Cracking the management code

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Faire de la Business School une « plateforme de conversion » des étudiants

Une Ecole de management est un objet très complexe. Elle  peut être vue de plusieurs façons : un lieu de management en soi, un lieu de formation, un acteur économique sur son territoire, un acteur de l’enseignement supérieur, un drapeau de la France à l’international …. Nous pouvons aussi la voir comme une « plateforme de conversion ». En effet, pour permettre à un jeune homme ou une jeune femme sortant d’un Bac + 2, classe préparatoire, DUT, L2 … de devenir un professionnel, il faut que la Business School transforme un « étudiant causal » en  « étudiant effectual».

Mon analyse s’appuie sur 20 ans d’expérience comme responsable de formations dans l’enseignement supérieur (du Bac + 2 au bac + 8) comme sur 20 années de recherches en management. Un cadre théorique assez récent et maintenant bien installé en entrepreneuriat, l’ « effectuation (1) », permet de bien décrire des phénomènes complexes et de clarifier le projet de formation de l’EM Strasbourg.

Qui est l’étudiant causal ?

L’étudiant (2) causal est un étudiant qui a une vision de sa formation très « prédictive » et très déterministe. C’est un étudiant, qui, au départ du cursus choisi, vise un diplôme et qui va s’organiser pour atteindre cet objectif. Sa vision de la formation est linéaire : il faut réussir sa première année pour passer en deuxième année, réussir la deuxième année pour passer en troisième année etc .. etc … C’est le schéma de toute l’éducation française dès l’école maternelle.

L’étudiant causal cherche à maximiser ses notes, avoir les meilleures notes pour certains, ou bien avoir la moyenne pour « passer ». Cela implique de savantes stratégies qui vont toucher à l’assiduité, la présence en cours, l’investissement dans le travail à fournir (seul ou en groupe), le choix des options, les choix des séjours à l’étranger, le choix des entreprises où effectuer les périodes de stage ou d’alternance ( La grande entreprise ? la PME ? l’industrie ? le service ? la durée du stage ? le poste ? …).

L’étudiant causal est celui qui a un « projet de carrière », mais c’est aussi celui qui n’en a pas et le vit comme un handicap car il « croit » à cette vision de la vie professionnelle. Il va aussi avoir comme caractéristiques de percevoir ses collègues comme des concurrents. Cette vision peut être amicale et affectueuse, mais  n’empêche pas que le collègue (et ami) soit perçu comme celui potentiellement en concurrence lors de choix importants : le stage, le séjour à l’étranger, l’opportunité d’une bourse …

« Consommer » du cours

Cet étudiant porte aussi en lui une conception d’un apprentissage très cadré : il faut « consommer » du cours et ingurgiter de l’information pour accroître le capital connaissance de façon cumulative. Le nombre d’heures en cours est donc un indice de performance et de qualité, même si la façon de les exploiter peut être très variable.

C’est en général cet étudiant causal qui arrive dans une business school, il y a évidemment des étudiants qui ne sont pas dans ce modèle, mais ils sont beaucoup plus rares, car le modèle même de la Grande Ecole attire par essence ces profils. Il n’y a aucun jugement de valeur dans ce constat, ces étudiants ont un fort potentiel intellectuel, envie de « réussir » leur vie, sont très positifs et très actifs. Ils ne sont tout simplement pas en phase avec le monde des entreprises tel qu’il a évolué ces dernières années.

Pour être en phase avec ces nouvelles attentes : l’étudiant causal doit devenir, au cours de ses 3 années (en moyenne) de formation, un étudiant effectual.

Qui est l’étudiant effectual ?

La vie des entreprises, à laquelle se destine le diplômé d’une Business School, se caractérise par une très grande complexité et beaucoup d’incertitude. Pour y réussir, la posture causale, prédictive, rationnelle ne peut être optimale. Elle est tout simplement illusoire. Il va falloir apprendre à adopter une autre posture, d’autres méthodes de travail et surtout une autre vision de la vie et de l’environnement, attitude qui relève de l’effectuation.

L’étudiant effectual est un étudiant qui raisonne en « pertes acceptables » plutôt qu’en « optimisation de gains ». Il va par exemple accepter de ne pas optimiser à tout prix son emploi du temps ou de choisir d’emblée la « bonne » option, il va choisir de faire des « détours » qu’il voit comme productifs, mais qui seraient une perte de temps aux yeux de l’étudiant causal.

Cet étudiant effectual va par exemple choisir un électif « théâtre » ou « philosophie » sans se concentrer exclusivement sur les enseignements de « cœur de métier » : marketing, finance ou informatique. Il est dans l’idée que tout peut l’enrichir. Cet étudiant peut  être vécu comme perturbateur car posant des questions pouvant être perçues comme déplacées, mais qui s’expliquent pas sa curiosité et son envie de comprendre.

L’oral est son royaume, contrairement à l’étudiant causal qui est plus à l’aise à l’écrit.

De la pratique à la connaissance

En matière d’apprentissage, l’étudiant effectual privilégie le mode « inductif », c’est-à-dire qu’il préfère partir de la pratique et des résultats pour revenir à la théorie et à la connaissance que d’attendre d’avoir fait le tour de la théorie pour appliquer.

Cette posture très pragmatique, qui accepte l’ »essai erreur », a longtemps été rejetée en France (même si elle a été aussi beaucoup critiquée et remise en cause régulièrement), mais beaucoup mieux acceptée par les pays anglo-saxons. On admet enfin, que les modalités d’apprentissage doivent être diversifiées et qu’il ne suffit pas d’être le « premier de la classe » pour réussir professionnellement. Cela bouscule énormément de schémas : la linéarité de la scolarité, les hiérarchies des matières, les habitudes d’enseignements… mais le temps fait son œuvre et les choses évoluent, remettant en question le « prêt à enseigner ».

L’étudiant effectual cherche aussi les partenariats et les alliances plutôt que de voir les autres comme des concurrents potentiels. Le travail à plusieurs devient essentiel et l’apprentissage est collaboratif.

Un difficile désapprentissage en 3 années

Il va falloir « apprendre à désapprendre » pour « désapprendre à apprendre » comme on le faisait depuis le CP.

Ces changements ne se décrètent pas, d’autant plus qu’ils impliquent l’étudiant lui-même mais aussi son entourage qui, ayant été éduqué et formé selon d’autres modalités peut se montrer très critique. C’est ainsi que de nombreux parents trouvent que leurs fils ou leurs filles étudiantes  «ne travaillent pas assez ». Traduisez  : « Ils n’ont pas assez d’heures de cours ». Ou encore qu’ils  « perdent leur temps », à traduire par : « Ils s’occupent du week-end d’intégration ou d’une association ou d’une expo de peinture… au lieu d’aller en cours ».

Cet entourage peut aussi se montrer inquiet quant à des choix qu’implique cette nouvelle vision des études : pourquoi interrompre son cursus pour faire un tour du monde ? Pourquoi vouloir faire son année à l’étranger en Colombie ou au Kazakhstan quand l’Angleterre ou les Etats Unis sont plus accessibles ?

Changer en douceur

Il faut accepter que ces changements se fassent doucement, et nécessitent beaucoup de pédagogie pour être appropriés par ces étudiants et leurs familles. Or, trop de Business School, fortes de leur légitimité et de leurs propres certitudes, soucieuses de ne pas perdre le pas dans la course à l’innovation (ou peut être plutôt à la nouveauté), sont plus dans les effets d’annonce et l’imprécation que dans une démarche respectueuse de la chronobiologie de leurs étudiants. C’est ainsi qu’il faut faire du MOOC puis du SPOC, que le co-working est incontournable, que les tablettes sont les nouvelles tables sacrées de l’enseignant …

Ces discours forts et manquant de nuances, certes enthousiasment les déjà-convaincus, mais déstabilisent une grande majorité qui reste silencieuse et entre en résistance par inertie, car il n’est pas facile de s’élever contre la nouveauté quand on n’a pas forcément les codes, et qu’on risque d’être taxés de réfractaires au changement et donc à l’innovation.

Il me semble donc important de mettre à profit les 3 années (en moyenne) du cursus d’une Grande Ecole pour faire évoluer les étudiants en douceur, sans les mettre en difficulté, même s’il est aussi formateur d’avoir à affronter le défi de certains changements et de sortir de sa zone de confort.

Les choix de l’EM Strasbourg

Nous avons donc décidé à l’EM Strasbourg de ne pas bousculer trop les modalités d’apprentissage de première année : nous avons ainsi réintroduit de la culture générale, de la philosophie, des cours présentiels en langue à côté du CRL en auto-apprentissage…. C’est en  deuxième année que sont proposés le «  parcours associatif », les choix de parcours à la carte, l’année à l’étranger ou encore l’année professionnalisante, les « On site training days » (journées de co-working en entreprise)…

L’acculturation est là dès la première année avec les projets à mener pour les entreprises (action « Prospect act » en groupe et en exercice réel), la plateforme e-learning d’apprentissage aux 3 valeurs de l’école, ou encore la proposition de rejoindre la Ruche et son pré-incubateur de projets d’entreprises.

Un expert forme les enseignants

L’EM Strasbourg propose aussi la modularisation des cours avec des « tracks présentiels » (cours obligatoire et absence sanctionnée) et des « tracks à la présence optionnelle » (présence en cours facultative). Pour accompagner ces changements, un expert en éducation forme nos enseignants aux dernières modalités d’apprentissage et à la qualité de la formation qu’ils prodiguent : être plus proactif en cours, savoir animer un amphi, utiliser Internet dans ses enseignements … sont les thèmes de nos ateliers pédagogiques.

Nous misons aussi sur une pédagogie auprès des parents pour qu’ils comprennent mieux et s’approprient ces nouveaux styles d’apprentissage. Car, bien souvent, ces parents ont l’impression que leurs étudiants « ne font rien » parce qu’ils n’ont pas 40 heures de cours par semaine !

Enfin, et surtout, nous posons des mots sur les actions que nous menons et nous les intégrons toutes dans la même cohérence pédagogique. Faire un stage en entreprise, passer une année à l’étranger, suivre des cours en ligne, monter un projet d’association… ne doivent pas rester seulement des expériences stimulantes et réussies. Il faut les mettre en perspective pour comprendre les savoir, savoir-faire et savoir-être qu’elles forment. Sans un nécessaire  travail de réflexivité, l’étudiant ne comprend pas ce qu’il apprend, ne sait pas qu’il sait.

Un programme de développement personnel et professionnel

C’est donc grâce à un programme dit DPP (développement personnel et professionnel) animé par une équipe d’experts, que les étudiants vont peu à peu prendre conscience d’apprentissages insoupçonnés, ou savoir valoriser des compétences acquises au cours de « détours ».

Organiser un WEI (week-end d’intégration) ou une soirée de gala met en action des compétences de gestion de projets tout à fait transmissibles à d’autres secteurs d’activités ou d’autres projets. Faire vivre une association implique des savoir-faire commerciaux, de gestion, de management, certes acquis au jour le jour de façon empirique, mais qui, une fois mis au jour et valorisés, vont constituer un beau portefeuille de compétences. Il en va de même des séjours à l’étranger ou des périodes en entreprises.

L’école, avec l’ensemble de ses équipes (dans ces dispositifs, l’enseignant n’est plus le seul interlocuteur de l’étudiant), s’organise donc comme une véritable plateforme de conversion qui transforme tranquillement et sereinement un étudiant causal , brillant et fort de son capital connaissances en étudiant effectual, en mouvement, pourvu d’un portefeuille de compétences, et en phase avec les attentes des entreprises.

Quel que soit le profil à l’arrivée dans l’école, le rythme de désapprentissage et de réapprentissage de chacun doit être respecté. L’enjeu est de comprendre qui on est, de savoir de quoi on a envie, d’être conscient de son potentiel comme de ses limites et de mettre tout cela en cohérence. L’Ecole de management de Strasbourg conçoit cet accompagnement comme central.

Petite illustration avec… les personnages de Games of Thrones

La saga de Games of Thrones est une excellente illustration de ce qu’est une personne causale et une personne qui évolue de façon effectuale.

