Quel est le pédagogiste fou (pour parler comme Le Point) qui a écrit cela :« Oui, vous avez compris qu’il faut dans les programmes réduire la part des matières qui y tiennent une place excessive; vous avez compris qu’aux anciens procédés, qui consument tant de temps en vain, à la vieille méthode grammaticale, à la dictée – à l’abus de la dictée, – il faut substituer un enseignement plus libre, plus vivant et plus substantiel. »
Quel est ce laxiste qui ne met pas au premier plan la rigueur de la langue dans l’enseignement à l’école primaire en affirmant : « il vaut mieux être capable d’écrire une lettre, de rédiger un récit, de faire n’importe quelle composition française, dût-on même la semer de quelques fautes d’orthographe. »
Quel est cet idéologue pédagogo qui finalement préfère une école qui distrait, où on s’amuse plutôt que l’austère lire-écrire-compter qui demande des efforts mais qui est préalable à tout, essentiel, à travers cette déclaration :
« Ces accessoires auxquels nous attachons tant de prix, que nous groupons autour de l’enseignement fondamental et traditionnel du ‘’lire, écrire, compter’’ : les leçons de choses, l’enseignement du dessin, les notions d’histoire naturelle, les musées scolaires, la gymnastique, les promenades scolaires, le travail manuel de l’atelier placé à côté de l’école, le chant, la musique chorale. Pourquoi tous ces accessoires ? Parce qu’ils sont à nos yeux la chose principale, parce que ces accessoires feront de l’école primaire une école d’éducation libérale. »
Dans les trois cas, il s’agit de Jules Ferry (respectivement Discours au Congrès pédagogique (des directeurs et directrices d’École normale et des inspecteurs primaires), le 2 avril 1880, Discours au Sénat, le 31 mars 1881, Discours au congrès pédagogique des instituteurs de France du 19 avril 1881).
Je sais bien que ce petit jeu de citations a un côté facile, qu’on pourrait trouver d’autres textes un peu différents qui n’iraient pas aussi bien dans notre sens. Il faut à cet égard lire le magnifique petit ouvrage de Mona Ozouf qui montre la complexité du personnage, dont il ne faut pas oublier qu’il a subi d’incroyables attaques quand il était ministre. Mais il est utile de revenir ainsi aux principes de l’école républicaine plus ouverte et généreuse qu’on ne le dit, si soucieuse d’éducation et pas seulement d’instruction contrairement à ce qu’on prétend, en l’opposant à cette caricature qu’on lit en filigrane dans certains commentaires de ce blog et qui présente le savoir comme forcément triste, l’ennui comme une vertu et les Saintes Règles de la langue comme des entités quasi religieuses et intangibles.
On aurait pu pourtant s’ attendre aux diatribes actuelles contre la réforme du collège et les nouveaux programmes, on s’y attendait un peu, mais on espère toujours qu’un peu de raison va prendre le dessus, que des intellectuels et responsables( ?) politiques vont, même critiques, accepter de débattre raisonnablement, ne pas injurier leurs adversaires. Et on se trompe à chaque fois, trop naïfs que nous sommes, parce qu’on retrouve périodiquement dans les psychodrames autour de l’école les mêmes anathèmes, la même désinformation, les mêmes propos outranciers. Le « Nutella » de Régis Debray vaut en fait les accusations de « génocide intellectuel » (Paul Guth) que certains employaient au moment de la réforme Haby comme le rappelle excellemment Claude Lelièvre sur son blog ou sur le café pédagogique (je lui dois aussi en grande partie le rappel des citations de Ferry). Le ministre Haby, qui n’avait rien d’un dangereux gauchiste, était en train de détruire l’enseignement de la langue française et abandonnait tout notre patrimoine. Bien plus loin dans le temps, la diminution de la part du latin dans l’enseignement en lycée était quasiment considérée comme la fin de la civilisation (tiens, on retrouve cette expression dans le manifeste d’un journal qui se pare du beau nom d’un symbole de la République pour masquer sa médiocrité croissante).
Bref, il y a de quoi être consterné par le niveau de débat actuel dans les grands médias, où chacun livre son avis péremptoire, de Pierre Nora à…Stéphane Bern. Heureusement, quelques personnalités ont un jugement plus modéré et je sais même gré à Danielle Sallenave dont je suis très éloigné pourtant d’avoir exprimé se perplexité pour le niveau de critiques chez certains, qui dessert la critique d’ailleurs (cela ne l’empêche pas pour autant de démolir le projet ministériel). Et de solides interventions favorables à la réforme, venant de personnalités plutôt proches des courants pédagogiques, certes, mais aussi du directeur de l’Institut Montaigne, think tank d’une droite ou d’un centre-droit modéré et républicain. On notera aussi les prises de position favorables de l’association des parents de l’enseignement privé (APPEL).
