantissant l’adéquation de leur formation à l’emploi visé. Cette proximité autorise aussi une connaissance mutuelle facilitant la mobilisation de managers souhaitant témoigner ou enseigner dans les différents cursus de Sciences Po. Elle permet également de créer des réflexes de formation tout au long de la vie, d’accueil de stagiaires et d’alternants. Elle offre enfin des opportunités pour mener des recherches-action amorçant ainsi le cercle vertueux de création de connaissance actionnable et de publications pour les chercheurs de l’institution. L’enjeu est donc d’imaginer des modalités concrètes de collaboration pour transformer utilement ces structures productives en véritables acteurs de la formation et partenaires de recherche.

10/ Cultiver un esprit convivial d’université à visage humain

Une université est avant tout une communauté vivante de femmes et d’hommes, toutes et tous engagés dans un projet commun organisé autour de trois axes qui s’enrichissent mutuellement : créer de la connaissance dans des domaines dédiés, former des apprenants, diffuser le savoir dans la société. La recherche en sciences humaines et sociales, l’enseignement et toutes les activités de transmission constituent un capital immatériel à nul autre pareil. Les expertises, les procédures, les outils de reporting sont indispensables mais insuffisants car ce sont les personnes sur le terrain au quotidien (les enseignants-chercheurs, les intervenants professionnels, les équipes administratives) qui sont garantes de l’excellence des formations, qui portent l’image de l’institution, qui font sa notoriété et son attractivité.

Aussi, le premier devoir d’un directeur de Sciences Po est-il naturellement d’animer ces communautés, d’être au contact et en dialogue constant avec elles, d’accompagner leur développement et de s’assurer de leur bien-être, en trouvant le juste équilibre entre bienveillance et exigence. Cet aspect de la mission est essentiel et garantit l’engagement de celles et ceux qui aiment et font Sciences Po.

 

Entre publier et procréer : surtout ne pas choisir !

La dernière édition du baromètre Educpros sur le moral des professionnels de l’enseignement supérieur et de la recherche pointe la grande difficulté des femmes à concilier vie personnelle (et particulièrement leur vie de mère de famille) et vie professionnelle, surtout dans ses aspects de promotion et de carrière. Beaucoup y arrivent « malgré tout », mais le prix à payer est élevé : fatigue, sentiment de frustration, renoncement ou décalage dans le temps d’un projet d’enfant, censure dans les projets de carrière.

Cette situation de dilemme permanent est une charge mentale et psychologique importante à laquelle sont soumises trop de femmes, quel que soit leur métier ou leur secteur d’activité. Ce baromètre confirme que  les métiers de l’enseignement et la recherche ne sont pas exemptés de ce problème.

Au-delà de la diversité des profils, des réussites et des échecs des unes et des autres, de l’immense variété des situations, le fond du problème est que c’est à la femme de construire sa trajectoire personnelle, en se fondant sur ses ressources propres, qu’elles soient intellectuelles, physiques, financières ou relationnelles.

On retombe toujours sur les mêmes résultats, il faut être diplômée de façon à avoir le choix optimal d’une entreprise et d’une fonction permettant cette conciliation vie privée vie professionnelle, une bonne résistance physique (pas besoin de beaucoup de sommeil !), des moyens financiers pour alléger les contraintes logistiques liées aux enfants ou aux contraintes professionnelles, un compagnon (ou une compagne) prêt à prendre sa part de responsabilités et de charges, et des parents ou des amis pouvant servir de relais en cas de « coup dur » ! Chacune se reconnaitra dans cette image parfaite, que seules quelques happy few peuvent revendiquer !

L’impact de l’exclusion des femmes

Et pourtant, ce n’est pas aux seules femmes d’affronter ce double rôle de productrice et de reproductrice (encore une expression peu sympathique), mais bien à la société entière ! La femme n’a pas à construire seule sa double vie professionnelle et familiale.

Des sociétés ont résolu la question en réduisant les femmes à leur rôle de mère et en leur interdisant l’accès aux espaces professionnel et public. On commence à en voir les dégâts, comme dans la société japonaise où la relégation de plus de la moitié de la population est actuellement questionnée tant le bilan économico-démographique est dramatique. Mais bien d’autres pays sont amenés à faire des constats identiques. En effet, quand il faut choisir entre avoir des enfants et avoir un rôle social, c’est aller assurément vers la baisse du taux de la fécondité dans nos sociétés dites avancées. En témoignent à leur corps défendant toutes ces Espagnoles, Italiennes, Allemandes qui renoncent à la maternité ou la mettent entre parenthèse jusqu’à la quarantaine pour ne pas se retrouver au « foyer » !