Les «purs  causaux ». Rationnels, rivés sur leurs objectifs, ils voient le monde comme leur propriété et les autres comme des instruments de leur destin personnel.
  • Daenerys est une très jeune fille au début de la saga. Elle a à affronter des évènements extrêmement violents dont la découverte de la trahison de son frère, qui seront fondateurs d’une quête foncièrement causale. Elle se donne pour objectif de s’asseoir sur le Trône de Fer, et met tout en œuvre pour réussir cet objectif. Elle va suivre un chemin rectiligne, allant de conquête en conquête, considérant tous ceux qui ne sont pas ses alliés déclarés comme des ennemis. Elle réquisitionne toutes les ressources des lieux où elle passe pour les mettre au service de son projet : c’est le cas des Immaculés comme des Puinés.
  • Les Lannister ont en commun d’être des purs causaux au début du récit. Leur avenir est dessiné et se caractérise par une forte certitude. Ils sont des héritiers incontestables, avec la puissance et les moyens financiers qui assurent la pérennité de cette puissance. Au fur et à mesure des évènements, cette certitude va être ébranlée et, chacun à sa façon devra modifier son rapport à la vie. Certains ne comprendront rien au monde qui change autour d’eux. C’est le cas de Joffrey ou, dans une moindre mesure de sa mère Cersei, tous deux restent dans une vision obstinée de leur destinée, détruisant systématiquement tout ce qui peut entraver son déroulement.
  • Si Joffrey est dans un aveuglement pathologique, sa mère Cersei pratique des manœuvres tacticiennes, sans changer sa vision du monde, accablée par un destin qu’elle ne pense pouvoir changer, corsetée dans son rôle de femme révoltée par la soumission à laquelle on l’a contraint, mais restant profondément au service d’une reproduction sociale que ne démentirait par Bourdieu.
Les causaux qui deviennent effectuaux . Ils apprennent à voir le monde qui les entourent comme une source d’opportunité et d’apprentissages.
  • Jamie Lannister, s’il partage au départ cette vision d’un destin tracé, prêt à tout, même aux pires transgressions (comme l’inceste) pour l’assurer, va peu à peu évoluer dans son rapport au monde. Ses mois d’enfermement, des rencontres pour le moins improbables comme la femme chevalier Brienne de Thorte (elle-même très causale), sa mutilation (sa main droite est sectionnée lui faisant perdre tout son avantage physique) vont l’amener à adopter une posture plus effectuale. Ses ressources physiques sont limitées, son statut est érodé (il n’est plus crédible en garde royal), ses soutiens (son père, sa sœur) se dérobent … il doit apprendre à s’ouvrir puis à faire confiance à d’autres personnes, il doit apprendre à raisonner à partir de ses capacités qui ne sont plus « no limit ». Cette capacité à comprendre cette nouvelle donne va le conduire à porter un regard curieux, puis bienveillant sur des personnes pour lesquelles il n’avait avant que le plus profond dédain.
  • Les enfants Starck se trouvent aussi dans cette évolution, très rapidement, la sécurité de Winterfeld et de parents unis et rassurants disparait. Tous se retrouvent confrontés à l’effondrement de leur monde et chacun va conduire sa destinée à sa façon.
  • Robb, l’ainé va rester dans une attitude très causale, animé par son destin d’héritier, qu’il vit de façon sacrificielle. Ses frères et sœurs vont, eux, investir un comportement effectual, avec des nuances, ainsi Sansa est en mode réactif et d’hyper adaptation aux contraintes et aux agressions qu’elle subit. Bran, de par son handicap (il devient paraplégique suite à une chute) va porter un regard différent sur le monde (en l’occurrence mystique) et y voir tout à fait autre chose.
  • C’est Arya qui incarne la personne la plus effectuale de Games of Thrones : dès le départ (et avant les drames qui touchent sa famille) elle est mue par une envie de changement, que ce soit sa condition de fille dans un monde masculin ou ensuite les injustices qu’elle veut punir  et les hiérarchies qu’elle veut bousculer. Elle regarde le monde comme une source continue d’apprentissages qu’il s’agisse de ses leçons d’escrime, de la façon dont on peut éliminer un ennemi… ou chasser et cuisiner du gibier. Le dénominateur commun de ces frères et sœurs est leur immense résilience, leur capacité d’apprentissage, leur habileté à exploiter leurs ressources pour avancer, en renonçant à atteindre d’emblée un but ambitieux.

Décidemment, dans le royaume des 7 couronnes, avec le chaos et l’immense incertitude qui le caractérise, la prime est à l’attitude effectuale, le monde que nous partageons en cette deuxième décennie du XXIème siècle est-il si différent ?


(1) L’effectuation trouve son origine dans les travaux de recherche menés par Sara Sarasvathy (sous la direction d’Herbert Simon), jeune doctorante d’origine indienne, ancienne entrepreneuse. A la fin des années 1990, Sarasvathy cherche à comprendre comment les entrepreneurs raisonnent et agissent dans leur démarche de création. Elle met en évidence deux logiques de raisonnement : la logique causale et la logique qu’elle nomme « effectuale ».

(2) Nous emploierons le masculin pour ne pas alourdir notre propos, mais cet étudiant inclut bien sûr toutes les étudiantes qu’elles soient causales ou effectuales.

Former au management de la relation client : 9 clés pour tout repenser!

Nous avons entendu ou lu une nouvelle étonnante ces derniers jours : l’ouverture de magasins de disquaires… qui vendent des vrais disques, comme au siècle dernier ! A l’heure de la dématérialisation la plus totale, ce phénomène est pour le moins étonnant et il vaut qu’on s’y arrête.

Que se passe –t-il ? Que pouvons- nous tirer comme enseignement de ces nouvelles retro-tendances ? Au moment où tous les distributeurs et les enseignes de retail réfléchissent à des stratégies innovantes basées sur le multi, le cross, l’omni-canal…quelles sont les compétences attendues pour un management innovant de la relation client ?

C’est simple, tout est à repenser, et les formations doivent s’inscrire dans cette nouvelle donne.  Nos étudiants qui se destinent aux métiers du management de la relation client vont devoir acquérir de nouvelles compétences.

 1) Penser le magasin inversé

Le magasin où on vient se renseigner, s’informer sur le produit ou le service, se périme. La recherche d’informations se fait maintenant en amont de la visite en magasin, en priorité sur les réseaux sociaux et le web. Le magasin, s’il participe à l’achat devient alors un lieu de « picking », comme on l’observe avec les « drive » qu’a mis en place la grande distribution (avec toute l’importance que les clients donnent à la personne qui remplit leur coffre).

Pour être fréquentés, les magasins doivent inverser leur positionnement, en s’organisant comme des lieux expérientiels, où on passe un bon moment, où on rencontre des gens, où on cultive le lien social, bref, des lieux de socialisation. Il faut donc apprendre ce que « service «  veut dire. Et il y a du chemin à parcourir! Aller faire des voyages d’études au Japon, à Singapour ou encore aux Etats Unis est au programme.

 2) De l’émotion dans la rationalité

On oublie le fameux processus d’achat, on arrête de croire que le consommateur est rationnel et on revient à la vraie vie : celle où, de plus en plus, le consommateur picore l’information, fait des pas de côtés, fonce puis renonce, change d’avis et de stratégie… Il va falloir inventer et accepter des modalités plus bricolées et plus « friendly »,  s’adresser au cerveau gauche autant qu’au cerveau droit du client.

Le chaland, client, consommateur,  attend  qu’on le remette au centre du dispositif. Une illustration peut être ce témoignage d’un client qui raconte comment dans un Apple Store un vendeur l’a retrouvé au sein de la foule des clients qui attendaient leur tour, alors qu’il n’avait aucun numéro ou signalement. Comment? L’hôte d’accueil l’avait décrit en quelques lignes dans la zone de texte destinée à identifier ses besoins.

Des cours de théâtre ou de musique sont alors les bienvenus. Il faut aussi mettre au programme « La pensée sauvage »  de Lévi-Strauss car sa théorie du bricolage devient une source d’inspiration.

 3) Le client est maître du jeu

C’est le monde renversé mais il faut admettre que les consommateurs s’approprient les outils à une vitesse accélérée et  imaginent des usages inédits. Pour rester maître du jeu, il faut accepter d’en comprendre et d’en observer les règles qu’ils inventent et réinventent au jour le jour. C’est ce que font, dans la mode, les chasseurs de tendance: le détournement d’un vêtement ou d’un accessoire, la re-création d’aujourd’hui, sont le creuset de la mode de demain.

C’est le moment de repérer les « lead users » et de les mettre au travail. Ils ont des idées, ils détournent le produit ou le service : c’est peut-être le nouvel usage qui sera en vigueur demain. La créativité est dans la tête du client, il faut la capter. Cela passe par la capacité à repérer la façon dont les clients déambulent dans le magasin, les moyens qu’il mettent en œuvre pour porter leurs achats, la manière dont ils utilisent le produit chez eux lors d’une visite de SAV. Cela demande  de l’observation, de l’interprétation des signaux faibles, mais c’est le prix du dialogue. L’intelligence marketing devient une compétence obligatoire.

 4) Jouer avec le tempo

L’information est partout et elle se périme vite aussi. Le rapport au temps est de plus en plus tendu. Le « ATAWAD » (any time, any way, any device) est devenu la règle. Le consommateur veut tout, quand il le veut et comme il le veut. Décrocher son attention relève de l’exploit, surtout dans le bruit ambiant. Il va falloir se mettre à son rythme et oublier les processus où le vendeur pense être maître du temps. C’est un tango avec le client et c’est ce dernier qui donne le tempo.

Les enseignements du processus d’achat  ou des séquences de la vente sont entièrement à revoir. Car si le client veut du « click and collect », il veut aussi du « slow shopping ». Le maître-mot est  donc l’ adaptation. Cela conduit à la capacité à identifier les solutions pour chacun des clients en fonction de leurs attentes du moment. Des connaissances structurées  en psychologie doivent être au programme.

 5/ Un vendeur pitcheur

Il s’agit de « pitcher », c’est-à-dire d’amorcer  très vite l’ attention du prospect, pas en lui faisant des promesses intenables mais bien en décrivant en quelques mots la promesse de la solution qu’on lui propose. Il faudra peut être ensuite savoir ralentir pour lui donner le temps de profiter de son nouvel achat, ou pour tester un produit. Le vendeur devra apprendre à « tweeter » à l’oreille de son client et lui rappeler qui il est, qu’il le vaut bien, et combien la solution proposée lui convient.

Cela demande aux personnes au contact de savoir scénariser, résumer, synthétiser, raconter une histoire de façon à tout dire en une ou deux phrases. Tout leur art est de réussir à susciter une émotion, un intérêt dans un temps très court. C’est extraire la quintessence d’un produit, d’un service, pour le faire exister dans la tête du prospect ou du futur consommateur.

 6) Un happening permanent

On oublie les lieux trop institutionnels, on crée des lieux éphémères qui suscitent le désir, qui jouent avec l’envie et la rareté. On mise sur des lieux de transit ou inédits (des friches, des parkings, des gares), des magasins…Où tout doit être renouvelé régulièrement pour « happer » l’air du temps, susciter le désir. Ce sont des compétences de créativité, de savoir-faire en installation artistique qui sont à l’œuvre. Des enseignes comme Chronostocks ou des expériences comme Pantone Colorwear ou le restaurant éphémère Mercedes-Benz plus récemment en sont des exemples convaincants.

 7) Penser le magasin étendu

S’adresser à ses clients ou ses prospects comme à une communauté est devenu incontournable. Une communauté changeante, qui croit plus en en l’expertise de ses pairs qu’en celle du vendeur. Le community management est essentiel pour sauvegarder la e-réputation, qui est fragile et indispensable.

C’est le « eWOM » (electronic Word Of Mouth, ou rumeur électronique) qui transporte maintenant l’essentiel des flux d’information. Ainsi, 77% des consommateurs pratiquent le « ROPO » (Research online-Purchase offline) et se déclarent influencés par les commentaires des autres consommateurs en ligne, selon l’étude Mediamétrie-NetRatings de mai 2013. Cela renvoie à des compétences en community management, savoirs encore émergents mais en grand devenir.

 8) Sortir des vieux schémas payant vs gratuit

On observe que le démarrage par l’adhésion des réseaux sociaux et la gratuité devient de plus en plus courant dans beaucoup d’activités. On peut citer des sites communautaires de covoiturage qui ont été rachetés par la SNCF. Alors que, dans l’autre sens, des prestations deviennent gratuites du fait des réseaux sociaux: c’est le cas des secteurs d’activités basés sur le recueil d’informations.

