Enseigner au XXI siècle

Le gai savoir

confi_anceCe qui me frappe dans l’étalage médiatique de certaines réactions d’intellectuels et journalistes aux projets de programmes de collège (et d’école, qu’on oublie), c’est la conception bien triste du savoir qui s’en dégage. Il faudrait forcément souffrir pour atteindre le Walhalla du Savoir. On enfantera dans la douleur, il faut passer par une longue phase fastidieuse d’ennui avant de commencer à approcher les Saints Savoirs.

Pourtant, si on reprend les théories de la motivation, notamment exposées par des chercheurs comme Roland Viau, on se rend compte que pour se motiver à apprendre, ce qui est nécessaire pour apprendre donc (mais il est vrai que nos intellectuels cités s’intéressent plus à ce qui est enseigné qu’à ce qui est réellement appris), il y a pour l’essentiel deux leviers.

peguyLe premier, c’est le sens. On est motivé lorsque l’activité pour laquelle on accepte de retarder le plaisir et différer la satisfaction de parvenir à ses fins, prend du sens. Du coup, on accepte y compris l’ennui en toute liberté. Je n’ai hélas pas retrouvé la référence à ce savoureux texte de Charles Fourier où il explique que les insurgés parisiens ont réussi à construire une barricade en quelques heures alors qu’il aurait fallu dix fois plus à des ouvriers travaillant sous la contrainte. Je pourrais aussi citer ce fameux passage attribué à Charles Péguy qui imagine une rencontre avec des tailleurs de pierre en distinguant ceux qui travaillent parce qu’on leur a assigné cette tâche et ceux qui savent qu’ils sont en train de bâtir la cathédrale de Chartres, monument de dévotion à Dieu.

Le second grand facteur de motivation, c’est le sentiment de compétence. Parce qu’on sent qu’on a du pouvoir sur les choses, on progresse, on accepte les échecs provisoires, les errements, les difficultés.

Il faut jouer sur les deux registres. Mais à écouter nos Debray, Finkielkraut, Bruckner et autres, tout cela n’est que subtpossibleerfuge, renoncement à la cure d’austérité nécessaire pour nous éloigner du monde de l’enfance qui serait celui du désir et du plaisir immédiat.

D’une part, ces beaux messieurs oublient que certains de ces enfants trouvent leur motivation dans le milieu familial et acceptent les efforts à l’école parce qu’ils ont construit du sens à la maison ; en vacances en été, ils ont entendu leurs parents tracer avec eux un itinéraire routier qui évoque des leçons de géographie ou d’histoire, ils ont lu des belles histoires obélixavant de se coucher et entendu des musiques variées et riches. Et en plus, ils ont construit pour la majorité une confiance en eux qui les entraine dans le cercle vertueux de la réussite. On peut toujours clamer « quand on veut, on peut », n’empêche que si tous sont égaux, certains le sont plus que d’autres…

Ces mêmes intellectuels nient en plus la part fondatrice du jeu dans la construction de l’intelligence, précisément parce que dans certaines familles, on est davantage éloigné des contraintes matérielles ou parce qu’on a compris que lire « Petit ours brun » ou se déguiser en chaperon rouge pour jouer avec son petit frère un mini-spectacle à la fête d’anniversaire étaient parfois essentiels pour se forger du raisonnement, de la créativité …et de confiance en soi-même.

L’école doit du coup compenser ces inégalités socio-culturelles en mettant l’accent à la fois sur le sens et sur l’estime de soi, le sentiment de compétence. Ce qui implique :

