Enseigner au XXI siècle

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Tous mauvais ? Etonnant, non ?

Tous mauvais, voire nuls. Tous méchants ou au mieux pas très futés. Tous incompétents. Tous incapables de bon sens, d’écoute, tous incapables de faire ce qu’il faudrait faire.
Si on reprend la liste des ministres de l’éducation nationale depuis disons une trentaine d’années, c’est un refrain récurrent, au-delà des étiquettes politiques.

Savary, il voulait que les enseignants apportent un sac de couchage au collège vu le nombre d’heures de présence et de concertations qu’il voulait imposer.
Chevènement, il n’a pas été à la hauteur de ses belles déclarations sur le retour à l’autorité (déjà !)

Monory, vous n’y pensez pas, un ancien garagiste !

Jospin : quoi, l’élève au centre ? Début de la catastrophe…

Bayrou : l’immobilisme. Qu’a-t-il fait pour mettre en pratique son idée de « collège unique-collège inique » ?

Allègre : cris et barrissements…

Lang : l’art des beaux discours pour ne rien faire…

Ferry : ministre mondain, qui a écrit un livre sur l’école tout juste bon à être brûlé.

Fillion : c’est lui le responsable du « socle commun » qui liquide les savoirs..

de Robien : un assureur ministre, vous n’y pensez pas !

Darcos : quelqu’un de la maison, un fin lettré, mais finalement, un agent du libéralisme et un complice de la dégradation de l’école. Heureusement, on a empêché ses projets pour le lycée..

Chatel : il aurait mieux fait de vendre des savonnettes, il n’y connaissait rien.

Peillon-démission! ; Peillon-démission!

Dans toute cette liste, il y a bien des ministres dont je désapprouve l’action. Il y a bien des ministres dont je désapprouve aussi l’inaction. Il y a des ministres qui ont fait beaucoup de mal, d’autres qui auraient pu faire beaucoup mieux.
Mais au-delà, dans ces jugements péremptoires, souvent exprimés avec ironie, parfois avec haine, il y a un rejet inquiétant de l’institution ministère et même des institutions républicaines. Après tout, ces ministres ont été désignés par un élu, leur budget et leurs grandes lois vôtées par les élus de la République. Même le plus mauvais des ministres a pu prendre de bonnes décision, même un adversaire peut être crédité de quelque chose de positif. J’approuve le socle commun défini par un ministre de droite, j’applaudis aux circulaires contre l’homophobie de Darcos, je salue la mise en place par Bayrou des études dirigées à l’école primaire (abandonnées depuis). Et pourtant, j’ai pu dire du mal de tel ou tel, mais en évitant les excès de langage  qui ravalent certains enseignants à ce qu’ils reprochent à leurs élèves (les qualificatifs de « bouffon » par exemple, les insultes, sans oublier le sinistre épisode du livre brûlé de Luc Ferry- que j’avais par ailleurs plus que critiqué dans une tribune à Libération). Voir aussi ce que j’ai écrit sur de Robien (je n’en retire pas une ligne!)

On peut avoir des convictions, remettre en cause  de façon résolue des ministres, des recteurs, des chefs d’établissement. Mais pas dans le cadre d’une société de la défiance généralisée, où on fait circuler des rumeurs, où on colporte des contre-vérités, où on pratique la désinformation.
Il me parait important aujourd’hui d’examiner les projets, les orientations, de façon nuancée, modérée, sachant que gouverner est devenu très difficile ; et surtout ne pas hypothéquer l’avenir en critiquant aujourd’hui ce qu’on va défendre demain peut-être.  J’ai trop connu des enseignants changeant totalement de point de vue en étant chefs d’établissement. Trahison ou adaptation lucide au réel ?

Aujourd’hui, il est devenu difficile de soutenir une mesure gouvernementale. On est vite qualifié au pire de traitre, au mieux de bisounours et d’ « idiot utile ».

Mais derrière il y a l’irresponsabilité, le système « EPM » dont parlait de Closets (« et puis merde », je ne suis pas là pour donner des solutions, je fais ma critique et basta !). Ou le « il faut laisser faire les enseignants » qui « savent » eux ce qu’il faut faire, contre les technocrates de Paris.
Désolé, mais cette attitude-là ne m’intéresse pas. Surtout que sous couvert de « résistance au pouvoir », elle est le grand allié du conservatisme voire de la réaction.

On  a vraiment besoin de réfléchir à ce que nous voulons, aux valeurs de l’école. Pas en vase clos, mais devant l’opinion publique. On a besoin de débats. Il serait regrettable que ceux qui prétendent former les élèves à l’esprit critique, au débat où chacun s’écoute, ne mettent pas en pratique cela dans le vaste forum de l’opinion publique. Et je continuerai à détester les donneurs de leçons faciles, ceux qui sont toujours revenus de tout, les « ricanants » qui cultivent le « non », les « belles âmes » toujours purs, ceux qui n’ont pas les mains sales parce qu’ils n’ont pas de main (une belle formule de Peguy parlant des kantiens et évoquant « nos mains noueuses, nos mains calleuses, nos mains pécheresses » ).

Une fois dit tout cela, on peut bien sûr critiquer l’action des ministres, leur inaction, leurs inconséquences, etc. Mais avec toujours en arrière-plan l’idée que s’il est un « métier » encore plus impossible que celui d’éducateur , c’est celui de ministre de l’éducation.