La valeur se périme aussi, ou doit être repensée sans cesse. Il faut renouveler le corpus de connaissances pour passer du calcul des coûts à l’évaluation de la valeur.

9) Quelle conclusion pour les Business Schools?

Si nous résumons, un programme de formation au management de la relation client appelle du théâtre, de l’art, de la psychologie, du travail sur soi, du community management, de l’évaluation de la valeur, de l’intelligence marketing et des enseignements renouvelés aux processus d’achat comme aux étapes de la vente.

Les Business Schools en sont-elles capables ? Elles doivent se motiver pour l’être car l’évolution est sans retour possible. L’avantage sera à celles qui peuvent avoir des accès directs à ces compétences et ses connaissances, relevant d’autres domaines et d’autres spécialités.

Etre sans être là: raisons et déraisons de l’ultra-connexion

Vous êtes-vous surpris récemment à surfer sur un site Internet au cours d’une réunion importante ? A écrire des textos sans urgence en prenant un verre avec des amis ? A lire des mails en regardant un bon film ?  Avez-vous trouvé insupportable de faire cours devant des étudiants en mode « Facebook » ? De déjeuner avec des amis qui regardaient furtivement leur smartphone ? De rentrer dans quelqu’un qui marchait le nez dans son smartphone ?

Admettons-le, nous sommes dans un monde où pour « être », il ne faut pas être là, c’est-à-dire qu’on se sent exister, excité, utile … avec plus d’intensité en mode virtuel qu’en mode présentiel. Point n’est besoin d’être geek pour éprouver ces sentiments.

 Trois constats

1) Des internautes forcenés

Dans son livre Computer power and Human reason Joseph Weizenbaum (en 1976 ! il y a des siècles …) décrivait le fanatique de l’ordinateur comme quelqu’un d’asocial, à la mise négligée, à l’hygiène douteuse. Beaucoup de films nous le montrent encore ainsi. Les plus « atteints » sont désignés comme « no life ». Mais, ça « c’était avant » : avec 2, 5 milliards d’êtres humains connectés en 2012, soit le double de 2007, le geek c’est vous, c’est moi.

2) Le Web, c’est intergénérationnel

On a beaucoup parlé des digital natives, de la computer generation, des kids online. En fait, tout le monde est maintenant sur Internet. Ce sont les usages qui sont différenciés selon les âges : les plus jeunes jouent à des jeux éducatifs, les préados se consacrent à des jeux en ligne, les adolescents passent leur temps sur des sites de socialisation, les adultes sur les sites sociaux professionnels, les personnes plus âgées sur les messageries (de plus en plus font l’achat de tablettes), et le e-commerce est pratiqué par tous.

Mais le temps de lire ces lignes, et la donne a déjà changé.. Arrêtons tous les clichés faciles qui opposent et séparent : il n’y a pas d’âge pour être addict au virtuel !

3) Un nouveau rapport au temps et à l’espace

Internet a beaucoup été présenté comme un espace dématérialisé. La sémantique qui lui est associée illustre bien cette déconnexion du réel : on « surfe », on « navigue », on cherche un « hébergement », on va dans les « nuages » (cloud). Les études montrent que si les échanges Facebook se concentraient sur les heures de travail et les soirs en semaine il y a encore 5 ou 6 ans (études sur des milliers d’étudiants américains en 2007), en 2014, tout le monde est branché en permanence sans distinction de jour et de nuit, ou de jours travaillés et jours fériés.

 Trois alertes

1) Gare à « l’ultra solitude interactive »

Le paradoxe central et structurant de la société libérale contemporaine est l’aspiration de plus en plus forte à la réalisation individuelle de soi, qui génère au final plus de souffrances que d’épanouissement.

Chacun cherche alors la création d’un espace de liberté intime, loin du monde réel et de ses soucis. Chacun recherche sa bulle d’insouciance et Internet semble pouvoir apporter des réponses. Le monde virtuel est alors vu comme un refuge : je suis sur Facebook pour échapper à un cours qui m’ennuie, je réponds à mes mails pendant une réunion qui ne correspond pas à mes attentes, j’échange avec mes amis virtuels pour augmenter ma « dose de relationnel » quand je suis avec d’autres amis.

Cette sensation a un nom, c’est le « flow » (décrite la première fois par Csikszentmihalyi). Ainsi, quand nous sommes connectés, nous vivons une perte de sentiment de « conscience de soi », l’attention est en hyperfocus, et nous subissons une distorsion de la perception du temps. Nous entrons dans un autre espace-temps, qui nous semble plus gratifiant et plus protecteur.

Le risque est de s’isoler complètement en mode « présence absente » et d’entrer dans cette ultrasolitude interactive que nous observons tous les jours dans les foules où personne n’échange ni un regard, ni une parole.

2) Attention au dévoilement de l’intime

Nous sommes dans une ère de la « surexposition », du « regard omniprésent », et chacun est en quête de reconnaissance. On s’expose pour être vu et reconnu dans l’angoisse de ne pas laisser de trace, c’est la « mise en scène de soi ». Mais c’est souvent un processus peu ou mal maîtrisé, qui peut dériver vers le dévoilement de l’intime. Celui-ci trouve une première illustration avec Facebook où chacun se met en scène dans les recoins les plus privés de sa vie.

Cette perte de l’intimité est un nouveau phénomène d’autant plus inquiétant que nous en sommes les victimes trop souvent consentantes, voire nos propres bourreaux. Cette mise en scène de l’intime, qui avait démarré en France avec « Loft story » à la télévision, continue à se développer avec des niveaux d’exposition qui ne semblent pas trouver encore leurs limites.

 3) L’urgence de tout savoir tout le temps

L’urgence de tout voir, tout savoir, d’être partout virtuellement, porte maintenant un nom (ou plutôt un acronyme) : le FOMO (Fear Of Missing Out) , c’est-à-dire l’anxiété de rater une interaction sociale. Ce qui se cache derrière : la peur de ne « pas en être », de ceux et celles qui sont au courant, branchés, informés. La peur également de rater cette exaltation d’être dans l’interaction d’une information ou d’un évènement « chaud », voire « brûlant » d’actualité. Si ce syndrome a toujours existé, il a développé des formes et une puissance non égalées avec Internet et ses réseaux.

Le deuxième risque est agnotologique. De quoi parle-ton ? L’Agnotologie (décrite par Proctor en 1992) est la « science de l’ignorance ». Cette discipline emprunte à la philosophie, la sociologie et l’histoire des sciences, son objet est l’étude de l’ignorance elle-même, mais aussi les moyens mis en œuvre pour la produire, la préserver et la propager.

A titre d’exemple, lorsque des technologies sont contestées, lorsque certains produits se révèlent être nocifs ou dangereux, des mécanismes agnotologiques se mettent en place. Dans le cas de l’industrie américaine du tabac, il s’agissait de la publicité donnée dans les années 1950 à des«études» trompeuses sur de supposés bienfaits de la cigarette.  

L’adage des agnatologues pourrait être: «Le doute est ce que nous produisons.» Augmenter le savoir disponible peut être, paradoxalement, une façon d’accroître l’ignorance. Ainsi, depuis quelques années, les projets agnotologiques ont un allié de poids: le Net. Une fois une information injectée sur le Net, on peut constater qu’elle ne peut plus être arrêtée ou contrôlée ou contrée.

 Trois phénomènes dus au Net

 1) Une expertise qui s’horizontalise

Avec les forums et les réseaux sociaux, le sachant et l’expert perdent peu à peu de leur pouvoir de prescription et de leur capital confiance au profit des « pairs ». Le marché de la chirurgie esthétique off shore est une très bonne illustration de cette tendance. La personne qui veut procéder à une opération de chirurgie esthétique à moindre coût en Tunisie ne pourra compter que sur Internet pour prendre sa décision, pourtant à fort risque. Le client potentiel aura en effet toute son information par mail : du devis sur photo envoyée via Internet à la proposition du package de séjour qui va avec.

Pour réduire le risque perçu, le client va entrer dans un dialogue intense sur les forums et les réseaux sociaux avec d’autres personnes ayant conçu le même projet et faire évoluer sa décision sur la foi de leurs témoignages, et des échanges qu’ils auront autour. Le patient-client ne verra son chirurgien qu’au bloc opératoire, mais c’est bien avec les autres patients internautes qu’il aura construit sa décision d’achat.

2) La fragilité de l’e-réputation

Le petit monde écoles de management françaises se rappellera longtemps des secousses qui destabilisèrent une des leurs en 2011. La veille de l’échéance pour les choix définitifs d’affectation des candidats, une pseudo fuite est apparue sur un forum d’étudiants. Sur ces forums, tous les postulants échangent jusqu’à plus soif leurs impressions et grattent jusqu’à l’os la moindre formation, alimentant sans fin le bouche à oreille électronique.

La pseudo-info révélait, l’air de rien, qu’une école n’avait pas eu la faveur des candidats pour leur affectation. Il en résulta la réalisation de ce qu’on appelle une « prophétie auto-réalisatrice », comme sait si bien les générer le web. L’information était surement fausse mais la perte en inscriptions n’en fut pas moins bien réelle pour cette école, affectant bien sûr son chiffre d’affaires mais également, et de façon plus durable, sa e-réputation.

La rumeur vit maintenant en mode accéléré grâce à Internet et les entreprises qui tentent de la contrôler savent qu’elles devront durablement investir des fortunes sans garantie de résultats. On peut citer le cas de la compagnie pétrolière BP qui a tenté de racheter tous les mots clés liés à la catastrophe de la marée noire dans le golfe du Mexique (sur Google, Bing et Yahoo), dépensant pour cela plus de 10 000 dollars par jour.

3)  Bad buzz, good buzz: qui perd, qui gagne ?

Les entreprises peuvent être l’objet d’un bad buzz n’importe quand, et de n’importe quelle origine. On se rappelle du cas de Domino’s Pizza dont deux employés en cuisine ont posté sur le web une video les mettant en scène en train de confectionner des pizzas fourrées avec leur crottes de nez… Une stratégie vigoureuse et très réactive avait pu transformer ce qui pouvait tourner à la catastrophe en vraie stratégie de dialogue avec le marché.

Illustrant l’adage qu’il vaut mieux un buzz négatif que l’absence de dialogue, certaines entreprises lancent elles-mêmes le buzz avec une certaine prise de risque, car l’assurance qu’il n’y aura pas des dégâts durables n’est pas garantie. On peut citer le cas de Petit Bateau qui avait lancé une ligne de body pour bébés avec des phrases sexistes en inscription. Certains « consommateurs » avaient alors sévèrement critiqué la chose, mais les experts de la toile restent assez persuadés qu’il s’agissait d’une imposture pour créer le buzz.

Plus que jamais le marché est une conversation, mais une conversation qui ressemble à un jeu du chat et de la souris entre les organisations, leurs salariés, leurs clients. La question est de savoir qui est le chat, et qui est la souris…

Former aux usages, pas aux outils

Les possibilités du Web sont immenses et se déplacent très vite vers la mobilité, car c’est maintenant par les smartphones et les tablettes que tout passe. Les modalités d’utilisation des TIC restent donc à inventer et réinventer sans cesse.

Pour construire un monde où l’hyperconnexion n’aille pas de pair avec l’ultra solitude, où nos envies légitimes et ancestrales de liberté, d’insouciance, d’information, d’interaction sociale ne dérivent pas vers la mise à nue de notre intimité ou la perte de sens, il semble nécessaire de former aux usages avant de former aux outils.

Or, il me semble lire ou entendre, dans les Business Schools comme dans  l’enseignement supérieur, des discours de surenchère ou de fascination. Pour Internet comme pour le reste, le « toujours plus » est, et sera toujours, l’ennemi du « toujours mieux ».

Apparence physique: le costume et le tailleur ne font pas le futur manager

« La beauté est une meilleure recommandation que n’importe quelle lettre », disait Aristote. Et le Moyen-Age nous a laissé l’adage : « L’habit ne fait pas le moine, mais il permet d’entrer au couvent. »  Plus récemment,  Johnny Halliday chantait « ma gueule, qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? ». La question des apparences est majeure, se retrouve partout, et nous poursuit, où que l’on soit et quoique l’on fasse. 