  • de relier les savoirs modestes et parfois rudimentaires des élèves et de leur milieu familial à la « grande culture », ce que j’ai appelé savoir être un « passeur culturel». C’est le sens des nouveaux programmes de français et que ne comprennent pas certains esprits obtus. Il ne s’agit nullement de mettre à égalité la série américaine ou le dessin animé et l’Odyssée ou le roman réaliste patrimonial, mais de « ruser », de trouver des voies d’accès originales et fécondes, y compris en utilisant la culture populaire. Et le « jeu » peut faire partie de ces ruses. Quand j’inventai avec mes élèves un jeu de « l’Oie-Dyssée », quand mes amis Marc Berthou et Dominique Natanson proposent des jeux dans toutes les disciplines pour mieux comprendre par exemple la crise des missiles de Cuba, on ne s’éloigne pas des savoirs, on s’en rapproche au contraire. Et on joue (c’est le cas de le dire) sur divers registres de la motivation. Oui, bien sûr aux efforts (mes élèves avaient plutôt tendance à me reprocher de trop leur demander, contrairement à ce que pensent mes détracteurs qui ne savent pas de quoi ils parlent), mais à condition d’en voir l’intérêt, l’utilité. Tant pis si le mot « utile » fait bondir certains. Utile, avec tous les sens du mot : utile directement, dans la vie, mais utile aussi pour se forger une opinion, pour yes you cancomprendre l’actualité, pour mieux se connaitre, pour mieux vivre avec les autres.
  • de renforcer tout ce qui contribue à donner le sens de sa propre compétence. Evidemment, si on croit, comme Christophe Barbier, qu’il y a ceux qui sont assignés à la pauvreté intellectuelle et qui ne sont pas « capables », il n’y a rien à faire. Mais tant d’élèves apprennent surtout dans la vie à se résigner (ce que des psychologues comme Lieury appellent la « résignation apprise ») ! L’évaluation positive qui marque les progrès, la possibilité de recommencer un travail non réussi, les encouragements positifs et les propositions précises pour s’améliorer, autant de facteurs qui aident à réussir. Je n’arrête pas de répéter dans les conférences que je donne que l’essentiel n’est pas de diminuer les difficultés, mais bien de créer un climat de confiance qui permette de les surmonter si bien que je trouve absurdes les critiques selon lesquelles moi et ceux qui pensent de la même façon voudraient « tirer vers le bas »…Les mêmes élèves, rétifs aux efforts bien souvent, devenaient sérieux, rigoureux dans des projets ou par exemple des activités théâtrales. Parmi mes meilleurs souvenirs d’enseignant : trois élèves arrivant en plein hiver à 8h au lieu de 8h 30 un lundi matin pour terminer avec moi l’écriture en vers d’une fable commencée en classe, trois élèves plutôt du « bas du tableau », ou encore ces élèves sacrifiant leur récréation pour afficher dans la salle de classe des lettres fictives écrites pendant la Terreur de 1794 dans un travail commun français-histoire.

Ajoutons ceci. Nos chers intellectuels médiatiques prônent l’effort, la rigueur, l’ascèse et rejettent la superficialité, la « com », la facilité. Mais lorsqu’ils analysent les projets de programme, ils jettent par-dessus bord ces exigences. Ils ne prennent pas la peine de lire les textes, de les comparer avec ce qui existe actuellement (deux exemples : ils se gaussent de l’enseignement du développement durable en géographie cinquième, qui existe depuis plusieurs années comme axe central, ils se moquent, comme Eric Dupin, des « micro-entreprises » qui sont depuis longtemps une opportunité en technologie, ils ignorent apparemment que « se raconter » fait partie du programme de français en troisième depuis 2008 et même avant, etc.) De même ils parlent apparemment sans rien y connaitre de la littérature jeunesse qui serait « médiocre » ou évoquent la prétendue absence de grandes œuvres dans le programme de cycle 4 alors qu’il est écrit explicitement dans la partie lecture qu’il faut étudier « les œuvres majeures depuis l’Antiquité ». Peut-être aurait-il fallu joindre une liste d’auteurs, nous y avions renoncé après débat pour ne pas être trop prescriptifs et en renvoyant cela à des annexes ; peut-être tactiquement avons-nous eu tort, mais implicitement, bien sûr que Hugo, Molière ou Voltaire nous accompagnaient constamment si je puis dire dans notre longue élaboration de ces projets qui s’ils sont pris au sérieux donneront plus de sens, plus de désir de travailler sur les textes que la succession chronologique et souvent formaliste des genres …

