Nous ne célébrons pas cette année que les cinq siècles de la bataille de Marignan ou les soixante ans de la fin de la seconde guerre mondiale, mais aussi les quarante ans du collège unique. On était alors dans la période « flamboyante » des débuts du giscardisme et la loi Haby était adoptée : désormais tous les petits français allaient être rassemblés après l’école primaire dans un collège unique, avec disparition des filières. Des dispositifs divers étaient censés permettre de surmonter les problèmes de gestion de l’hétérogénéité : le soutien essentiellement, avec cependant des programmes bien peu modifiés et une faible réflexion sur la pédagogie nécessaire pour le collège. Je me souviens de la bataille menée contre la réforme Haby. Certains recevables et justes, mais je me souviens aussi, alors que j’étais débutant, d’un collègue voulant prouver aux parents du collège que la réforme allait abaisser le fameux « niveau » en brandissant un manuel d’Histoire. Le nouveau pesait moins lourd, nettement que le précédent : amoindrissement du savoir, donc, affirmait ce professeur, syndicaliste virulent et militant communiste. Il n’est pas sûr que derrière les apparences, tout le monde critiquait la « réforme Haby » pour les mêmes raisons !
Décembre 1982 : Louis Legrand, ancien directeur de l’Institut national de la recherche pédagogique, présente son projet à la demande du ministre Alain Savary : il propose la mise en place d’une pédagogie différenciée : tutorat pour les élèves en difficulté, autonomie des établissements pour mieux prendre en compte les situations locales, travail en équipe pédagogique (mais aussi une plus grande place pour les activités manuelles et technologiques, ce dont on a peu parlé). Levée de boucliers.
Là je suis un jeune rédacteur aux Cahiers pédagogiques et avec Philippe Meirieu et Jean-Pierre Astolfi notamment, nous essayons d’organiser un soutien à ce projet dans les « commissions Legrand » départementales, dans les établissements. Que n’entend-on parfois ! Entre ceux qui accusent les pédagos de vouloir obliger les profs à apporter leur sac de couchage au collège, à cause des réunions de concertation qui vont se multiplier, ceux qui proclament que les enseignants sont là pour en-sei-gêner et pas pour être des assistantes sociales comme le voudrait le tutorat, ceux qui affirment d’emblée que les élèves ne s’y retrouveront jamais si on sort du strict cadre de « la classe » Les propositions les plus audacieuses de la réforme ne verront pas le jour. Pire, les textes qui devaient sortir s’attaquant enfin aux contenus d’enseignement ne verront pas le jour suite à la malencontreuse gestion de l’affaire de l’enseignement privé par un gouvernement ne parvenant pas à trouver des formules de compromis (surenchère des ultras des deux côtés).
Pourtant, des idées ont germé et aujourd’hui, on ne trouve plus les mêmes oppositions, du moins sont-elles plus minoritaires, quant à la nécessité par exemple d’accompagner les élèves ou d’avoir, quand on est enseignant de collège, un rôle éducatif, comme l’avaient d’ailleurs les instituteurs de la III¨République souvent érigés en modèles (mythifiés)
En 1989 c’est la loi d’orientation de Jospin. Le collège doit être transformé. Je me souviens de l’organisation d’une journée du CRAP au lycée Louis Le Grand (voir document annexe ci-dessous sur ce thème : des équipes témoignent de tentatives intéressantes, s’appuyant notamment sur les diverses publications des Cahiers autour de la pédagogie différenciée (un dossier s’intitulant par exemple « il n’y a pas que la classe » et proposant de multiples dispositifs pour regrouper les élèves selon les besoins). Il est prévu de faire évoluer le statut du prof de collège. Là encore, levers de boucliers, puissantes manifestations anti-réformes, menaces implicites de censure du gouvernement par la minorité communiste à l’Assemblée. Recul : il y aura peu de changements et on sera bien parti alors pour des années de stagnation avec l’immobilisme Bayrou un peu plus tard.
1998 : ministère Allègre et Royal pour le collège. Une innovation majeure au lycée : les TPE. Des manifestations contre, de la part parfois d’enseignants qui quelques années plus tard protesteront contre la décision de Fillion de réduire ceux-ci à une seule année- des pancartes de lycéens « non aux TPE » (personne ne leur a soufflé ?) Et en collège, les modestes mesures suggérées dans le rapport Dubet remis à la ministre déléguée ne sont guère mis en pratique. On se gausse du « bulletin Royal » qui suggérait cette mesure absolument révolutionnaire qu’était de rajouter une colonne « conseils et propositions de remédiation » aux élèves et appelait à une prise en charge commune des questions de lecture dans toutes les disciplines.