Je voudrais en fait rappeler qu’il y a dans cette réforme du collège et des programmes (ne pas mélanger les deux comme le font les parlementaires UMP, même s’il y a cohérence et conjugaison entre ces deux faces de la transformation du collège) deux aspects :
- l’un qui serait plutôt marqué « à gauche » : le combat contre les inégalités, mais celui- ci sert en fait les intérêts à long terme du pays, qui a besoin de cette réduction de l’échec, si toutefois on ne se résigne pas à un monde dominé par la finance et qui a renoncé au progrès social en lien avec le progrès économique. Je renvoie à mon billet « Le geyser contre le ruissellement »
- l’autre plutôt lié aux nouvelles exigences du XXI° siècle :
maitrise nécessaire des outils numériques, capacité à chercher l’information, à s’adapter à des situations nouvelles, à être créatif et inventif, à coopérer avec d’autres. Et à cet égard, je conteste l’affirmation reprise par pas mal de gens proches selon laquelle notre école fonctionnerait bien pour la moitié « haute » de la population scolaire, car je pense qu’y compris pour les élites, elle ne fonctionne pas bien et ne prépare pas suffisamment au monde de demain, aux nouveaux défis (numérique, environnement, santé et prolongation de la vie, etc.)
Certains clivages pourraient être dépassés sur cette base. On peut certes discuter de la place du latin, de la seconde langue, du caractère facultatif ou pas de certains points du programme d’Histoire (mais faut-il vraiment visiter TOUS les châteaux de la Loire ou se concentrer sur un cas exemplaire quitte à revenir plus tard dessus ? et sait-on en français la différence entre choix optionnel obligatoire et option facultative ?), on peut examiner de plus près les conditions de réussite de l’interdisciplinarité ou du « croisement de disciplines », on peut débattre autour de l’autonomie des établissements et des garde-fous indispensables. Il peut y avoir de vrais débats intéressants là-dessus. Et quelqu’un comme Michel Lussault, intellectuel de haut vol au moins aussi qualifié pour parler de l’enseignement que Onfray ou Bruckner, qui n’y connaissent rien, prouve ce que signifie débattre honnêtement, textes à l’appui (et pas à coup d’extraits, toujours les mêmes, au mépris de toute déontologie intellectuelle) et surtout pratiques réelles à l’appui (quel mépris pour le travail de nombreux collègues de la part de certains intellectuels médiatiques, tel jadis un Comte-Sponville à la télévision démolissant en une minute un reportage pourtant passionnant montrant le travail d’une classe Freinet à Nanterre, dans un jugement lapidaire et plus que choquant, un exemple parmi mille)..
Une précision pour certains commentateurs. J’ai bien précisé que je n’accepterai plus tout ce qui ressemble à une insulte « ad hominem ». On me dit que moi-même je serais tombé dans ce travers sur ce blog. Qu’on me cite un seul exemple où j’ai injurié personnellement qui que ce soit ? En revanche, oui, j’exprime ma révolte devant les attitudes de mépris des élèves et des jeunes, et des enseignants novateurs dont on se gausse de manier pitoyable, devant la désinformation continuelle, et donc devant les attaques personnelles. Oui bien sûr au débat courtois, argumenté. Et je ne censurerai pas certains commentaires qui s’achèvent pourtant par le méprisant « Ne serait-ce pas traumatiser ces chers petits? » de Philippe L. Si se préoccuper des élèves, du sens qu’ils peuvent donner aux activités qu’on leur propose (ou qu’on leur impose si on préfère), si prendre en compte leur réalité, et leurs éventuelles souffrances (mais oui !)ou humiliations est forcément un renoncement et un culte de l’enfant-roi, la discussion est-elle encore vraiment possible ? J’aimerais pour terminer ce billet signaler cette vidéo remarquable qui montre ce que signifie une évaluation qui décourage et qui n’incite pas à l’effort : https://www.youtube.com/watch?v=j9I95BJsINc&feature=youtu.be
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Merci Jean-Michel.
*** Distraction ***
Commentaire à effacer après correction
j’exprime ma révolte devant les attitudes de mépris des élèves et des jeunes, et des enseignants novateurs dont on se gausse de manier pitoyable,
de manière pitoyable.
Très amicalement,
Luc
Merci pour de textes et d’autres encore ! Une prof d’histoire géographie en collège rural qui essaye de motiver ses élèves et de leur donner le « plaisir d’apprendre » en leur permettant de « faire », de « produire » et non d’ingurgiter avec un entonnoir des connaissances qu’ils auront oubliées sitôt l’évaluation passée.
Très bel article qui fait honneur à son auteur. Honnêteté et franchise, bravo!