Bref, une des choses que j’ai vraiment apprises à l’école, et en particulier avec ma prof de philo en terminale à qui je dois beaucoup, c’est d’une part la défiance vis-à-vis du « bon sens », de l’autre l’exigence personnelle. Si on veut être un tant soit peu exigeant avec les élèves, il faut l’être beaucoup envers soi-même. Au fond, je n’ai que mépris pour cCouverture du livre « Le Café du Commerce », par Curnonsky, Paries gens qui ignorent tout du fonctionnement réel du collège d’aujourd’hui, qui s’alimentent au bar du café du commerce (ou d’un café chic de l’île Saint-Louis, ou encore dans le cas de Régis Debray d’une pizzeria de Pristina, certains comprendront l’allusion) et osent préférer les formules –choc dignes du pire des news (« nutella », « fin de la civilisation », « destructeurs de statues comme à Mossoul »…) au débat digne et argumenté, comme par exemple celui qui a permis au président du Conseil supérieur des programmes de s’expliquer dans Rue des écoles. Ce qui me révolte le plus chez eux, c’est la façon dédaigneuse dont ils parlent de tous les efforts, c’est le cas de le dire, de collègues qui, à Clisthène, Vic-Fezensac, Loos, Les Clayes, ou dans mille petits collèges dans toute la France, des classes de ma ville de Nogent-sur-Oise qui font un travail interdisciplinaire admirable autour de Théâtre et Sciences dans le cadre de la Main à la pâte au niveau cycle 2 ou 3. Mais je plains finalement leur hargne contre le temps présent, leur absence d’enthousiasme, leur enfermement dans un monde triste et désespéré… Je préfère le « gai savoir », tout ce qui justifie le beau vers de Victor Hugo « Savoir étant sublime, apprendre sera doux ».

Commentaires (15)

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  3. PHILIPPE L.

    Cher monsieur,
    Voici un exemple de programme qui appellerait un commentaire de votre part:

    Les professeurs ont à cœur d’éveiller chez leurs élèves le jugement esthétique, en particulier par la fréquentation régulière d’œuvres littéraires et artistiques choisies avec le plus grand soin.

    Aspects pédagogiques concernant le primaire

    Méthode de lecture syllabique, pratique régulière de l’analyse logique et grammaticale,
    Apprentissage systématique de la conjugaison, apprentissage rigoureux de l’orthographe au moyen de dictées régulières tout au long de la scolarité,
    Apprentissage des tables de multiplication, pratique régulière du calcul mental, pratique régulière des quatre opérations, apprentissage et pratique des problèmes d’arithmétique et de géométrie,
    Enseignement rigoureux, complet et chronologique de l’histoire, enseignement détaillé de la géographie pour aider les enfants à bien se repérer dans le temps et l’espace.

    Aspects pédagogiques concernant le collège

    Mêmes exigences que dans le primaire pour toutes les matières,
    Devoirs hebdomadaires et compositions trimestrielles.

    Qu’en pensez-vous? Ne serait-ce pas traumatiser ces chers petits?
    Philippe L.

  4. Stéphane Guinoiseau

    Je viens de lire votre interview du 04 mai que vous citez. Il me faudrait un espace aussi long pour y répondre point par point. Aussi vais-je me contenter du premier paragraphe. Je vous cite :
    « Les programmes de 2008, élaborés de manière peu transparente d’ailleurs, apparaissaient comme un retour en arrière par rapport non seulement aux programmes de 2002 mais aussi par rapport aux nombreuses pratiques intéressantes qui s’étaient développées. De plus, leur référence au socle commun était très formelle et il avait fallu la raccrocher dans une seconde version un peu améliorée. Les longs et fastidieux listings de notions grammaticales, le retour de la « leçon » formelle de langue, sans qu’on s’interroge sur son efficacité, le renvoi de la littérature jeunesse au « cursif » en oubliant combien elle peut être un puissant « passeur de culture », une absence de formation à l’oral dans les objectifs poursuivis et une réduction des travaux d’écriture à la traditionnelle rédaction, qui donne bien souvent de piètres résultats, autant de raisons qui ont amené le groupe de travail sur le français à modifier profondément l’orientation même du nouveau programme en ayant le souci de donner du sens, de relier le français au travail global sur le socle commun et de faire en sorte qu’à terme, le français ne soit plus considéré en début comme en fin de collège comme une des matières les plus ennuyeuses, si on en croit plusieurs enquêtes. »