Au moment où se profilent les entretiens pour les concours ou les entrées en formation, un petit propos d’étape me semble intéressant. D’autant que la question connait un nouveau visage compte tenu de :

  • la montée en puissance de la présence de l’image avec Internet et les réseaux sociaux. En 2014 la photo circule partout et avec une accélération croissante, comme en témoigne le développement d’Instagram ou de Snapshat.
  • la revendication de reconnaissance. C’est le fameux quart d’heure de célébrité promis par Andy Warhol qui amène à la mise en scène de son soi le plus intime. C’est alors un jeu de comparaisons et de performance qui s’installe : Lady Gaga, Rihanna sont des icônes de ce jeu des apparences.

Paradoxalement, la question de l’apparence physique est peu traitée dans le monde du travail.  Elle figure au côté de 19 autres critères de discrimination. Mais si de nombreux travaux de recherche, d’actions en justice, de dispositifs légaux et réglementaires se sont intéressés à l’origine, au handicap, au sexe… peu de choses concernent directement l’apparence physique, qui est souvent traitée selon un autre angle. La boucle d’oreille pour un homme devient un problème d’homophobie, un tatouage ou des dreadlocks relèvent du fait religieux…

C’est quoi au fait l’« apparence physique » ?

On met sous le vocable « apparence physique » beaucoup de choses fort différentes : le poids, la couleur de la peau, les vêtements, le look, le comportement, les odeurs, la façon de parler, l’allure, les tatouages, les piercings… Un inventaire à la Prévert qui peut s’organiser en deux grandes catégories :

  • L’apparence « subie ». La couleur de peau, la couleur des cheveux, des imperfections ou des traits saillants dues à une maladie génétique ou un handicap, la taille entrent dans cette catégorie. On ne les choisi pas mais toutes ces caractéristiques physiques appellent souvent des comportements discriminatoires comme le rappellent régulièrement des enquêtes édifiantes.
  • L’apparence « choisie ». Elle renvoie à des caractéristiques que la personne a délibérément modifiées ou provoquées. C’est le cas de tout ce qui renvoie au « corps travaillé » , à savoir les tatouages, les piercings, le maquillage, la coiffure… On met aussi dans cette catégorie le poids (surtout le surpoids), la façon de bouger ou de s’habiller.

Les trois temps de l’apparence

Trois phénomènes concourent à faire de notre apparence un atout ou à un frein dans nos vies.

1) Les préjugés

Dès notre plus petite enfance, nous construisons notre rapport au monde en nous appuyant sur un processus de catégorisation, afin de mieux l’appréhender et de lutter contre sa complexité. Ce processus nous amène à construire des stéréotypes, qui ont valeur de repères mais pas de jugements. C’est l’étape suivante qui pose problème à notre « vivre ensemble » : celle qui conduit aux préjugés.

Un préjugé, c’est juger une personne ou un groupe de personnes sans les connaitre, sur la base d’informations non vérifiées, incomplètes… et moins on connait, plus les préjugés comblent les trous de cette connaissance insuffisante. C’est comme cela que nous pouvons penser, ou affirmer que « les Italiens sont des dragueurs », « les roux sentent mauvais », « les blondes sont idiotes », « une personne aux mains moites est une angoissée », « un gros est sympa », « un tatoué est un marginal »…

Il faut donc, et le plus tôt possible, en prendre conscience pour mieux les déconstruire et accepter les autres (comme soi-même) dans leur plus grande diversité et dans leur authenticité.

2) L’attractivité

visage

« L’attractivité » fait l’objet d’un large consensus sur une apparence donnée. Ainsi, de façon quasi universelle, est jugé attractif un visage symétrique, prototypique du genre sexuel, avec des traits moyens sans « points saillants ».  C’est donc cette attractivité (ou son absence) qui va jouer dans notre évolution en société et, particulièrement, dans notre vie professionnelle.

« Ce qui est beau est bon », c’est-à-dire que les personnes considérées comme attractives ont plus de chance de réussir professionnellement. Dans les salles de classe les enfants « mignons » sont plus souvent interrogés et mieux notés que ceux jugés plus disgracieux.  Les études montrent que les personnes attractives sont considérées comme plus sociables, plus indépendantes, plus agréables, plus sincères, moins timides, moins névrosées … mais aussi plus intelligentes, plus compétentes, plus qualifiées, plus convaincantes.

Les chiffres tirés d’observations dans le monde du travail sont là pour objectiver ces comportements que l’on peut qualifier de discriminatoires : la prime de beauté est de l’ordre de 12% en moyenne contre 5 à 10% en moins avec la « pénalité laideur ».  Autre chiffre : entre deux candidats de tailles différentes, 72% des recruteurs choisissent le plus grand.  D’ailleurs, les personnes qui occupent des positions hiérarchiquement élevées sont perçues comme plus grandes qu’elles ne le sont en réalité.

A l’inverse, la beauté peut être considérée comme un handicap pour les femmes attractives dans le cadre d’emplois traditionnellement associés aux hommes dans lesquels l’apparence ne compte pas.

 3) L’autocensure

Devant de tels consensus (non-dits), chacun se met en position d’autocensure et ne va plus chercher à se créer des possibles. Ainsi, les personnes se jugeant en surpoids ne vont pas aller vers des métiers de relation, ceux et celles qui se jugent disgracieux vont se refréner dans leurs ambitions professionnelles. Les tatouages vont être camouflés et les piercings enlevés pour aller à un entretien. Les handicapés s’assignent des métiers en fonction de leur handicap.

Le plus souvent, nous sommes nos pires ennemis, car nous préjugeons du regard que l’autre va porter sur nous. Et, bien souvent, nous polluons notre relation à l’autre avec des dénégations ou des justifications sur des points que nous estimons négatifs.

C’est un ainsi que 29 % des salariés ont le sentiment d’avoir été discriminé une fois ou l’autre pour leur apparence alors que les plaintes portées devant les tribunaux pour la même raison sont quasi inexistantes. Les cas patents de discrimination pour apparence physique sont également très rares et en général très sujet à polémique. Ils ont fait couler beaucoup d’encre, sans forcément de preuve avérée.

Quels sont les moments de la vie professionnelle les plus exposés ?

Si on reprend le cas de l’entretien de recrutement, on observe des choses souvent très étonnantes. Le recruteur, surtout s’il est mal formé, va s’arrêter à l’apparence : il va préférer le candidat qui lui ressemble. On va par exemple chercher à recruter des caissiers ou des caissières avec un « look » sportif dans une enseigne de sport alors qu’il est démontré que cela n’a aucun impact sur les clients.

Les postures vont être interprétées : les mains moites seraient un signe d’angoisse, les bras croisés un signe de retrait, l’absence de sourire révèlerait une personnalité peu empathique. Des « spécialistes » de ces prétendues interprétations sont apparus. Or, les recruteurs bien formés savent que c’est sur la compétence qu’il faut se concentrer, avec des questions et des éléments de preuve objectivables.

La promotion, ou tous les moments de négociation, sont également des moments critiques où la confiance en soi est essentielle et où l’autocensure est assassine. On observe que les hommes n’ayant pas une allure virile et les personnes en surpoids sont trop souvent écartées des promotions pour, respectivement  « manque de virilité » ou «  déficit de maîtrise de soi ».

Mes conseils aux candidats aux grandes écoles

 1) Ne vous focalisez pas sur votre apparence

Vous êtes le centre des regards du jury, c’est normal mais dites-vous qu’ils ne se cherchent pas à vous juger sur votre apparence. Il existe des petits trucs pour prendre la distance nécessaire. Imaginer vos interlocuteurs tout nus par exemple, ou encore recourir à la technique du sabotage que j’ai expliquée dans un autre post et qui fonctionne très bien (testée !).

2) Intéressez- vous à vos interlocuteurs

Cela passe par le sourire, le regard bienveillant sur les autres. En entretien : cela consiste à être dans une écoute et une orientation vers l’autre. Vous êtes en dialogue avec un jury qui ne vous veut pas de mal, mais qui veut comprendre qui vous êtes. A l’EM Strasbourg, nous faisons des briefings avec les jurys pour que les entretiens soient des conversations, et pas des évaluations.

3)  Fuyez les écoles où l’entretien est de 10 minutes

Quel que soit le professionnalisme des personnes composant le jury, en un temps si court, ils tomberont forcément dans les apparences. A vous de voir si ce jeu de dupes correspond à vos valeurs et de quoi il préjuge pour la suite de vos études.

4) Prenez de la distance avec les standards véhiculés par les médias

Soyez persuadé qu’on peut être apprécié, attractif, aimé sans être dans les « canons » de la beauté. Regardez les personnes dans leur diversité sans vouloir ressembler à des pseudo modèles.

5) Prenez du recul avec les « bons conseils » de votre entourage

Ils sont souvent issus des propres représentations des personnes qui les donnent. Non les hôtesses de l’air ne sont plus des mannequins. Oui, on peut travailler comme cadre dans une entreprise avec un piercing. Oui, on peut être performant sans cravate et l’on peut réussir son entretien sans être en costume ou en tailleur !

6) Soyez  respectueux de vos interlocuteurs

On ne vous rejettera pas parce que vous n’avez pas le « bon look », c’est votre compétence (ou votre potentiel de compétence), que l’on recherche avant tout  mais on appréciera l’effort de correction de votre allure, qui sera perçu comme du respect et de l’intérêt pour l’école qui vous reçoit. En clair, même avec le « bon look », être négligé ou sale sera rédhibitoire.

7) Ne vous déguisez pas

Soyez  à l’aise dans ses vêtements, avec votre coiffure, votre maquillage : si le costume cravate ou le tailleur vous étouffe, mieux vaut mettre un jean (peut être pas le favori tout troué) et un polo. Ne retirez pas obligatoirement vos piercings et vos boucles d’oreille s’ils font partie de vous. Vous allez bien les remettre ensuite ? Alors, pas de tromperie ou de faux semblants pour démarrer une relation …

8) Sachez dire que vous êtes mal à l’aise ou timide

N’hésitez pas à expliquer un point qui pourrait inquiéter le jury en assumant un point saillant : « oui, je bégaie un peu »,  « oui, je rougis facilement ». Assumez ! On vous considèrera comme lucide et plus fort.

9) Ne surjouez pas le « bon étudiant » ou le « manager à potentiel »

Cela risque de se retourner contre vous très vite : les jurys sont pros et veulent comprendre qui vous êtes vraiment. Ils cherchent des personnes authentiques.

10) Refusez les réponses toutes faites aux questions toutes faites

On vous demande vos vrais défauts et vos vraies qualités, pas celles de tout le monde ! Et ce qui importe, c’est la façon dont vous répondez, pas ce que vous dites !

11) Ne vous autocensurez pas

Vous êtes en surpoids, vous vous trouvez « moche », vous avez une imperfection physique … ce n’est pas la beauté que les écoles cherchent, c’est la compétence, le talent, l’adéquation à leurs valeurs, le reste n’est qu’apparence !

12) Sachez déclencher l’alerte

Si vous avez eu des interpellations qui questionnaient ou mettaient en cause votre apparence physique, en le faisant savoir vous rendrez service à d’autres et vous éviterez des mauvaises pratiques. Le « wistleblowing » a mauvaise presse en France mais c’est aussi une façon de faire évoluer les mentalités et les pratiques. L’EM Strasbourg a mis en place une ligne et un mail d’écoute pour prendre en charge des situations de difficulté ou de souffrance dues à des façons de faire qui ne sont plus tolérées et plus tolérables.

13) Regardez autour de vous

Les enseignants, les personnels, les professionnels que vous croisez en dehors de l’entretien ont-ils l’air bien dans leurs baskets ? Sont-ils divers dans leurs looks, leur comportement ? Et surtout, vous correspondent-ils ? Car il s’agit bien, à travers cet entretien, de choisir « votre » école, et pas celle qui en aurait seulement l’apparence.

14) Vous ferez bouger les lignes des préjugés

Demain, ce sera à vous de prendre le relais pour que l’apparence ne soit plus un poids dans le monde du travail : alors aidez-nous à bouger les lignes dès maintenant !

