Si on n’y prend garde, on peut facilement tomber dans ce qu’on appelle « le biais de confirmation » : prendre dans une série d’informations celles qui nous arrangent, qui confortent notre conviction, notre hypothèse de départ ou notre croyance, en éliminant plus ou moins insidieusement tout ce qui va à leur encontre. On peut certes sciemment décider d’adopter cette attitude, de façon plus ou moins machiavélique ou en n’hésitant pas au recours à la mauvaise foi. Mais si on se veut rigoureux et honnête, on doit être très attentif à ce genre de phénomènes.
Et on peut en voir des illustrations dans la façon dont nous lisons ou pensons lire les résultats comparés des divers systèmes éducatifs à l’aune du notre.
Ainsi, on le sait, les pays scandinaves sont souvent encensés pour leurs bons résultats. Notons cependant qu’on englobe dans un ensemble des systèmes assez différents (qui ne sont pas forcément « scandinaves » à proprement parler) et qui n’obtiennent pas les mêmes performances. C’est le cas du Danemark qui ne fait pas réussir ses élèves comme la Finlande ou la Suède. Ceux qui contestent la comparaison France-Finlande au profit de cette dernière soulignent certains aspects particularistes : petit pays, avec faible immigration, tradition protestante, langue écrite facile à maîtriser. Mais d’autres pays de même taille réussissent moins bien, et la langue espagnole ou italienne sans être phonétiques comme le finnois permettent cependant des correspondances graphies-sons assez aisées, etc. Et surtout on ne parle guère des évolutions considérables qui se sont produites depuis quelques décennies : un bouleversement complet du système traditionnel qui s’appuyait pourtant sur les mêmes bases que celles qu’on vient d’évoquer.
D’autres encensent le système nordique, mais oublient souvent un des facteurs possibles de cette réussite, celui qui ne va pas avec leurs conceptions idéologiques. Ainsi les libéraux évoquent-ils la décentralisation, la souplesse et une gestion des enseignants au niveau local. Ils mettent peu en avant l’effort important en faveur d’aide aux plus faibles, (y compris les repas gratuits, etc.) mais aussi d’une formation pédagogique très complète des enseignants. Les anti-libéraux les plus farouches citent aussi les pays scandinaves positivement (par exemple Nico Hirtt qui a osé faire l’éloge un jour de la Corée du Nord par ailleurs !), mais sans cette fois-ci parler de la décentralisation, de la forte sélectivité du recrutement des enseignants, la mise en avant (depuis longtemps) de l’ « esprit d’entreprendre » (une macro-compétence essentielle en Suède)
Lorsqu’on évoque le Québec, certains admirent l’existence d’une école très inclusive, mais négligent l’importance du décrochage précoce. D’autres dressent un constat d’échec du fait de l’abandon de certaines réformes, sans considérer que, malgré les alternances politiques, l’essentiel est préservé (école de la bienveillance, développement des compétences, même s’il y a des réajustements parfois judicieux en remettant en avant la dimension culturelle). D’ailleurs, certains anti-pédagogues répandent vite le bruit que là ou ailleurs « ils ont essayé » mais qu’on est revenu en arrière, et cela arrange bien les conservateurs qui ne vont guère vérifier si c’est vrai. (à paraitre bientôt un ouvrage que j’ai co-coordonné : « L’évaluation plus juste et plus efficace : comment faire ? » avec une contribution fort intéressante d’une chercheuse, Louise Bélair, sur les évolutions au Québec.
On a plus de mal à avoir des informations solides sur les systèmes asiatiques, avec là aussi le risque d’en faire un bloc. Certains évoquent positivement le climat de discipline qui règne et qui serait facteur de réussite, en oubliant d’une part les informations sur la dégradation du climat scolaire dans nombre d’établissements en Corée , la recherche récente d’introduire plus de créativité et d’esprit d’initiative, ou au contraire la préoccupation du bien –être et de l’épanouissement de l’enfant dans l’école primaire japonaise, comme l’a montré un dossier des Cahiers pédagogiques proposé par un connaisseur, François Sabouret.
On sait aussi que dans le passé, on a bâti des constructions intellectuelles à partir de faits qu’il aurait fallu analyser davantage dans leur complexité. Citons l’admiration pour le système dual allemand et les rythmes scolaires qui faisaient terminer les journées très tôt, sans contextualiser, sans prendre en compte les inconvénients : un manque de qualification pour les jeunes trop tôt sortis du système général, une difficulté pour les femmes à travailler vu la durée des temps de garde des enfants l’après-midi. Et bien sûr le fameux « bac japonais » qui a tant impressionné JP Chevènement alors qu’il n’avait guère de rapport avec notre propre bac. Plus loin dans le temps, les plus anciens se souviennent des éloges de l’école soviétique ou est-allemande. Les Cahiers pédagogiques avaient pêché en publiant un « école en Chine » totalement en décalage avec ce qui était la réalité en ces temps maoïstes !
Il ne faudrait pas pour autant renoncer aux comparaisons, qui nous ont aidés à sortir un peu du franco-français. Comparer ne va pas sans risques, vouloir tirer profit d’autres expériences est forcément périlleux, mais nécessaire. Ce qui d’ailleurs rend précieuses les analyses de PISA que j’ai évoquées dans de précédents billets, à condition de les lire avec attention et avec le moins d’ornières possibles.