    Personnellement j’ai une lecture inverse de la vôtre. Les programmes de 2008 constituaient un excellent support (à simplifier selon moi). Ils avaient réussi à corriger les principaux défauts des programmes précédents et étaient visiblement écrits dans un esprit plus ouvert. Parmi ces défauts les plus graves enfin rectifiés : la pratique de la séquence (qui est un peu à la pédagogie ce que la méthode globale est à la lecture…), le formalisme technique, l’absence de travail grammatical et lexical suivi, la linguistique du discours, l’absence de perspective chronologique (dans les programmes des années 80). De plus ils ne s’embarrassaient pas de références à des compétences abstraites, souvent invérifiables, ronflantes et difficiles à évaluer. Je ne cite qu’un exemple dans vos propositions mais il est assez révélateur. Un élève de 3ème devrait « reconnaître les aspects symboliques des textes, les comprendre dans leur contexte historique et la pluralité des récepteurs »… Je comprends au passage votre envie de faire allusion aux « théories de la réception » très à la mode dans les ESPE, mais franchement… est-ce ce que l’on attend d’un élève de collège ??? Il faudra clarifier la phrase à mon avis, pour le public et même pour les professeurs…Au passage, si l’on met bout à bout toutes les compétences que vous voulez valider, ils n’auront plus besoin d’aller au lycée ! 🙂
    Ces programmes proposaient enfin un travail suivi en grammaire et une étude régulière, détachée d’un simple émiettement « séquentiel » occasionnel et fort aléatoire. La transmission explicite plutôt que l’observation raisonnée et inductive (prônée par le constructivisme idéologique) qui fait perdre un temps incroyable et fragilise les acquis pour beaucoup. C’est ce que disent des spécialistes aujourd’hui aussi sérieux que Nathalie Bulle ou Marcel Gauchet … Les méthodes constructivistes que vous prônez accentuent les inégalités et favorisent (comme l’interdisciplinarité d’ailleurs) ceux qui ont le plus grand « capital culturel ». Les héritiers donc !
    Dans le programme de 2008, la littérature classique était intégrée à un projet humaniste et restituée dans sa dimension formatrice. La littérature de jeunesse n’était pas rejetée (contrairement à ce que vous écrivez) mais elle était plutôt réservée aux lectures à la maison.
    L’oral était affiché clairement comme un objectif, mais les auteurs conscients des horaires réduits en français et alertés par les plaintes fréquentes des professeurs de lycée et d’université avaient établi des priorités claires : la lecture et l’écriture. Des pratiques d’écriture diverses étaient proposées (pas seulement la rédaction…) et un travail suivi dans ce domaine était demandé.
    Avec ce cadre il était donc tout à fait possible de faire un travail progressif, construit et passionnant. Je n’ai pas l’impression que tous les élèves s’ennuient contrairement à ce que vous dites…Mais cela dépend plus du professeur que de la méthode et l’on peut être tout à fait passionnant, performant et utile en utilisant des méthodes fort différentes. Les vôtres sans doute et celles qui sont radicalement différentes aussi, c’est cela que vous avez du mal à concevoir et à accepter dans votre programme.
    Nous ne sommes pas d’accord donc. Mais cela n’empêche pas la discussion et la courtoisie. Et tous ceux qui ne sont pas d’accord avec vous ne sont pas d’affreux réactionnaires. Ou alors cette catégorie englobe des gens fort divers qui vont de Marianne à la droite entière.

  5. PHILIPPE L.

    P.S.: Comment expliquez-vous cet appel à la grève?

    Les organisations syndicales SNES-FSU, SNEP-FSU SNALC-FGAF, SNFOLC, SNETAA-FO, CGT Educ’action et SUD Éducation font le constat du maintien d’une réforme du collège contestée par la majorité des enseignants et rejetée au CSE par des organisations syndicales représentant plus de 80 % des enseignants du second degré.

    Elles continuent à demander le retrait de cette réforme fondée sur l’autonomie des établissements et la multiplication des hiérarchies intermédiaires sous l’autorité du chef d’établissement et la reprise de discussions sur de nouvelles bases pour la réussite de tous les élèves.
    Sans répondre aux véritables besoins du collège, cette réforme ne ferait en outre, si elle était mise en œuvre en 2016, qu’ engendrer davantage d’inégalités entre les élèves, aggraver les conditions de travail des personnels, mettre en concurrence personnels, disciplines et établissements.