Bonus : la vidéo des entretiens à l’EM Strasbourg

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Femmes et hommes dans l’entreprise, les nouveaux défis

La manager et le philosophe

La manager et le philosophe.  Femmes et hommes dans l’entreprise: les nouveaux défis

Je suis très fière d’annoncer la parution de mon nouvel ouvrage « La manager et le philosophe. Femmes et hommes dans l’entreprise : les nouveaux défis », qui est disponible depuis le 8 janvier.  Ce livre correspond à ma conception de la recherche qui, loin des idées reçues, doit être en prise avec la réalité pour mieux la comprendre et la mettre en mouvement. Il permet de réaffirmer que les théories, les concepts, la connaissance, aident à penser, à mieux comprendre le monde qui nous entoure et à ne pas le subir. Il montre également qu’il existe un corpus de connaissance en management, que le management ne se limite pas au « faire » et à l’action comme on se plait à le dire, et  que dialoguer avec des sciences plus classiques est possible. Le livre présente aussi des convictions fortes sur d’autres façons de faire dans les entreprises et les organisations, le courage, le respect, l’exemplarité, la réussite … n’ont pas à rester sur leur seuil mais au contraire à s’y installer en toute légitimité.

Ecrire un tel ouvrage, c’est avant tout réfléchir et penser, ce qui constitue une pause vitale dans une vie professionnelle débordante et souvent débordée.  Cela a été tout simplement du plaisir, du dialogue et de l’échange avec le philosophe Yann-Hervé Martin, je l’en remercie sincèrement.

Sortir des idées reçues

Dans un contexte d’incertitude, de pertes de repères, chacun est amené à se poser des questions sur ce monde qui dysfonctionne. L’objectif de « La manager et le philosophe » est d’aider  à prendre du recul, de sortir des idées reçues, d’amener à se poser les bonnes questions pour mieux décrypter des situations qui se présentent à tous de façon quasi-quotidienne.

Qu’est-ce que « réussir » ? Pourquoi manquons-nous si souvent de courage dans le monde professionnel ? Comment travailler dans le respect ? Que signifie être exemplaire ? … sont quelques-unes des questions que nous nous sommes posés. Nous n’offrons aucune clé magique, ni de réponses toutes faites, mais plutôt un point sur les évolutions sociétales, des redéfinitions, des grilles de lecture, que chacun pourra s’approprier.

Un véritable dialogue

Nous avons voulu un véritable dialogue permettant  d’enrichir la réflexion, sans concession et sans langue de bois. Ce livre n’est ni un manuel de management qui pourrait donner de façon illusoire du « prêt à penser », ni un essai philosophique sur le monde du management, qui tournerait vite à la leçon de choses, pour ne pas dire de morale.

Le choix a été fait d’une entrée dans le vif du sujet  à l’aide de questions courtes, que chacun peut se poser, et qui permet au lecteur d’entrer dans la conversation sans avoir une lecture linéaire de l’ouvrage. Nous proposons à la fin de chaque chapitre une courte bibliographie qui permet à ceux qui le souhaitent de prolonger la réflexion.

Qu’avons-nous trouvé ?                       

Nous avons regardé, chacun avec nos lunettes (celles du philosophe et celles de la chercheuse en management) le monde de l’entreprise et nous y avons vu finalement la même chose : des femmes et des hommes pas seulement liés entre eux par un contrat, pas uniquement animés par le profit et le gain, mais des personnes avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs joies et leurs peines, leurs envies et leurs désillusions, leur engagement et leur démobilisation.

Nous avons aussi  cherché à comprendre comment il était possible de mener des projets communs ayant du sens pour le groupe comme pour chacun, dans un « bien vivre ensemble », sans renoncer ni à la performance, ni à l’exigence.

Des questionnements urgents

Les thèmes n’ont pas été choisis au hasard, ils correspondent aux attentes et aux questionnements les plus fréquents et peut-être aussi les plus urgents que nous identifions dans le monde du travail. Ils ont été traités de la façon la plus exhaustive possible, pour ne pas enfermer le lecteur dans un exercice de conviction. Il est évident qu’il peut y avoir des recoupements. Il peut y avoir aussi des manques, explicables par la nécessité de garder un volume raisonnable à cet ouvrage.

  •  Réussir sa vie : du « connais-toi toi-même » au coaching de soi

Tout le monde veut « réussir sa vie ». C’est très louable mais il faut se poser au préalable deux questions : 1/ de quelle vie s’agit-il ? ma vie professionnelle ? ma  vie personnelle ? ma vie sentimentale ? et 2/que veut dire réussir ?

A la première question, on constate que, maintenant, tout le monde veut tout réussir, ce qui occasionne une pression incroyable, encore exacerbée par les réseaux sociaux qui nous font entrer dans un jeu de comparaisons permanentes. A la seconde : réussir est devenu «être performant », en pensant qu’organiser le monde extérieur à son profit peut suffire ; ce serait trop simple et on voit bien que les plus belles réussites ne mènent pas au bonheur.

Il faut prendre du recul avec cette obligation de la réussite, et ne pas la confondre avec le bonheur. Sinon nous sommes condamnés à la frustration et à la désespérance, comme au recours à des propositions qui peuvent paraître performatives mais qui donnent surtout l’illusion qu’il est possible de se dispenser de l’obligation de comprendre ce que l’on veut vraiment.

  • Travailler ou s’épanouir : faut-il choisir ?

Le travail ne serait plus une valeur en soi. Les études montrent que sa part est de plus en plus relativisée par la famille, les loisirs, la vie sociale. Ce qui va de pair avec la diminution du nombre d’heures que nous lui consacrons (15 années de temps libre actuellement contre 3 années en 1900). Le travail est de plus en plus associé à la « souffrance au travail ». Et pourtant, les paradoxes sont importants : il reste central dans la construction de l’identité sociale, et on attend beaucoup de lui en termes d’épanouissement, et plus l’emploi est rare, plus le travail est décrié.

Pour comprendre, il faut bien distinguer le travail de l’emploi car c’est plutôt à ce dernier que les critiques sont adressées. Ce sont les conditions dans lesquelles s’exerce un travail qui sont aliénantes, pas le travail en soi. Entre désengagement et résistances, les réactions sont variées, mais ne répondent pas à l’attente forte de l’épanouissement au travail.  Cette exigence d’un métier épanouissant pour tous est naïve mais il est possible de rendre les conditions de l’exercice du travail plus humaines.

  • Le pouvoir et ses métamorphoses : du « bon chef » au « chef d’orchestre »

Les entreprises sont des lieux de pouvoir et de hiérarchie même s’il n’est pas revendiqué en tant que tel. Mobiliser ce concept permet de mieux comprendre les rapports humains dans le monde du travail. L’instinct de domination existerait en chacun de nous selon saint Augustin et, à sa suite, Pascal ou Kant. Il faut distinguer pouvoir et autorité. Le pouvoir est lié au statut, c’est la capacité à faire exécuter un commandement, alors que l’autorité est considérée comme l’attribut d’un individu et se définit comme sa capacité à exercer de l’influence et de faire prévaloir sa volonté sur les autres.

La perception du pouvoir a évolué et on est passé au cours des années de la vision d’un chef, à celle d’un leader pour, plus récemment, à celle d’un pouvoir plus participatif et plus polymorphe (ce qu’on nomme les parties prenantes). Il ne faut pas oublier non plus qu’il existe un pouvoir invisible et silencieux : le pouvoir informel, exercé par ceux qui n’ont pas de statut mais qui maîtrisent l’accès aux décideurs, à l’information, l’expertise.

Les managers d’aujourd’hui ont bien compris que l’autorité personnelle est plus importante que le pouvoir, et que, finalement, la véritable autorité est peut-être dans le lâcher prise ; comme quand le chef d’orchestre pose sa baguette et que l’orchestre continue à jouer.

  • La performance

La performance est consubstantielle aux projets des entreprises. Elle est à la fois succès, résultat mesurable et action. Il faut cependant prendre garde à ne pas se laisser aveugler par la performance car elle peut être contreproductive : ainsi Jérôme Kerviel ou Lance Amstrong ont été, chacun dans leur domaine, très performants !

La RSO (Responsabilité sociétale des organisations) pense la performance globale des organisations en ne dissociant pas le durable, l’économique et le social. Sortir de l’évaluation purement quantitative de la performance est également indispensable.

Tant la philosophie que le management constatent qu’on ne peut pas longtemps être performant seul : que serait un orchestre si chaque musicien voulait jouer sa partition en se mettant seul en avant ? Une cacophonie ! Le recours à la motivation, souvent mobilisée en management comme constitutive de la performance, est également réducteur. Ce serait par manque de motivation que les salariés ne seraient pas performants. La réalité est plus complexe.

Pour renouveler notre regard sur la performance savoir faire des pauses pour penser l’action, comme savoir guetter le moment opportun pour agir sont deux recommandations essentielles.

  • Le courage : vertu ou compétence managériale ?

Les mots « courage » et « courageux » sont peu utilisés dans le discours du management.  Qu’est-ce que le courage ? C’est agir en situation d’incertitude et en ayant conscience des risques pris. Cela correspond bien à des attitudes de dénonciation de pratiques que l’on désapprouve, ou encore au courage d’entreprendre, au courage d’innover et de conduire le changement ou encore au courage de la transparence en management.

Le courage est une vertu cardinale en philosophie et issue du champ militaire, mais le concept a évolué et les philosophes considèrent que le courage est surtout celui d’affronter ses propres lacunes et faiblesses.

Il faut bien admettre que l’entreprise est souvent le lieu de manque de courage qu’on peut qualifier d’irresponsabilité managériale et qui se manifeste par le déni, le mensonge, la dissimulation ou l’oubli.  Mais attention, trop de courage peut transformer la vertu en vice et devenir de l’inconscience ou de l’insouciance. De même on peut être courageux sans être vertueux, il y a des salauds courageux !

La philosophie comme le management pensent qu’on peut apprendre à être courageux. Il faut que le management pousse au sens critique, ouvre des zones de dialogue, dans un contexte de responsabilité et valorise d’avantage l’échec, pour favoriser les conduites de prise de risques.

  • L’exemplarité : le manager n’est pas un héros

Donner l’exemple, prendre exemple, être exemplaire sont à la fois des comportements qui ne se limitent pas à l’entreprise – on les retrouve ainsi dès la plus petite enfance – mais dans lesquels on peut voir les fondamentaux du management.

Ils interrogent deux pratiques établies que sont la transmission et le rapport à la norme. La transmission en bousculant l’idée qu’elle ne peut se faire que de façon théorique et du haut vers le bas. Le rapport à la norme, car pour prendre exemple, il faut savoir aussi cultiver une distance critique et interroger les valeurs, les procédures, les fameuses « bonnes pratiques ».

L’exemple ne peut se limiter à l’imitation. Or, il faut reconnaitre que, trop souvent, on se contente de répéter ce qui se faisait sans s’embarrasser de remise en cause ou de questionnement.

Il existe en management des figures exemplaires, mais qui, finalement sont trop inatteignables pour avoir valeur d’exemples : on peut penser à des grands chefs d’entreprise comme Bill Gates ou Steve Jobs. Comme les leaders, les figures du « chef » ou du « mentor » marquent leurs limites en matière d’exemplarité. Le statut comme la bienveillance n’impliquent pas automatiquement l’exemplarité.

Il est important que chacun, en ayant l’humilité de percevoir et de reconnaitre les qualités de personnes de son entourage, se forge ses propres exemples, de façon plus modeste mais plus concrète et plus atteignable.

  • Le respect

Le respect et devenu un véritable mot de passe de nos sociétés alors qu’on constate une montée de plus en plus forte de l’irrespect, souvent nommé « incivilités ». Le respect est devenu un terme « fourre-tout »revendiqué dans toutes sortes de situations. Il faut tout respecter, les hommes, les lois, les procédures, le matériel, l’environnement. Ces injonctions sans hiérarchie laissent dubitatif.

Respecter, c’est veiller à préserver ce qui a de la valeur, et ce qui a de la valeur n’a pas de prix. Finalement, tout converge vers le respect à la personne. Comme l’a écrit Kant : « Traite toujours ta personne et celle d’autrui toujours en même temps comme une fin, et jamais seulement comme un moyen ».

Il faut cependant distinguer respect et estime : si on doit le respect à tous ses collègues ou collaborateurs, on a souvent de l’estime que pour certains. En effet comme Pascal, nous distinguons ce qui est le respect dû au statut, et celui dû à la personne.

La question du respect renvoie aussi aux règles et, dans les entreprises, on constate que seules sont véritablement respectées celles que les personnes se sont appropriées. Sans cela, on obtient au mieux de la tolérance, c’est-à-dire accepter ce qu’on pourrait empêcher.

