Enseigner au XXI siècle

Etonnante complaisance

Lex comportements arrogants du président de la République, la façon de gérer l’Etat en passant par-dessus les « corps intermédiaires » (une notion un peu vague, qui mériterait d’être précisée), la vision technocratique de la « réforme », le manque d’écoute, tout cela est fustigé à juste titre à l’heure actuelle.  Que la critique soit parfois excessive et qu’on soit passé, selon la formule, un peu vite de « lécher » à « lyncher », qu’on peine à énoncer des alternatives, dont le fameux RIC n’est certainement pas la meilleure ; avec sa logique binaire et ses risques populistes, c’est une autre histoire que je n’aborderai pas ici.
Non, ce qui m’étonne, c’est que le ministère de l’éducation nationale semble échapper aux critiques médiatiques. La gestion Blanquer parait exemplaire aux yeux de nombreux commentateurs et peu se risquent à énoncer des critiques. Et pourtant, que de faits vont dans le même sens que ce qui est reproché à la plupart de ceux qui nous gouvernent !
Arrogance ? : certes, feutrée et toujours courtoise, mais que dire d’un ministre qui ne répond pas aux vraies critiques qui lui sont faites. Par exemple, contre l’avis d’un rapport parlementaire consensuel, supprimer le CNESCO, instance indépendante pour le remplacer par un Haut conseil nommé par le ministre. Déclarer qu’on « n’a rien contre les cycles » et publier des repères annuels qui en démolissent la logique. Proclamer qu’il n’y aura pas de nouvelle loi et en proposer une fourre-tout qui continue le détricotage de la loi Peillon, sans le dire vraiment.

La faible écoute des syndicats et associations est spectaculaire dans le cas de la réforme des programmes. La récente réunion du Conseil supérieur de l’éducation est vraiment exemplaire et va au-delà de l’imaginable : absence d’une présidente du Conseil supérieur des programmes, qui ne fait guère la preuve d’une compétence particulière en matière de management (litote !), examen de pages et de pages de programmes à un rythme effrénée, incapacité à répondre aux questions posées, et au bout du compte, un rejet franc et massif de la plupart des programmes dessin dans le Monde du 16 octobre 2018proposés. Avec zéro voix pour sur des projets tels que l’EMC ou les sciences économiques et sociales. Seul le programme de physique-chimie est adopté, sans doute parce qu’il échappe à l’idéologie. Au passage, la place de l’éducation à l’environnement et à l’éco-citoyenneté est une grande oubliée, à l’heure des urgences climatiques, comme le rappelle une pétition que j’approuve entièrement. Certes, les motivations qui font que certains rejettent les projets sont très différentes d’une organisation à l’autre et je n’ai aucune sympathie pour ces déclarations qui rejettent au nom de « l’identité disciplinaire » les couplages hybrides entre disciplines. Le risque est de faire apparaitre alors le ministre comme « centriste » et « homme de compromis », ce qu’il n’est pas.  De même que des critiques excessives, des procès d’intention non fondés ne font que le renforcer et jamais je n’approuverai les insultes ou les qualificatifs abusifs qui déconsidèrent leurs auteurs.  J’ai toujours été consterné par certains slogans ou comportements (jadis, c’était le petit livre de Luc Ferry qu’on brûlait dans de sinistres autodafés au lieu d’en faire une juste critique, aujourd’hui, ce sont ces guillotines que l’on promène, il est vrai davantage destinées au président).