Un peu plus tard, suite au rapport Joutard, se mettaient en place les Itinéraires de découverte qui réussissaient à monter en puissance et qui majoritairement donnaient satisfaction, contrairement à ce qu’une certaine désinformation veut faire croire aujourd’hui) quand on les abattit en plein vol en les rendant facultatifs (merci Luc Ferry !) Il est vrai que tant qu’une vraie évaluation « qui compte » n’était pas mis en place, ils étaient à la merci de n’importe quel mauvais coup de ministres idéologues.
Tableau décourageant ; oui et non.
Oui, parce que chaque fois qu’on tente de réformer, et nous n’avons pris que quelques exemples, on entend le même discours contre, avec une faible variante d’arguments. Chaque fois, ce qui était l’existant est toujours mieux que ce qui est proposé (comme si cet existant l’était de toute éternité, comme si par exemple le latin en cinquième ou les classes bilangues n’étaient pas des dispositifs assez récents finalement) ; chaque fois, on clame sa volonté d’une « vraie réforme » , avec cette oscillation permanente entre le « ça ne change rien » et le « c’est la fin de la civilisation » (Régis Debray à la conférence de presse sur les langues anciennes le 8 avril). Tout cela confirmant les théories de Hirschmann sur la permanence de la pensée conservatrice.
Désolé pour certains contradicteurs de mes billets récents sur ce blog, mais leurs arguments, à partir de cas particuliers, ne peuvent me convaincre de la nocivité d’une réforme qu’il faut juger globalement. Je ferai bientôt un billet argumenté à partir de ces questionnements qui sont légitimes lorsqu’ils sont une invitation au débat et non insultes et anathèmes. Car globalement, les options en sixième servent à constituer des classes à part. Globalement, mettre en place de l’accompagnement personnalisé tout le long du collège est une priorité. Globalement, le développement de l’interdisciplinarité va dans le bon sens : lien entre les savoirs, incitation à mener des projets en croisant les disciplines, etc. Et il pourrait être décourageant de voir à nouveau se lever les boucliers habituels, dans un bis repetita fatigant…
Non, ne sombrons pas dans le pessimisme. Notre vieil ami André de Peretti qui approche de ses cent printemps, nous disait déjà lors de notre première université d’été de Poitiers en 1985 : « ça avance lentement » nous mettant en garde contre l’impatience.
Je prendrai trois exemples :
-celui évoqué plus haut : l’idée d’accompagnement des élèves est mieux acceptée. Certes, elle peine à entrer en pratique de manière efficace, mais l’idée qu’il faille prendre l’élève dans sa globalité, qu’il faille travailler avec lui sur les méthodes pour apprendre, tout cela a fait son chemin, malgré tout.
-l’idée d’autonomie des établissements fait certes dresser sur leur tête les cheveux des inconditionnels du Tout-état (cf. mon précédent billet), mais elle est mieux acceptée. De nombreux inspecteurs par exemple prennent en compte le contexte local, des chefs d’établissements cherchent à se vivre comme des leaders d’une équipe et non comme les missi dominici répercutant les ordres d’en haut, le conseil pédagogique peu à peu s’installe et s’installera si une volonté politique nationale et régionale l’impulse pour qu’il ne soit pas une coquille vide où on passe du temps à parler du distributeur de boissons (j’ai connu ça dans mon collège)
– l’interdisciplinarité a fait elle aussi son chemin et il me semble que les enseignants de collège y sont davantage préparés, à partir de tout ce qui a été partagé. Malheureusement, trop sont dans une posture schizophrène. Ils peuvent à la fois condamner des dispositifs qui les inquiètent parce qu’ils professionnalisent ce qui est au départ une initiative qu’ils veulent garder « pure », tout en étant partie prenante de nombreux projets et demandant l’aide de l’institution. L’important est de antrainer ces collègues dans une dynamique où l’on mettrait un peu de côté les considérations idéologiques et les « principes ». Le pragmatisme des jeunes enseignants, comme l’avait noté Hervé Hamon dans Tant qu’il y aura des élèves, s’il a une face noire (la dépolitisation, la référence parfois faible aux « valeurs ») a l’avantage d’échapper aux querelles théologiques. Reste aux innovateurs de ne surtout pas laisser penser que le développement de l’interdisciplinarité nuira aux disciplines, je l’ai déjà développé ici. Et j’ai eu maintes occasions de travailler avec ces collègues, sur de nombreux projets qui étaient parfois pour eux « les meilleures heures de la semaine ».
Bref, pour ne pas allonger abusivement ce billet, le champ des possibles n’est pas une terre brûlée et il y a encore de la récolte à faire, si on développe cette vertu que nous réclamons tellement à nos élèves : la persévérance…(1)
NB : on aura reconnu peut-être dans le titre un vers de La Fontaine (le coche et la mouche) que Michel Tournier considère comme un des plus beaux vers de la langue française
- les ennemis de la réforme, eux, ont cette persévérance, en tout cas la répétition des mêmes arguments, depuis des dizaines d’années. Depuis le temps qu’ils disent que « la situation se dégrade », à quel niveau sommes-nous descendus ?
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