Si le respect est essentiel, la reconnaissance de chacun est vitale et le manager est durement interpellé par des salariés qui manifestent cette soif de reconnaissance, non pas limitée à la récompense mais bien celle qui passe de personne à personne. La reconnaissance est le défi le plus important du management dans les années à venir. C’est l’objectif du « management de la diversité » qui se construit sur la reconnaissance de l’autre dans sa différence, un management qui porte un regard bienveillant sur autrui, non pas sur ce qu’il a de spectaculaire mais ce qu’il a en lui de fragile. On travaille mieux quand on se sait respecté, on manage mieux quand on est respecté, tout simplement.

J’espère vous avoir donné envie de prolonger cette réflexion. Bonne lecture !

5+1 pistes pour améliorer le service rendu aux étudiants en France

Comment améliorer l’enseignement supérieur en France?  C’est la question à laquelle je vous propose de réfléchir en analysant notre enseignement supérieur comme une activité de service. J’ai en effet déjà évoqué la question de la faillite du service en France, – explicable par une culture de la stratification sociale et du statut qui assimile facilement le service à la servitude- et celle du service attendu par l’étudiant.

Je retiens cinq pistes pour avancer dans cette réflexion. Des pistes car il n’y aura pas de « grand soir » de cette rénovation de l’enseignement supérieur. Comme le disait Michel Crozier, On ne change pas la société par décret.

1) L’enseignement cross canal: un nouvel équilibre

La relation cross canal – qui intrique le présentiel en cours et le virtuel via les réseaux sociaux, les applications smartphones ou les sites de ressources- , fonde de nouveaux équilibres entre enseignants et étudiants, comme elle a fait basculer le pouvoir du prestataire vers le client dans de nombreux domaines. Ainsi, le client arrive souvent au point de vente beaucoup mieux informé que son vendeur des promotions du jour, de la qualité des produits, des prix pratiqués dans d’autres magasins, ou par d’autres enseignes (1). N’a-t-on pas parfois le même sentiment quand des étudiants se sont informés du thème traité en cours (ou le font sur place) ?

Interdire les ordinateurs ou les connexions wifi en salle de classe relève d’un combat d’arrière-garde. Il faut apprendre à faire avec, et former les enseignants à pouvoir affronter ces nouvelles exigences, ces nouvelles attitudes des étudiants. Pour cela, il faut :

  •  que les enseignants aient les mêmes ressources et compétences informatiques à leur disposition, ce qui est loin d’être encore le cas ;
  • et qu’ils aient compris le rôle qu’ils pouvaient jouer en salle de cours, non plus un rôle d’enseignement classique, mais celui d’écoute, de reformulation, de conseil.

Les salles de cours ont encore de très beaux jours devant elles, à condition que les enseignants sachent renouveler leurs discours et la relation avec leurs étudiants. C’est dans ces contacts qu’on nomme aussi « moments de vérité » en marketing des services, que va se jouer la différence d’un cours à l’autre. C’est cette relation minuscule mais incarnée qui permet d’être distinctif dans son enseignement.

Certains ont bien avancé sur le sujet, mettant l’accent sur le conseil, la démonstration, la socialisation, toutes stratégies qui apportent de la valeur au présentiel. Internet devient l’instrument du trafic dans les écoles et même dans l’Université, surtout pour nos étudiants internationaux. Encore faut-il bien accueillir ces étudiants et être à la hauteur des promesses faites sur la toile.

 2) La gestion des incivilités

La montée en puissance des incivilités dans la société ne fait que croitre face à des entreprises ou des institutions qui ont du mal à la contenir. L’enseignement supérieur, pour le moment moins soumis au problème que les écoles, collèges ou lycées, est néanmoins souvent désarmé pour remédier à la situation. Je pense aux comportements qui  parasitent les cours : conversations, textos, lecture ostensible de journaux, prise de nourriture, retards, déplacements, utilisation de l’ordinateur portable pour un usage sans rapport avec l’enseignement …

Or les enseignants et les personnels administratifs ne sont pas formés à affronter des comportements incivils, et peuvent développer des pathologies professionnelles de souffrance assimilées aux risques psycho-sociaux. Cette souffrance peut se retourner contre la personne (ce qui se traduit par des arrêts maladies pour des causes diverses), mais aussi contre l’ensemble de la communauté des étudiants, qui pourra être, à son tour, et sans discernement, maltraitée.

Les études montrent que ce n’est pas forcément l’intensité de l’incivilité mais plutôt sa fréquence qui augmente la criticité de ces situations. L’enseignant est donc amené à gérer ces comportements déviants pour éviter la dégradation « perçue » de son cours. C’est par la formation seulement que peut se construire la capacité à réagir à de telles situations. Ce sont autant de thèmes que nous traitons sous forme d’ateliers de qualité pédagogique à l’EM Strasbourg.

3) Le dilemme du « bon prof »

Une autre problématique s’impose, c’est celle du conflit entre l’identité professionnelle de l’enseignant et ce que les étudiants attendent de lui. En effet, les politiques d’évaluation des cours ont donné les clés à l’étudiant, trop souvent sans conditions de réciprocité. La qualité de l’enseignement est livrée à son jugement avec les enquêtes d’évaluation qui, souvent mal construites, visent plus l’enseignant que le contenu de son cours. Tout cela alimente le malaise de l’enseignant qui se sent attendu sur des qualités qui ne sont pas celles qu’il a identifiées comme son cœur de métier : amabilité, anticipation, adaptabilité, animation…

Les choses se compliquent quand on observe que la satisfaction des étudiants est plus forte avec des enseignants qui se sentent eux-mêmes en porte-à-faux avec la façon dont ils voyaient leur métier. « Faire du show », « de l’entertainment » en cours, paie auprès des étudiants, mais n’est pas facile à assumer. La solution retenue à l’EM Strasbourg est de mettre en place des formations à l’apprentissage afin d’« éduquer » les étudiants à apprendre.

4) La tension entre normalisation et individualisation

Le grand dilemme des institutions d’enseignement supérieur est de réussir à articuler une stratégie « production line » c’est-à-dire préserver de la qualité à tout moment et partout de façon homogène, et une stratégie d’empowerment, à savoir de formation et de développement personnalisé edes personnels et des étudiants (2). Les tensions sont fortes entre la normalisation des enseignements d’une part et l’attente des étudiants pour des enseignements adaptés à leurs besoins de la façon la plus individualisée possible d’autre part. Elle est également forte entre cette normalisation et l’injonction faite aux enseignants d’être créatifs et innovants. On frôle bien souvent le double discours auprès des étudiants et la double contrainte pour les enseignants.

Par ailleurs, les systèmes d’accréditation venant du monde anglo-saxon font que la qualité n’existe plus sans être mesurée, alors que des pays comme la France travaillaient avec d’autres conceptions pédagogiques fondées sur le « trend » et l’intention. Il y a une réflexion à mener sur cette globalisation uniformisante de l’enseignement supérieur, qu’accentue encore le phénomène des MOOC.

Il est évidemment beaucoup plus difficile de jouer l’équilibre délicat entre qualité pour tous et individualisation de la relation quand les effectifs sont importants. Une promotion de 500, 600, 1 000 étudiants condamne au mieux à faire de la qualité normalisée et écarte toute possibilité de faire du « sur mesure » comme sont en droit de l’attendre les étudiants.

Je suis toujours étonnée de voir que, dans toutes les enquêtes, la première attente des salariés est la reconnaissance, pourquoi nos étudiants, à quelques mois du monde du travail seraient-ils exclus de cette revendication ?

5) Penser la globalité du service à l’étudiant

La salle de cours et l’enseignement sont bien sûr le cœur du « service » enseignement mais ne constituent que le minimum attendu. Les services périphériques comme l’insertion professionnelle, l’internationalisation des cursus ou la vie associative vont entrer dans le périmètre d’exigence des étudiants. Ce sont alors toutes les équipes administratives qui entrent en jeu avec les mêmes enjeux de qualité, d’assistance, de service auprès d’étudiants qui peuvent se montrer de plus en plus exigeants et revendicatifs. C’est donc avec ces collaborateurs que se construit le « service à l’étudiant », sans l’assimiler à la servitude telle que nous l’avions décrite.

Il faut aussi penser « service élargi » en prenant en compte le logement, le transport, tout ce qui fera la vie quotidienne de l’étudiant, et là, ce sont les parties prenantes de l’institution d’enseignement (école ou université) comme la ville, la communauté urbaine, la région, les associations, les entreprises, qui jouent un rôle essentiel.

Il faut aimer ses étudiants !

En guise de conclusion, je rappellerai un basique de la relation de service : l’importance d’aimer celui ou celle à qui on s’adresse. Je pose cette question simple : « Les institutions d’enseignement supérieur aiment-elles leurs étudiants ? »

Et ensuite, je reprendrai cette phrase de Freud : « Comment puis-je aimer les autres si je ne m’aime pas moi-même ? ». S’il est essentiel dans toute relation de service d’aimer celui auquel on s’adresse, une relation de qualité ne peut se nouer sans s’aimer soi-même. Les enseignants et les personnels de l’enseignement supérieur doivent avoir une estime de soi suffisante pour aimer leurs étudiants. Travailler sur les 5 axes de mon analyse permettrait certainement de répondre plus positivement à ce double questionnement.

 (1) « La déviance du client : un phénomène en émergence », Barth, I. et Bobot, L., Humanisme et Entreprise, Janvier 2012.
(2) Empowerment : processus par lequel un individu ou un groupe acquiert les moyens de renforcer sa capacité d’action, de s’émanciper.

Mesdames, osez être incompétentes, c’est la clé de votre succès!

« La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. »

Personne n’a mieux résumé que Françoise Giroud  la question de l’inégalité dans le milieu professionnel. Elle nous rappelle que le pouvoir dans les milieux économiques, politiques, militaires est détenu par les hommes. Et observe que les femmes n’y ont pas accès sauf à être « hyper-compétentes ». Enfin, elle sous-entend que les hommes qui occupent ces postes n’ont peut-être pas eu la même exigence de compétence.

En cette première semaine de l’égalité professionnelle, on pourrait croire que les choses évoluent dans le bon sens. Pourtant les chiffres sont têtus, qui chaque année mettent en lumière les écarts de salaire entre hommes et femmes à carrière égale. En résumé : « Tout change mais rien ne change. »

Toutes les études menées valident trois points :

  • le fameux « plafond de verre » ne permet pas aux femmes d’évoluer dans la prise de responsabilité;
  • les modalités d’accès au pouvoir valorisent bien d’autres choses que la seule compétence. On peut citer les réseaux informels ou hors de la sphère professionnelle qui favorisent les accointances masculines;
  • les femmes ont besoin de se sentir complètement légitimes et qu’un regard extérieur le leur confirme pour accepter (elles n’exigent que très rarement) de monter dans la hiérarchie.

C’est là qu’il faut savoir dire aux étudiantes (en école de management mais pas  seulement) et aux femmes déjà en poste dans l’entreprise :

« Mesdames, mesdemoiselles, pour progresser dans vos carrières : osez être incompétentes. »

L’injonction est pour le moins paradoxale et peut sembler incongrue : il faudrait être mauvaise, inefficace, mal faire son travail pour réussir ? Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est presque cela. Mais seulement presque …

Apprendre de nouveaux comportements

Je m’inspire librement de la méthode de la « solution bizarre » du Mental Research Institute de Palo Alto (1). Selon celle-ci, le changement peut être conçu comme une modification des comportements, on peut en conséquence produire des changements en apprenant de nouveaux comportements.

Pour les chercheurs du Mental Research Institute , « nous faisons nous-même notre malheur » en nous efforçant de reproduire des solutions qui se sont montrées efficaces par le passé mais qui ne correspondent plus à nos attentes et alors que notre contexte de vie a changé. Il faut donc  modifier notre vision du problème.

Il s’agit de passer d’un changement de « type 1 » c’est-à-dire qui reste dans la même vision du monde, à un changement de « type 2 », qui permet de voir les faits autrement et de changer leur signification. Parmi les techniques proposées pour y parvenir, je retiens celle du sabotage.

Optez pour le sabotage !

Le sabotage, c’est agir de façon délibérément maladroite et inefficace, en jouant sur le terrain de l’indifférence, et de voir ce qui change avec cette nouvelle façon de faire. Le regard des autres sur nous est-il différent ? Surtout, notre rapport au monde (c’est-à-dire à nos collègues, à notre projet professionnel, à notre hiérarchie…) évolue-t-il ?