    Dans un contexte déjà largement dégradé pour tous les personnels, elles appellent à poursuivre les mobilisations en cours, débattre en AG des conditions de l’amélioration du collège, multiplier les formes d’action et se mettre massivement en grève le 19 mai

  6. PHILIPPE L.

    Cher Monsieur,
    Il est au moins un point avec lequel je suis en parfait accord: refuser les insultes. Permettez-moi cependant de souligner cette contradiction dans vos propos: d’une part, dans l’article qui précède ce commentaire, vous affirmez: « Au fond, je n’ai que mépris pour ces gens qui ignorent tout du fonctionnement réel du collège d’aujourd’hui, qui s’alimentent au bar du café du commerce » et dans votre réponse à Stéphane G., vous prétendez ne pas mépriser vos interlocuteurs ».
    Mais laissons-là ces bisbilles qui sont sans doute la conséquence de la passion. Je voudrais insister sur deux points: l’utilité d’une part, et la grammaire de l’autre.
    Si l’on fait de l’utilité le critère essentiel, voire unique, de la motivation, il devient alors évident que l’accès à toute culture « classique », fondée sur les « humanités », perd tout intérêt et devient même nuisible. Citons par exemple Jean-Claude Michéa: « Il est clair en effet que la transmission coûteuse de savoirs réels -et, a fortiori, critiques-, […] n’offre[nt] ici aucun intérêt pour le système. » (L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes, Climats, 1999, p.55, réédité depuis). Ce qui devient alors l’enjeu de l’école, ce n’est plus la transmission des savoirs, mais l’employabilité future des prolétaires à venir.
    En ce qui concerne la grammaire, vous vous inscrivez dans une lignée qui date au moins des années 1970 et qui répète à satiété: « il ne faut pas faire de la grammaire pour pour la grammaire ». Quel en est le résultat actuel? Voici telle étudiante de L3 (Lettres modernes) qui vient vous demander « comment il faut faire pour reconnaître un verbe », voici telle autre qui se dit incapable de distinguer un attribut du sujet d’un complément d’objet direct, voici tel groupe enfin à qui il faut non pas rappeler, mais enseigner les conjugaisons, voici enfin et surtout les écoles de commerce ou d’autres établissements d’enseignement supérieur qui remettent à leur programme des cours d’orthographe et de grammaire! Il subsiste bien quelques rares rescapés, qui ont eu la chance de rencontrer dans leur parcours des instituteurs ou des professeurs « à l’ancienne », mais l’immense majorité, toute classe sociale confondue, est en proie au désarroi face à un savoir dont ils ignorent les rudiments tout en en reconnaissant le caractère fondamental et fondateur. Malheureusement, cette ignorance commune aura des effets bien contraires selon l’appartenance à tel ou tel milieu!
    Peu m’importe que vous choisissiez tel ou tel détour pourvu que vous arriviez au but: passer de la motivation externe à la motivation interne. En revanche, je vous serai reconnaissant de ne pas imposer votre idéologie et de laisser à ceux qui ne la partagent pas le loisir d’enseigner comme ils le veulent. Est-ce un hasard si les écoles intitulées « Espérance banlieues » ont dû choisir de se situer hors-contrat pour appliquer une pédagogie qui prend, sur bien des points, le contre-pied de celle que vous prônez? C’est en ce sens que je peux constater votre victoire car, si vous n’occupez pas toujours la scène médiatique, vous dominez assurément les lieux du pouvoir.
    Il y aurait encore beaucoup à dire, mais je vous en prie, ne tentez pas de disqualifier des analyses qui divergent des vôtres en les prétendant déconnectées de la réalité!
    Bien cordialement (car, au fond, nos idéaux ne sont pas si dissemblables, si nos méthodes s’opposent)
    P. L.