Au-delà des aspects strictement numériques, les sociétés se construisent et évoluent en étant amputées dans leur circuits décisionnels économiques, politiques, de l’autre « moitié du ciel » comme le disait Mao. Nul n’est besoin d’être un politologue ou un économiste pour constater l’immense gâchis qui en résulte.

Des compétences « augmentées »

Pour ne pas rester au stade du constat et de l’interpellation, et pour avancer un peu dans la réflexion, je propose de valoriser tout ce qu’une femme peut apporter à une organisation, à une entreprise et dans notre cas à l’enseignement supérieur et à la recherche, si on lui donne le soutien nécessaire à ce double objectif de travailler et d’avoir une vie de famille. En le cas d’espèce, de « publier ET de procréer ».

Je partirai d’une théorie qui est celle du « temps augmenté », en l’élargissant à l’idée de compétences augmentées. L’idée de départ est que savoir concilier une vie personnelle épanouie et une vie professionnelle exigeante mobilise et développe des compétences très spécifiques et à haute valeur ajoutée, que les entreprises et les organisations devraient savoir reconnaitre pour mieux les valoriser et en tirer profit.

Avec la théorie du temps augmenté, on renonce à voir les temps personnel et professionnel  comme des vases communicants, on abandonne l’idée que le temps passé avec les enfants est du temps volé au travail et vice-versa. Ce fonctionnement repose sur une vision très linéaire de son organisation qui bute très vite sur des dilemmes impossibles à gérer.

De la même façon, je propose de partir de l’idée que l’interpénétration des deux mondes personnel et professionnel est une source de valeur augmentée.

C’est la démonstration au quotidien de la capacité à gérer concomitamment  deux projets hyper-complexes, à variables multiples, sur du temps long et sans pause possible. En effet, la vie familiale et la recherche ont ceci en commun de mobiliser entièrement l’esprit, en temps continu, faisant appel à des ressources multiples et à gérer dans un jeu de contraintes nombreuses.

Il n’est pas possible de les  séquencer, de leur imprimer son rythme propre, de les mettre en attente. La recherche comme la vie familiale exigent toutes deux une immersion totale.

Quelles sont les clés pour réussir à « tout faire » ? J’en propose quelques-unes, sans aucune prétention à exhaustivité.

Clé n°1 : Renoncer à la perfection

C’est difficile à entendre, mais les femmes doivent renoncer à être parfaite et se défaire du « syndrome de la bonne élève » qui les atteint toutes ! Paradoxalement, il faut renoncer à être une mère parfaite, une compagne parfaite, une chercheuse parfaite … pour réussir ! Une devise : « la qualité est souvent de la surqualité ! »

Clé n°2 : Faire confiance

Le corollaire du renoncement à la perfection est de savoir faire confiance à son entourage, tout particulièrement à ses enfants et ses collègues. Les enfants sont capables de faire beaucoup plus de choses en autonomie que leur mère ne le pense et cela les aide à grandir ! De même, un mari, époux, compagnon, compagne peut s’investir dans le quotidien et prendre des tâches en main : les courses au supermarché, le repassage, les devoirs … de façon différente, peut-être pas aussi merveilleuse, mais suffisante certainement ! Dans le milieu professionnel, des collègues, des collaborateurs peuvent aussi contribuer positivement à toutes sortes de missions, cela s’appelle la délégation. Une devise : « Ce qui est fait est bien fait ».

Clé n°3 : Mobiliser les méthodes professionnelles dans la vie familiale…et vice versa

Il faut savoir mettre sur le même plan et traiter avec le même professionnalisme la leçon de violon et la réunion de travail, le goûter d’anniversaire et le déjeuner professionnel, l’accompagnement aux devoirs et la rédaction d’un article.

Utiliser les méthodes professionnelles pour la vie privée aide beaucoup en efficacité. Tenir un agenda avec la même rigueur pour les deux vies est une façon de ne pas dériver et de se retrouver débordée avec des ajustements de dernière minute. De la même façon, on apprend énormément de choses dans une vie familiale qui relève souvent de la gestion d’une TPE. L’enjeu est  de décoder ces compétences acquises sans qu’on s’en rende compte et les mettre au service de la vie professionnelle.

 Clé n°4 : Garder des zones tampons

Il faut du « tiers temps » pour éviter les passages frontaux d’un monde à l’autre. Les temps de transport sont d’excellents moments pour faire des transitions pas simples. Il vaut mieux marcher et arriver un peu plus tard à la maison le soir avec l’esprit plus libre que d’arriver tôt sans avoir eu le temps de se débarrasser des soucis professionnels.

