Seconde partie. Je remets l’introduction des cinq premiers items.
La mode est aux fake news, on le sait. Mais aussi à la riposte à ceux-ci, de plus en plus importante dans les médias et sur internet. Pourtant, en matière éducative, on est loin du compte : trop peu de journalistes par exemple s’emploient à démasquer mensonges, contre-vérités et approximations venant soit de responsables institutionnels soit de plumitifs divers dont certains se prétendent « intellectuels » et ne le sont guère quand ils profèrent un peu n’importe quoi sur l’école et la pédagogie (mais pour certains comme les producteurs de livres à la chaîne Onfray ou Debray, c’est sur tous les sujets !)
Prenons ici dix exemples de ces entorses à la vérité, certaines étant de pures calomnies ou mensonges éhontés, d’autres des déformations à partir de généralisations abusives ou de distorsion d’une réalité souvent complexe. Dix exemples, mais on pourrait les multiplier.
- Les pédagogues sont des ennemis de la culture « classique », ils font étudier des rappeurs plutôt que La Fontaine.
- Il faut rétablir l’enseignement du latin, dramatiquement victime de la réforme du collège.
- Les classes hétérogènes font « baisser le niveau », les élèves les plus faibles ont tout intérêt à être dans des classes spécifiques pour rattraper leur retard.
- Les ESPE et la formation continue sont contaminés par le pédagogisme.
- La méthode globale continue à faire des dégâts, même sous le masque du « mixte ».
- Les neurosciences remettent en cause les théories fumeuses des « pédagogistes ».
- Avec les EPI et autres avatars de la « pédagogie du projet », on a retiré de précieuses heures de cours aux élèves.
- Les nouveaux programmes ont été conçus par des idéologues coupés de la réalité des classes et jargonneurs suffisants.
- Dans les établissements règne le laxisme et la lâcheté.
- On n’ose plus enseigner de façon laïque, on fait concession sur concession aux revendications religieuse et on n’ose plus enseigner certains points « choquants ».
Répondons donc à ces accusations qui ne reposent souvent sur pas grand-chose mais qui sont largement diffusées, sans recul critique.
Voici les réponses pour les 6 à 10.
6. Les neurosciences remettent en cause les théories fumeuses des « pédagogistes ».
La place des neurosciences dans les débats sur l’école est complexe. Pour les uns, c’est la solution magique qui permettra de trouver « la bonne méthode », pour les autres, c’est le diable dans la bergerie humaniste, la transformation des élèves en robots formatés et les professeurs en docteurs Mabuse. Les sciences cognitives (terme peut-être préférable à « neurosciences ») sont bien évidemment en plein progrès et peuvent nous donner des éclairages fort riches. Mais il n’y a aucune vérité unique qui en ressort ; au sein des chercheurs des débats existent, par exemple sur les intelligences multiples (que beaucoup remettent en cause, mais parfois en les présentant sous une forme un peu caricaturale). Le pire ce sont les phrases qui commencent par « les neurosciences nous disent que… ». Récemment, Olivier Houdé, qui est tout de même un spécialiste réputé, s’exprimait ainsi dans La Croix du 14 septembre : « L’imagerie cérébrale vient parfois confirmer les intuitions des grands pédagogues (comme Montessori) ou le bon sens commun (l’importance du sommeil dans les apprentissages). « Et quand la pédagogie fonctionne, on peut se passer des neurosciences. Mais elles peuvent aider à ne plus commettre certaines erreurs. « On sait par exemple que l’enseignement magistral est la pire des choses. Alors que le travail en petits groupes, les pédagogies interactives, basés sur la coopération, motivent la curiosité des élèves, et un cerveau motivé peut faire des choses formidables. Les neurosciences l’ont confirmé très finement. »
On est donc loin d’une remise en cause des « pédagogies actives », surtout quand on lit des recherches qui montrent par exemple qu’on est davantage attentifs en action que figés à une chaise ou que l’auto-évaluation a une grande efficacité, sans compter la mise en évidence de l’importance de la métacognition (que prône aussi Dehaene), l’appropriation personnelle donc. On est loin d’une pédagogie descendante, qu’on croit parfois déceler comme modèle dans le discours ministériel (mais cela dépend souvent du média ou du public !)