  7. Jean-Michel Zakhartchouk (Auteur de l'article)

    à Stéphane Guinoiseau
    J’ai lu le texte que vous m’avez signalé d’un « auteur de manuel de référence » (j’aurais aimé savoir qui, je n’aime guère l’anonymat), il y a peu de chances qu’il parvienne à me convaincre!
    Je lis par exemple:
     » Le souci de transmission d’une culture commune et, à travers elle, d’un monde commun, la foi en la puissance de classiques, en leur capacité à instituer l’Homme, tout cela semble avoir déserté les concepteurs de ces nouveaux programmes qui font de l’étude des textes un simple moyen de travailler des compétences purement utilitaires. »
    Il faut avoir des oeillères pour lire dans le projet de programme un éloge de l’utilitarisme étroit, quand au contraire à travers non de vagues thèmes mais des grandes problématiques le professeur pourra introduire les textes classiques comme, sinon des « réponses » , du moins des manières d’interroger le monde, etc. Je ne développe pas, car ce n’est pas l’objet d’un « commentaire », mais je renvoie au long interview paru le 4 mai dans le Café pédagogique où je développe tout cela.
    Par ailleurs, j’attends toujours qu’on me prouve l’efficacité des « leçons de grammaire » déconnectées du « lire, écrire, parler ». En revanche, il est prévu dans le projet un vrai travail métalinguistique de réflexion sur le fonctionnement de notre langue.
    Enfin, s’il est vrai qu’il n’y a pas dans une première étape de liste d’auteurs, c’est pour ne pas être trop prescriptif et laisser cette « liberté pédagogique » que par ailleurs vous semblez réclamer(ou l’auteur de manuel cité). Mais si vous pensez qu’on ne doit en classe que travailler sur des classiques, alors nous sommes en divergence totale, car d’une part il faut s’initier à tous les discours, non par relativisme, mais justement pour faire ressortir la « littérarité » comme aurait dit Barthes, d’autre part considérer la littérature jeunesse comme un formidable pont culturel (avec des auteurs qui peuvent être Tournier, Le Clézio ou Ben Jelloun ou encore Jeanne Benameur ou Christian Grenier, même si on ne les étudie pas de la même façon que les classiques) En travaillant sur RIchard Matheson (sous -littérature pour vous?), on peut aussi aborder en quatrième un texte de Pascal( l’infiniment petit) etc.
    Mais je doute fort de vous convaincre.
    Je ne méprise pas mes interlocuteurs et je ne les insulte en tout cas pas comme le font certains (mais désormais je jette à la corbeille tout texte qui comportera une insulte avérée)

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  9. Benjamin PAUL

    Merci cher Jean-Michel,
    Un billet doux et juste, simple et vrai.
    Difficile d’être concis (sans être réducteur ou caricatural) mais je vais m’y contraindre :
    -D’abord, OUI ce qui crève les yeux, c’est la méconnaissance pour les différents « éditorialistes » de la réalité d’une classe. J’en témoigne et les yeux de nombreux praticiens saignent et leurs oreilles sifflent. Bien sûr, les réalités sont multiples mais penser que ne toucher à rien (ou revenir en arrière) va accompagner les équipes… qui ont besoin de davantage d’autonomie, de confiance (tout cela n’excluant pas le contrôle par l’Institution).
    -Ensuite, OUI « le sens » et « le sentiment de compétence » sont des conditions sine qua non pour les élèves, mais également pour les enseignants. Et l’on peut changer l’école pied à pied, peu à peu… elle évolue partout et les initiatives et réflexions concrètes se multiplient – n’en déplaise aux grincheux – elle évolue pour être davantage au service des réussites… Les postures changent (il est temps) : être dans une relation plus horizontale avec les parents, casser les classes ou les codes parfois ne veut pas dire démagogie, perte de repère ou société qui se délite… mais bien au contraire quête de sens et réussite chemin faisant ! Les assises de la laïcité ont permis de faire remonter le travail de fourmi, fait en filigrane dans nombre de classes et partout sur le territoire qui est une preuve de ce que j’avance… Mais on doit faire mieux et davantage encore !
    -Enfin, concernant la réforme : je ne sais pas si je dois sourire du fait que les bien-pensant, médiatiquement exposés (toujours les mêmes, le microcosme qui prétend connaître mais ne défend que sa conception théorique) chantent en chœur « Si rien ne bouge » de Noir Désir (« Il y a des chances que rien ne bouge », ab lib.). Droites et Gauches confondues… Confusion, fusion des c…