Evidemment, il est très important de pouvoir se garder du temps « à soi », comme des petites bulles d’oxygène pour reprendre sa respiration dans le rush. Ces moments aussi doivent être inscrits dans l’agenda pour ne pas disparaître pour cas considérés comme de forces majeures ! Une devise : « je le vaux bien … aussi ».

 Clé n°5 : Apprendre la fluidité

Passer l’aspirateur est un excellent moment pour réfléchir à sa prochaine publication ! Une réunion ennuyeuse est un très bon créneau pour dresser une liste de lieux de vacances ou tenir ses comptes. Cela ne s’oppose pas à la clé numéro 2 et rejoint la clé n°3…

Autant l’agenda doit être béton, autant il faut savoir se saisir de toutes les opportunités pour avancer ! Plus les dossiers sont instruits et préparés, moins le cout d’entrée est important. La fluidité est essentielle pour mener tout de front.

De l’énergie et une organisation sans faille

Une conviction en forme de conclusion : il est absolument possible de publier et de procréer. Mais cela demande en effet une mobilisation d’énergie et une organisation sans faille, qui doivent être reconnues à leur juste mesure pour être valorisées et soutenues.

Cela signifie très clairement qu’il faut évaluer le dossier de publications ou de carrière d’une mère de famille avec d’autres critères : pas seulement celui de la performance classique à l’instant T, mais celui du potentiel qui se déploiera dans les années à venir, quand les enfants auront grandi.

Ce qui est formidable, c’est que leur carrière prendra toute son envergure à un moment où ceux et celles qui auront moins investi dans la double vie seront dans un désir de retrait. PUBLIER et PROCREER,  surtout ne pas choisir !

Mesdames, osez être incompétentes, c’est la clé de votre succès!

« La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. »

Personne n’a mieux résumé que Françoise Giroud  la question de l’inégalité dans le milieu professionnel. Elle nous rappelle que le pouvoir dans les milieux économiques, politiques, militaires est détenu par les hommes. Et observe que les femmes n’y ont pas accès sauf à être « hyper-compétentes ». Enfin, elle sous-entend que les hommes qui occupent ces postes n’ont peut-être pas eu la même exigence de compétence.

En cette première semaine de l’égalité professionnelle, on pourrait croire que les choses évoluent dans le bon sens. Pourtant les chiffres sont têtus, qui chaque année mettent en lumière les écarts de salaire entre hommes et femmes à carrière égale. En résumé : « Tout change mais rien ne change. »

Toutes les études menées valident trois points :

  • le fameux « plafond de verre » ne permet pas aux femmes d’évoluer dans la prise de responsabilité;
  • les modalités d’accès au pouvoir valorisent bien d’autres choses que la seule compétence. On peut citer les réseaux informels ou hors de la sphère professionnelle qui favorisent les accointances masculines;
  • les femmes ont besoin de se sentir complètement légitimes et qu’un regard extérieur le leur confirme pour accepter (elles n’exigent que très rarement) de monter dans la hiérarchie.

C’est là qu’il faut savoir dire aux étudiantes (en école de management mais pas  seulement) et aux femmes déjà en poste dans l’entreprise :

« Mesdames, mesdemoiselles, pour progresser dans vos carrières : osez être incompétentes. »

L’injonction est pour le moins paradoxale et peut sembler incongrue : il faudrait être mauvaise, inefficace, mal faire son travail pour réussir ? Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est presque cela. Mais seulement presque …

Apprendre de nouveaux comportements

Je m’inspire librement de la méthode de la « solution bizarre » du Mental Research Institute de Palo Alto (1). Selon celle-ci, le changement peut être conçu comme une modification des comportements, on peut en conséquence produire des changements en apprenant de nouveaux comportements.

Pour les chercheurs du Mental Research Institute , « nous faisons nous-même notre malheur » en nous efforçant de reproduire des solutions qui se sont montrées efficaces par le passé mais qui ne correspondent plus à nos attentes et alors que notre contexte de vie a changé. Il faut donc  modifier notre vision du problème.

Il s’agit de passer d’un changement de « type 1 » c’est-à-dire qui reste dans la même vision du monde, à un changement de « type 2 », qui permet de voir les faits autrement et de changer leur signification. Parmi les techniques proposées pour y parvenir, je retiens celle du sabotage.

Optez pour le sabotage !