On fait crédit au ministre de vouloir mener une politique cohérente, qui est évaluée et qui préparerait l’avenir. Or, c’est très loin d’être le cas. Quelle cohérence dès lors qu’on met en avant les « fondamentaux » à renforcer, en oubliant que la France est championne d’Europe pour le nombre d’heures de maths et de langue maternelle en primaire ? Quelle cohérence de vouloir à tout prix mettre l’accent sur le « code » dans la lecture alors que les enquêtes montrent surtout les difficultés des élèves en compréhension, ce qui ne signifie pas que la maitrise du code ne soit pas indispensable, mais le « en même temps » semble ne guère fonctionner en la matière !) ? Quelle cohérence d’antre les mérites des sciences cognitives et du Conseil scientifique de l’éducation nationale, tout en n’écoutant pas les recommandations qui prônent une pédagogie plus active, plus impliquante, la coopération et les moments métacognitifs (par exemple les élèves de sixième ne pourront pas retravailler avec leurs professeurs sur les évaluations pour comprendre leurs erreurs, c’est d’en haut qu’on leur dira ce qui va et qui ne va pas !) ? Quelle cohérence entre louer l’autonomie des établissements et imposer des règles rigides, un formatage des formations ? Quelle cohérence entre le discours sur la « confiance » et le mépris pour le professionnalisme des enseignants (je n’aime pas l’expression « liberté pédagogique », qui laisse la voie à une conception libérale du métier et qui n’a rien à voir avec une autonomie professionnelle) avec la multiplication des Vademecum et une règlementation excessive (par exemple concernant l’usage des téléphones portables) ?

Certes, il pourrait y avoir pire, quand on lit certaines propositions des « Républicains » sur le port de l’uniforme, le soutien aux écoles hors contrat, la radicalisation du retour au « récit national » en Histoire (hélas déjà bien entamé) ou leurs injures envers les « pédagogistes ». Ce qui fait la force du ministre actuel reste sa modération dans les mots, mais celle-ci masque souvent une politique très autoritaire, très impositive au nom de « ceux qui savent », tout ce qu’on reproche au président de la République.

Pourquoi donc cette complaisance ? Méconnaissance sans doute de la réalité éducative ? Misère des commentateurs, qui là sont souvent dans l’ignorance crasse, comme j’ai pu souvent m’en apercevoir, entre celui qui pense que partout on a mis en place de l’aide aux devoirs et que c’est inédit alors que les moyens pour « devoirs faits » sont très insuffisants et que des dispositifs de ce genre existent depuis des années sous des formes différentes, ou encore ceux qui déclarent que pour la première fois on va évaluer le système éducatif en passant sous silence par exemple les évaluations de la DEP dans les années 90, ou encore, ceux qui prétendent qu’on n’enseigne plus la chronologie en Histoire , ou la Shoah (qui n’était pas enseignée, au contraire, il y a 3O ou 40 ans) ou qu’on n’étudie plus La Fontaine ou Molière alors que ce sont des incontournables du collège. Quelques personnes compétentes existent, certes, dans les médias, mais ils ne peuvent pas toujours mettre en œuvre leur expertise, ne sont pas responsables de certains titres -choc et ne sont pas toujours écoutés.

Mais la responsabilité est grande aussi de ceux qui pourraient rétablir un peu de vérité et qui

-soit comme dit plus haut peuvent parfois gâcher leur discours par les excès et par le systématisme contre (il suffit par exemple qu’une personne ayant un grade militaire soit nommée au cabinet du ministre pour enclencher des réflexes antimilitaristes primaires alors même que cette personne, apparemment appréciée de ses interlocuteurs, remplace un idéologue acharné contre les idées progressistes et méprisant ses contradicteurs).

-soit se replient sur leur territoire, ne réagissent pas sur les réseaux sociaux, auprès des médias (et notamment la presse régionale, plus à l’écoute) en jugeant qu’il y a mieux à faire que de combattre les incohérences ministérielles ou les combats réactionnaires contre leurs idées et valeurs.
C’est ainsi qu’on a laissé certains répandre leur venin contre les IUFM au lieu de promouvoir tout ce qui sa faisait de bien dans cette institution, qu’on a laissé les anecdotes fielleuses sur le « référentiel bondissant » ou la « pâte à crêpes » sans rétablir les faits, en laissant se répandre déjà des fake news à ce sujet.

Plus que jamais, il faut se battre pour la vérité, pour qu’il y ait des débats et non des affirmations péremptoires, en séparant ce qui est de l’ordre de la discussion démocratique et rationnelle (par exemple quelle est l’efficacité à long terme des dédoublements en éducation prioritaire, en tenant du rapport qualité-prix ?) des polémiques basées sur des mensonges. Je continuerai pour ma part à le faire sur ce blog. Pas besoin de couleur jaune pour cela.

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