Prenons un exemple. Vous avez un document à rendre pour le lendemain matin 9 heures. D’ordinaire, vous annulez votre soirée, vous passez une nuit blanche pour rendre le « rapport des rapports » à l’heure dire, épuisée mais satisfaite de vous être surpassée. La suite peut être variable selon le contexte et les personnes : félicitations, quelquefois, mais bien souvent le rapport a été seulement survolé et d’autres propositions faites par oral ou venant de canaux moins officiels ont été retenues. Quand votre rapport n’est pas récupéré par un N+1 ou N+2 qui s’attribuent vos idées…

La technique du sabotage consiste à renoncer à cette supposée perfection et à arrêter avant de l’atteindre, en partant du principe que 80 % ou 90 % de la qualité est largement suffisant et que les 10 ou 20 % supplémentaires pour atteindre le 100% sont de la sur-qualité n’apportant pas de bénéfices supplémentaires pouvant justifier l’énergie et le temps consacrés, sans parler du stress généré. On peut aussi ajouter que plus l’investissement est grand plus l’attente sur le retour est importante. Si ce retour n’est pas fait, c’est la frustration, le dégoût, la rancœur qui sont au rendez-vous.

Modifiez vos critères d’exigence

Que constate-t-on ? Le plus souvent le sabotage passe complètement inaperçu, et vous aurez bien eu raison d’être incompétente… Quelquefois il est repéré mais, si l’indifférence est bien de mise, c’est l’autre ou les autres qui feront ce que vous avez refusé délibérément de faire. Ce qui est le plus important, c’est que vous aurez modifié vos critères d’exigence et vos croyances quant à votre légitimité.

Essayez et vous verrez que le delta incompétence ou imperfection n’aura même pas été repéré et vous aura évité de la fatigue, de l’énervement, vous permettant d’allouer votre temps et votre énergie ailleurs. Le « sabotage » vous aura peut-être aussi permis d’éviter une autre situation très pénalisante : celle de ne PAS rendre le document. C’est un des risques de vouloir être au top : ne pas pouvoir finir car ce n’est jamais assez bien. Or un bon rapport est avant tout un rapport rendu.

Un autre exemple peut concerner l’apparence qui est très souvent associée à la compétence. Partez un matin sans vernis sur les ongles, sans avoir coordonné parfaitement votre tenue, en ne mettant pas de ceinture à votre pantalon… Ce petit sabotage (car vous auriez pu le faire) fait-il changer le regard de votre entourage professionnel sur vous ? Surmonter cette petite épreuve pour votre égo perfectionniste sera salutaire pour mieux comprendre que le renoncement à la perfection n’est pas l‘ennemi de votre progression professionnelle. Au contraire, vous gagnez du temps pour autre chose, vous apprenez à lâcher prise, vous n’êtes plus systématiquement dans le jugement de l’autre et à la quête de la légitimité qu’il vous accordera.

Apprendre à être légitime

Ne plus être à la quête de la légitimité, demander une promotion, une hausse salariale, de meilleures conditions de travail n’est pas une évidence pour la grande majorité des femmes. Dans le même temps, leurs compagnons, leurs collègues hommes, se posent moins de questions et avancent, reproduisant les codes appris et qui ont si bien fonctionné jusqu’à présent.

Les femmes doivent apprendre à être légitimes d’emblée, comme les hommes, sans atteindre la permission pour avancer ou la validation de leur compétence. Cette confiance en soi, cette affirmation de soi sont bien sûr des variables individuelles. L’éducation joue aussi beaucoup et que d’emblée l’on pousse les petits garçons à avancer sans se poser trop de questions, alors que les filles sont incitées à la modération, à la prudence, au mérite …

C’est donc plus tard qu’il leur faut apprendre à reconfigurer leur logiciel intérieur, à s’obliger à voir leur place dans le monde différemment. A opérer un changement de « type 2 ». Et la technique du sabotage, de façon modeste et quotidienne peut être une façon de conduire ce changement.

(1) La solution bizarre s’inscrit dans le cadre de la théorie du changement et est issue des travaux de trois chercheurs : Paul Watzlawick, John Weakland et Richard Fisch. 

Osons parler du service proposé aux étudiants en France

Immatériel, non stockable, se consommant quand il se produit, et évaluable uniquement lorsque la prestation est terminée, l’enseignement entre dans la catégorie des services. Toute l’analyse critique que j’ai pu faire du service en France peut (et doit) donc s’appliquer à l’enseignement supérieur.

Les structures  (bâtiment, matériel mis à disposition) et les personnes, particulièrement les personnes « au contact » dont j’ai déjà parlé, permettent d’évaluer a priori la qualité du service et donc de la formation que l’étudiant recherche. Elles vont permettre de tenir la promesse faite et donc d’éviter toute déception.

A l’heure où des indicateurs quantitatifs permettent d’établir des classements d’établissements, je vous propose de nous extraire de l’évaluation de la formation en tant que telle et de nous concentrer sur les « périphériques », c’est-à-dire les services qui entourent les cours proposés. Ils  sont loin d’être anecdotiques car ils conditionnent toute la chaîne de la valeur d’un établissement. Et en la matière le diable se cache dans les détails.

Que vous soyez professeur, personnel administratif, étudiant ou parents d’étudiant  je vous propose quelques pistes de réflexion en forme de « quizz ».

Les différents niveaux de service

L’information

Quelle est la qualité du site institutionnel ? Comment se passe l’accueil présentiel ? L’étudiant se sent-il le bienvenu et pris par la main pour avancer dans sa prise d’information ? Ou bien se retrouve-t-il dans un maquis d’information, avec le sentiment d’un monde hyper-complexe dont on ne veut pas lui donner les codes ?

L’inscription

La procédure est-elle simple, bien accompagnée, bénéficiant d’une assistance en cas de problème ? Ou faut-il avoir son doctorat en sciences de l’information pour suivre les méandres des processus d’inscription, tant les documents exigés et la multiplicité des étapes sont nombreux et impliquent de ne compter que sur la débrouille et l’entraide entre pairs ?

L’accueil

L’information touchant à l’organisation logistique (planning, locaux) est-elle anticipée et lisible ? Les moyens offerts par Internet sont-ils utilisés pour que chaque étudiant soit informé en temps et en heure de ce qui le concerne ? Ou bien le bon vieux tableau d’affichage reste-t-il  le recours ultime pour apprendre que le cours a été déplacé ou annulé ?

La vie dans l’établissement

La qualité des salles de cours, mais aussi des locaux communs, des lieux de restauration, des toilettes est-elle impeccable ? Ou est-elle alignée sur le tarif payé pour la formation, c’est-à-dire que seuls les « VIC » (« Very Important Customers ») peuvent espérer avoir des prestations correctes ?

L’accès à la documentation est-il possible 24h/24 avec des plages nocturnes ? Ou est-il conditionné par les horaires des personnels trop rares qu’on peut encore financer sur des budgets de plus en plus limités ?

Les cours et les services support

Les  professeurs déclinent-il leur identité, proposent-ils un numéro ou un mail de contact ? Sont-ils à l’écoute des attentes et des critiques le cas échéant ? Annoncent-ils les modalités d’évaluation dès la première séance ? Proposent-ils un accès à leurs supports et à des ressources complémentaires ? Ou bien se limitent-ils à la prestation de cours présentiel ?

Enfin, comment les services supports (scolarités, relations internationales, stages) accueillent-ils les étudiants ? Quels sont leurs horaires d’ouverture ? Leur délai de réponse ?

Obtenir la moyenne

Pour avoir fréquenté beaucoup d’établissements d’enseignement supérieur, admettons que peu atteindraient la moyenne sur l’ensemble de ces éléments constitutifs de la qualité de la prestation pour les étudiants. On me rétorquera que l’important est que les cours soient de bon niveau, mais si cette condition est évidemment nécessaire elle ne peut être suffisante.

Il est important de se dire que l’enseignement est un service qui, pour être de qualité et attractif pour les étudiants, notamment étrangers, doit savoir travailler sur l’ensemble de ces points. La gratuité ou les faibles niveaux de la scolarité ne peuvent justifier une propreté douteuse, du matériel hors d’âge, des systèmes d’information défaillants, des personnels manquants ou trop peu présents, des accès à la documentation limités, des services insuffisants dans l’appui à l’insertion ou à la mobilité, des enseignants pas ou peu impliqués …

Le tourisme est un secteur essentiel pour la réputation internationale de la France et sa bonne santé économique. Il en est de même de son enseignement supérieur, il est important de tenir les promesses faites.

Service client : comprendre le blocage français

Chaque année, pour ceux d’entre nous qui sont partis en voyage à l’étranger, retrouver à la sortie de l’avion le « service  à la Française » constitue une petite douche froide.  Evidemment, le plaisir encore présent des vacances, la perspective peu réjouissante de reprendre le travail peuvent brouiller les ressentis, mais, admettons qu’il est difficile, voire impossible, avec la meilleure volonté du monde de poser un regard positif sur le « service à la française ».

Bienvenue en France!

« Les valises n’arrivent pas, bienvenue en France ! » Les réflexions fusaient autour de moi en attendant (vainement) mes bagages en compagnie de Québecois et d’Américains qui venaient passer leurs vacances en France et débarquaient à Paris !  Ces critiques –auxquelles j’étais bien en peine de trouver des contre-arguments- me font penser à une étude menée dans une entreprise de service auprès de personnels « au contact » des clients. « Je suis vendeur pas larbin », avait lâché un jeune homme en réaction aux différentes tâches périphériques qu’il devait assurer pour « rendre service » au client.

L’incroyable paradoxe c’est que l’industrie du service est depuis quelques années le fer de lance de la France qui a mené résolument une politique « fabless » (sans fabrication). La France est ainsi le premier pays d’accueil touristique dans le monde. Voilà une activité de service typique ! Les enjeux en termes de développement économique sont donc énormes.

C’est le contact qui compte!

La caractéristique du service est d’être intangible et non stockable. On ne peut véritablement l’évaluer qu’après l’avoir consommé. Cette immatérialité augmente ce qu’on appelle le risque perçu, c’est-à-dire l’anticipation de  payer trop cher (risque financier), de se tromper (risque psychologique) ou d’acheter un mauvais service.  Pour rassurer le prospect, il va donc falloir « matérialiser » le service : éditer des plaquettes, le proposer en « box » (séjours, loisirs, restaurants…), imaginer des supports pédagogiques. Il faut aussi travailler les structures physiques de contact ou d’accueil car les locaux représentent aux yeux du prospect le service qu’il vient chercher.

Au sommet de cette pyramide de la matérialisation figurent évidemment l’humain, en l’occurrence  ceux qu’on nomme maintenant les « personnels au contact ». C’est avec eux que se construisent la distinction et l’attractivité du service. La relation client repose en tout ou partie sur leur façon de se comporter, de réagir, leur empathie, leur désir d’aider et d’accompagner le client.

Dans un monde qui a joué la carte de la désintermédiation et de la virtualisation des contacts, on se rend compte maintenant que le client aspire à remettre de l’humain dans le process. J’ai ainsi pu montrer que le rôle des caissières est indispensable aux grands seniors dans les supermarchés. De même les acteurs de la téléphonie ont vite investi des points de vente. Et on attend le come back de la boutique de quartier, même si elle tarde à se réinventer.

Le transport aérien ou ferroviaire, les aéroports, la banque-assurance, les administrations, les services à la personne… J’ai beaucoup travaillé sur la relation client et sur ceux qu’on nomme les « personnels au contact » de grandes entreprises qui veulent améliorer leur qualité de service. Alors comment expliquer les lacunes françaises?

Service ou servitude?

Qui dit relation de service dit interaction sociale et, parfois, divergence d’intérêt, donc rapport de force et potentiellement conflit. Il faut donc envisager la prestation de service sous l’angle du pouvoir. Ceci est particulièrement vrai dans le contexte culturel français où la place des individus dans la société est liée à la notion de statut.

C’est ce que nous explique Philippe d’Iribarne dans son ouvrage La logique de l’honneur. En France, nous dit-il, il y a un clivage permanent entre ce qui est noble et ce qui est vil et il n’y a qu’une frontière très fragile entre service et servitude. D’où la difficulté très forte à développer la notion de service, ce qui est très différent d’un pays comme les Etats-Unis où la relation est fondée sur le contrat (« un accord momentané et libre entre deux volontés », disait Tocqueville) et où le prestataire de service ne se sent en aucune façon, inférieur.