7 Avec les EPI et autres avatars de la « pédagogie du projet », on a retiré de précieuses heures de cours aux élèves.
Je me souviens que quand je faisais une sortie pédagogique avec mes élèves, je leur disais qu’ils étaient en cours de français, mais hors les murs. Comme si « faire cours » signifiait « faire des leçons », comme si une activité interdisciplinaire n’était pas une autre manière d’enseigner dans les disciplines concernées ! Mais qu’il est difficile de faire admettre cela à ceux qui gobent, sans vérification, que les EPI sont des occasions de faire n’importe quoi. Encore récemment, on retrouve dans les médias la légende urbaine de l’EPI « régime alimentaire de Emma Bovary », récupération d’une semi-boutade, semble-t-il d’une formatrice projetée lors d’une séance de formation. On pourrait aussi se moquer des cours de français en prenant des exemples caricaturaux d’heures passées à des exercices à trous qui ont prouvé leur inefficacité (distinguer et/est, etc.) ou ces heures que j’ai trop connues au lycée d’ennui intégral en sciences où il fallait parfois lutter contre le sommeil (dire que les sciences, ça peut être passionnant, comme j’aurais aimé certains cours de SVT ou de physique d’aujourd’hui !). D’ailleurs, on reproche tout et son contraire aux EPI : tantôt d’être sans contenus, purement récréatifs, tantôt trop ardus, dépassant les possibilités des élèves. En réalité, tant de choses passionnantes se sont mises en place l’an passé, et on ne peut que déplorer que l’élan soit enrayé par la stupide politique du ministère les réduisant à un an comme obligation et supprimant les grands thèmes qui étaient des points de repères. On a du mal à comprendre l’acharnement de certains contre l’interdisciplinarité qui, je l’ai souvent dit sur ce blog, n’est nullement ennemie du disciplinaire, bien au contraire !
8.Les nouveaux programmes ont été conçus par des idéologues coupés de la réalité des classes et jargonneurs suffisants.
J’ai travaillé avec le Conseil supérieur des programmes. Nous avons passé toute une année à nous réunir fréquemment dans notre groupe (cycle 4), avons lu beaucoup de contributions de chercheurs, d’inspecteurs, d’acteurs de terrain. Sur la partie Français que j’ai plus particulièrement pilotée, j’ai travaillé avec des collègues très engagés qui connaissaient particulièrement bien le terrain (je puis me vanter moi-même de le connaitre, de par ma pratique de prof d’éducation prioritaire). J’ai pu apprécier à la fois la grande culture des personnes avec qui nous avons bâti en partie ce programme et leur souci de proposer des pistes réalistes, issues de leur propre pratique d’enseignant ou d’inspecteur. Mais voilà qu’un Jack Lang par exemple ose déclarer que le CSP est constitué d’idéologues et que les Programmes sont bourrés de jargon. Lang, que j’estimais, sur les pas de Fillon !
Quant au jargon, faisons la différence entre ce qui peut l’être et que je combats depuis toujours dans les Cahiers pédagogiques par exemple et ce qui est langage technique de professionnel. C’est vrai qu’en EPS, il en existe trop et déjà j’avais contribué à en éliminer pas mal dans nos discussions collectives au sein du groupe de travail (j’ai laissé passer l ‘histoire de la piscine, mais c’est un tellement petit détail !). mais quand un Bayrou considère que « production orale » c’est du jargon, alors les bras m’en tombent… Et encore une fois en quoi « déterminant » en grammaire serait plus jargonneux que « article » (dont la polysémie peut dérouter) ou « complément d’objet direct » (quel charabia !) Mais face à la démagogie populiste et le mythe de la « langue claire », on a du mal à se faire entendre…
