Enseigner au XXI siècle

Un danger ne doit pas en cacher un autre

photo de la Biennale pendant l’intervention de Philippe Meirieu

A la fin de la deuxième Biennale de l’éducation nouvelle, un grand moment riche et intense, dont on peut retrouver des échos ici ou , le « grand témoin » Conny Reuter, secrétaire général de SOLIDAR, plateforme européenne qui travaille à faire progresser la justice sociale, nous mettait en garde : on n’est peut-être pas à la hauteur du défi que nous lance depuis quelque temps l’extrême-droite en Europe (et ailleurs), on doit se mobiliser contre les idéologies identitaires qui reposent sur l’exclusion et l’autoritarisme dans les prochains mois, pour éviter les catastrophes qui sont déjà en cours dans certains pays.

Cet avertissement me parait salutaire. En effet, parfois obsédés par les dangers, réels, du néo-libéralisme, du développement d’une « société du marché », ne risquons-nous pas de faire passer au second plan le danger cité ci-dessus ? Il ne suffit pas de dire que ce néo-libéralisme, avec ses politiques d’austérité ou de destruction du service public, est responsable de la montée de l’extrême-droite. D’une part, parce qu’il faut s’interroger sur le fait que les contestations de cet ordre établi ne favorisent que très peu des forces de gauche, et d’autre part, parce qu’on simplifie un phénomène multiforme qui s’étend dans des pays très divers (la prospère Autriche, la très démocratique Finlande à côté des landers laissés pour compte de l’ex-RDA), avec des causes différentes. Je suis persuadé que brandir l’étiquette de « néo-libéralisme » est souvent un empêcheur de penser la complexité et peut contribuer à dédouaner des déclarés adversaires de ce néo-libéralisme qui sont aussi des promoteurs du rejet de l’autre, des ennemis de l’union européenne et des fossoyeurs de l’Etat de droit.

Si on reste au domaine de l’éducation, bien sûr il faut combattre l’idéologie méritocratique, l’exaltation de l’individu dans le sens « si on veut, on peut », les liens renforcés avec le secteur privé. Mais voir tout sous l’angle paresseux de la seule « marchandisation » est particulièrement malheureux et au passage encourage ce que mon ami Philippe Watrelot appelle « le gaucho-conservatisme ». En effet, on voit des militants se prétendant « radicaux » s’en prendre tour à tour à ce qui, selon eux, sert une diabolique logique néo-libérale : la bienveillance (c’est quoi, ne pas l’être ?), l’évaluation par compétences (vive les notes ?), le contrôle continu (ah, le bac si égalitaire et républicain !), la décentralisation (l’Etat, il n’y a rien de tel), l’interdisciplinarité (défendons les savoirs, contre les méchants de l’OCDE qui veulent les détruire), le socle commun (qualifié de savoir du pauvre par ceux qui visiblement n’ont pas lu ce texte excessivement exigeant), j’en passe et des meilleurs.

Du coup, on en oublie de combattre l’idéologie autoritaire et nationaliste, néo-colonialiste et rétrograde, sous la forme violente des Zemmour-Marion Maréchal ou sous une forme plus polie (qui est d’ailleurs celle du Rassemblement national, débordé parfois sur sa droite par tel parlementaire « républicain » ou tel intellectuel soi-disant républicain)

Et il n’est pas vrai que tout est dans tout. Il n’est pas vrai non plus que le libéralisme, qui prend des formes très différentes, est forcément ennemi du savoir, de la culture et encourage l’ignorance. En Pologne, le gouvernement Tusk a plutôt développé une démocratisation du second degré, remise en cause par le PIS au pouvoir. En Finlande, la droite au pouvoir n’a pas remis en cause les réformes progressistes des sociaux-démocrates.  En Irlande, pourtant très libérale sur le plan économique, d’intéressantes réformes éducatives ont été mises en place. Est-on vraiment sûr que le libéralisme au pouvoir a intérêt à ce que de larges masses soient plongées dans l’inculture, à ce que des compétences nécessaires au fonctionnement de l’économie ne soient pas développées ? J’ai déjà dit ici que l’acquisition de solides connaissances mathématiques pouvait conduire à inventer des algorithmes utiles à la société (dans un domaine comme la santé) tout autant qu’à produire des traders spéculateurs. La bienveillance, la coopération peuvent être mis au service d’un management insidieux comme être émancipateurs et préfigurateurs d’une « autre société ».

Et pendant qu’on concentre le combat contre un seul adversaire, on met un peu au second plan le combat de fond contre le nationalisme ennemi des libertés qui, en plus, se présente comme étant alliée des défavorisés. Je me souviens avoir vu à la télévision un des « économistes atterrés » applaudir le gouvernement italien s’opposant aux « diktats de Bruxelles » en balayant d’un revers de main le fait que ce même gouvernement était alors anti-immigrés et anti-libertés.