  10. berthou

    Merci pour ce bel article… C’est vrai que ceux qui parlent le plus à la radio ( je fait référence à Debray) n’ont certainement pas beaucoup mis les pieds dans un collège . On a droit de faire plaisir et de se faire plaisir en enseignant, vive le sens ,le jeu , les compétences et la jubilation. Je crois que ces nouvelles tendances du collège sont les bienvenues (même si il y a des bugs que je regrette). Les jeunes collègues qui arrivent sont à mon avis prêts pour cette nouvelle aventure. Il faut penser autrement, expliquer ce que l’on fait aux élèves, donner du sens bon sang, donner du sens… et dans la motivation je rajouterai la liberté… laissons plus de libertés à nos élèves… combien de minutes par heures nos élèves sont ils libres de faire des choix ???
    J’ai laissé pendant 6 heures d’histoire géo mes élèves de 4ème travailler par compétences sur « l’age industriel », ils avaient à faire d » l’argumentation du vocab, de la localisation, du commentaire de doc et du récit … pas de notes comme d’habitude; une quinzaine de sujets au choix. Ils étaient évalués quand ils étaient prêts et commençaient par ce qu’ils voulaient… Ils n’ont jamais autant produit d’écrits de leur vie !! une quarantaine par classe et par heure (c’est la barricade de Fourrier à moi !)… les premiers à avoir terminé ont fait du tutorat pour les plus faibles.
    Du sens ,du sens….

  11. NUNN Claire

    Merci pour ce grand bol d’oxygène : chercher le sens, le plaisir d’apprendre, le sentiment de compétence, c’est justement élever nos exigences.

  12. Jean-Michel Zakhartchouk (Auteur de l'article)

    cher Guy, merci de me signaler ça, je rectifie tout de suite, au petit matin. Je n’ai sans doute pas la foi pour ce fameux accord du P Passé qui fut chuter un ancien président de la République, pourtant lettré. « Marianne » s’est déshononoré, et Julliard a sombré (nous avions pourtant eu un échange courtois il y a quelques années au sujet de la pédagogie). IL est bien loin du SGEN et de ce qu’il écrivait dans les cahiers pédagogiques…en 1968!

  13. SONNOIS Guy

    Oh ! Jean-Michel ! Vous écrivez : » Bref, une des choses que j’ai vraiment appris à l’école,… ». Je n’en crois pas mes yeux ! Mais cela ne retire rien à mon adhésion à ce que vous écrivez (je viens juste de lire Marianne de cette semaine… et suis furieux contre Julliard, mais ce n’est pas la première fois sur le sujet de l’Ecole ; quant aux autres…). Je note aussi que ces esprits critiques attribuent aux « pédagogues » ce qui est souvent du seul fait des « didactitiens »… Mais vous l’avez déjà souligné. Poursuivez votre combat, rien n’est perdu ! Cordialement. Guy SONNOIS

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  15. Stéphane Guinoiseau

    Voici une analyse intéressante qui oppose un argumentaire précis à votre projet. Je serais curieux de lire vos commentaires à son propos…
    http://www.reformeducollege.fr/nouveaux-programmes/nouveau-programme-de-francais-l-analyse-d-un-auteur-de-manuel-de-reference

    J’ai l’impression à vous lire que vous avez le plus grand mépris pour vos contradicteurs qui, bien sûr, sont d’affreux réactionnaires et d’ignobles élitistes partisans du travail forcé et de l’ennui. C’est curieux car j’ai, comme vous sans doute, rencontré d’admirables professeurs qui, avec des méthodes que vous condamnez et un souci de la transmission que vous méprisez n’inspiraient aucun ennui et déclenchaient même une véritable passion pour ce qu’ils enseignaient. C’est grâce à ces professeurs exemplaires, dont vous mépriseriez visiblement la ringardise, que j’ai cheminé d’un milieu parfaitement inculte jusqu’à l’agrégation. Des professeurs à l’ancienne selon vous qui savaient donner du sens, de la passion et de la motivation sans s’embarrasser d’une myriade de compétences plus ou moins pertinentes.
    Un peu de modestie pourrait vous inviter à réfléchir et à répondre de façon plus pertinente. Je serais curieux de lire vos arguments face aux objections citées précédemment ou à celle de Pierre Jacolino : http://ekladata.com/xSikVHQ4RgnnLVO4iw6NJhqKyXU/eduquer-sans-cultiver-nouveaux-programmes-de-francais-et-culture-litteraire.pdf
    Cordialement,

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