En France, où la stratification sociale est fondée sur le rapport de classe, « rendre service », qui est un acte choisi et valorisant, se transforme très vite en « être au service », avec toutes ses dimensions de contrainte. Dans ce cadre, tout l’enjeu des personnels au contact des clients est donc ne pas  subir et de préserver le périmètre de leur prestation pour ne pas entrer dans la servilité ou la servitude. Il s’agit de rester dans le champ du service et ne surtout pas entrer dans celui de la subordination.

Le client a pris le pouvoir!

La vision classique de la sociologie du service (Weber, Halbwachs, Merton, Pearsons …) repose sur l’idée que le prestataire détient les ressources et dispose d’un pouvoir vertical. Il est en situation de domination car il possède le savoir (on peut penser au médecin), le statut (le professeur), un pouvoir arbitraire de décision (le juge). Dans ce cadre, le client devient souvent un « usager », sans droit à la parole.

Mais les choses ont en réalité bien changé ! Depuis quelques années, il y a véritablement une prise de pouvoir du client. Le client n’est plus le même. Zappeur, il est surtout de plus en plus mature et informé. Sa capacité à comparer un service immédiatement et avec le monde entier s’impose aussi aux personnels en contact. Ensuite, comme l’entreprise a voulu mettre le client « au travail », lui déléguant les tâches ingrates ou sans valeur ajoutée (c’est vous qui gérez votre compte en banque), celui-ci a compris les codes du service et ne s’en laisse plus conter, n’hésitant pas à avoir recours à des instances de justice.

Enfin, le client est devenu aussi beaucoup plus incivil, agressif, développant des comportements qui mettent en difficulté les entreprises: dégradation des lieux ou de l’atmosphère de l’endroit où est dispensé le service. Un phénomène renforcé par le catéchisme de l’entreprise sur  l’ « orientation client », c’est-à-dire l’alignement sur ses attentes, sans subtilité ni nuance, accentuant encore le sentiment de servitude des personnels au contact.

L’entrée en résistance du personnel au contact des clients

Ayant perdu son statut, astreint à un cahier des charges souvent plus que limité – je pense aux « scripts clients », c’est-à-dire les paroles à prononcer strictement pour accueillir ou dialoguer avec lui-, le personnel au contact va alors développer des stratégies ou des tactiques pour ne pas subir et sauvegarder ses marges de manœuvre. Le problème est que ces comportements de défense dégradent le service rendu et mécontentent le client, au détriment de l’image de l’entreprise.

Je retiens quelques comportements observés lors de mes recherches :

  •  la neutralité : il s’agit de revêtir le masque et de dépersonnaliser la relation, en se cantonnant à la prestation stricto sensu. C’est la caricature de l’attitude bureaucratique, se réfugiant souvent derrière le règlement, qui s’explique souvent par la volonté de désengagement et se traduit par un refus du contact pour cause de ras-le-bol, fatigue, volonté de résistance.
  •  l’évitement qui se traduit par le « je ne vous vois pas ».  Cette attitude est typique de la file d’attente qui s’allonge alors que le prestataire vaque à d’autres occupations qui requièrent visiblement toute sa concentration et lui interdisent de voir les gens qui attendent. Variante : il peut se concentrer de façon exagérée sur la personne dont il s’occupe sans donner aucun signe aux personnes en attente. Il dresse ainsi un voile protecteur entre lui et ses clients.
  •  la protection par le groupe : les prestataires vont interagir entre eux, de façon ostentatoire, manifestant soit du mécontentement (les plaintes sur les conditions de travail ou vis-à-vis du management), soit des plaisanteries et des connivences, montrant bien au client qu’il ne fait pas partie du cercle.
  •  la catégorisation : le prestataire développe une vision de ses clients par catégorie, il  présuppose leurs futurs comportements sur des critères qu’il a identifiés au fur et à mesure de son expérience. Il va alors anticiper en adoptant un comportement qu’il estime adéquat. C’est ainsi qu’une personne jugée par avance arrogante va pouvoir être remise à sa place avant même d’avoir ouvert la bouche. Le bénéfice attendu est de réduire l’imprévisible, de s’économiser aussi, tout en maintenant le client à distance.
  •  l’éducation : pour éviter le sentiment de servitude, la personne au contact refuse systématiquement de faire ce que le client peut faire seul. Ce sera, par exemple, lui expliquer longuement comment remplir un formulaire, plier un carton ou trouver une information, plutôt que de le faire à sa place. Rendre service oui, être au service non.
  • la soumission  : il s’agit de faire rentrer le client dans le rang, la pratique est alors paradoxalement la politesse exagérée, qui permet à la fois de garder la distance et de rappeler qui a le contrôle. Plus  le client conteste ou s’énerve, plus cette politesse va être accentuée, évitant de sortir des règles assignées tout en interdisant au client de se plaindre du comportement (« vous ne pouvez pas me reprocher de vous avoir manqué de respect »).

Après avoir observé et cherché à comprendre et expliquer, je proposerai dans mon prochain billet des pistes de solutions pour faire évoluer la situation.

Et si on parlait des managers irresponsables ?

La responsabilité sociétale des organisations (RSO) est sans conteste le nouveau paradigme du management en ce début de XXIe siècle. Cette aspiration à une entreprise plus responsable dans les domaines de l’économie, de l’environnement et du social se décline au sein des équipes avec la promotion d’un “management responsable”. Des managers qui exercent leurs fonctions de façon éthique, respectueuse de l’environnement, et qui sont capables de gérer la diversité de leurs équipes.

Cette évolution des attentes envers les entreprises impacte évidemment les écoles de commerce, qui forment les managers de demain. Or si la définition du management responsable semble simple, sa mise en œuvre est plus complexe.  Sa pratique met au jour des dilemmes toujours plus nombreux et souligne la difficulté à leur donner de « bonnes » réponses. Cela peut créer des frustrations chez les managers.

Pour mieux comprendre le phénomène, examinons les travers, les lâchetés, les ratés de l’exercice managérial au quotidien, qui dessinent les contours de l’irresponsabilité en management (1).

De la dénégation au mensonge

Un manager irresponsable n’est pas forcément un manager qui insulte ses équipes, s’absente sans crier gare, harcèle l’un ou l’autre de ses collaborateurs ou prend des décisions risquées pour l’organisation. Être irresponsable, c’est ne pas assumer ses responsabilités et il y a alors de nombreuses façons de le faire : la dénégation, le déni, le mensonge, la dissimulation et l’oubli.

Il y a déni quand on fait comme si les choses n’existaient pas. C’est le cas dans certaines entreprises dans la non-prise en compte de discriminations, de personnes qui posent problème en termes de comportements, de l’obligation d’avoir à opérer des changements dans la façon de travailler…  Il s’agit souvent de vouloir sauver la face organisationnelle, de préserver la paix et  l’ordre établi.

La dénégation a lieu quand, mis devant l’évidence, on nie cette réalité, on la contourne, on donne des explications trafiquées, on accuse quelqu’un d’autre. Les exemples sont nombreux : dénégation d’une mauvaise décision, dénégation de sureffectifs, dénégation de pratiques obsolètes… L’enjeu est de fuir ses responsabilités et l’éventuelle sanction (“ce n’est pas moi, je n’y suis pour rien”).

La dissimulation consiste à camoufler – l’erreur, le trou dans la caisse, le dysfonctionnement, l’incompétence –, car on a peur de la sanction ou d’être pris en faute. Le camouflage, c’est souvent reculer pour mieux sauter, mais c’est aussi parfois la possibilité de ne sentir que le vent du boulet.

Le mensonge, c’est travestir les faits, raconter une toute autre histoire. Ce sont les CV arrangés, les chiffres maquillés, les faux ordres de mission, mais aussi les messages rassurants quand tout va mal, les fausses informations pour déstabiliser…

Il est facile de constater que l’intentionnalité est graduelle dans les quatre postures que je viens de décrire.

Un autre comportement complète ce périmètre, il s’agit de l’oubli, intentionnel (dissimulation) ou pas (déni). Il y a oubli, quand on laisse le temps “faire son œuvre”, qu’on ne répond pas, qu’on laisse les choses problématiques s’enliser. Ce sont les dossiers enterrés, les mails ou les courriers qu’on laisse sans suite, les relances qu’on ne fait pas… Il semble important de bien l’identifier tant il est fréquent dans les entreprises.

On comprend bien que l’ensemble de ces comportements peuvent être du fait d’un individu ou de groupes d’individus. On peut aussi identifier des organisations où ces procédés sont systématisés voire institutionnalisés. Pour que ces comportements « tiennent », il faut leur ajouter un climat de mépris et de peur auprès de l’ensemble des collaborateurs.

Une responsabilité plus modeste mais de terrain

Pour réduire l’irresponsabilité, il s’agit, dans un premier temps, d’accepter de regarder en face les situations qui dérangent et que notre grille d’analyse permet d’identifier. Pas la peine de faire la chasse aux coupables (sauf quand il y a illégalité bien sûr). Admettre que chacun à son niveau, dans son espace de missions, met en œuvre, de temps en temps, sans systématisation ni caractère de gravité extrême, de tels comportements est bien souvent suffisant pour avancer. Il faut ensuite agir selon cinq axes.

1) Identifier des situations de “dilemmes managériaux”

Nous connaissons tous ces situations où des décisions difficiles doivent être prises et qui nous laissent ensuite, quelle que soit la façon dont nous les avons gérées, dans un inconfort certain. Quelle décision prendre quand on est témoin d’un comportement qu’on désapprouve? Interpeller? Dénoncer? Se taire? Comment gérer une demande légitime mais qui risque de remettre en cause des équilibres acquis ? Ne pas répondre? Refuser au risque de mécontentement? Accepter le risque de retour de bâton?  Analyser ces dilemmes managériaux permet ensuite de définir les réponses les moins mauvaises possibles compte tenu des circonstances, et en adéquation avec la stratégie de l’entreprise. Disposer d’une règle, d’une prescription à laquelle se référer, homogénéise les comportements et soulage bien des managers.

2) Travailler sur le “triangle des valeurs”

Il est essentiel que, face à une décision difficile, ce que l’individu aimerait faire soit au plus près de ce que l’entreprise attend de lui et de la décision qui est finalement prise. C’est le “triangle des valeurs”. Appliquer ce qu’on désapprouve ou mettre en œuvre une procédure qui sera ensuite désavouée ne peut générer que de la souffrance, qui précédera le désengagement et la démotivation.

3) Lier la responsabilité sociétale au “core business”

Il faut organiser la cohérence autour du métier de l’entreprise afin qu’un comportement irresponsable ne relève plus seulement de la faute morale mais bien d’une faute professionnelle. Comment demander à des managers de bureaux d’intérim de refuser toute demande discriminante de leurs clients s’ils sont rémunérés sur le chiffre d’affaires ? Comment désapprouver officiellement les “pots de vin” et bâtir une politique de rémunération sur les marchés emportés dans certaines régions du monde où la pratique des dessous de table est institutionnalisée ? À l’inverse, un management de la diversité sera d’autant plus évident s’il est concomitant à une politique de diversification des marchés, une politique d’ouverture sociale se fera d’autant plus aisément dans des secteurs dits à métiers “pénuriques”…

4) Être exemplaire à tous les niveaux de l’entreprise

Le quatrième levier du management responsable est l’exemplarité au plus haut niveau dans l’entreprise. Il n’y a pas de prés carrés ou de terres d’excellence de la responsabilité du manager, c’est toujours  et partout qu’elle doit être mis en œuvre.

5) Accepter de dialoguer

Un dialogue productif implique de l’écoute mais aussi de renoncer à l’idée de tout comprendre, de tout maîtriser. C’est cette dialectique entre distance respectueuse dans l’écoute et proximité empathique dans la recherche de solutions qui permettra la co-construction de comportements reconnus comme responsables par tous.

L’analyse que je viens de vous proposer doit permettre d’humaniser le management et le manager et d’admettre que les faiblesses font aussi partie de la vie des organisations. Il s’agit aussi de proposer une grille de diagnostic afin de progresser concrètement dans la construction d’un management plus responsable qui serait, peut-être plus modestement, un management moins irresponsable.

1) Ce post reprend un travail mené en commun entre chercheurs en management, psychologues et psychanalystes s’appuyant sur ce qu’on appelle “les négations à soi-même”, lors du colloque I.P&M à Clermont-Ferrand, fin 2012.