Il est vrai que le ministre actuel joue un peu sur les deux facettes ; il se présente d’un côté comme un libéral, d’ailleurs ouvert, citant Edgar Morin, tout en favorisant le secteur privé (ainsi, la Loi qui oblige les communes à financer les écoles maternelles privées, les accords avec Microsoft, etc.). De l’autre, il y a cet aspect vieille France : éloge de la dictée et de la leçon de grammaire, déformation autoritaire de l’esprit de la laïcité, programmes à l’ancienne, etc.) D’une certaine façons, il y a contradiction ou polymorphisme chez ce ministre qui aurait pu aussi bien être celui de Juppé ou Fillon, ce qui, en réalité, lui permet de jouer à sa façon d’un hypocrite « en même temps » qui va plutôt dans le même sens. Pour autant, tout ne se confond pas, il ne tient pas un discours d’extrême-droite, quand bien même l’extrême-droite l’approuve à l’occasion. Mais son libéralisme a des limites : ainsi prôner l’autonomie des établissements tient un peu du discours convenu alors même que la politique suivie est très autoritaire et impositive. J’ai aussi dit ici que le « blanquer bashing » était contre-productif, alors qu’il s’agit plutôt d’analyser la politique suivie avec finesse.

Mais en aucune façon, il ne nous faut oublier la lutte essentielle contre l’idéologie de la droite dure, symbolisée récemment par le honteux vote au Sénat de la loi contre les accompagnatrices voilées, la revendication de la fin des allocations familiales en punition des enfants absentéistes ou le stupide affichage de la Marseillaise et du drapeau tricolore dans toutes les salles de classe (qui se limitera à un modeste et discret A3, tout ça pour ça !). Dans ces trois cas, d’ailleurs, le ministre a cédé ou a eu la tentation de céder à ces forces de droite. Combattre ces mesures ne signifie pas d’ailleurs ne pas combattre le prosélytisme religieux s’il se produit ou l’absentéisme, pas plus que de négliger les renforcements du lien national (et européen) par des actions différentes (retrouver par exemple le sens initial de notre hymne national, tout sauf droitier à l’origine).

Mais au-delà, combattre les idées d’extrême-droite, c’est donner vraiment du sens à la devise républicaine, en n’oubliant pas à quel point les grandes figures du progressisme ont mis en avant la « liberté » (comme le rappelle Vincent Peillon dans un récent ouvrage). Donner un sens aux droits des enfants et aux droits des élèves, développer la coopération et la solidarité pour donner vie à ce qu’on appelait « la fraternité » (celle qui s’oppose à tout communautarisme qui pour autant se réclame aussi des « frères »). Je me demande parfois si certains « radicaux » ne font pas passer au second plan la « liberté » sans laquelle l’égalité peut être pernicieuse, comme l’ont montré ces régimes dont on a oublié un peu les méfaits (et qui en plus n’ont pas tellement défendu l’égalité, à coup d’apparatchiks et d’exclusions)

Dans la suite de cette Biennale de l’éducation nouvelle, plus que jamais j’ai envie d’un combat vraiment politique, pas au sens partisan, mais au sens d’un civisme constructeur d’une société plus juste qui n’en sera pas moins efficace.  Cela passe aussi par plus d’horizontalité à l’école, plus de collectif, plus de culture partagée. Sans oublier l’indispensable, la cruciale préoccupation écologique, dont se fiche éperdument l’extrême-droite d’ailleurs.  Et si l’école ne peut pas tout, sur ce terrain, on doit être en conformité avec ces objectifs. L’école des notes, des connaissances coupées des compétences, de l’autoritarisme ne peut préparer à une société différente. Il ne suffit pas de clamer après 17h son « refus de la marchandisation », mais incarner au quotidien le combat politique au sens fort du terme.

 

Commentaires (3)

  1. George Williams

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  2. Jean-Michel Zakhartchouk (Auteur de l'article)

    J’entends bien l’argumentation, mais je dirais en réponse:
    – accepter que dans notre société des femmes soient voilées n’empêche nullement la solidarité d’avec celles qui revendiquent de pouvoir être dévoilées, je ne suis pas de ceux qui considèrent que le voile est l’équivalent de telle ou telle mode vestimentaire: oui, je pense que la pression sociale est forte et la liberté de le porter souvent illusoire, oui, je pense qu’il renvoie à une conception déplorable du rapport homme-femme, etc. Mais on ne peut pour autant l’interdire dès lors qu’on n’est pas dans le service public
    – reste alors la question du rôle pédagogique dans les sorties: ça peut se discuter lors d’un voyage scolaire d’une certaine ampleur, mais franchement, les accompagnatrices pour aller à la piscine ou au spectacle n’ont qu’un rôle de sécurité, elles doivent respecter des règles qui n’impliquent pas le voile
    – dernier argument: il faudrait une loi claire pour les établissements. Je pense au contraire qu’il est bon de faire du cas par cas, de laisser une large autonomie aux responsables locaux, mais j’ai sans doute un vieux fond girondin.

  3. Chalon Liliane

    Merci Jean-Michel pour cette analyse d’une grande pertinence, comme toujours! C’est avec plaisir que je lis tes publications.
    Juste un petit désaccord sur les mères voilées Il y a 30 ans quand j’étais prof dans la ZEP de Vitry, pas une mère voilée, des mères musulmanes nombreuses dont certaines se faisaient accompagner aux réunions par leurs ainés parce que non francophone.
    Les femmes iraniennes, magrhébines, se battent, se font emprisonner, voire tuer parce qu’elles refusent de porter le voile. L’Imame française a déclaré qu’elle ne le porte pas parce que ce n’est pas dans le Coran. Nous devons constater l’influence grandissante des salafistes et ne pas la favoriser. Par ailleurs pour moi une sortie scolaire fait partie des apprentissages, elle doit donc avoir le même statut que les activités dans l’école. Les élèves qui les fréquentent sont de toutes confessions et ils n’ont pas à être encadrés par des porteurs de kippa, de croix ou de foulard.
    Amicalement
    Liliane Chalon

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