Le sabotage, c’est agir de façon délibérément maladroite et inefficace, en jouant sur le terrain de l’indifférence, et de voir ce qui change avec cette nouvelle façon de faire. Le regard des autres sur nous est-il différent ? Surtout, notre rapport au monde (c’est-à-dire à nos collègues, à notre projet professionnel, à notre hiérarchie…) évolue-t-il ?

Prenons un exemple. Vous avez un document à rendre pour le lendemain matin 9 heures. D’ordinaire, vous annulez votre soirée, vous passez une nuit blanche pour rendre le « rapport des rapports » à l’heure dire, épuisée mais satisfaite de vous être surpassée. La suite peut être variable selon le contexte et les personnes : félicitations, quelquefois, mais bien souvent le rapport a été seulement survolé et d’autres propositions faites par oral ou venant de canaux moins officiels ont été retenues. Quand votre rapport n’est pas récupéré par un N+1 ou N+2 qui s’attribuent vos idées…

La technique du sabotage consiste à renoncer à cette supposée perfection et à arrêter avant de l’atteindre, en partant du principe que 80 % ou 90 % de la qualité est largement suffisant et que les 10 ou 20 % supplémentaires pour atteindre le 100% sont de la sur-qualité n’apportant pas de bénéfices supplémentaires pouvant justifier l’énergie et le temps consacrés, sans parler du stress généré. On peut aussi ajouter que plus l’investissement est grand plus l’attente sur le retour est importante. Si ce retour n’est pas fait, c’est la frustration, le dégoût, la rancœur qui sont au rendez-vous.

Modifiez vos critères d’exigence

Que constate-t-on ? Le plus souvent le sabotage passe complètement inaperçu, et vous aurez bien eu raison d’être incompétente… Quelquefois il est repéré mais, si l’indifférence est bien de mise, c’est l’autre ou les autres qui feront ce que vous avez refusé délibérément de faire. Ce qui est le plus important, c’est que vous aurez modifié vos critères d’exigence et vos croyances quant à votre légitimité.

Essayez et vous verrez que le delta incompétence ou imperfection n’aura même pas été repéré et vous aura évité de la fatigue, de l’énervement, vous permettant d’allouer votre temps et votre énergie ailleurs. Le « sabotage » vous aura peut-être aussi permis d’éviter une autre situation très pénalisante : celle de ne PAS rendre le document. C’est un des risques de vouloir être au top : ne pas pouvoir finir car ce n’est jamais assez bien. Or un bon rapport est avant tout un rapport rendu.

Un autre exemple peut concerner l’apparence qui est très souvent associée à la compétence. Partez un matin sans vernis sur les ongles, sans avoir coordonné parfaitement votre tenue, en ne mettant pas de ceinture à votre pantalon… Ce petit sabotage (car vous auriez pu le faire) fait-il changer le regard de votre entourage professionnel sur vous ? Surmonter cette petite épreuve pour votre égo perfectionniste sera salutaire pour mieux comprendre que le renoncement à la perfection n’est pas l‘ennemi de votre progression professionnelle. Au contraire, vous gagnez du temps pour autre chose, vous apprenez à lâcher prise, vous n’êtes plus systématiquement dans le jugement de l’autre et à la quête de la légitimité qu’il vous accordera.

Apprendre à être légitime

Ne plus être à la quête de la légitimité, demander une promotion, une hausse salariale, de meilleures conditions de travail n’est pas une évidence pour la grande majorité des femmes. Dans le même temps, leurs compagnons, leurs collègues hommes, se posent moins de questions et avancent, reproduisant les codes appris et qui ont si bien fonctionné jusqu’à présent.

Les femmes doivent apprendre à être légitimes d’emblée, comme les hommes, sans atteindre la permission pour avancer ou la validation de leur compétence. Cette confiance en soi, cette affirmation de soi sont bien sûr des variables individuelles. L’éducation joue aussi beaucoup et que d’emblée l’on pousse les petits garçons à avancer sans se poser trop de questions, alors que les filles sont incitées à la modération, à la prudence, au mérite …

C’est donc plus tard qu’il leur faut apprendre à reconfigurer leur logiciel intérieur, à s’obliger à voir leur place dans le monde différemment. A opérer un changement de « type 2 ». Et la technique du sabotage, de façon modeste et quotidienne peut être une façon de conduire ce changement.

(1) La solution bizarre s’inscrit dans le cadre de la théorie du changement et est issue des travaux de trois chercheurs : Paul Watzlawick, John Weakland et Richard Fisch.