9. Dans les établissements règne le laxisme et la lâcheté.
Quoi de plus simple que de trouver des boucs émissaires pour évoquer le climat souvent difficile de bien des établissements : ce sont pour JR Girard du SNALC les CPE et chefs d’établissement qui ramènent en classe les élèves renvoyés par le prof (entendu sur BFM TV), ce sont les profs qui laissent tout faire et qui « négocient » tout le temps, ce sont les responsables « là-haut » qui ne veulent pas de vagues. Certes, il est des endroits où règnent une espèce de mélange de laxisme et de coups d’autoritarisme inefficace, endroits où d’ailleurs la multiplication de conseils de discipline n’arrange rien. Certes, il y a parfois des incompréhensions chez certains enseignants dans la gestion des règles de la classe (séparer ce qui s’impose et ce qui peut se discuter). Certes, la tentation peut exister d’étouffer des dysfonctionnements (mais hier, on étouffait la pédophilie ou les bizutages, qui ont été combattus par des ministres de gauche). Voir à ce sujet les analyses pénétrantes d’Eric Debarbieux, (Ne tirez pas sur l’école) qui nous indique une voie entre le déni et la pensée magique de la « punition » qui résoudrait tous les problèmes. Et n’oublions jamais que le problème n’est pas d’avoir le « silence » dans les classes, mais de faire apprendre les élèves, parfois dans le silence, parfois dans le bruit contrôlé d’un travail de groupes. L’école n’est pas l’endroit où on apprend l’ordre et la discipline, mais doit être celui où on apprend, où on se forme et pour cela il vaut mieux que règne un certain ordre, une certaine discipline.
Mais le vrai laxisme, c’est celui qui consiste à faire passer l’exigence d’ordre et de discipline au-dessus de celle de faire réellement s’approprier connaissances et compétences par tous….
10. On n’ose plus enseigner de façon laïque, on fait concession sur concession aux revendications religieuses et on n’ose plus enseigner certains points « choquants ».
Qu’il existe, comme nous venons de le dire, des tentations de lâcheté, des tolérances abusives, certes oui. Mais la plupart des enseignants font face avec intelligence aux dérives communautaristes ou intégristes, pas toujours suffisamment armés, d’où un effort de formation dans ce domaine. Mais distinguons plusieurs points :
- on ne doit pas s’interdire d’enseigner ce qui est « choquant », mais on peut très bien y mettre les formes, l’essentiel étant d’arriver au résultat. Et surtout prévoir des temps de discussion où des opinions puissent s’exprimer. Ce qui est important n’est pas que les élèves remettent en cause ouvertement les théories de l’évolution, mais c’est qu’ils le fassent dans leur tête. Ne fuyons pas le débat, la controverse, si on a toutefois les moyens de les gérer. Rien ne vaut pour cela des dispositifs cadrés comme la discussion à visée démocratique et philosophique. Rien ne remplace une solide formation pédagogique, qui s’appuie aussi sur des connaissances sur les religions par exemple
- il ne faut pas non plus baptiser « dérive communautaire » tout ce qui est
demande spécifique. Ni les repas dits de substitution, ni l’accompagnement par des mères voilées de sorties scolaires, ne sont entorses à la laïcité. Autre chose est de ne pas oser organiser une sortie dans un lieu de culte chrétien qui risquerait de provoquer des oppositions. On peut cependant trouver des moyens de bien présenter la chose aux familles (on ne visite pas une église, mais un édifice caractéristique de l’art médiéval étudié en classe). Quelques principes, certes, mais beaucoup de pragmatisme. Mais certains préfèrent les postures et plutôt les convictions que l’éthique de la responsabilité et le souci du résultat « in fine ».
