Enseigner au XXI siècle

Un métier ou des métiers ?

J’ai participé récemment à un débat à Aix-en-provence sur l’exercice du métier d’enseignant aujourd’hui avec Jacques Ginestié, directeur de l’ESPE, une jeune enseignante encore en formation et un enseignant expérimenté qui a présenté le beau travail mené à Marseille dans un collège d’éducation prioritaire. Débat riche, avec de larges points d’accord, surtout sur l’importance d’adapter nos pratiques au monde d’aujourd’hui et plus encore de demain, en développant l’interdisciplinarité, la mise en avant des compétences, dont un certain nombre sont encore très peu prises en compte aujourd’hui, la coopération entre 515collègues…

Mais une question posée juste sur la fin par le public n’a eu qu’une réponse rapide et partielle, de toutes façons peu aisée à traiter en quelques minutes, sans doute parce qu’elle ne donne pas lieu à une réponse par oui ou par non : fait-on le même métier de l’école maternelle à la terminale et plus encore quand on est au collège Belle de mai de Marseille ou au lycée Henri IV ?

Pour moi, la réponse ne peut être que dialectique.
Si on répond oui, alors les objections surgissent. Cela peut vouloir dire qu’on défend un système qui fonctionne par le haut et où dès l’école maternelle, on prépare l’entrée aux Grandes écoles, comme l’a dit encore récemment Antoine Prost à la conférence nationale sur l’évaluation. Ou encore, qu’on s’en tient à une fiction universaliste qui ignore les différences en étant indifférent à ces différences. Professeur de collège, ne risque-t-on pas de travailler pour ceux qui iront en lycée général, voire ceux qui seront dans les bonnes sections, sous prétexte qu’on « n’abaissera pas nos exigences », que chacun a droit au « meilleur »? Ne pas s’adapter en fonction du contexte local ou de l’âge des élèves, ce sera à la limite s’aligner sur le modèle classique du professeur de lycée à l’ancienne. « Ne renoncer à rien » incitera à refuser la littérature de jeunesse, les liens avec la vie quotidienne, la simplification du vocabulaire, une adaptation de l’évaluation, toutes choses qui semblent bien nécessaires en éducation prioritaire.

vision stéréotypée du prof ZEPMais à l’inverse, si on répond non, si on dit qu’il n’y a pas un, mais des métier(s), on risque de ne pas tirer parti de la richesse de ce que chaque niveau d’enseignement peut apporter aux autres. Et si quelque fois on savait dans le secondaire utiliser l’ingéniosité créative des enseignants de maternelle, si à l’inverse la maîtrise didactique des professeurs de collège pouvait infléchir les pratiques du premier degré et réciproquement la préoccupation plus pédagogique des professeurs des écoles pousser leurs collègues du collège à essayer d’autres manières de mettre les élèves au travail ? J’ai eu l’occasion d’animer des formations où se cotoyaient des jeunes profs sortis de la fac et des enseignants d’ateliers de LP, venant de l’entreprise, et la réflexion sur les moyens de différencier la pédagogie et d’accompagner les plus en difficulté en était enrichie, avec une confrontation d’idées originale et stimulante.

Pour ce qui est des différences de contexte socio-culturel, répondre non peut avoir comme conséquence le développement d’un enseignement au rabais, pas assez exigeant , avec des élèves de milieu populaire (par exemple, peu de devoirs, exercices trop mécaniques, pour viser la réussite au détriment parfois de l’apprentissage, renoncement à aborder certaines œuvres, simplification excessive des consignes). Exagérer le fossé qui peut exister entre établissements peut nous éloigner de l’école du socle commun et de l’intérêt des échanges d’expériences. J’ai entendu lors de formations des phrases du type « mais chez nous en ZEP, on ne peut pas faire ça, les élèves n’en sont pas capables ! », phrases qu’il était assez facile à démonter dans la mesure où moi-même j’enseignais en ZEP et que j’avais la preuve du contraire.

En réalité, tout dépend de ce qu’on entend par « faire ou ne pas faire le même métier ». Je suis convaincu qu’il y a un tronc commun, une base qui unifie tous les métiers de l’enseignement et de la formation (et on pourrait étendre ce principe aux premières années du supérieur), ce qui justifie l’existence d’une école unique de professorat et de moments communs entre stagiaires. Les formations continues qui rassemblent des enseignants de divers lieux du système scolaire sont très riches (en fait, je les vis surtout au sein de notre association Les Cahiers pédagogiques qui organise notamment des Rencontres annuelles qui autorisent ces échanges, ou encore dans des journées à caractère pédagogique organisées par les syndicats « réformistes », avec unanimité pour constater la fécondité d’un échange.

pour de vrais échanges...Mais il ne s’agit pas pour autant de nier la spécificité d’un niveau d’enseignement, d’un lieu. Un métier, des facettes différentes, cela devient intéressant dès lors qu’on ne regarde pas de haut en bas, de l’aval vers l’amont, mais où cela circule, comme d’ailleurs dans l’interdisciplinarité quand on confronte des regards différents tout autant qu’on cherche les points communs.

Cependant, on sait combien est grande la tentation des réponses par oui ou par non, tellement plus confortable.

A l’heure du socle commun, il faut affirmer qu’on est à tous les niveaux des accompagnateurs des élèves sur le chemin d’apprentissage, même si on n’est pas forcément présents de la même façon partout, même s’il faut tenir compte du contexte, mais cela est de toutes façons dans le cahier des charges de tout enseignant qui se respecte, qui pense d’abord que ce qui est important, c’est que l’élève apprenne…

Commentaire (1)

  1. SH

    Les programmes futurs vont sans aucun doute amener de grands bouleversements : le cycle commun entre l’école primaire et le collège (CM1-CM2-6è), mine de rien, est une véritable révolution… la suppression de l’examen d’entrée en 6è (1959, ça ne nous rajeunit pas) et le collège unique en 1975, ont officiellement mis l’enseignement secondaire à la suite du primaire, mais ça, c’était pour les élèves… après un début d’unification des formations, une réforme va enfin permettre de faire dialoguer les deux corps d’enseignants… professeur d’EPS en collège, j’aimerais avoir une heure par semaine à dispenser à l’école primaire, ne serait-ce que pour dialoguer et enrichir la réflexion sur la motricité des professeurs d’école. Inversement, je pense que j’aurais beaucoup à apprendre de leur part. Quant à l’enseignement en milieu difficile, je crois qu’il peut constituer une chance, dans la mesure où toutes les avancées en matière de didactique et pédagogie (péda différenciée, évaluation formative nées dans les années 80, réflexion sur le sens dans les années 90) ne se seraient pas faites sans les problématiques liées à l’échec scolaire. Même en milieu favorisé, la quête de différenciation et de sens doit se faire si nous voulons une réussite de tous les élèves. Une même école oui, partout, avec un enrichissement mutuel entre les degrés et entre les quartiers.

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