- Ajoutons qu’il faut transformer un mal en bien : contester Voltaire, c’est aussi reconnaitre qu’il reste actuel et utile justement pour s’opposer au fanatisme…
Dix mensonges donc, dix contre-vérités, parmi bien d’autres hélas ! Mais ne ménageons pas nos forces pour rétablir les choses et lutter contre la désinformation.
Il n’y a pas d’attaque personnelle, au sens où vous seriez personnellement, en tant que J.-M. Z. concerné. Mais ce « vous » auquel je m’adresse désigne un personnage qui s’exprime publiquement et profère constamment des jugements méprisants sur ses opposants, les traitant tantôt de plumitifs, de pseudo-intellectuels ou les accusant d’ignorer tout des réalités du « terrain ». Comme « vous » usez d’un ton polémique, souffrez qu’on l’utilise à votre égard.
Certes l’AFEF existe, mais il y a aussi le GRIF, l’Association des Professeurs de Lettres, les Associations de professeurs de Lettres classiques.
Est-il interdit de critiquer vos positions? Je remarque d’ailleurs que vous ne répondez jamais sur le fond et que vous vous contentez d’appréciations brutales, telles que celle-ci:
« Mais qu’un ministre évoque un sujet aussi mineur que le prédicat au lieu de s’occuper de sujets bien plus importants est consternant. »
Sur ce point qui n’est pas vraiment de détail, je vous fais simplement remarquer que, si le prédicat est une chose mineure, il est assez incompréhensible qu’on l’impose à nos chers élèves. Par ailleurs, « vous » avez imposé vos conceptions grâce à une majorité politique. Est-il anormal qu’une autre majorité considère que vous vous êtes trompé et veuille corriger vos erreurs? N’est-ce pas cela la démocratie d’alternance!
Respectueusement
Là on est au niveau d’attaques personnelles. Je n’ai pas à justifier mes compétences linguistiques auprès de vous, je pense n’avoir aucune leçon à recevoir sur le sujet. J’ai lu assez de Benvéniste, Chomsky ou Arrivé pour me faire une idée des grandes questions grammaticales qui peuvent se poser mais qu’il faut ensuite transposer didactiquement. Et la lecture d’innombrables dossiers de l’AFEF ou de Pratiques, m’ont suffisamment éclairé pour que le n’ai pas à reprendre le débat là-dessus. Mais qu’un ministre évoque un sujet aussi mineur que le prédicat au lieu de s’occuper de sujets bien plus importants est consternant.
« Et encore une fois en quoi « déterminant » en grammaire serait plus jargonneux que « article » (dont la polysémie peut dérouter) ou « complément d’objet direct » (quel charabia !) »
On reconnaît bien là votre allergie à la grammaire dite traditionnelle. J’aimerais cependant que vous argumentiez plus solidement vos attaques obsessionnelles qui, pour tout dire, me semblent relever d’une linguistique mal apprise et mal digérée. Vous avez donc raison: seul compte l’apprentissage à long terme!
d’où l’importance des temps réflexifs, soit en anticipation, soit après coup. C’est vrai que parfois les élèves croient avoir bien travaillé parce qu’ils ont « gratté » pendant un cours, mais qu’en reste-t-il quelques mois ou années plus tard? Là est la vraie question, trop rarement posée en ces termes. L’apprentissage à long terme, il n’y a que ça qui compte….
Après, on va dire que la gestion de classe est rendue plus compliquée par le travail en groupes (déplacements, bavardages). Et parfois les élèves ne comprennent pas la logique de ce qu’on est en train de faire, et par conséquent ce qu’ils racontent le soir en famille peut paraître bizarre.
Exemple : si on fait une phase d’anticipation sur un thème, en demandant aux élèves de dire ce qu’une image leur évoque, ils peuvent avoir l’impression qu’on est juste en train de discuter, alors qu’on cherche à faire émerger les idées qu’on va travailler et affiner ensuite.